Médecine et contrôle social. L’individualisme néolibéral marchandise les corps, normalise les esprits

Article paru dans le numéro 116 (février-mars 2018) de la revue « Nature et Progrès », dans un dossier intitulé « Technosciences et libertés ». L’espace étant limité, le texte est très condensé.

Mais l’on y retrouve certaines de mes thèses et références habituelles (biopolitique de Foucault, l’ère narcissique avec des penseurs tels que Richard Sennett, Zygmunt Bauman et les premières générations de la Théorie critique / Ecole de Francfort, courant interdisciplinaire dans lequel je me suis formée). Ces thèses sont abordées aussi dans les articles des catégories éponymes sur Pharmacritique : contrôle social, disease mongering, normalité…).

Il s’agit de décortiquer l’individualisme néolibéral aussi sous l’angle de la médicalisation et du marché du bien-être, incluant la psychologisation inhérente qui permet de culpabiliser l’individu pour les tares d’un système sur lequel il n’a aucune prise. Incluant aussi les coachings, l’injonction à la pensée positive et toutes les pseudo-médecines douces qui sont le contraire dialectique, interdépendant, du complexe médico-industriel.

Cette médicalisation est un symptôme du dévoiement de la fonction sociale de la médecine et de sa technicisation, avec de multiples conséquences sur les humains normalisés. Leur différence en est extirpée pour les formater, mettre au pas selon le conformisme consumériste qui marchandise aussi leurs corps, les réduit à des « autoentrepreneurs de soi » enjoints à fructifier leur « capital santé » en tant qu’actionnaires d’une médecine 4P menant peu à peu vers l’acceptation sociale des thèses du transhumanisme.

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Transhumanisme : Tuer l’humain pour soigner ses imperfections ? Conférence à Argelès sur Mer, le 26 avril

Fin avril, j’aurai l’honneur et le plaisir de donner une conférence sur le transhumanisme, ses lignes de force mais surtout ses conséquences au niveau collectif comme individuel. En insistant sur les chemins qui, malgré les critiques, mènent pas à pas à l’acceptabilité sociale à partir de certaines formes de la médecine technicisée, que l’idéologie technoscientiste a réussi à faire passer pour une évolution bénéfique aux malades et à l’être humain tout entier.

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Logiques néolibérales en santé, privatisation et contrôle social. Pétition pour la Sécurité sociale

La pétition / appel du Collectif pour la Sécurité sociale peut être signée sur cette page.

Après la citation de ce texte, je montre comment le Parti socialiste trahit ses promesses en matière de santé, trahit la conception de la santé solidaire et universelle qui était historiquement la sienne. Il trahit les citoyens en promulguant des lois et des réglementations promouvant les intérêts financiers des assurances. Cela entraînera une privatisation accélérée et la mainmise des assurances et « industries de santé » néolibérales sur notre pseudo-système de santé et sur la médecine. La médecine libérale et la liberté des médecins disparaîtront au profit de fonctionnaires soumis aux logiques comptables de réduction des coûts. Nous verrons des formes de contrôle accru des prescriptions, des façons de soigner mais aussi des libertés des usagers, ouvrant la porte à la normalisation et à un contrôle total des comportements en vue de prévention, de « préserver le capital santé » et « minimiser le risque ».

Voilà l’avènement de la médecine agent de contrôle social, de la marchandisation des corps et de la santé et d’autres modalités néolibérales relevant de la biopolitique, du biopouvoir et des « dispositifs de pouvoir » disséminés.

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Actes du colloque « Surmédicalisation, surdiagnostics, surtraitements » 2012. Atelier N° 2: Causes et sources de surmédicalisation

Outre les contributions à l’atelier N° 2, ce texte contient aussi deux documents fort bien faits et édifiants, réalisés par le Dr Monique Debauche, psychiatre à la Free Clinic de Bruxelles, membre du GRAS (Groupe de Recherche et d’Action pour la Santé). Il s’agit d’une suite de publicités et autres images qui illustrent l’évolution de la médicalisation et surmédicalisation des femmes, en particulier sous l’angle psychologique et psychiatrique.

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Actes du colloque « Surmédicalisation, surdiagnostics, surtraitements »: les comptes-rendus des ateliers (causes, formes, enjeux, médicaments essentiels…)

Les 27 et 28 avril 2012 a eu lieu à la Faculté de médecine de Bobigny le colloque « Surmédicalisation, surdiagnostics, surtraitements », co-organisé par le Groupe Princeps (Omar Brixi, Elena Pasca, François Pesty, Jean-Claude Salomon, Michel Thomas), le Département de Médecine générale de la Faculté de Bobigny et la SFTG (voir le programme).

Conceptualiser pour faire comprendre les enjeux pour tous les citoyens

A ceux qui n’en ont pas encore eu connaissance, je conseille de commencer par cette page de présentation du colloque et des ateliers, avec mon introduction détaillée sur les enjeux et l’importance d’une prise de conscience globale, par l’ensemble des citoyens, de l’omniprésence de la surmédicalisation, de ses causes, formes et conséquences, de ses risques pour notre santé individuelle et publique, tout comme pour le système public solidaire de santé et de soins.

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Misogynie culturelle et médicale. Livre de Guy Bechtel « Les quatre femmes de dieu ». Exemples de surmédicalisation des femmes: endométriose, statines…

Le livre de Guy BECHTEL « Les quatre femmes de dieu: la putain, la sorcière, la sainte & Bécassine » (Plon 2000, puis rééditions chez Pocket) éclaire le présent en retraçant l’histoire des tortures morales, des humiliations et contraintes infligées aux femmes par le christianisme, particulièrement dans sa variante catholique.

Je parle en détail de ce livre, pris comme point de départ d’un exposé des racines du sexisme, de la misogynie et gynophobie mais aussi de plusieurs formes sous lesquelles ils continuent de se manifester de nos jours, y compris dans l’éducation, la justice, la petite enfance et en santé / médecine.

Je donne des exemples concrets, particulièrement l’endométriose, rappelle mes campagnes contre des pratiques et des praticiens misogynes, commente les thèses psychanalytiques, donne des liens et des références… Cet article détaillé finit par des extraits du livre de Guy Bechtel.

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Exposé de David Healy: les conséquences néfastes de l’influence des pharmas et des conflits d’intérêts sur une recherche médicale déformée pour occulter les effets secondaires

[Mise à jour de décembre 2011 : Les méthodes par lesquelles l’industrie pharmaceutique influence et contrôle la recherche, la formation et l’information médicales sont décrites dans cet article de février 2011: « Biais, manipulation et falsification de la recherche médicale financée par l’industrie pharmaceutique », qui contient la traduction d’un texte de la revue allemande indépendante Arznei-Telegramm, appliquant cela à la psychiatrie, et notamment à la désinformation massive sur l’intérêt, l’efficacité, le rapport bénéfices-risques des antidépresseurs.

Les articles sur la dépression marchandisée et les antidépresseurs sont réunis sur cette page (en descendant du plus récent vers le plus ancien), ceux sur les antipsychotiques, les troubles bipolaires et la cyclothymie sont sur celle-ci.

La colonne de gauche du blog contient les sujets. Il y en a beaucoup sur les conflits d’intérêts en psychiatrie, le DSM, la normalisation et l’uniformisation des individus, le contrôle social exercé par la médecine (et notamment par la psychiatrie), sur le disease mongering (invention de maladies), sur d’autres psychotropes, sur la psychiatrie dévoyée en culture psy et ses dérapages, sur la dérive sécuritaire et la réponse du Collectif des 39, etc.]

Le 25 mars, le professeur de psychiatrie à l’université de Cardiff, David Healy, a donné une conférence qui a pour point de départ la David Healy Harvard Square Library.jpgréforme de la santé aux Etats-Unis. L’intitulé était “Can Industrialized and Marketized Healthcare be Made Universally Available? (Un système de soins industrialisé et conforme au marché peut-il être rendu universellement acessible ?). On peut visionner cette conférence d’une heure et demi sur You Tube. David Healy y intervient à partir de la huitième minute.

La conférence s’achemine progressivement vers une critique des scories d’une médecine sous la coupe de l’industrie pharmaceutique, un contrôle facilité encore plus par un marché totalement dérégulé. (Comme nous l’aurons en France aussi; il se met en place peu à peu. A bon entendeur…).

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Surconsommation de psychotropes en France : leçons à tirer sur la société, le modèle néolibéral et le dévoiement de la médecine

Y aurait-il une « épidémie de dépression » en France?

C’est discutable, puisque

« La prévalence du taux de dépression en France dans la population générale varie de 5,8 à 11,9 %. » La France n’en détient pas moins le record mondial de la consommation de médicaments psychotropes (antidépresseurs, hypnotiques, anxio-lytiques). Le chiffre d’affaires des antidépresseurs a été multiplié par 6,7 entre 1980 et 2001. Cette tendance serait à la hausse, en dépit de contestations fréquentes sur l’efficacité et l’innocuité. Ainsi, par exemple, du risque de suicide associé aux antidépresseurs chez les enfants, rendu public ces derniers mois. Les pouvoirs publics s’inquiètent plus généralement de la multiplication des prescriptions non justifiées sur le plan médical et de la chronicisation des traitements. »

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Même si elle contribue fortement par ses stratégies marketing, et notamment le disease mongering, l’influence sur l’information médicale et du grand public, l’influence sur la formation médicale continue, etc., l’industrie pharmaceutique n’est pas la seule responsable, comme le dit le succinct article Antidépresseurs : un choix collectif ?, publié par Hélène Vaillé dans la revue Sciences Humaines et dont sont extraits ces quelques fragments.

Malaise social, fragilité des jeunes, remplacement de l’alcool par les antidépresseurs, mauvaises habitudes ou encore « des éléments culturels comme la pauvreté des régulations collectives, le faible support du groupe, les insuffisances de la médiation sociale » font partie des explications avancées. Cela dit, « la plupart des spécialistes admettent l’action conjointe de l’ensemble de ces facteurs ».

L’auteure note que les surprescriptions et la surconsommation se font sans fondement scientifique:

« Le besoin de soins pour ce trouble reste mal évalué. La fixation du seuil de pathologie a ici, en effet, quelque chose d’arbitraire, tant il est difficile de distinguer les réactions homéostatiques normales de tristesse des états dépressifs proprement dits. Les études épidémiologiques pour cette pathologie sont par conséquent peu nombreuses, difficiles à mettre en œuvre et souvent discutées. Leurs résultats varient beaucoup d’un pays à l’autre, voire d’une région à l’autre ».

J’ai parlé dans plusieurs notes de la « marchandisation de la dépression » et des psychotropes en tant que moyens de régulation non de l’humeur, mais de la société… Régulation faite par une médecine qui remplit un rôle de normalisation, d’uniformisation et de contrôle social, en fonction de la logique sociétale-économique dominante. Le dévoiement de la psychiatrie, illustré surtout par ce roman qu’est le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) a ouvert la porte aux dérives, sans parler de ses conflits d’intérêts.

Et Hélène Vaillé de se demander avec Claude Le Pen si médecins et médicaments ne sont pas en train de devenir des régulateurs sociaux, des « tuteurs qui lissent entièrement notre vie », médicalisent à l’infini (Michel Foucault), nous rendent adaptables à souhait et nous « débarrassent » des dilemmes constitutifs de notre psychisme et de la socialité. Thèmes largement abordés sur Pharmacritique.

Elena Pasca

La croisade contre le tabac et autres comportements : répression des habitudes individuelles au nom des… droits individuels

Il ne s’agit pas de défendre le tabagisme. Mais d’inciter à réfléchir au pourquoi et au comment de l’interdiction étatique de certains comportements 360445286.jpgindividuels. Réfléchir aussi au nouveau rôle que joue la médecine – celui d’outil de contrôle social dans la biopolitique de normalisation des individus, dont nous avons parlé dans plusieurs notes. Et se demander aussi à qui profite cette biopolitique: au néolibéralisme parce qu’elle accentue la culpabilisation générale de l’individu pour ce qui lui arrive; aux firmes fabriquant le Champix, le Zyban, les substituts nicotiniques, etc. Il faut comprendre que nous sommes toujours les dindons de la farce biopolitique néolibérale, qui ne fait que remplacer un profit économique par un autre, un aveuglement par un autre…

Dans son numéro de la fin mars 2008, le Courrier international publie des extraits d’un article de Filippo Facci, écrit au lendemain du vote de la loi anti-tabac en Italie (2004). Le papier s’intitule « Poudre aux yeux : les croisades contre le tabac et les autres plaisirs de la vie ». Nous recopions les fragments.

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« Disease mongering »: façonner des maladies pour chaque médicament, médicaliser émotions, mal-être et bien-portants (Ray Moynihan, Alan Cassels)

La journaliste médicale Lynn Payer avait 1829358310.jpgidentifié et décrit ce phénomène dans son livre de 1992 Disease-Mongers, dont j’ai parlé dans cette note. Son auteure est décédée en 2001, mais le terme « disease mongering »  (façonnage/ invention/ fabrication de maladies) s’est imposé grâce à des auteurs tels Ray Moynihan. Ceux qui lisent l’anglais peuvent se référer aussi à l’un de ses premiers articles sur le sujet, Selling Sickness: the Pharmaceutical Industry and Disease Mongering, paru en 2002 dans le British Medical Journal. L’article pose les jalons du livre publié en 2005, co-écrit par Ray Moynihan et Alan Cassels, et dont le titre veut dire à peu près « Vendre des maladies [fabriquées par le service marketing]. Comment les plus grandes firmes pharmaceutiques nous transforment tous en patients ». 

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La médecine comme outil biopolitique (contrôle social, normalisation, politiques hygiénistes…)

Ce texte de François Cusset se réclame de Michel Foucault, lui-même inspiré par les penseurs de la normalité médecine normalisation,contrôle social médecine médicament,individualisme néolibéral santé,politique hygiéniste biopolitique,médicalisation surmédicalisation,prévention abus de prévention,hyperactivité adulte,médecine différence anomalie normal,médecine prescriptive éthique,norme médicale norme sociale,tabac liberté maladie,médecine correction punition,théorie critique médicalisation,foucault médicalisation biopolitique,fonction sociale de la médecineThéorie critique (« Ecole de Francfort »). J’en reproduis les principaux fragments après une introduction beaucoup plus large, faite dans les termes de la Théorie critique, qui dénonce les méthodes biopolitiques par lesquelles le système procède à l’ajustement des individus aux rôles socio-économiques dont le système a besoin et évite toute remise en cause en psychologisant et en dépolitisant les problèmes et les symptômes ressentis par les individus ainsi formatés et programmés.

L’image renvoie au Panopticon imaginé par Jeremy Bentham: le modèle de la société disciplinaire parfaite, transparente, permettant une surveillance et un contrôle de tous les instants.

Les progrès de l’individualisme néolibéral se paient par une responsabilisation et culpabilisation de l’individu sommé de se comporter à tous les instants et dans toutes les dimensions de sa vie en parfait capitaliste qui soigne ses investissements, son « capital » (physique, mental…) et fait tout pour qu’ils donnent le meilleur rendement possible. Y compris dans le plaisir. Le Viagra et autres prothèses médicamenteuses (médicaments de confort, lifestyle drugs, etc.) sont là pour aider à améliorer la performance.

Il faut – dit l’idéologie néolibérale tellement bien intériorisée que l’individu pense faire acte de liberté – augmenter la productivité et la profitabilité, le rendement, la valeur du bien et ses peformances… Herbert Marcuse parlait en son temps du « principe de rendement ». Il est requis y compris s’agissant de son propre corps, objet de gestion, de maîtrise et de perfectionnement au moyen de diverses techniques taillées sur mesure pour permettre à la politique hygiéniste de s’insinuer partout, sous prétexte de prévention, revendiquée par la médecine préventive telle que la décrit David Sackett, couplée à une médecine prédictive (pensons au tout génétique mal vulgarisé) et à une médecine prescriptive, au sens éthique du terme, ou plutôt revendiqué comme tel par des médecins qui forgent des normes médicales qui deviendront des normes sociales, qui énoncent des préceptes dont la validité se veut morale, comme lorsqu’ils culpabilisent les femmes en émettant des injonctions sur l’allaitement présenté comme une démarche éthique, et non pas comme une pratique… 

L’allaitement est un exemple volontairement banal et quotidien. Pensons aux conséquences d’un discours moralisateur sur les femmes sommées de retourner à la maison pour le bien de l’enfant, dont l’avenir – le sien et celui de la planète – serait meilleur s’il portait des couches lavables et mangeait uniquement des aliments préparés par sa mère. 

La prévention, la référence à la santé publique, à la responsabilité de l’individu pour sa santé et celle de l’ensemble de la société semblent tout légitimer, toutes les interventions de contrôle social et de régulation (correction, substitut moderne de la punition) dans la vie des individus, toutes les injonctions prétendument éthiques et les « grammaires de comportement » pour les masses et autres bibles à suivre à la lettre, selon la description très juste d’Alain Ehrenberg.

Cet abus de prévention est lui-même générateur de maladies par la médicalisation (surmédicalisation et surmédicamentation) qu’il induit et qui fait courir des risques inutiles à une population bien-portante. Puisque outre la prévention qui régule les comportements estimés à risque selon des critères sociaux, l’autre façon de faire de la prévention se réduit habituellement à la prescription médicamenteuse (prévenir l’ostéoporose, l’infarctus, le diabète, bref, vider les pharmacies pour des maladies qui ne sont pas là), ce qui n’est jamais sans créer des effets indésirables… donc d’amener à nouveau les individus dans l’escarcelle de la médecine, qui pourra les surveiller et les « corriger » selon les dernières exigences sociales…

Le corps est un objet de marketing, puisqu’il faut savoir « se vendre », ce à quoi préparent tous les coachs, ces parfaits enseignants de l’adaptation aux rôles et aux exigences du marché néolibéral, qu’il s’agisse du marché du travail, du marché de l’amour, du marché de la santé ou d’autres rôles…

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« Les exilés de l’intime »: Normalisation et uniformisation des comportements au profit du néolibéralisme

Roland Gori, Marie-José Del Volgo, « Exilés de l’intime : la médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre économique ». Denoël, 344 pages, 22 euros.

Pour illustrer les propos du livre, voici un entretien avec Roland Gori, professeur de psychopathologie, intitulé Norme psychiatrique en vue. Suivi d’une tribune libre par le psychiatre Hervé Hubert, de la présentation du livre par l’éditeur et des commentaires sur un site de psychologues.

Ces écrits illustrent ce dont on a souvent parlé dans ces pages : la tendance à faire de la psychiatrie un outil de contrôle social qui cherche à abraser chimiquement – par psychotropes – la subjectivité, les émotions, l’idiosyncrasie, les comportements et tempéraments ne se conformant pas à la moyenne, et ce au profit d’une « normalité » artificielle comprise comme une adaptation parfaite de l’individu aux rôles socio-économiques qu’impose le néolibéralisme. Le DSM est le levier parfait par lequel s’opère cet ajustement d’abord théorique, puis mis en pratique par des psychiatres asservis aux industriels, en conformité avec la tendance socio-historique dans le néolibéralisme.

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« La Santé totalitaire » de Gori et Del Volgo : La médicalisation infinie au service de l’idéologie et des industries néolibérales

1506080345.jpgRoland Gori, Marie-José Del Volgo, « La Santé totalitaire : Essai sur la médicalisation de l’existence », Denoël 2005, 22 euros.

« (…) Devenue technico-scientifique, la médecine occidentale redouble cette expropriation du corps [déjà opérée par la maladie], puisque « c’est en tant qu’objet que le corps du malade se trouve pris en charge », la subjectivité du malade étant tenue à l’écart : ce que Foucault appelait la médicalisation des conduites. Il s’agit en fait, dune véritable idéologie médicale dont le but est de prescrire des comportements sains, grâce auxquels nous serions responsables de notre état de santé, et donc coupables de nos maladies, jusqu’à l’intériorisation de ces normes. Tout en étant dessaisis de nous-mêmes en cas de traitement : voilà l’hypocrisie et le paradoxe que pointent les auteurs. (…) La psychiatrie nord-américaine est en passe d’imposer une approche exclusivement médicamenteuse de la souffrance psychique : « La maladie psychique devient ce que la molécule soulage. » Ainsi, tout en prétendant discréditer la psychanalyse, cette psychiatrie répond aux demandes d’industries pharmaceutiques particulièrement rentables. Les conséquences de ce « technico-puritanisme états-unien » ? Une santé présentée comme produit de consommation, budgétée et progressivement privatisée, des hôpitaux classés, une soumission aux lobbies pharmaceutiques, une psychiatrie réduite à l’usage de psychotropes pour limiter les « déviances » et autres « troubles du comportement ».

L’intégralité du compte-rendu par Nicolas Mathey est dans l’Humanité du 16 avril 2005.

Psychotropes dès le berceau ? Le façonnage de maladies (disease mongering) nous mène tout droit au traitement à vie par psychotropes. Conférence de Barbara Mintzes

Texte de la conférence – débat donnée le 17 janvier 2008 par Barbara MINTZES, chercheure en disease mongering,antidépresseurs surprescription surconsommation,trouble bipolaire médicament,hyperactivité ritaline,marketing pharmaceutique disease mongering,façonnage de maladies psychiatrie,psychotropes enfants,surdiagnostic surmédicalisation surmédicamentation,barbara mintzes,publicité directe pour les médicaments dtca,psychotropes effets indésirables,antipsychotiques trouble bipolaire effets indésirablessanté publique à Université de Colombie-Britannique (Canada), et organisée par la revue Prescrire. L’autre conférence a été donnée par la psychiatre Monique Debauche sous le titre « Marché des psychotropes : construction historique d’une dérive ».

Elles font partie des auteurs qui déconstruisent la médicalisation et le disease mongering comme formes de contrôle social, même sans utiliser directement le terme.

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Le façonnage de maladies / disease mongering légitimé par le DSM: médicalisation et marchandisation des émotions, pour le profit des pharmas

1015167843.gifL’« enchevêtrement » d’intérêts financiers entre psychiatrie, DSM et industrie, dont j’ai parlé dans plusieurs notes, pose encore plus de problèmes que dans d’autres spécialités médicales, dans la mesure où la définition de beaucoup de « troubles » mentaux, dysfonctions ou troubles de la personnalité n’est que descriptive, floue et sans critères vérifiables. Ce qui laisse beaucoup de place à l’arbitraire, à l’invention ou au façonnage de maladies (disease mongering). Une telle affirmation ne peut paraître exagérée qu’aux personnes qui ne sont pas familiarisées avec les dernières trouvailles de la psychiatrie, dont on ne sait souvent pas si ce sont des gags, des parodies ou alors des états que des experts considèrent sérieusement comme pathologiques et nécessitant traitement…

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Critiques du DSM. Des textes pour la réflexion, à la suite des notes sur les conflits d’intérêts et sur le standard de « normalité » d’une psychiatrie aux ordres de l’industrie

1939368365.pngLe livre de Stuart Kirk et Herb Kutchins, « Aimez-vous le DSM ? Le Triomphe de la psychiatrie américaine » (Les Empêcheurs de penser en rond, 1998), est l’un des ouvrages de référence s’agissant d’analyser comment cette véritable bible a réussi à globaliser la psychiatrie, en instaurant une hégémonie mondiale de l’approche théorique américaine et de son pendant pratique : la vente globalisée des mêmes psychotropes. Sous cette lumière crue, aucun fard n’arrive plus à maquiller les tares du DSM, et notamment son caractère d’outil politique et marchand. Le titre original mérite d’être évoqué : « Making Us Crazy. DSM: The Psychiatric Bible and the Creation of Mental Disorders » (Comment on nous rend fous. DSM : la bible psychiatrique et la création de troubles mentaux)…

Suivent trois sources intéressantes, à commencer par une compilation très édifiante de critiques émises par des psychiatres, psychologues, etc. sur divers aspects du DSM : les conflits d’intérêts qui le sous-tendent, les dangers que pose l’approche statistique et descriptive de type liste de symptômes, les conséquences du « façonnage de maladies » (disease mongering) en fonction des nouveaux psychotropes qu’il faut vendre ou dont il faut élargir le marché, etc. Des experts dénoncent le DSM

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La médecine comme forme de bio-pouvoir, technique de contrôle social et de normalisation selon Foucault

Quel dommage que Foucault n’ait pas pris en compte l’industrie pharmaceutique, l’un des bras armé du bio-pouvoir capitaliste… Mais nul 1604051361.2.jpgdoute que les lecteurs sauront imaginer les coulisses intégrales d’une scène sur laquelle les médecins sont au premier plan, puisqu’ils sont les exécutants, conscients ou non, du « phénomène de médicalisation infinie« .

Voici deux extraits portant sur la médecine, tirés d’un exposé trouvé sur le site « 1Libertaire » : Des formes de pouvoir chez Foucault, et notamment du bio-pouvoir

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Techniques de contrôle social: du DSM et des psychotropes à la « médicalisation infinie » (Foucault) du social

126388916.gifNous le disions dans la note sur les conflits d’intérêts en psychiatrie : le premier DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) est paru en 1952, comme un essai de mettre de l’ordre dans la psychiatrie en catégorisant les pathologies. Les éditions suivantes ont surtout suivi les changements dans la psychopharmacologie, ce qui fait que le nombre de troubles psychiques a augmenté avec l’apparition de nouveaux médicaments… passant de 112 à 374 troubles mentaux en 2000. Le DSM introduit une approche statistique dans la psychiatrie et c’est elle qui permet ce cercle vicieux de nouveaux traitements – nouveaux « troubles ». Parce que les firmes pharmaceutiques se sont engouffrées dans la brèche et font de la publicité d’abord pour des « troubles » mentaux présentés en termes très vagues, pour permettre à tout le monde de s’y retrouver. Mais elles sensibilisent au « trouble » en question pour vendre le médicament qui a permis l’invention du trouble (disease mongering). Le DSM a savonné la planche de la psychiatrie pour en arriver là, puisqu’il propose d’identifier tel « trouble » à l’aide d’une liste de symptômes, ce qui revient à diagnostiquer une maladie en cochant des cases. Plus besoin de psychiatre, plus besoin de parole. Un enseignant, un employé de l’ANPE ou un policier sont désormais capables de poser un tel diagnostic à QCM ; ce qui a des traductions sociales réelles, notamment dans des techniques de contrôle social et de normalisation, telles que les décrivait Foucault en parlant d’un bio-pouvoir dont la « médicalisation infinie » est une modalité essentielle d’action.

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Antidépresseurs : médicaments les plus prescrits aux Etats-Unis. Une sorte de psychisme artificiel sert d’idéal de normalité

Ces commentaires partant des chiffres exacts extraits du dernier rapport du CDC (Center for Disease Control des Etats-Unis) sur les soins 660939447.jpgambulatoires aux Etats-Unis, pour l’année 2005. Le rapport inclut la raison de la consultation, les prescriptions, etc. Il y est question aussi de l’évolution de la consommation d’antidépresseurs et de leur arrivée en première position.

A lire de préférence en rapport avec cette note sur les conflits d’intérêts en psychiatrie, pour bien comprendre que l’explosion des prescriptions d’antidépresseurs n’a rien d’innocent et ne saurait être interprétée comme la réponse médicale adéquate à une explosion des syndromes dépressifs caractérisés, comme le souligne le Dr Robert Goodman, fondateur de l’association anti-corruption en médecine No free lunch ! (Non aux déjeuners – ou cadeaux – offerts par l’industrie pharmaceutique). 

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