
Associations de patients financées par les labos: leurs conflits d’intérêts en font des moyens de pression sur les décisions politiques

Le journal suisse Der Beobachter, édité par Axel Springer, se définit comme une composante d’une plateforme plus large de défense des consommateurs. Dans son numéro du 20 août 2008, Christoph Schilling signe un article remarquable sur les conflits d’intérêts résultant des liens financiers des associations de patients avec l’industrie pharmaceutique : « Patienten-Organisationen: Geldspritzen von der Pharma » (Associations de patients sous perfusion financière de l’industrie pharmaceutique).
Les affirmations sont étayées par une enquête édifiante auprès de plusieurs associations, donc par des chiffres et par des propos de responsables associatifs. Le texte se passe de commentaires. Pharmacritique vous propose une traduction intégrale, avec l’aimable autorisation de la rédaction.
Le numéro du 29 septembre de l’émission Markt de la chaîne publique allemande WDR s’intitule « Patientenverband: Geld von Pharmafirmen » (Une association de patients payée par des firmes pharmaceutiques).
Il s’agit de la Société allemande des assurés et des patients (Deutsche Gesellschaft für Versicherte und Patienten (DGVP)), censée, selon ses dires, promouvoir les intérêts des citoyens de façon non partisane, indépendante et soustraite à toute influence. Or il se trouve qu’elle a reçu de l’argent de Sanofi Pasteur MSD pour faire de la publicité pour le Gardasil. Et c’est loin d’être tout….
L’efficacité des médicaments anti-démence (inhibiteurs de la cholinestérase, mémantine et les innombrables nootropes et vasodilatateurs) utilisés entre autres dans l’Alzheimer, est extrêmement controversée. Il est d’autant plus indispensable pour leurs fabricants d’encourager la consommation à travers les associations de malades… Les firmes imposent leurs médicaments et/ou augmentent leurs chiffres de ventes en instrumentalisant les associations ou groupes de patients souffrant d’affections cardiovasculaires, d’arthrite, d’allergies ou d’autres maladies. Si on ajoute cette influence à l’emprise des laboratoires sur les médecins et les autorités sanitaires, il est certain qu’il ne reste plus grand-monde pour assurer une information médicale indépendante et transparente… L’influence des associations et groupes de patients sur ces derniers est énorme, vu leur position stratégique. Même la critique qui peut cibler les firmes et les médecins corrompus ne peut pas les atteindre, la plupart du temps, puisque l’image du bénévolat, de l’engagement désintéressé et sans limite pour la santé de leurs membres fait trop souvent barrage à la pensée critique. Il ne s’agit pas de contester leur engagement, mais de questionner certaines modalités qui le déforment et l’altèrent, selon le sens propre du mot « corruption »…
C’est un pari faustien que de penser rester indépendant tout en acceptant les grâces et autres charités soi-disant désintéressées… Le cadeau d’une firme à but lucratif est un investissement approuvé par les actionnaires qui attendent un retour sur investissement sous forme d’espèces sonnantes et trébuchantes, de plus-value sur les actions. Plus intéressé que ça, il n’y a pas… Plus conflictuel et plus corrupteur non plus.
Parlant d’Alzheimer, on ne peut qu’espérer que les franchises médicales ne serviront pas à augmenter les bénéfices des Pfizer et autres fabricants de ces médicaments inefficaces par un effet de levier sur le nombre de prescriptions et donc de remboursements…
Un article signé Baptiste Ricard-Châtelain, paru le 12 avril 2008 dans le journal canadien Le Soleil, donne plusieurs exemples de grandes associations canadiennes de patients financées par l’industrie pharmaceutique… Fondations sous influence : quand Pfizer finance la Société Alzheimer:
Voici un excellent texte sur une dimension taboue en France : les conflits d’intérêts et la corruption des associations et groupes de patients / malades / usagers / consommateurs par l’industrie pharmaceutique. Il existe même des associations ou groupes d’entraide créés de toutes pièces par les firmes pharmaceutiques pour servir de lobby et/ou de groupes de pression dans l’imposition de tel médicament, et en général pour influencer les politiques publiques au niveau national et européen. Les influencer au sens voulu par l’industrie. Très peu d’associations déclarent si elles ont ou non des intérêts financiers. Sans parler du fait que les membres des comités scientifiques des associations sont en général des leaders d’opinion fortement impliqués dans la promotion des médicaments, donc ayant des conflits d’intérêts.
Marcher à contre-pas : le mouvement pour la protection de la santé au Canada et le financement par l’industrie pharmaceutique. Par Sharon Batt (chercheure en santé, Action pour la protection de la santé des femmes, Canada, janvier 2005). Un fragment qui en dit long :
« L’éthicien Carl Elliott s’est penché sur la question des fonds investis par l’industrie pharmaceutique dans la communauté médicale66; il s’est demandé si la notion de « conflit d’intérêts » convenait pour en décrire les effets. Il craint, entre autres, que cette expression ne serve à individualiser un système de corruption généralisé des groupes censés servir le bien commun. (…) En ce qui concerne les groupes de pression [associations de malades et de défense des consommateurs qui acceptent de l’argent de l’industrie pharmaceutique], on peut affirmer que la manipulation dont ils font l’objet de la part des pharmaceutiques, dans le but ultime d’influencer les débats publics, appartient à la seconde catégorie [la corruption].
De manière plus générale, l’abondance des fonds versés par l’industrie pharmaceutique à la recherche médicale, aux revues scientifiques, à la formation des médecins, à la bioéthique, aux organismes de réglementation des médicaments et aux associations de défense des droits des patients crée un environnement axé sur le profit, peu propice à l’émergence d’un débat constructif sur les enjeux touchant les médicaments. Bien que notre propos concerne ici le financement des groupes de pression proprement dit, il importe de situer cette pratique dans le contexte élargi des stratégies de marketing adoptées par les [firmes] pharmaceutiques. Les groupes de pression ne sont qu’un acteur parmi d’autres. »