Associations de patients financées par les labos: leurs conflits d’intérêts en font des moyens de pression sur les décisions politiques

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Plusieurs textes en rapport avec les débats actuels autour de la loi HPST détaillent ce que cette illustration parue en février 2005 dans la revue Prescrire nous fait parfaitement comprendre.

Le Monde daté du 28 mai publiait une tribune signée par Alain Bazot (UFC que Choisir), Jean-Pierre Davant (Mutualité française) et Bruno Toussaint (revue Prescrire): « Associations de patients et firmes pharmaceutiques: halte aux liaisons dangereuses!« 

Les trois auteurs mettent le doigt sur une conséquence majeure du financement des associations de patients par l’industrie pharmaceutique: leur instrumentalisation directe ou indirecte pour influencer la législation et les diverses réglementations en un sens favorable au commerce et aux intérêts des labos. C’est celui qui paie qui mène la danse…

Une fois qu’elles sont les obligées des firmes par le biais de l’argent et autres « aides logistiques » qui créent des conflits d’intérêts, les associations démultiplient ces conflits d’intérêts en les portant à d’autres niveaux: elles font pression sur les autorités sanitaires et les hommes politiques, et cela n’a rien de sain. Malheureusement, elles sont nombreuses à croire qu’elles ne sont pas influencées par les financements des pharmas, tombant dans le même travers que les médecins…

Ce texte reprend des positions exprimées à plusieurs reprises par la revue Prescrire. Il est intéressant de voir que Blanche-neige, oups, pardon, le syndicat de l’industrie pharmaceutique (LEEM), a réagi le lendemain de la parution de cette tribune…

Le texte du Monde d’abord :

« Des firmes pharmaceutiques s’activent aujourd’hui pour obtenir des sénateurs et du gouvernement français ce qu’elles n’ont pu obtenir des députés dans le cadre de la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » : la possibilité d' »informer » les patients sur les médicaments de prescription suivant diverses stratégies allant de l’éducation thérapeutique à des actions d' »accompagnement » des patients.

Il s’agit, en clair, de permettre la publicité directe auprès des patients. La démarche serait banale, s’il n’y avait dans le sillage des firmes certaines associations de patients.

Au moment où les conflits d’intérêts entre médecins et firmes sont de nouveau sur la sellette, l’affaire est étonnante. Dans un rapport de 2007, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) constatait déjà : « Il paraît nécessaire d’inscrire dans la loi une disposition indiquant clairement l’interdiction, pour une entreprise pharmaceutique, de conduire tout contact personnalisé et toute démarche directe ou indirecte d’information, de formation ou d’éducation à destination du public relative à un médicament prescrit. (…) »

Et le rapport expliquait : « Car, même si l’entreprise pharmaceutique participe au bon usage du médicament, on ne saurait s’en remettre à elle pour le garantir. En effet, lui confier cette tâche transgresserait un principe fondamental de la sécurité sanitaire : le principe d’impartialité.

« Une entreprise responsable du développement économique de son organisation, confrontée à l’effet indésirable d’un de ses produits, à un mésusage ou à une situation de concurrence, ne saurait être positionnée comme juge et partie, car elle risquerait de privilégier son objectif prioritaire, qui est économique.

« Plusieurs exemples de situations où une entreprise a été accusée d’avoir dissimulé volontairement des données défavorables à l’un de ses médicaments ont été d’ailleurs révélés publiquement ces dernières années. » Les députés ont commencé à inscrire dans la loi l’interdiction des contacts entre firmes et patients au sujet des médicaments de prescription.

Nous les approuvons. Nous souhaitons maintenant que les sénateurs aient à coeur de développer cette interdiction, plutôt que de l’assouplir.

Quant aux associations de patients qui sont en cause, nous ne croyons pas que l’ensemble des usagers du système de santé se reconnaît en elles quand elles s’associent aux firmes pharmaceutiques dans des démarches aussi mercantiles.

Renoncer au principe de leur propre « impartialité », et accepter par ailleurs des financements des firmes pharmaceutiques, c’est mettre en jeu la crédibilité même de ces associations.

Nous sommes de fervents défenseurs du droit des patients à une très large information ; mais à une information fiable, indépendante, sans conflits d’intérêts.

Nous sommes convaincus de l’absolue nécessité de voir se développer en France les associations de patients et une certaine idée de la démocratie sanitaire ; mais cette démocratie a besoin d’associations fortes, réellement indépendantes, pleinement au service des patients, sans conflits d’intérêts. »

Réaction de l’industrie pharmaceutique

parue le 29 mai sur le site du LEEM (syndicat des industriels pharmaceutiques). LEEM euros.jpg

« A la suite de la tribune parue dans Le Monde en date du 29 mai 2009, laissant entendre que des industriels de la pharmacie agiraient dans le cadre de la discussion de la loi Hôpital, Patients, Santé, Territoires (HPST), en vue d’obtenir la possibilité de faire de la publicité directe auprès des patients, les Entreprises du Médicament, représentées par le Leem, tiennent à faire remarquer que l’article 22 du projet de loi HPST – portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires -, voté en première lecture par l’Assemblée Nationale, mentionne l’interdiction de tout contact direct et de toute démarche directe d’information, de formation ou d’éducation à destination du public relative à un médicament prescrit, et que cette interdiction directe est reprise par la Commission des affaires sociales du Sénat.

Les Entreprises du Médicament, représentées par le Leem, n’ont jamais revendiqué le moindre contact direct avec les patients. Elles constatent la volonté des auteurs de l’article de travestir une fois de plus la réalité des positions de l’industrie pharmaceutique. »

Et voici une réaction associative, assez représentative.

Elle est parue le 3 juin sur le site Seronet. L’espace solidaire entre séropositifs, en réponse à la tribune publiée par Le Monde:

« Si la tribune est efficace, elle écarte malheureusement une partie du débat. En effet, de nombreux programmes d’éducation thérapeutique et d’accompagnement des patients reçoivent des financements de firmes pharmaceutiques sans que cet engagement soit lié à la promotion d’un médicament, les associations qui les organisent y veillent.  Par ailleurs, nombreux sont les exemples où les associations d’usagers du système de santé conservent leur « impartialité » ni ne vendent leur âme au diable malgré un financement de ce type. Enfin, les auteurs de la tribune qui demandent une radicalisation des contraintes (déjà sévères) en matière de financement de programmes de santé n’indiquent pas comment pallier l’absence de financements de la part des laboratoires. La loi HPST ne prévoit quasiment rien dans ce domaine et la création d’un Fonds uniquement dédié aux programmes d’éducation thérapeutique a été écartée par le gouvernement. »

« Ni indépendance ni transparence »

Un éditorial de février 2005 de la revue Prescrire s’intitulait: « Firmes et associations de patients: les liaisons dangereuses« .

Les « partenariats » entre les associations et les laboratoires pharmaceutiques, que l’on voit fleurir un peu partout, ne sont pas de véritables collaborations, compte tenu de la grande différence entre les objectifs, les moyens, les intérêts et les logiques propres des deux pseudo-partenaires, dont l’un instrumentalise l’autre, dans une opacité malsaine due à l’absence de réglementation générale sur les conflits d’intérêts et leur déclaration.

Car le financement des associations n’est pas toujours déclaré et explicite. donc la promotion que celles-ci font pour certains médicaments des laboratoires pharmaceutiques qui les sponsorisent n’est pas perçue par les patients – et par les clients potentiels des firmes – comme étant influencée par une démarche d’origine commerciale.

« En ‘aidant’ des associations, les firmes cherchent à être perçues comme des acteurs responsables de la santé ». Elles s’achètent une image en même temps qu’elles s’assurent un moyen très efficace de pression, à chaque fois que les pouvoirs publics « envisagent des mesures restrictives visant les médicaments ».

Ce moyen de promotion et de pression est tellement efficace que, lorsqu’il n’y a pas d’association de patients souffrant de telle ou telle maladie, l’industrie pharmaceutique n’hésite pas à en créer de toutes pièces.

Prescrire cite une étude réalisée en 2004 auprès de 68 associations des Etats-Unis, d’Australie et d’Europe, qui constate que deux tiers reçoivent de l’argent ou du matériel médical de l’industrie pharmaceutique, mais qu’aucune n’en révèle le montant exact dans son rapport annuel ou alors en public.

Commentaires de Pharmacritique

Ce n’est pas par hasard que le LEEM (lisez L€€M) insiste sur le fait que l’industrie n’a jamais revendiqué de « contact direct » avec les patients… Comme on peut le voir en lisant les débats au Sénat – qui feront l’objet d’une autre note -, tout est dans le mot « direct ». Les critiques ont bien essayé d’introduire dans la loi une interdiction de tout contact, y compris indirtect, conformément à la demande de l’IGAS, mais sans y parvenir. Aussi l’industrie pourra-t-elle profiter des brèches d’un texte qui excelle dans le flou qu’on pourrait appeler artistique s’il n’était pas à ce point un boulevard pour le commerce. Ce texte formalise et entérine la réalité du terrain: une influence et un contact directs entre l’industrie pharmaceutique et les associations, qui ont à leur tour un contact et une influence directe sur les patients… Et l’aspect commercial et les conflits d’intérêts sont gommés au passage, puisque l' »information » venant des laboratoires n’est plus perçue comme biaisée, comme publicitaire et ayant des visées commerciales une fois qu’elle est passé par le filtre blanchissant des associations, perçues comme désintéressées par les patients.

D’autres liens, pour approfondir:

A propos de la publicité, de ses enjeux commerciaux et de ses conséquences, vous pouvez lire

  • les notes de Pharmacritique rassemblées sous la catégorie « Publicité directe pour les médicaments d’ordonnance« , abordant les formes cachées, déjà existantes, de publicité directe aux consommateurs, ainsi que les tentatives des firmes de les multiplier en faisant sauter les obstacles légaux,
  • de même que celles sur la servilité de la Commission européenne qui déroule le tapis rouge à la désinformation des patiens par les firmes (« Autorités d'(in)sécurité sanitaire« ),
  • ou encore celles illustrant diverses méthodes marketing de l’industrie pharmaceutique, qui peuvent aller jusqu’à l’édition d’une fausse revue médicale (« Méthodes publicitaires, marketing: exemples« ).

Et puis les notes, en plein dans le sujet, réunies sous la catégorie « Conflits d’intérêts des associations, corruption« , qui donnent des exemples concrets et montrent comment s’exerce l’influence de l’industrie pharmaceutique à travers les associations de malades.

Elena Pasca

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