Le numéro du 29 septembre de l’émission Markt de la chaîne publique allemande WDR s’intitule « Patientenverband: Geld von Pharmafirmen » (Une association de patients payée par des firmes pharmaceutiques).
Il s’agit de la Société allemande des assurés et des patients (Deutsche Gesellschaft für Versicherte und Patienten (DGVP)), censée, selon ses dires, promouvoir les intérêts des citoyens de façon non partisane, indépendante et soustraite à toute influence. Or il se trouve qu’elle a reçu de l’argent de Sanofi Pasteur MSD pour faire de la publicité pour le Gardasil. Et c’est loin d’être tout….
Cette association est à peu prés l’équivalent allemand du CISS (Collectif interassociatif sur la santé), lui-même subventionné par la Fondation Pfizer, Celtipharm et la complémentaire santé Méderic, selon sa rubrique « Partenaires ».
Comme Christian Saout, Wolfram-Arnim Candidus, le président de la DGVP, jouit d’une forte popularité, est présent dans tous les media, dans tous les événements santé et les auditions politiques, pour représenter la voix des malades, fort de ses quelques 25.000 adhérents.
Les liaisons contre-nature sont soigneusement cachées
Markt s’est procuré un document interne de 12 pages intitulé « Description du projet et offre de coopération. Hart – politique pour les patients », qui décrit sans détour les accords de collaboration avec l’industrie pharmaceutique, et que celle-ci doit financer. Avec une précision intéressante : les paiements ne doivent pas être faits directement à la DGVP, mais à une association créée pour brouiller les pistes : l’Union pour la promotion des intérêts des patients dans le système des soins (Verein zur Förderung von Patienteninteressen im Gesundheitswesen (VFPG)). C’est cette union qui financera les projets, afin que l’origine de l’argent reste cachée et n’entache pas l’image d’indépendance de l’association… Le document le dit clairement : « Grâce à cette fonction tampon de l’union VFPG, l’industrie pharmaceutique et l’association de patients pourront réaliser leurs projets communs tout en étant moins vulnérables aux attaques ».
L’équipe de journalistes a fait analyser les documents par la Pre Birgit Weitemeyer, une juriste spécialisée dans les associations d’utilité publique, qui a clairement affirmé la volonté de dissimulation qui transparaît du document.
Le « partenariat » fonctionne, par exemple quant à promotion de la vaccination…
La collaboration se traduit dans les faits, par exemple lors d’une conférence de presse de la fin février 2008, organisée dans la Maison fédérale de la presse, avec un succès garanti : 30 journaux et émissions audiovisuelles en rendent compte, sous la devise : « Nous avons besoin de vacciner plus, afin de garantir la sécurité sanitaire de la population ». 5 médecins étaient intervenus pour dénoncer la vaccination insuffisante, y compris par Gardasil. Mais aucun critique du Gardasil n’était présent, chose curieuse, compte tenu de la controverse qui secoue l’Allemagne, surtout depuis le décès d’une jeune Allemande et d’une jeune Autrichienne et depuis les critiques de plus en plus fortes de médecins et d’organisations de femmes.
A la question du financement de cette conférence de presse, Candidus répond candidement qu’il n’a rien reçu de l’industrie pharmaceutique…
Sanofi Pasteur MSD reconnaît avoir payé
Contactée par la chaîne WDR, la firme Sanofi Pasteur MSD reconnaît avoir payé 15.000 euros à cette union de paille, qui a à son tour payé le DGVP… Détour qui permet au président Candidus de persister dans une réponse par écrit : il n’a rien reçu de Sanofi, c’est l’union fantôme qui a financé…
Les 5 médecins qui se sont prêtés au jeu affirment n’avoir rien su de l’implication de Sanofi. Mais personne ne s’attend à ce qu’ils disent le contraire…
(Photo: Newsweek)
Il n’y a pas que le Gardasil… Tous les objectifs des firmes sont promus par le DGVP
La curiosité des journalistes une fois éveillée, ils creusent et découvrent que le DGVP semble jouer le rôle de service de public relations pour les firmes.
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L’association de patients défend tout ce que propose l’industrie (et pas seulement Sanofi Pasteur MSD). Ainsi, le DGVP s’est prononcé en faveur de l’assouplissement de l’interdiction de la publicité directe aux consommateurs pour les médicaments de prescription… C’est le projet porté par le syndicat européen de l’industrie pharmaceutique (EFPIA) et le commissaire Günter Verheugen (cf. les communiqués de protestation du Collectif Europe et Médicament, repris dans certains notes des catégories « Autorités d’(in)sécurité sanitaire » et « Publicité (directe), marketing des firmes »).
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Cette association « indépendante » de patients critique aussi, tout comme ses donneurs d’ordre, l’évaluation approfondie (et sans copinage) des nouveaux médicaments par l’Institut pour la qualité et le coût/efficacité en santé (IQWiG) de Köln, instance indépendante que l’industrie pharmaceutique donnerait n’importe quoi pour faire disparaître… Remarquez, s’il y a un précédent avec la disparition de Therapeutics Initiative, dont l’existence est fortement menacée (cf. cette note), on ne sait jamais…
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L’association de patients a toujours combattu l’élaboration d’une liste comparative des médicaments en fonction de leur coût/efficacité, destinée pourtant à améliorer la qualité des soins, mais qui aurait entraîné des pertes financières pour les firmes.
L’incomparable grande gueule Peter Schönhöfer dit ses quatre vérités à la DGVP
Le Pr Peter Schönhöfer, membre de la revue indépendante Arznei-Telegramm, est pharmacologue et critique des lobbies, et le moins qu’on puisse dire, c’est que son expérience passée à la tête du département de pharmacovigilance de la BFarm (agence fédérale du médicament) ne lui a pas laissé beaucoup d’illusions sur les intérêts en présence dans le système de santé… Ce qui veut dire que l’intérêt de la santé du patient, tout le monde s’en fout, y compris l’association censée le représenter et qui fait avancer de facto les intérêts financiers de l’industrie pharmaceutique…
L’association refuse la transparence sur les flux financiers
Les journalistes ont voulu savoir si d’autres sommes ont été payées par l’industrie pharmaceutique, mais et la DGVP et l’union de paille ont refusé d’ouvrir leurs livres de comptes. On est priés de les croire sur parole…
La juriste Birgit Weitemeyer souligne la nécessité d’une réglementation stricte des associations d’utilité publique, à l’instar de ce qui se fait dans les pays anglo-saxons, où toutes les associations ayant un budget de plus de 25.000 dollars sont tenues à la transparence sur leurs comptes et leurs sponsors. Ces réglementations doivent être assorties d’un contrôle stricte de la publicité sous toutes ses formes.
La DGVP n’en est pas à son coup d’essai…
M. Candidus n’en a cure et continue à quadriller l’Allemagne pour, dit-il, oeuvrer pour le bien des patients…
Et les journalistes de préciser que son association a déjà été dans le collimateur de l’émission Markt en 2003. Le reportage d’alors, distingué par un prix journalistique, a dévoilé la publicité que faisait cette association, présidée par quelqu’un d’autre, pour des médicaments controversés. Elle se déclarait alors tout aussi indépendante…
Chapeau aux journalistes allemands, qui dénoncent la corruption associative et les conflits d’intérêts depuis belle lurette ! A quand le même bon travail en France? Dans notre beau pays, pas touche aux associations !
Elena Pasca