La croisade contre le tabac et autres comportements : répression des habitudes individuelles au nom des… droits individuels

Il ne s’agit pas de défendre le tabagisme. Mais d’inciter à réfléchir au pourquoi et au comment de l’interdiction étatique de certains comportements 360445286.jpgindividuels. Réfléchir aussi au nouveau rôle que joue la médecine – celui d’outil de contrôle social dans la biopolitique de normalisation des individus, dont nous avons parlé dans plusieurs notes. Et se demander aussi à qui profite cette biopolitique: au néolibéralisme parce qu’elle accentue la culpabilisation générale de l’individu pour ce qui lui arrive; aux firmes fabriquant le Champix, le Zyban, les substituts nicotiniques, etc. Il faut comprendre que nous sommes toujours les dindons de la farce biopolitique néolibérale, qui ne fait que remplacer un profit économique par un autre, un aveuglement par un autre…

Dans son numéro de la fin mars 2008, le Courrier international publie des extraits d’un article de Filippo Facci, écrit au lendemain du vote de la loi anti-tabac en Italie (2004). Le papier s’intitule « Poudre aux yeux : les croisades contre le tabac et les autres plaisirs de la vie ». Nous recopions les fragments.

« Nous sommes convaincus que la campagne contre cette habitude [le tabac] en soi peu significative – pour les non-fumeurs – n’est que le début d’un mouvement qui annonce bien d’autres mesures et qui ne concerne pas que les fumeurs. De toute façon, les fumeurs finiront par s’éteindre d’eux-mêmes : la pipe, le cigare et la cigarette appartiennent à une autre époque, à une autre humanité ; le tabac deviendra plus rare ou émigrera vers le tiers-monde, comme toutes les arrière-gardes du 20ème siècle. 

Après la plus grande bataille pour la santé que le monde ait jamais connue, il est pratiquement certain que d’autres campagnes sont à nos portes : demandez à vos amis américains, britanniques ou canadiens quelle forme sinistre ont déjà prise les croisades contre l’obésité,  les alcooliques et même contre les odeurs. Une liste encore ouverte, nous en avons bien peur…

Freud avait raison : « l’homme civilisé a fait l’échange d’une part de bonheur contre une part de sécurité ». Aujourd’hui, l’une des menaces les plus sérieuses qui pèsent sur la liberté provient d’une déclin de la liberté elle-même, c’est-à-dire de la réduction de la marge d’autonomie individuelle, face, paradoxalement, à la prolifération des droits des individus : la société occidentale est devenue désormais un ensemble de minorités qui sont opprimées à tour de rôle par des majorités toujours nouvelles. C’est une multiplication des chartes et des droits du citoyen, du consommateur, de l’enfant, de l’élève, de la personne âgée, du malade, du piéton, de l’automobiliste, du touriste, du sportif, de l’handicapé, du militaire, du téléspectateur, de l’auditeur, du lecteur. Mais, à un moment, les droits finissent par se neutraliser les uns les autres dans un dédale de tribunaux, d’autorités, de cours et de défenseurs.

Restent ainsi sur le carreau, frustrés et légitimes, les droits des jeunes et des personnes âgées, des chasseurs et des écolos, de ceux qui, pour leur sécurité, veulent pouvoir porter une arme et de ceux qui, au nom de la sécurité, exigent que les gens soient désarmés, des fumeurs et de ceux qui ne veulent pas de la fumée d’autrui.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que des procès intentés par des fumeurs à des non-fumeurs, accusés de leur avoir causé des maladies mortelles, aient fait leur apparition en Italie. Dans cette optique, même s’ils sont en nombre de 14 millions, les fumeurs demeurent une simple minorité ; de même, l’Etat, qui au fond demande seulement qu’on respecte les règles, n’apparaît pas comme excessivement répressif, car fumer en soi n’est certes pas absolument interdit. Et pourtant, en commençant par le tabac, lentement, ces réglementations finissent par nous entraver, à l’instar des cordelettes qui bloquaient Gulliver. »

(Source : Courrier International, n° 908, du 27 mars au 2 avril, p. 31).

Une réflexion sur “La croisade contre le tabac et autres comportements : répression des habitudes individuelles au nom des… droits individuels”

  1. A noter sur cette question, le dynamique blog collectif : Nos Libertés
    http://www.noslibertes.org/
    Ne pas rater notamment les contributions de Robert Molimard, dont le dernier : « Fallait-il privatiser la Seita ? » date du samedi 5 juillet 2008. Molimard est un partisan de la réduction du risque et non de la prohibition du tabagisme : on n’a pas d’exemple historique de réussite d’une politique de prohibition et contrairement à Ficci, Molimard (comme moi) fait l’hypothèse que le tabagisme, comme la consommation d’alcool est un phénomène qui ne cessera jamais. Les régions et pays les plus engagés dans la « lutte contre le tabagisme » buttent sur un noyau de 10 à 15% de fumeurs.

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