Quel dommage que Foucault n’ait pas pris en compte l’industrie pharmaceutique, l’un des bras armé du bio-pouvoir capitaliste… Mais nul doute que les lecteurs sauront imaginer les coulisses intégrales d’une scène sur laquelle les médecins sont au premier plan, puisqu’ils sont les exécutants, conscients ou non, du « phénomène de médicalisation infinie« .
Voici deux extraits portant sur la médecine, tirés d’un exposé trouvé sur le site « 1Libertaire » : Des formes de pouvoir chez Foucault, et notamment du bio-pouvoir
« 5 – LA BIOPOLITIQUE
La notion de population et l’émergence de la bio-politique
On découvre, à la fin du 18ème siècle, que le pouvoir peut s’exercer non seulement sur des sujets et des individus, mais sur une population. Or une population ne signifie pas tant un grand nombre d’hommes qu’un ensemble d’êtres vivants traversés, commandés par des processus et des lois biologiques. Et une population a un taux de natalité, une courbe d’âge, une morbidité, un état de santé, qui signifient que cette population peut croître ou périr. Dès lors, le bio-pouvoir s’exercera selon le principe : « faire vivre et laisser mourir ». Par conséquent, ce pouvoir s’exerce sur les individus en tant qu’ils constituent une entité biologique qui doit être prise elle-même en considération, si on veut l’utiliser comme machine à produire des richesses, des biens ou d’autres individus. La transformation des procédés politiques de l’occident tourne à présent autour de trois noyaux, qui sont trois découvertes technologiques : l’individu, le corps dressable et la population.
Champs et modalités
« La vie est devenue un objet de pouvoir. La vie et le corps. » Le problème consiste à régler les flux de population, régler les migrations, la croissance de la population, inciter ou non à faire des enfants, etc. Dans ce dessein, le pouvoir se déploie autour de l’habitat, des conditions de vie dans les villes, de l’hygiène publique, des rapports entre mortalité et natalité. Si l’on veut augmenter la force productive et militaire d’une population, alors il faut y prévenir les accidents, accroître le sentiment de bien-être, stabiliser la santé, etc. « Pour la société capitaliste, c’est le bio-politique qui importe avant tout, le biologique, le somatique, le corporel » : le but est de repérer les endémies (forme, nature, expansion, durée, intensité des maladies d’une population) pour éviter une soustraction permanente des forces, une diminution du temps de travail, une baisse de l’énergie, des coûts économiques liés aux soins, etc…
La bio-politique agit par prévisions, estimations globales, mesures statistiques pour modifier non pas tel phénomène particulier, mais pour intervenir sur les déterminations de phénomènes généraux, comme mortalité ou natalité. Les bio-pouvoirs sont autant de mécanismes de régulation pour fixer un équilibre, maintenir une moyenne dans une population globale et aléatoire. On a donc tout un ensemble de mécanismes de sécurité pour optimaliser un état de vie dans une quête d’homéostasie, c’est-à-dire la sécurité d’un ensemble par rapport à ses dangers internes.
Outils
On dispose d’outils de calcul nouveaux, comme la statistique, et la création de grands organismes administratifs et politiques chargés de réguler la population. Mais avant tout, dans le souci de créer une force physique nationale, on redéfinit la médecine comme une pratique sociale au moyen de sa fonction d’hygiène publique. Car la maladie et la santé ne sont pas seulement des faits objectivables en termes organiques, ils sont aussi des constructions sociales, susceptibles de diverses interprétations. Dans une optique capitalisme, la naissance de la médecine sociale est immédiatement liée à la notion de santé comme un capital collectif. Le type de médecine qui se développe est alors centralisé, dans l’objectif de préserver la force physique à des fins économiques. La santé prend place dans une police, à travers des mécanismes d’ordre et d’organisation. Le bio-pouvoir coordonne une population qui se lit en termes de variables, de répartition, de longévité et de santé. La population est donc d’emblée un objet d’analyse, de surveillance et d’intervention. Cela implique la mise en place d’une police médicale, comme système d’observation de la morbidité, d’enregistrement des phénomènes endémiques, de normalisation de la pratique médicale par des diplômes d’Etat.
On ne définit plus la santé comme absence de maladie, mais comme élévation du bien-être. Par conséquent, la médecine agit sur les conditions d’existence et se préoccupe du milieu. Avec l’expansion des structures urbaines, se développe une intervention autoritaire sur l’espace urbain, pour l’organiser et l’homogénéiser. Les villes sont interprétées comme des objets d’inquiétude politico-sanitaires, donc on organise l’espace pour contrôler la circulation de l’air et de l’eau, en plus de celle des individus. Les médecins décident de la ventilation, de la destruction de certaines maisons, de l’emplacement des fontaines, égouts, lavoirs… C’est ainsi qu’apparaît la notion de salubrité, qui ouvre sur « le concept d’hygiène publique comme technique de contrôle et de modification des éléments qui peuvent favoriser ou nuire à la santé. » ; le milieu d’existence devient l’objet d’un « contrôle politico scientifique ».
Enfin, on observe une médicalisation des pauvres et des ouvriers, pour les rendre plus aptes au travail et pour créer un cordon sanitaire qui protège les classes privilégiées. Ce contrôle provoque « de violents phénomènes de réactions et de résistances populaires, de petites insurrections antimédicales. » La médicalisation crée des catégories abusives en ce qui concerne les anormaux. La psychiatrie tente de définir une personnalité criminelle, qui va du vol au meurtre, en passant par la fraude. Ce pouvoir médical sert de moyen tactique qui permet d’alourdir le poids des déterminants biologiques dans la genèse des comportements criminels ou déviants. Médicaliser et biologiser permet de minimiser l’efficacité de l’action éducative, plus coûteuse et plus laborieuse ; c’est un alibi commode qui permet d’expliquer et de résoudre tout problème par une loi de nature contraignante et convaincante. (…)
6 – STYLE ET AUTONOMIE
Même si Foucault ne conçoit pas d’échappatoire aux bio-pouvoirs, étant donné que toute société adopte des politiques d’hygiène, de santé, de surveillance, il n’en demeure pas moins convaincu de l’existence de moyens de contourner la machine de contrôle à revers. Il existe des pratiques alternatives qui s’expriment dans une volonté d’entretenir des rapports singuliers au corps, des relations autonomes avec mon propre corps. On doit pouvoir exercer son propre bio-pouvoir, en liberté, en le détournant de sa négativité aliénante. A l’opposé de pratiques extrêmes comme le taylorisme, qui provient d’une structure hétéronome qui impose au corps d’être une machine vivante, Foucault parle de techniques de pouvoir sur soi (souci de soi), relevant davantage de la puissance. Il s’agit par exemple de penser la vie comme oeuvre d’art, de créer son propre style d’existence. Pour éviter de retomber dans un
e réification du corps, type Jeune & Jolie ou style grunge de Neuilly, Foucault va chercher des exemples dans l’antiquité, par exemple chez Epicure : dans des volontés de posséder son propre réseau « savoir pouvoir », en entretenant des rapports autonomes de raison et de plaisir sur nos corps. »
Sur « Scribd », vous pouvez lire et voir le dossier Foucault (textes et commentaires) publié par Libération le 20 juin 2004.
Que pensez-vous du point de vue des psychobiologistes ?
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Je n’y connais rien, malheureusement. Je ne sais pas si cela parle à d’autres lecteurs.
Je jetterai un coup d’oeil dans quelques jours, parce que là, il y a une longue liste de textes qui attendent…
Bien à vous.
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Réflexion essentielle.
Jamais Foucault n’a été plus indispensable que pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui à la fois dans le volet gouvernance de la loi HPST et dans l’extravagante gestion de la grippe H1N1 ou la biopolitique semble bien avoir pris le pas sur la santé publique.
La question pour les professionnels de santé, bien obligés de faire au quotidien entre éthique de conviction et de responsabilité, est de savoir, ce que Foucault a à mon sens insuffisamment exploré, si et comment la médecine (au sens large) peut être un « contre bio-pouvoir ».
Pas sûr non plus que le système soit aussi univoque dans ses objectifs. En revanche l’application obstinée de certains principes économiques par les politiques de RGPP aboutit à n’en pas douter à des prophéties auto-réalisatrices.
Ainsi la séparation des soins et du social liée aux lois de 1970 et 1975 a bien contribué à faire de nos hôpitaux des « machines à guérir » et à restaurer la force de travail que dénonçait Foucault en créant un abîme que ne comblent pas les réseaux de santé plaqués artificiellement sur un système rendu aléatoire, concurrentiel, injuste et confus. Mais n’est-ce pas lié à l’intériorisation de souveraineté du principe d’autonomie poussé à l’extrême qui laisse seul l’individu et sa décision face à l’Etat et son droit « souverain » de décréter l’état d’urgence sanitaire ou la régulation par la seule concurrence des résultats financiers?
Sans méconnaitre l’indispensable principe de liberté et d’autodétermination des usagers, ni l’importance du « souci de soi », il est urgent de replacer la question de l’autonomie des professionnels au coeur du débat organisationnel et éthique.
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