Exposé de David Healy: les conséquences néfastes de l’influence des pharmas et des conflits d’intérêts sur une recherche médicale déformée pour occulter les effets secondaires

[Mise à jour de décembre 2011 : Les méthodes par lesquelles l’industrie pharmaceutique influence et contrôle la recherche, la formation et l’information médicales sont décrites dans cet article de février 2011: « Biais, manipulation et falsification de la recherche médicale financée par l’industrie pharmaceutique », qui contient la traduction d’un texte de la revue allemande indépendante Arznei-Telegramm, appliquant cela à la psychiatrie, et notamment à la désinformation massive sur l’intérêt, l’efficacité, le rapport bénéfices-risques des antidépresseurs.

Les articles sur la dépression marchandisée et les antidépresseurs sont réunis sur cette page (en descendant du plus récent vers le plus ancien), ceux sur les antipsychotiques, les troubles bipolaires et la cyclothymie sont sur celle-ci.

La colonne de gauche du blog contient les sujets. Il y en a beaucoup sur les conflits d’intérêts en psychiatrie, le DSM, la normalisation et l’uniformisation des individus, le contrôle social exercé par la médecine (et notamment par la psychiatrie), sur le disease mongering (invention de maladies), sur d’autres psychotropes, sur la psychiatrie dévoyée en culture psy et ses dérapages, sur la dérive sécuritaire et la réponse du Collectif des 39, etc.]

Le 25 mars, le professeur de psychiatrie à l’université de Cardiff, David Healy, a donné une conférence qui a pour point de départ la David Healy Harvard Square Library.jpgréforme de la santé aux Etats-Unis. L’intitulé était “Can Industrialized and Marketized Healthcare be Made Universally Available? (Un système de soins industrialisé et conforme au marché peut-il être rendu universellement acessible ?). On peut visionner cette conférence d’une heure et demi sur You Tube. David Healy y intervient à partir de la huitième minute.

La conférence s’achemine progressivement vers une critique des scories d’une médecine sous la coupe de l’industrie pharmaceutique, un contrôle facilité encore plus par un marché totalement dérégulé. (Comme nous l’aurons en France aussi; il se met en place peu à peu. A bon entendeur…).

Cela cadre avec les sujets de prédilection de David Healy : les conséquences néfastes de l’influence des firmes, exemplifiée par les scandales à répétition des antidépresseurs ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine : Prozac, Seroxat / Deroxat, Zoloft, etc.) ayant des effets secondaires qui peuvent aller jusqu’au suicide.

Healy dénonce aussi bon nombre de méthodes utilisées dans la rédaction des articles scientifiques (ghostwriting, etc.) et dans la promotion, ainsi que le fait que le soutien apporté par l’industrie pharmaceutique à une médecine fondée sur les niveaux de preuve (EBM : evidence-based medicine) discrédite celle-ci par les déformations qu’elle subit.

Pour une présentation de David Thomas Healy, de ses combats et de ses ouvrages, voir cette page détaillée de Wikipédia, qui contient aussi beaucoup de références et liens pour approfondir la lecture. En France, on connaît surtout ses livres « Le temps des antidépresseurs » (Empêcheurs de penser en rond, 2002). En octobre 2009 doit paraître son ouvrage « Les médicaments psychiatriques démystifiés » (Elsevier).

  
Photo: Harvard Square Library

VOICI UN RESUME de quelques grandes lignes abordées dans la conférence de Cardiff.

Une première question est : “What is good medical care ?”

A quoi reconnaît-on un bon système de soins ? Et David Healy de citer Philippe Pinel, qui disait en 1800: C’est un art important de savoir administrer correctement les médicaments appropriés, mais l’art de savoir quand les interrompre et surtout quand il convient de ne rien administrer du tout, cet art-là  est encore plus important et plus difficile à apprendre.

David Healy fait une très instructive incursion dans l’histoire de la médecine, dans ses relations constitutives avec l’industrie pharmaceutique. Il aborde, entre autres, les méthodes des pharmas telles la promotion (et il donne des exemples de publicités évoluant le long des années), les diverses façons de nier les effets secondaires, les conflits d’intérêts et l’opacité dans la filière du médicament et l’information médicale.

Il s’en prend aux changements récents, motivés par l’argent à gagner par la multiplication des actes (paiement à l’acte, paiement à la performance, tarification à l’activité, etc.) dans la façon de pratiquer la médecine : un nombre grandissant de médecins pratiquent leur profession comme à l’usine, sur bande roulante, regardant un ordinateur, au lieu de regarder le patient, d’apprendre à le connaître pour pouvoir situer ses pathologies dans leur contexte biopsychosocial. Cette démarche qui traduit une déshumanisation croissante de la médecine à cause de sa mercantilisation, est à l’opposé de la représentation traditionnelle des médecins de famille.

(Rappelons ici qu’une description magistrale de cette involution et de ses conséquences a été faite par Arnold S. Relman, professeur de médecine sociale à Harvard, dans ce texte traduit par Pharmacritique : « Ethique et valeurs médicales dans un monde marchand où la santé n’est qu’un commerce parmi d’autres ».

Healy analyse aussi les grandes lignes de la recherche médicale clinique et diagnostique son dévoiement à l’aide de plusieurs symptômes. Parmi ceux-ci figure le changement des critères de ce qui est important en médecine en tant que profession qui apporte les soins nécessaires, les plus appropriés et les moins risqués, à des patients qui souffrent effectivement de pathologies dans lesquels un traitement existe et s’impose. Les médecins devraient orienter la recherche médicale de façon à ce qu’elle collecte les données qui importent : et celles sur les effets secondaires des médicaments sont primordiales. Or ce n’est pas ce qui se passe de nos jours, même dans les essais randomisés contrôlés les plus rigoureux.

Il n’y a pas de science dans la médecine conforme au marché, si des résultats de RCTs sont publiés alors que les investigateurs et relecteurs n’ont pas eu accès aux données. Celles-ci devraient être d’ailleurs intégralement en libre accès, à tout moment et pour tous ceux qui s’y intéressent. Ce n’est qu’ainsi que l’industrie pharmaceutique pourrait se targuer de procéder selon des méthodes scientifiques ; or c’est tout le contraire qu’elle fait en publiant des résultats d’essais cliniques arrangés selon les impératifs du marketing, donc selon les profits à attendre. Selon Healy, les grands essais randomisés contrôlés (RCT) financés et contrôlés par les laboratoires pharmaceutiques ont pour principale fonction de servir d’alibi prétendument scientifiques à leurs objectifs commerciaux ; ils ne font pas avancer la médecine et ne représentent pas un progrès thérapeutique.

La panne dans l’innovation thérapeutique, décrite en détail dans cette déclaration de l’ISDB (International Society of Drug Bulletins : union de revues médicales indépendantes dont Arznei-Telegramm et Prescrire font partie) donne certainement raison à Healy. Voir aussi cette note détaillée, qui rappelle l’absence de progrès thérapeutique et épingle les procédures de complaisance et sans vérification du rapport bénéfice – risque, etc., par lesquels l’AFSSAPS (agence du médicament) autorise la mise sur le marché de pseudo-innovations, qui ne sont souvent que des copies « me too » d’anciennes molécules.

Ces deux notes de Pharmacritique s’intègrent parfaitement dans le contexte de l’intervention de Healy, puisque celui-ci s’en prend aussi aux lois sur les brevets, aux preuves insuffisantes de bénéfices cliniques lors d’homologations (AMM : autorisations de mise sur le marché) de beaucoup de médicaments, aux comparaisons insuffisantes entre l’efficacité et le rapport coût / efficacité des anciens médicaments par rapport aux nouveaux. Sans parler de l’absence de transparence, notamment quant aux données et aux divers sources de biais.

Si la médecine et l’industrie pharmaceutique états-uniennes ont vraiment peur de la « médecine socialisée » (socialised medicine), pourquoi ne commenceraient-elles pas par appliquer ce qu’elles revendiquent en théorie, à savoir pratiquer leurs disciplines selon les règles du marché, qui exigent une information transparente, libre et accessible, y compris un accès aux données de la recherche clinique.

Design, conception, setting et d’autres paramètres des essais cliniques influencent les résultats dans le sens voulu ; et les essais ne sont pas faits pour mettre en évidence les effets secondaires et les risques. Si un indice pointant vers un risque potentiel apparaît, les firmes devraient mettre en garde ; or, elles ne le font pas, parce qu’elles disent que ce risque n’a pas été démontré par les RCTs… qui ont été désignés de façon à ne pas le voir… Cercle vicieux voulu et entretenu.

Les médecins doivent absolument apprendre les statistiques, afin de pouvoir lire les essais cliniques et interpréter les résultats en fonction de leur puissance statistiquement significative, nettement différente d’une supériorité purement numérique des résultats. (Faire par exemple la différence entre une réduction du risque relatif (RRR) et une réduction du risque absolu, etc.). Ils doivent pouvoir y déceler aussi les indices qui pointent vers les risques des médicaments testés, aussi marginaux et bien cachés soient-ils.

Healy discute aussi les médications de l’anxiété, du stress post-traumatique, ainsi que les données parlant des risques suicidaires induits par les antidépresseurs. Tout est fait pour que l’industrie n’en assume pas la responsabilité et puisse procéder comme avant : « Let it happen ! » Allons-y et advienne et pourra ! Rien ne peut les arrêter : ni le fait que sous placebo, il y a moins de suicides que sous antidépresseurs, ni même que l’administration  d’antidépresseurs provoque des suicides dans le groupe de contrôle, composé pourtant de gens en bonne santé, ni déprimé, ni anxieux.

« Quelque chose est décidément foireux dans la façon des médecins/investigateurs de regarder et d’interpréter les données », conclut Healy.

D’autre part, si cela peut continuer ainsi, c’est aussi parce que l’intégrité des sources semble être le cadet des soucis des revues médicales à comité de lecture, nous dit Healy, selon lequel le journaliste du New York Times qui rend compte de tel essai clinique sur tel médicament paru dans le New England Journal of Medicine, fera bien plus pour investiguer le sérieux et l’intégrité des médecins/chercheurs qui ont participé à ces essais que les rédacteurs de la prestigieuse revue médicale…

Pour un diagnostic lucide, décapant et même effrayant de l’état de la recherche médicale clinique, voir cet excellent texte de Marcia Angell, par ailleurs ancienne rédactrice en chef de la revue citée par Healy : New England Journal of Medicine, et auteure de plusieurs livres dévoilant les méthodes douteuses de l’industrie pharmaceutique.

On voit dans ses écrits à quel point les conflits d’intérêts des chercheurs / médecins et les financements industriels de essais cliniques non seulement influencent les résultats, mais les déforment et rabaissent la science à un statut de servante des intérêts commerciaux des laboratoires. Ceux-ci peuvent mieux vendre des médicaments dont ils connaissent pour certains d’emblée les défauts, parce qu’ils ont ce vernis de garantie scientifique que leur apportent les médecins qui sont à leur solde : « Marcia Angell dénonce la manipulation de la recherche clinique et le contrôle de l’information médicale par les firmes. »

Parmi les livres de David Healy en anglais:

  • Mania. A Short Story of Bipolar Disorder, 2008
  • Shock Therapy. The History of Electroconvulsive Treatment in Mental Illness (avec Edward Shorter), 2007
  • Let Them Eat Prozac. The Unhealthy Relationship Between the Pharmaceutical Industry and Depression (Medicine, Culture, and History), 2006
  • The Creation of Psychopharmacology (2004)
  • The Psychopharmacologists (en trois volumes: 1998-2000)
  • The Antidepressant Era, 1999
  • Differential Effects of Antidepressants, (avec Brian E. Leonard), 1999
  • Images of Trauma, 1993

Copyright Pharmacritique. Aucune reproduction sans autorisation prélable.

Merci au « collègue » de Healthy Skepticism qui a mentionné cette conférence.

4 réflexions au sujet de “Exposé de David Healy: les conséquences néfastes de l’influence des pharmas et des conflits d’intérêts sur une recherche médicale déformée pour occulter les effets secondaires”

  1. Bonjour,
    Je suis depuis longtemps sous traitement à la Diosmine. Ce médicament a été déclaré il y a peu de temps comme peu efficace. Pendant un temps il a été remboursé partiellement, et n’est à présent plus remboursé du tout par la Sécurité Sociale. Mais je continue à en prendre sous l’avis de mon médecin traitant.
    Comment expliquer alors que lorsque ce médicament était remboursé partiellement, le montant remboursé par la SS au pharmacien qui me le délivrait et celui restant à ma charge étaient plus élevés que celui que je paie actuellement en totalité sans remboursement ? Et pourquoi continue -t-on à distribuer ce médicament déclaré inefficace ?

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  2. 1) Tout simplement qu’en ne le remboursant plus, la poule aux oeufs d’or n’engraisse plus l’industrie pharmaceutique !
    2) cf liens d’intérêt

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  3. Bonsoir LIVET,
    Je pense que les médecins prescrivent beaucoup plus facilement des médicaments remboursés, parce que les patients qui paient leur part à la S. S. veulent des médicaments remboursés. De ce fait, il est rentable pour l’industrie pharmaceutique et son prix est donc plus élevé.
    Maintenant qu’il est déremboursé, il sera moins prescrit et donc moins rentable.
    Certains médicaments déremboursés ont fait leur preuve, mais d’autres bien plus chers sont maintenant sur le marché et c’est ceux-ci qu’il faut prescrire.
    Après, on nous accuse de creuser le trou de la S. S.
    C’est mon point de vue.

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  4. Bonjour,
    je ne comprends pas l’anglais, y a-t-il des versions françaises des vidéos que vous nous proposez ? Elles semblent intéressante, d’autant qu’en France, les vraies infos sont plutôt absentes.
    merci.

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