Sanofi-Aventis désinforme sur les effets indésirables de l’insuline Lantus: risque accru de cancers

Cette note est à lire à la suite de ce texte : « Lantus / insuline glargine et risque de cancers. Trois études renforcent les vieux soupçons. Arznei-Telegramm demande le retrait du marché« .

Il s’agit d’une étude de grande ampleur faite par l’Institut d’évaluation de la qualité et du rapport coût/efficacité des médicaments. L’IQWiG, Institut für Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen, est une institution indépendante, véritable cauchemar de l’industrie pharmaceutique allemande qui se mobilise régulièrement contre elle et ses dirigeants tels que le diabétologue Pr Peter Sawicki.

Les résultats de deux autres études observationnelles vont dans le même sens d’une augmentation du risque de cancers sous Lantus.

Il faut lire la note citée pour comprendre les résultats, ainsi que les tenants et aboutissants. La revue médicale allemande indépendante Arznei-Telegramm (Télégramme du médicament) persiste et signe.

Après la demande de retrait du marché du Lantus, motivée dans le texte traduit par Pharmacritique dans la note déjà mentionnée, elle a envoyé le 3 juillet une autre alerte à son réseau, mettant en garde tout le monde contre la stratégie de défense adoptée par Sanofi-Aventis. En plus de dire que l’IQWiG sèmerait des peurs injustifiées, la firme tente de désinformer quant au risque de cancer sous Lantus en brandissant une étude qui n’a pourtant pas de pertinence en la matière. Par contre, elle est très pertinente s’agissant d’illustrer les énormes conflits d’intérêts des auteurs et le fait que Sanofi-Aventis a fait tout le travail: du financement à l’évaluation des données et à la rédaction du texte (détails à la fin de la note), c’est-à-dire du ghostwriting.

Voilà un autre exemple de ghost management, cette gestion et ce contrôle invisibles, mais omniprésents de toute la recherche et de tout le circuit de l’information sur le médicament, exercés par l’industrie pharmaceutique et que j’ai illustrés en parlant des méthodes de Merck qui est allé jusqu’à financer une vraie fausse revue médicale pour faire de la publicité à ses médicaments sans risque de critique.

Pharmacritique vous propose une traduction intégrale de cette dernière alerte d’Arznei-Telegramm.

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« Gare à la désinformation! Le soupçon d’un risque accru de cancers sous insuline glargine (Lantus) serait-il neutralisé par une étude sur le profil de sécurité ? »

« Une étude observationnelle rétrospective faite à partir des données des patients diabétiques assurés par les AOK [Allgemeine Ortskrankenkassen: réseau de la principale caisse d’assurance-maladie publique allemande, NdT] et publiée la semaine dernière renforce les soupçons existants depuis la mise sur le marché de l’insuline glargine à action prolongée [Lantus°] sur le risque accru de cancers sous ce médicament. Les résultats de deux autres études observationnelles vont dans le même sens ([2,3]; blitz-a-t du 27 juin 2009; a-t 2009; 40: 67-8).

Or Sanofi-Aventis, le fabricant de la glargine, se sert de communiqués de presse et de tirés-à-part envoyés à des médecins et des pharmaciens pour donner l’impression qu’aucun doute ne plane sur l’innocuité de son analogue insulinique. Sanofi-Aventis veut prendre pour preuve les résultats d’une « étude de sécurité de la glargine qui a duré 5 ans » [4,5]. Il s’agit en fait d’une étude randomisée contrôlée qui compare la glargine à l’insuline NPH [d’action intermédiaire, NdT], pour étudier les effets des insulines sur la progression d’une rétinopathie diabétique chez des patients souffrant d’un diabète de type II [6]. La réalisation de cette étude de phase IV avait été imposée [à Sanofi-Aventis] par la l’agence américaine du médicament (FDA), parce qu’une étude précédente de phase III avait noté une progression plus rapide de la rétinopathie diabétique sous glargine (a-t 2004; 35:123 et a-t 2008; 39:50-1). Mais cette étude n’a pas été conçue de façon à évaluer la prolifération des cancers. Les tumeurs bénignes et malignes ont été simplement mentionnées parmi les effets secondaires. Le taux global ne diffère pas entre les deux (11,1% sous Lantus versus 12,3% sous insuline NPH) [6,8].

Dans la publication [6] de cette étude ouverte, seul le critère principal de jugement est évalué en aveugle, pas les autres critères, ni les effets secondaires. Ce qui fait que les données portant sur la fréquence des cancers ont été exposées à des multiples biais potentiels. Mais le reproche le plus important porte sur les dimensions de cette étude : puisqu’elle n’a inclus qu’à peu près 1.000 patients, dont près de 30% ont abandonné en cours de route, elle est beaucoup trop petite pour permettre de détecter une augmentation significative du risque de cancers.

La firme Sanofi-Aventis affirme que l’étude aurait, selon ses calculs, une puissance de 85% pour détecter une élévation à 2 du risque relatif de cancer [7]*, c’est-à-dire un doublement du risque ou une augmentation de 100%. Cependant, des augmentations de 20% à 30% doivent déjà être considérées comme significatives. Mais pour détecter et reconnaître de telles augmentations, l’étude devrait inclure plusieurs milliers de patients, selon nos estimations.

Par conséquent, le résultat neutre de l’étude sur la rétinopathie n’est pas en mesure d’infirmer le soupçon d’un risque accru de cancer sous insuline glargine. Sanofi-Aventis veut donner l’impression que cette étude serait pertinente pour la question du risque de cancer sous glargine, parce qu’elle serait conforme aux « exigences méthodologiques standard » et qu’elle aurait une « valeur scientifique probante plus importante » que les études observationnelles publiées dans la revue Diabetologia [4]. Mais il ne s’agit là que de désinformation propagée par le service marketing de la firme.

* On pouvait trouver ces calculs dans un communiqué de Sanofi-Aventis, publié en même temps que les études observationnelles sur la page d’accueil de la revue Diabetologia (« Statement from Sanofi-Aventis ») [7]. Mais le lien menant au communiqué a disparu entre-temps. On retrouve désormais la prise de position du laboratoire sous une forme légèrement modifiée : une lettre adressée par les auteurs de l’étude [sur l’impact de la glargine sur la rétinopathie] aux éditeurs de la revue Diabetologia [8]. Le calcul de la puissance de l’étude, que nous avons cité ci-dessus, ne figure plus dans cette version. »

Références

  1. HEMKENS, L.G. et al.: Diabetologia 2009; publié en ligne le 26 juin 2009; http://www.diabetologia-journal.org/cancer_files/081131Hemkenscorrectedproofs.pdf
  2. JONASSON, J.M. et al.: Diabetologia 2009; publié en ligne le 26 juin 2009; http://www.diabetologia-journal.org/cancer_files/090776Jonassonacceptedpaper.pdf
  3. SDRN Epidemiology Group: Diabetologia 2009; publié en ligne le 26 juin 2009; http://www.diabetologia-journal.org/cancer_files/090818Colhounacceptedpaper.pdf
  4. Sanofi-Aventis: Communiqué de presse du 27 juin 2009
  5. Sanofi-Aventis: IQWiG verunsichert Patienten in unvertretbarer Weise, undatierte Aussendung [L’IQWiG sème l’incertitude parmi les patients de façon peu responsable; prise de position non datée].
  6. ROSENSTOCK, J. et al.: Diabetologia 2009; publié en ligne le 13 juin 2009; http://webcast.easd.org/press/glargine/download/081539Rosenstock.pdf
  7. Sanofi-Aventis: Diabetologia 2009; accédé le 27 juin 2009; http://www.diabetologia-journal.org/cancer_files/Statementfromsanofi-aventis.pdf
  8. ROSENSTOCK, J. et al.: Diabetologia; publié en ligne au plus tôt le 29 juin 2009; http://webcast.easd.org/press/glargine/download/090940Rosenstockedited.pdf

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Commentaire sur les énormes conflits d’intérêts
Le diable se cache dans les détails… Le détail signalé par Arznei-Telegramm à la fin du texte est édifiant : le communiqué de Sanofi disparaît du site de Diabetologia/EASD (association européenne pour l’étude du diabète, pas franchement un parangon d’indépendance face à l’industrie pharmaceutique), et réapparaît, à peine modifié, dans la lettre des.. auteurs de l’étude censée prouver la sécurité du Lantus, du moins quant à son effet sur la rétinopathie diabétique. Cela en dit long sur l’indépendance des investigateurs en question (Rosenstock et al.), et donc sur le recul critique que nous devons avoir d’emblée face à ce qu’ils disent.

Mais le mieux, c’est de laisser parler le texte lui-même, et notamment les déclarations d’intérêts. Il est question du financement intégral de ghost sortant ghostweb.jpgl’étude par Sanofi, ainsi que du « soutien rédactionnel » (sic) par la boîte de communications de la firme, ce qui veut dire habituellement que c’est le service de marketing qui fait en sorte que les données apparaissent dans la sous une lumière très favorable aux chiffres de vente… Mais les rédacteurs du texte ne sont mentionnés nulle part. Et voilà un autre exemple de ghostwriting (écriture « fantôme », par des « auteurs fantôme »), dénoncé par le Journal of the American Medical Association (JAMA) dans ce virulent éditorial traduit par Pharmacritique. Il appelle à respecter l’intégrité de la profession médicale en refusant de cautionner de telles tactiques de manipulation de la recherche médicale par les laboratoires.

Même l’analyse biostatistique et l’évaluation du protocole de l’étude, etc. ont été faites par un employé du laboratoire. Qui n’est pas non plus nommé parmi les auteurs. Il semblerait qu’elles aient été confirmées par un universitaire, nous rassurent les auteurs. (Universitaire dont on peut supposer qu’il n’est pas non plus sans rapport avec Sanofi…). Et les auteurs officiels de l’étude – dont on se demande à quoi ils ont bien pu servir, si le laboratoire a fait tout le travail – sont tous des consultants, des membres des comités scientifiques et/ou des speakers bureaus de Sanofi (qui veut dire stock de conférenciers / leaders d’opinion servant de VRP et payés pour être prêts à défendre les médicaments de la firme en question), si ce n’est carrément des employés de la firme.

La liste des firmes chez lesquelles émargent Rosenstock et al. est impressionnante. S’il y a encore quelqu’un qui pense que cette étude est rassurante…

Rosenstock et al. : « Similar progression of diabetic retinopathy with insulin glargine and neutral protamine Hagedorn (NPH) insulin in patients with type 2 diabetes: a long-term, randomised, open-label study« . Diabetologia. DOI 10.1007/s00125-009-1415-7. Texte publié en ligne le 13 juin; en PDF sur cette page.

« Acknowledgements Argent Pharmalot 1.jpg

This study was sponsored by sanofi-aventis. Editorial support was provided by N. Gingles through the global publications group of sanofi-aventis. We would like to thank all investigators and patients who participated in this study. Biostatistical analysis, based on the entire raw data set and evaluation of the study protocol and prespecified plan for data analysis, was provided by X. Guo (sanofi-aventis) and were independently confirmed by C. L. Yau of Tulane University. Data from this manuscript were presented as an oral presentation at the American Diabetes Association 2008 congress (San Francisco, CA, USA, 6–10 June 2008).

Duality of interest

J. Rosenstock has received grants for research from and/or has been a consultant to Amylin, Boehringer-Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Centocor, Eli Lilly, Emisphere, GlaxoSmithKline, Johnson & Johnson, MannKind, Merck, Novartis, Novo Nordisk, Pfizer, Roche, Sankyo, sanofi-aventis and Takeda.

V. Fonseca has received research support (to Tulane University) with grants from GlaxoSmithKline, Novartis, Novo Nordisk, Takeda, Astra-Zeneca, Pfizer, sanofi-aventis, Eli Lilly, Daiichi-Sankyo, Novartis, the National Institutes of Health (NIH) and the American Diabetes Association (ADA), and honoraria for consulting and lectures from GlaxoSmithKline, Novartis, Takeda, Pfizer, sanofi-aventis and Eli Lilly.

J. McGill has received grant support (to Washington University) from sanofi-aventis, Pfizer, Eli Lilly, Novo Nordisk, Novartis, GlaxoSmithKline, Elixir, Tolerx, Biodel, Mannkind, Takeda; served on advisory boards and speakers’ bureaus for sanofi-aventis and Novo Nordisk, and on speakers’ bureaus for Eli Lilly, Merck, Novartis, Novo Nordisk, sanofi-aventis, Daiichi-Sankyo, Forest and GlaxoSmithKline; and has been a consultant/advisor for Merck, Novo Nordisk, Elixir, Mannkind, Amgen.

I. Hramiak has received research grant support from Pfizer, sanofi-aventis, Novo Nordisk and Eli Lilly and has served on advisory boards for GlaxoSmithKline, Novo Nordisk, sanofi-aventis and Merck.

J.-P. Hallé has received grants for research from and/or has been a consultant and/or on the speaker bureau of Bristol-Myers Squibb, ConjuChem, Bellus Health, Eli Lilly, GlaxoSmithKline, Merck Frosst, Novartis, Novo Nordisk, Pfizer, Roche, sanofi-aventis and Takeda. M. Riddle has received grants for research and/or honoraria for consulting or lectures from Amylin, Lilly, the Amylin-Lilly Alliance, Novo Nordisk, Pf
izer, sanofi-aventis and Valeritas. »

Copyright Elena Pasca

5 réflexions au sujet de “Sanofi-Aventis désinforme sur les effets indésirables de l’insuline Lantus: risque accru de cancers”

  1. Le Grand, le Tout-Puissant SANOFI serait donc un menteur, je ne puis le croire, n’y aurait-il pas d’erreur ???
    Je ris « jaune » évidement, car j’ai déjà pu constaté qu’ils étaient forts, très forts dans le domaine du mensonge….. une tare que l’on devrait répertorier dans le DSM, il y a peut-être une drogue légale pour ces « pauvres » gens.
    Même si « on ne nous dit pas tout », il y a certainement quelque chose à faire, pour les aider à sortir de cet imbroglio……….

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  2. OUF !
    AVANDIA enfin retiré du marché… note du 24 septembre 2010
    Je reçois une note de GSK (un labo : GlaxoSmithkline) qui me signale que l’EMA (Agence Européenne du Médicament) a finalisé la revue du rapport bénéfice/risque de la rosiglitazone (AVANDIA, AVANDAMET, AVAGLIM) NOTAMMENT CENTRÉ SUR LA TOLÉRENCE CARDIO VASCULAIRE.
    Le Comité des Médicaments à Usage Humain( CHMP) a conclu que les bénéfice de la rosiglitazone ne contrebalançaient plus les risques ( et avant ça allait peut-être??? Bravo à PHARMACRITIQUE de m’avoir permis de n’en jamais prescrire) et a recommandé la suspension de l’AMM (autorisation de mise sur le marché) dans tous les pays de l’Union Européenne.
    . les médecins sont invités à ne plus initier ni renouveler de prescription de spécialités contenant de la rosiglitazone
    .les médecins sont invités à revoir leur patients, etc.
    . les pharmaciens sont invités à orienter leurs patients vers leur médecin pour une réévaluation de leur traitement.
    Suite à la dernière réévaluation, le CHMP considère que la rosiglitazone est associé à une augmentation du risque cardio-vasculaire.
    PS email centre de pharmaco vigilance : http://www.afssaps.santé.fr

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