Etats-Unis: les étudiants notent les facultés de médecine en fonction des conflits d’intérêts. D’autres se mobilisent, nos carabins dorment

La American Medical Students Association (AMSA: association des étudiants en médecine) a publié le 17 juin le troisième PharmFree AMSA.jpgScorecard : le classement 2009 des facultés de médecine des Etats-Unis en fonction de la qualité de leur politique de limitation des conflits d’intérêts, des liens financiers et autres avec l’industrie pharmaceutique. Cette évaluation est faite par l’AMSA en collaboration avec Prescription Project, une association qui milite pour une médecine intègre et basée sur le niveau de preuve (evidence-based medicine ou EBM) et non sur le marketing de l’industrie pharmaceutique. Cela suppose des réformes majeures de la réglementation concernant la recherche médicale ainsi que de tout le circuit du médicament et de l’information médicale.

La notation s’inscrit dans un projet plus large, appelé PharmFree Campaign, lancé par l’AMSA en 2002 pour promouvoir ces mêmes objectifs à l’aide de matériels éducatifs et d’autres moyens spécifiques décrits à partir de cette page.

Les initiatives allant dans le sens d’une restriction – ou du moins d’une plus grande transparence – des conflits d’intérêts sont tellement nombreuses outre-Atlantique qu’il est impossible de tout suivre dans le détail…

Pharmacritique a déjà rendu compte du PharmFree Scorecard 2008 et du contexte dans lequel cette initiative est née.

Dans le classement 2009, l’AMSA note les 149 facultés de A (très bien) à F selon 11 critères fondés sur l’attitude de ces établissements sur des points précis tels que : les cadeaux et repas offerts par les laboratoires pharmaceutiques, la visite médicale, les échantillons gratuits de médicaments, la rémunération des médecins pour des activités promotionnelles et la consultance, le financement de la formation médicale continue, la déclaration publique d’intérêts, la régulation de l’interaction avec l’industrie sur le campus et à l’extérieur, etc.

La politique de régulation des conflits d’intérêts est jugée très bonne pour 9 facultés de médecine, parmi lesquelles figurent Mount Sinai, Pittsburgh, Mayo de Rochester, Los Angeles (UCLA) et Pennsylvanie.

23 facultés ont refusé de communiquer leurs données et 34 sont « en progrès », puisque leurs politiques respectives sont en cours de révision.

Dans l’ensemble, l’AMSA constate une amélioration notable par rapport aux années précédentes, puisque un cinquième des facultés de médecine ont une meilleure politique de régulation des conflits d’intérêts. Ce résultat est dû surtout à la pression exercée par les législateurs et par l’opinion publique, suite aux scandales révélés par les hommes politiques de la trempe du sénateur Charles Grassley et John Dingell et relayés dans des media qui font eux-mêmes leur travail d’investigation. (Du moins bon nombre d’entre eux, à une échelle et avec un professionnalisme incomparables avec les activités mollassonnes et consensuelles de la très grande majorité des media français).

A la pression venant des politiques s’ajoutent quand même certains efforts de la corporation médicale elle-même. Rappelons les initiatives de l’American Psychiatric Association (APA) de limiter le financement de la formation médicale continue par les pharmas, le rapport de l’American Association of Medical Colleges (AAMC), le rapport de l’Institute of Medicine (IOM) appelant à une restriction drastique des conflits d’intérêts (voir le compte-rendu dans le NEJM), ainsi que les éditoriaux et appels de plusieurs grands journaux médicaux.

Mais il est certain que ce sont surtout les hommes politiques états-uniens qui font leur travail et se soucient de la santé de la médecine et des usagers. (Contrairement à ceux français, comme on n’arrête pas de le dire dans ces pages). Nous l’avons encore vu récemment avec des initiatives et des lois plus drastiques votées dans certains Etats tels le Vermont, la réintroduction du Physician Payments Sunshine Act du sénateur Charles Grassley (loi de transparence sur l’argent, les avantages et les cadeaux donnés par les labos aux médecins), le projet encore plus strict des députés américains, l’engagement personnel de Barack Obama dans son appel à une recherche scientifique intègre, les projets de restructuration de la FDA, les efforts en faveur d’une meilleure visibilité des essais cliniques, etc.

Obama s’engage personnellement en faveur de l’intégrité, Sarkozy s’engage personnellement dans la promotion des intérêts de la firme nationale… Le mot « nationale » est ironique dans ce contexte, indiquant qu’un certain patriotisme – mal à propos s’agissant des risques pour la santé – nous incite à fermer les yeux sur ses dérapages. Nicolas et François Sarkozy donnent l’exemple, comme l’a montré Pharmacritique dans la note parlant des conflits d’intérêts issus des liens avec Sanofi-Aventis. (Mais il n’y a pas que Sanofi).

Le poisson pourrit par la tête, dit la sagesse populaire.

Et les étudiants français en médecine?

Pharmacritique a rendu compte avec un grand plaisir de la naissance de l’association Farmacriticxs, réunissant des étudiants espagnols en médecine, qui se battent pour que leur profession soit digne des représentations éthiques qui nous viennent à l’esprit quasiment par réflexe en parlant de médecine. Réflexe qui n’est pas tellement justifié, vu l’étendue des conflits d’intérêts et des manquements à la déontologie.

Manifestement, ces questions n’intéressent pas les futurs médecins français…

On ne les voit se mobiliser que pour s’assurer qu’ils n’auront aucune obligation d’aller exercer là où il y a pourtant un besoin urgent de médecins, c’est-à-dire dans les déserts médicaux qui se multiplient en France. Pas touche à la liberté d’installation! J’ai suivi leurs prises de position dans la presse professionnelle, qui a longuement relaté tous les débats autour de la loi HSPT (Hôpital, santé, patients, territoires). Ni eux ni la plupart de leurs confrères déjà établis ne se soucient de l’intégrité de leur profession, que ce soit sous l’angle des conflits d’intérêts ou sous l’angle d’une garantie de l’accès aux soins.

Ils ont bataillé ensemble pour rejeter le testing et les sanctions des médecins qui refusent la CMU, comme pour que soient retirées la plupart des mesures législatives qui auraient pu constituer un progrès dans les droits des patients. Beaucoup se sont battus contre toute limitation des dépassements d’honoraires, et pour que le secteur optionnel – dont les vrais enjeux et conséquences ont été exposés par la revue Pratiques (voir cette note) – ne soit pas très différent du secteur 2 (à
honoraires libres, mais qui n’est pas accessible à tous les médecins)…

Je déplore ici aussi le fait que la mobilisation des médecins porte presque exclusivement sur des revendications corporatistes, qu’ils n’agissent quasiment plus en mandataires des intérêts (de la santé) des patients, alors qu’ils veulent toujours garder cette image-là. Je ne manque pas de relayer et d’appeler à soutenir toute initiative des professionnels de santé allant dans le sens de l’intérêt général. Malheureusement, elles ne sont pas très nombreuses. Il faut manifestement les encourager à repenser leur profession, en tenant compte du fait qu’ils sont là pour les patients, et non l’inverse. Et qu’on n’a jamais vu une profession fondée sur la relation à l’autre prospérer toute seule, quand cet autre va de plus en plus mal.

PS

Parlant de l’accès aux soins et parce que je n’aurai pas le temps de faire une note à part sur ce sujet qui me tient à coeur:

Un nouveau testing réalisé à Paris par l’organisme qui gère la CMU (couverture maladie universelle) révèle une étendue encore plus importante de cette discrimination qu’est le refus de soigner les patients qui bénéficient d’une CMU. Pour les détails, voir cet article des Echos en date du 1er juillet 2009 parlant de « refus de soins massifs ».

J’évoquais dans une autre note le blog d’une généraliste remplaçante sur lequel il arrive assez souvent que des médecins déversent leurs frustrations et leurs aigreurs. En plus du commentaire du médecin qui disait qu’il était fort possible de faire une médecine de bonne qualité avec une discipline quasi militaire et des consultations de 15 minutes, qu’il ne fallait pas perdre du temps inutilement, par exemple en écoutant « les pleurs de la divorcée », on peut y lire des commentaires selon lesquels les bénéficiaires de la CMU ne viendraient pas aux rendez-vous, alors même qu’ils « ne branlent rien » de la journée, et ainsi de suite… Les bénéficiaires de l’AME (aide médicale d’Etat) ne sont pas mieux considérés… Cette fois-ci, l’auteure du blog a au moins répondu. Et ce n’est pas le seul blog de médecins sur lequel s’accumulent de telles violations du code de déontologie médicale. Celle-ci exige quand même que les médecins respectent les patients. En plus de les soigner. (Et nous devons les respecter, nous aussi, cela va de soi).

Où est Michel Legmann, président du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), qui dit partout que seul l’ordre doit réprimer de tels comportements? Il ne réprime rien du tout, ni les discriminations ni les conflits d’intérêts, qui sont eux aussi contraires à l’éthique médicale et à la déontologie. L’ordre garant de la déontologie? Je n’ai pas vraiment constaté d’adéquation entre la théorie et la pratique…

Je divague, mais c’est certain que de tels modèles n’encouragent pas les étudiants en médecine à s’intéresser aux conflits d’intérêts… Et que la préoccupation pour l’éthique n’est pas divisible. Ils ne peuvent pas prendre juste le morceau qui leur convient et penser que cela suffit. Ce n’est d’ailleurs pas à la profession médicale de dire ce qu’il en est de l’encadrement éthique dans les limites desquelles la médecine doit s’exercer. C’est à la société de le faire.

Elena Pasca

3 réflexions au sujet de “Etats-Unis: les étudiants notent les facultés de médecine en fonction des conflits d’intérêts. D’autres se mobilisent, nos carabins dorment”

  1. En tant qu’interne en médecine, je ne peux qu’être très agréablement surpris par cette initiative américaine, et souhaiterais vivement qu’en France nous ayons les moyens de nous passer de la manne financière que peuvent apporter certains labos (je ne parle pas là des congrès-vacances au ski de certains labos faisant des chimios très onéreuses – donc rentables – ou autres joyeusetés du genre, mais bien des financements aux activités annexes des services, associations de patients etc.. avec des financements ‘symboliques’ des pouvoirs publics, même si souvent reconnus ‘d’utilité publique’)
    Et bien sûr je ne peux que déplorer qu’il n’y ait pas plus de contrôle de ces sommes versées, et que les organismes créés ne relèvent pas tous (doux euphémisme) de la plus grande indépendance. On pourrait faire un parallèle avec l’objectivité de l’information dans un journal dont le carburant reste le pognon des annonceurs.
    Je trouve néanmoins vos propos durs envers les étudiants en médecine, dont on pourrait comprendre dans votre texte qu’à part leurs fesses – et autres blagues carabines – rien ne les intéresse. Nous nous sommes effectivement battus récemment pour la liberté d’installation (qui n’était qu’un point des revendications, mais largement magnifié par les médias, car c’est toujours facile de dire que les médecins – qui sont déjà tous de riches notables prétentieux, c’est bien connu – ne pensent qu’à leur confort) et pour la sauvegarde du concept de santé publique, largement mis à mal par la gouvernance actuelle.
    « Il y a tant de combats à mener pour une si petite vie »
    Bien sûr, et comme il est déjà très difficile de motiver les étudiants en médecine pour autre chose que leurs études-concours dans leurs rares moments de temps libre, je ne pense pas que ce problème soit le premier de leurs soucis à l’heure actuelle.
    Nous en reparlerons certainement dans une dizaine d’années quand la situation de l’assistance publique sera celle des USA d’aujourd’hui, cad quasi-nulle et reposant sur des capitaux et assurances privées. (Et quand suivre le cursus médical dans des universités privées coutera un rein).
    David A.

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  2. Le sujet de la CMU vient d’être soulevé à cet instant à l’Assemblée Nationale,
    Madame Roselyne Bachelot était évidement horrifiée, scandalisée…… quelle parfaite comédienne ; lorsqu’elle voudra bien quitter le Gouvernement, son chemin est tout tracé !!
    Néanmoins, il me semble que l’on est en droit de se demander « où va l’argent qui nous est prélevé pour la CMU….. ou plutôt, à qui » ??

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  3. Chantal,
    Roselyne Bachelot est une ancienne visiteuse médicale (j’en ai parlé dans une note), alors forcément, le talent théâtral…
    David A.,
    On dit souvent qu’on trouve dans un texte ce qu’on y cherche, ce qu’on y met ;-)))
    Je cite:
    « Je trouve néanmoins vos propos durs envers les étudiants en médecine, dont on pourrait comprendre dans votre texte qu’à part leurs fesses – et autres blagues carabines – rien ne les intéresse. »
    Alors là… Où avez-vous vu des propos parlant d’histoires de fesses et de blagues? Il n’y en a ni ici ni ailleurs sur ce blog. Il me semble que le mot « carabin » est largement utilisé de nos jours sans qu’il ait une telle connotation.
    Vous pouvez vérifier. D’ailleurs, fouiller un peu dans ces pages vous apprendrait qu’il n’y a aucune hostilité envers les étudiants en médecine ou envers les médecins, et je trouve très dommage que les mentalités n’aient pas encore évolué de façon à ce que les professionnels de santé comprennent que nous, usagers, avons notre mot à dire, et que la critique n’est pas synonyme de volonté de dénigrement, etc.
    Regarder dans ces pages vous apprendrait aussi que, même si ce n’est pas le sujet central du blog, j’ai dénoncé dans pas mal de notes exactement la même chose que vous: la privatisation de la santé, la casse sociale, la protection sociale en danger, etc. La situation désastreuse aux Etats-Unis est évoquée régulièrement.
    Ce n’est donc pas un argument que vous pouvez m’opposer. Et il ne relève d’ailleurs pas du même registre. Oui, il serait de votre devoir de vous battre contre la privatisation de la santé, mais le faire implique aussi de protester contre les conflits d’intérêts, en pas s’exposer au contact avec les VRP de l’industrie pharmaceutique, qu’il s’agisse des visiteurs médicaux ou autres, prendre les bonnes habitudes de chercher des sources indépendantes d’information médicale, se renseigner sur ce qui se passe ailleurs, etc.
    Regardez vos homologues espagnols qui ont fondé Farmacriticxs – et je rendrai bientôt compte d’une autre initiative internationale d’étudiants en médecine unis pour combattre les conflits d’intérêts, la désinformation médicale et les autres conséquences délétères de l’exposition aux influences pharmaceutiques.
    vous êtes mon futur médecin, j’ai tout intérêt à ce que vous alliez bien aussi, et cela implique de vous ouvrir les yeux, avec mes modestes moyens.
    Certes, les media ont amplifié une dimension. mais je vous assure que la presse professionnelle (médicale) que je lis depuis plus d’un an ne parle pas d’autre chose quant à la mobilisation des internes en médecine. Mobilisation contre les entraves à la liberté d’installation, contre les entraves aux dépassements d’honoraires, etc.
    Cela dit, si je suis désinformée, ou si votre action existe mais qu’elle n’a pas été relayée, je vous invite à en parler sur Pharmacritique. (Si, et seulement si vous n’avez pas de conflits d’intérêts). Ce n’est pas une invitation de complaisance, parce que ce n’est pas mon genre. Venez vous exprimer, sous pseudonyme, pas de soucis; et d’ailleurs je vous invite à vous exprimer aussi sur d’autres sujets abordés sur Pharmacritique. Votre point de vue m’intéresse, car, comme je le disais, mon optique n’est pas celle d’une opposition médecins – patients, bien au contraire.
    Je proteste certes contre ce qui me paraît inadmissible, et il m’arrive de provoquer, mais vous ne trouverez nulle part du mépris ou de l’arrogance; alors même que je me suis vue traiter avec mépris, arrogance et autres douceurs par des professionnels de santé qui m’intimaient de me taire, puisque je ne fais pas partie de la corporation…
    Je vous invite à faire comme moi, chercher le dialogue, exprimer ce que vous ne pouvez pas dire ailleurs, en toute liberté.
    Mon mail est en haut à droite:
    pharmacritique@voila.fr
    N’hésitez pas.
    Cordialement

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