Elsevier a édité neuf fausses revues médicales. Treize autres allaient sortir pour désinformer les généralistes dans plusieurs spécialités

Pharmacritique a rendu compte en détail du fait que Merck a payé l’éditeur Elsevier pour publier une fausse revue médicale comme s’il elsevier logo.gifs’agissait d’une vraie revue à comité de lecture (peer-reviewed journal). C’est l’un des moyens par lesquels l’industrie pharmaceutique va au-delà d’un marketing forcené, pour accomplir ce qu’il convient d’appeler ghost management : gestion fantôme, contrôle invisible mais omniprésent de toute la filière médicament et de l’information médicale, décrits en détail dans l’article cité ci-dessus.

Cette révélation faite par le journal The Scientist a été complétée le 7 mai, puis dernièrement le 4 juin dans l’article « Elsevier tweaks custom pub rules » (Elsevier tord le cou aux usages en matière de publicité pour ses clients), signé toujours par Bob Grant.

Il y a eu en tout neuf fausses revues fantôme éditées par Elsevier pour le compte de laboratoires que l’éditeur refuse de nommer, tout comme il refuse de dévoiler le montant des transactions. Et treize autres revues déjà enregistrées, mais pas publiées. Décidément, le monde médico-pharmaceutique est hanté…

(Image: MIT Open Course Ware)

De telles publications sont des outils publicitaires parfaits. Des faux articles et des sélections d’articles présentant tel et tel médicament uniquement sous une lumière favorable, dans un journal d’allure indépendante, sans aucune mention de financements industriels – cela a de quoi impressionner favorablement y compris des médecins moins facilement dupés par des publicités directes ou par les éloges faits par les visiteurs médicaux. De plus, de telles revues font partie intégrante de la formation médicale continue financée majoritairement par les laboratoires pharmaceutiques, en France comme en Australie.

Elsevier avait refusé d’en parler au départ, en déclarant que tout cela, c’était le fait d’une seule de ses filiales, que c’était du passé, en gros. Mais la maison d’édition a dû changer d’avis face à l’ampleur de la critique, et lorsque The Scientist a révélé qu’il ne s’agissait pas d’une seule revue, comme on le pensait au départ, mais d’une pratique plus répandue. Elsevier a commencé une enquête interne sur ces vraies fausses revues, enquête qui a permis de voir qu’il ne s’agissait pas non plus de six fausses revues, comme The Scientist l’avait annoncé le 7 mai (“Elsevier published 6 fake journals”), sous la signature du même Bob Grant, mais de neuf.

Les neuf revues fantôme ont été publiées entre 2000 et 2005 par une filiale australienne d’Elsevier appelée Excerpta Medica. En plus de l’Australasian Journal of Bone and Joint Medicine, dont il a été question dans la note de Pharmacritique déjà citée, il s’agit de: The Australasian Journal of Bone and Joint Medicine, the Australasian Journal of Neurology, the Australasian Journal of Hospital Medicine, the Australasian Journal of General Practice, the Australasian Journal of Cardiology, the Australasian Journal of Cardiovascular Medicine, the Australasian Journal of Clinical Pharmacy, the Australasian Journal of Clinical Practice et the Australasian Journal of Musculoskeletal Medicine.

Tout en admettant que l’enquête interne s’imposait, Michael Hansen, le PDG du département des sciences de la santé d’Elsevier, affirme dans un communiqué en date du 7 mai que cette pratique serait restée isolée et n’aurait plus cours actuellement. Les employés impliqués dans ces projets ne travailleraient plus depuis longtemps pour l’éditeur, qui veillerait à ce que ses principes redéfinis soient appliqués scrupuleusement. Hansen dit comprendre l’émoi suscité par les révélations et assure toute la communauté scientifique, les lecteurs et les employés que « l’intégrité des publications d’Elsevier reste intacte ». S’il le dit…

Quant aux huit revues supplémentaires, la maison d’édition dit que ce n’était pas un seul laboratoire qui payait pour chacune d’entre elles, mais qu’elles étaient financées par des publicités achetées par plusieurs laboratoires, qui apportaient les articles qu’ils voulaient voir publiés – laboratoires dont les noms ne sont pas divulgués.

Cela dit, il s’agissait là encore de compilations d’articles favorables, mais avec, paraît-il, moins d’interstices éditoriaux écrits par des auteurs fantôme (ghost writers) au nom des comités scientifiques de chacune des revues respectives. Comme je le disais dans l’article sur le Australasian Journal of Bone and Joint Medicine, ce n’est pas un détail anodin, puisque cette revue avait un comité scientifique très bien fourni : rien que des leaders d’opinion fort bien placés, y compris dans les institutions publiques australiennes d’évaluation des médicaments et intervenant lors des manifestations de formation médicale continue… On a su tout cela parce que The Scientist s’est procuré deux numéros qu’il a rendu publics (les liens sont dans l’article en question). Mais pour les autres, nous sommes priés de croire Elsevier sur parole, lorsqu’il affirme que les violations de l’intégrité scientifique et de toutes les règlementations de l’édition étaient moins flagrantes.

On apprend que les neuf revues avaient comme destinataires entre 2.000 et 10.000 médecins généralistes australiens, et il paraît qu’un numéro a même été distribué à 20.000 généralistes, ce qui correspond à peu près au nombre total de médecins de cette spécialité en Australie. C’est ce qu’on peut lire dans un communiqué d’Elsevier en date du 4 juin. Celui-là même qui annonce l’élaboration de nouvelles directives et réglementations de la publication d’articles médico-pharmaceutiques (« Elsevier To Create New Guidelines For Pharmaceutical Article Reprint, Compilation and Custom Publications »).

On apprend dans le même communiqué que 13 autres fausses revues ont été enregistrées entre 2000 et 2005, toujours avec l’intitulé « Australasian Journal of » : elles ont de fait obtenu un numéro international de série (ISSN ou International Standard Serial Number), mais n’ont jamais été publiées.

The Scientist nous dit qu’elles devaient à tout le moins réserver les domaines respectifs pour une utilisation future, de la même façon qu’on réserve un nom de domaine internet, par exemple. Elsevier a communiqué leurs titres au journal ; en les lisant, on voit que la plupart des spécialités médicales allaient être couvertes par ces 22 revues fantôme. Cela allait du traitement de la douleur aux maladies infectieuses, aux cancers ou encore à la « santé sexuelle », quoi que ce mot veuille dire. Les revues étaient destinées à désinformer les médecins généralistes, puisque, comme le disait un expert cité dans mon article sur la reuve financée par Merck, les spécialistes auraient été plus susceptibles de poser des questions ciblées et dérangeantes sur les sujets abordés.

Les 13 revues fantôme – celles qui sont restées à l’état de projet – s’appellent 
: The Australasian Journal of Pediatrics, the Australasian Journal of Obstetrics and Gynecology, the Australasian Journal of Dentistry, the Australasian Journal of Infectious Diseases, the Australasian Journal of Pain Management, the Australasian Journal of Respiratory Medicine, the Australasian Journal of Sexual Health, the Australasian Journal of Psychiatry, the Australasian Journal of Asthma, the Australasian Journal of Gastroenterology, the Australasian Journal of Hospital Pharmacy, the Australasian Journal of Depression, the Core Journals in Oncology.

Là, il est question de désinformation des généralistes australiens. Mais qui sait ce que fait Elsevier – comme d’autres maisons d’édition – dans d’autres pays ? Après tout, nous vivons dans un monde globalisé, et les pratiques sont partout les mêmes, tout comme les méthodes des laboratoires ou les médicaments qu’ils veulent vendre manifestement à tout prix…

PS : J’avais cette information depuis un moment : un lien oublié dans un fichier… Même si elle n’est plus de toute première fraîcheur, il m’a semblé important d’en parler, parce que cela montre bien à quelles méthodes l’industrie pharmaceutique peut avoir recours – et à grande échelle, qui plus est.

Il y a eu des réactions d’incrédulité lorsque j’ai rendu compte de l’émission de la chaîne publique allemande ZDF parlant d’un « cartel pharmaceutique » en Allemagne, malgré la qualité des intervenants, dont un policier responsable de l’enquête. Un blog en a même fait ses gros titres, se demandant texto « Pharmacritique va-t-il trop loin? » C’est me faire beaucoup d’honneur que d’écrire sur ce que j’écris… Mais, s’agissant d’un blog qui veut informer « lucidement » – alors que je n’ai pour ma part aucune prétention à cette lucidité-là, que je considère illusoire et à laquelle je préfère des coups de gueule défendables en termes déontologiques – n’aurait-il pas mieux valu aller à la source et voir si oui ou non les affirmations sont fondées? Et elles semblent l’être, puisque l’enquête en question concerne des milliers de médecins et des pratiques largement dénoncées par des médecins et des media tant spécialisés que généralistes.

La question n’aurait-elle pas dû être « L’industrie pharmaceutique va-t-elle trop loin? »

Quant à chronologie, Pharmacritique n’est pas fait pour coller à l’actualité au sens restreint du terme.

© Pharmacritique

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