Je prends l’exemple des controverses sur les OGM comme un point de départ pour des réflexions sur les tares de notre système de recherche, sur les conséquences des financements industriels et du lobbying, sur les conséquences du scientisme et de la place énorme prise par les technosciences, sans qu’il y ait d’encadrement éthique, ni information et expertise indépendantes, ni possibilité de décision des citoyens sur les choix scientifiques et technologiques et les investissements dans tous les domaines.
Gilles-Eric Séralini, André Cicolella et moi sommes intervenus de concert lors de la table ronde sur les problèmes majeurs du système de santé en France, lors du colloque Ecomédecine qui a eu lieu les 26 et 27 octobre 2012 à Paris. Dans son exposé, Gilles-Eric Séralini a répondu aux critiques reprises en choeur par les media. Peu de journalistes se sont intéressés aux faits, et très rares sont ceux qui sont allés lire par eux-mêmes l’étude [1] en entier – ce qui permet de voir immédiatement la faiblesse conceptuelle de ces critiques.
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Par-delà la validité ou non des résultats de Gilles-Eric Séralini, dont je ne suis pas en mesure de parler, faute de compétences, ce que je déplore, ce sont les méthodes utilisées à son encontre, sans aucun rapport avec les méthodes scientifiques.
Au cours de son exposé lors du colloque Ecomédecine (26 et 27 octobre 2012 à Paris), présentant les OGM sous l’angle de l’impact potentiel sur la santé publique, Gilles-Eric Séralini a formulé des réponses aux critiques portant sur les supposées faiblesses méthodologiques de son étude. Ces réponses étant donc formalisées et disponibles, il m’a paru essentiel qu’elles soient diffusées et évoquées lorsque le sujet est abordé, pour ne pas donner l’impression d’une défense qui ne serait pas basée sur les faits, mais serait partiale, car faite par des scientifiques ou des militants ayant les mêmes positions quant aux OGM.
Le « dossier » OGM et Monsanto désormais tellement épais que les citoyens ne peuvent plus faire la part des choses et se laissent guider par des croyances et des opinions lancées par des leaders d’opinion, au lieu de se forger un avis rationnel, basé sur les faits, donc en connaissance de cause. Il faut dire qu’ils sont bombardés au quotidien par des informations qui sont majoritairement autant de pièces dans la grande mosaïque de la désinformation sur les technosciences et leur impact sur notre santé et notre mode de vie.
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Les positions de Séralini
Deux images sont extraites du site du CRIIGEN (Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique), avec autorisation de l’association. Elles illustrent l’étude de Gilles-Eric Séralini et al : des rats nourris au maïs OGM ont développé des tumeurs volumineuses. L’autre image est extraite du site de RFI et montre Gilles-Eric Séralini; celui-ci préside le comité scientifique du CRIIGEN et enseigne à l’Université de Caen.
A partir de cette page du site du CRIIGEN, l’on a accès à l’article présentant l’étude [1], à une synthèse, à une réponse de Séralini aux critiques les plus courantes, réponse parue dans la même revue que l’article initial (Food and Chemical Toxicology). Pour mémoire, il s’agit d’une étude portant sur 200 rats nourris pendant 2 ans – au lieu des 3 mois auxquels se limite l’industrie pour prétendre démontrer l’innocuïté des OGM – avec du maïs génétiquement modifié NK603 tolérant au Roundup (pesticide fabriqué lui aussi par Monsanto). Voici les références complètes et les résultats tels qu’ils sont résumés sur le site de la revue Food and Chemical Toxicology:
Séralini, Gilles-Eric et al., Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize, Food Chem Toxicol., 2012, 50(11) : 4221-31 (l’abstract et quelques réactions sous forme de lettre à l’éditeur sont accessibles sur le site de la revue: http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0278691512005637)
Le Roundup et un maïs tolérant au Roundup ont provoqué des pathologies chroniques dépendantes du sexe et du statut hormonal. Ches les femelles, la mortalité a augmenté 2 à 3 fois, surtout en raison de tumeurs mammaires étendues et d’une hypophyse rendue inopérante. Les mâles ont eu des congestions hépatiques, des nécroses, des néphropathies sévères et des tumeurs étendues et palpables. Cela pourrait être dû à une perturbation (disruption) endocrinienne liée au Roundup ainsi qu’aux effets des modifications génétiques induisant un métabolisme différent.
Original: « A Roundup-tolerant maize and Roundup provoked chronic hormone and sex dependent pathologies. Female mortality was 2–3 times increased mostly due to large mammary tumors and disabled pituitary. Males had liver congestions, necrosis, severe kidney nephropathies and large palpable tumors. This may be due to an endocrine disruption linked to Roundup and a new metabolism due to the transgene. »
Sur le site du CRIIGEN déjà cité, l’on peut avoir diverses informations. consulter un diaporama, s’informer sur le documentaire « Tous cobayes ? », sorti en même temps que l’étude, avoir des références bibliographiques sur d’autres documentaires, études et livres sur les OGM, etc. La liste de catégories à gauche du site permet d’accéder à des informations très diverses telles que les OGM et la santé, les implications éthiques, juridiques et législatives. Les OGM ne sont pas le seul sujet de réflexion et d’action du CRIIGEN, présidé par la députée européenne Corinne Lepage. Il se propose d’étudier le « génie génétique et ses impacts dans les domaines de la biologie, de l’environnement, de l’agriculture, de l’alimentation, de la médecine et de la santé publique » et, de façon plus générale, les effets du génie génétique « sur la santé de l’homme et de tout l’écosystème vivant ».
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Le monde selon les technosciences et la désinformation
Informer sur les conflits d’intérêt, le lobbying et les biais
Rappelons que le CRIIGEN a co-organisé en mars 2010 avec la Fondation Sciences Citoyennes un colloque à Bruxelles, au Parlement européen, dont le titre parle de lui-même : « Santé : L’expertise en question. Défaillances de l’évaluation ». Le programme du colloque, parrainé par les députées européennes Corinne Lepage, Fiona Hall et Frédérique Ries, est présenté sur cette page de Pharmacritique.
Outre la participation à l’organisation et au choix des thèmes et des intervenants de ce colloque, j’ai fait une intervention, au nom de Sciences Citoyennes, pour donner des exemples de conflits d’intérêts en matière de santé humaine et de médicaments, alors que Gilles-Eric Séralini est intervenu sur les conflits d’intérêts des entreprises qui produisent et commercialisent des OGM (Monsanto, Syngenta…).
Au fil des interventions, l’on a pu constater à nouveau à quel point les techniques de désinformation des citoyens, de lobbying, de manipulation de la recherche, etc. sont les mêmes dans tous les domaines scientifiques. Ce type de colloque est précieux, car il permet de rompre l’isolation entre les associations, entre scientifiques, militants associatifs, hommes politiques et citoyens vigilants, ainsi que de rencontrer un certain nombre de personnes engagées dans le combat contre les conflits d’intérêts et le lobbying, contre tout ce qui met la santé publique en danger. C’est ainsi que l’on peut démarrer des réflexions convergentes et des actions qui dépassent les barrières disciplinaires habituelles.
Un autre point de rencontre, ce sont les blogs et sites internet permettant une parole et une expertise citoyenne qui sort des formes de censure et de formatage par les media classiques; pour parler de Pharmacritique, l’un des rôles qu’il peut jouer, c’est de donner un espace d’expression à des jeunes chercheurs et scientifiques habitués à rester dans leurs laboratoires et à communiquer entre pairs, lors de rencontres et colloques scientifiques. Ils sont peu habitués à la prise de position publique et aux conséquences d’un engagement citoyen qui rompt leur « splendide isolation », les sort de leur « tour d’ivoire » et les place sur l’agora, dans le débat public, face aux citoyens.
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Contribuer à démolir les illusions qui vont de pair avec l’instrumentalisation des pratiques scientifiques et la réduction progressive de la science aux technosciences (avec les illusions afférentes, telles que la neutralité de la science ou l’objectivité scientifique qui permettrait d’exclure toute subjectivité et idéologie des chercheurs, etc.)
La participation et l’ouverture au débat public leur permet de mieux comprendre l’inscription de leur domaine scientifique dans le social, de poser autrement et repenser le rapport entre science et société, en cassant certaines illusions et légendes qui ne résistent pas dès lors que les scientifiques sont confrontés à la réalité, à l’impact de leurs travaux sur la société, sur nos modes de vie, etc. Les illusions – par ailleurs fort confortables, car empêchant l’éveil de la conscience morale, l’exercice d’un esprit critique et d’un doute méthodique – se brisent aussi lorsque les chercheurs et scientifiques comprennent la façon dont leurs travaux sont récupérés et instrumentalisés par des industriels.
L’une de ces légendes, c’est la prétendue neutralité de la science, neutralité axiologique (c’est-à-dire en termes de valeurs), neutralité politique et idéologique. Les scientistes et les industriels – les deux pôles parmi tous ceux qui instrumentalisent la science et ses produits – sont ceux qui défendent bec et ongles la neutralité de la science, pour des raisons facilement compréhensibles.
En sociologie, cette thèse a été développé par le sociologue allemand Max Weber, selon qui la science ne comporte pas de jugements normatifs, les scientifiques n’émettant pas de jugements de valeur (werturteilsfreie Wissenschaft). Toute l’oeuvre n’est pas encore traduite en français, mais certains écrits – Le Savant et le Politique, Essais sur la théorie de la science, …) sont devenus des références classiques quant à la vocation et l’engagement des scientifiques (Wissenschaft als Beruf) et les modalités particulières de leur rapport – et du rapport de leurs travaux – à la société. La thèse de la neutralité axiologique a fait l’objet de nombreuses controverses au cours du 20ème siècle, et les diverses écoles sociologiques et épistémologiques continuent à diverger là-dessus.
Une fois que l’illusion de la neutralité de la science tombe, la conscience morale peut s’éveiller, il y a un processus d’autoréflexion critique qui peut démarrer. L’une des interrogations essentielles est celle sur la responsabilité des chercheurs et scientifiques: responsabilité non seulement pour garantir le respect des règles de l’art dans leur domaine respectif, mais en tant que citoyens, envers la société dans son ensemble. C’est une responsabilité pour leurs travaux et les conséquences de ces derniers sur nos sociétés et nos modes de vie. Ils ne peuvent plus se réfugier derrière la représentation confortable du scientifique neutre qui n’engagerait pas sa subjectivité, ni ses valeurs, puisqu’il entrerait dans des cadres méthodologiques différents: ceux de l’objectivité, brandie elle aussi par les industriels et les scientistes cherchant à échapper aux interrogations morales et éthiques, notamment quant aux conséquences des technosciences.
J’ai développé en détail ces thématiques dans un article qui prend pour point de départ le livre Labo-Planète et donne beaucoup de références (voir cette page).
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Désinformation par les media sous-traitants des lobbies
Gilles-Eric Séralini, André Cicolella et moi sommes intervenus à la table ronde consacrée aux problèmes essentiels de la santé en France, animée par Corinne Lalo, lors du colloque Ecomédecine, mentionné plus haut, qui a eu lieu les 26 et 27 octobre 2012 à Paris. André Cicolella a abordé l’explosion des maladies chroniques, leur impact sur les systèmes de santé, leurs causes environnementales et autres (modes de vie…) ; quant à moi, le problème essentiel englobant tous les autres me semble être la médicalisation et la surmédicalisation, largement évoquées depuis des années sur Pharmacritique. J’ai essayé d’en présenter les grandes lignes, insistant particulièrement sur le façonnage de maladies (disease mongering, voir ces articles, entre autres), afin de faire le lien avec les exposés de mes interlocuteurs.
Un fait qui n’a malheureusement pas eu d’écho dans les media, trop occupés à descendre Séralini, montre qu’il faut regarder dans les coulisses pour comprendre : une multinationale telle que Monsanto se voit accorder une « garantie » par des banques européennes ; autrement dit, c’est l’argent public des Européens qui sert à garantir les profits et les dividendes des actionnaires en cas de pépin. Par exemple, si les OGM nous resteront sur l’estomac ou ailleurs…
« Le monde selon Monsanto » – titre du documentaire de Marie Monique Robin, évoqué dans les articles parlant de Monsanto et du lobbying – n’est pas une représentation paranoïaque ou sensationnaliste. La réalité dépasse même les représentations paranoïaques, et les berceuses que nous chantent des media sous-traitants des lobbies qui en sont propriétaires directement ou indirectement (par la pression de la publicité, etc.) ne valent pas mieux que les communiqués lénifiants venant des industriels eux-mêmes, éventuellement habillés un peu pour faire des « publireportages ».
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Financement de la recherche (une solution palliant à l’absence d’argent public pour financer des recherches; reproche du financement des études de Séralini et du CRIIGEN par la grande distribution, etc.)
La crédibilité de ces media – qu’il s’agisse de leurs activités de désinformation et de marketing / communication en général ou des attaques visant Gilles-Eric Séralini en particulier – est à peu près nulle. Des journaux détenus par des industriels de l’armement, par des banquiers ou autres industriels font la leçon au CRIIGEN et à Séralini pour un financement de leurs études par des enseignes de grande distribution et pour l’orchestration de la sortie simultanée de l’étude sur la toxicité du maïs OGM et du Roundup, ainsi que du documentaire « Tous cobayes ? » et d’une campagne de Carrefour pour promouvoir des produits issus de l’agriculture biologique. C’est la poutre et la paille…
Pourquoi n’y a-t-il pas de financement public de telles études, qui permettrait de les faire sur des années et sur des échantillons de rats bien plus importants ? Pourquoi n’y a-t-il pas un fonds anonyme de financement, regroupant l’argent des industriels pour financer des recherches sur des sujets d’intérêt public ? Les sujets seraient déterminés par une commission indépendante qui pourrait gérer ce fonds sur lequel les industriels n’auraient aucun droit de regard. Un tel fonds pourrait bien entendu être mis en place dans tous les domaines, y compris les OGM, pesticides, les médicaments…
Prenons les industriels au mot, puisqu’ils disent financer les recherches par philanthropie, par souci de l’avancement des connaissances et de la santé. C’est ce que je répète sans cesse ; je le disais en commentant un article suisse traduit sur Pharmacritique qui faisait cette proposition dans le domaine de la recherche pharmaceutique; je l’ai redit en 2010 lors du colloque au Parlement européen où il était question aussi d’OGM, puis à chaque fois que l’on m’a demandé comment résoudre le problème de l’insuffisance des fonds publics, si l’on rejette l’argent des industriels. Mais il ne s’agit pas de le rejeter, il s’agit de l’utiliser en supprimant tout risque de collusion et de conflits d’intérêts.
Un tel fonds permet le financement – par l’argent des opérateurs téléphoniques – d’études sur la nocivité ou non d’ondes élécromagnétiques, pour la confirmer ou l’infirmer par des données scientifiques contrôlées, vérifiables et reproductibles. C’est ainsi que pourraient être financées des recherches nécessaires pour valider ou invalider certaines alertes portées par des lanceurs d’alerte, par exemple sur les perturbateurs endocriniens, les pesticides, les polluants textiles et autres toxiques environnementaux.
Un tel fonds anonyme permettrait de financer une unité de pharmacologie clinique auprès de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament), qui vérifierait les résultats des RCT (études randomisées contrôlées en double aveugle) et d’autres données contenus dans les demandes de mise sur le marché de tel médicament ou dispositif médical.
Le financement n’est pas un problème, si l’on veut trouver une solution, si l’on veut changer en profondeur un système qui est structurellement fait pour les affaires, pour être instrumentalisé par les industriels et maximiser le profit.
« L’essentiel, c’est la santé » – c’est la devise de Sanofi que je rappelais lors du débat avec Renaud Lambert (voir ici). Il faut juste savoir quelle santé est primordiale, la nôtre ou la santé financière des multinationales ? Tout dépend de la réponse à cette question. Réponse sur laquelle nous pouvons agir, d’abord par une prise de conscience, par un effort de recul critique et de recherche d’une information indépendante, qui permettra à chacun(e) de trouver une forme d’action appropriée.
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Une vie de cobaye: consommateur dans un monde administré, où cadres administratifs et technosciences fusionnent et prédéterminent tous les aspects de nos vies
A une échelle différente et toutes spécificités gardées, cela devient de plus en plus comparable aux cages des cobayes de laboratoires, dont la vie est elle aussi rythmée par des interventions technoscientifiques…
Cessons d’être victimes ! Cessons de nous laisser gaver – au sens propre du mot, avec les aliments OGM… – et guider par ce que d’autres pensent pour nous et à notre place ! Autrement, nous deviendrons tous semblables à ces pauvres rats, tous cobayes d’un produit ou d’un autre, d’un système de pensée qui idolâtre la science et ses sous-produits : ces technosciences qui mettent notre vie en coupe réglée.
La médicalisation, tout comme nos habitudes alimentaires façonnées par les industriels et tout comme les autres formes industrialisées, administrées, pré-déterminées, de notre mode de vie, est l’un des symptômes de notre acceptation du scientisme et de tout ce qu’il implique : tout problème relèverait d’une ou plusieurs technosciences et pourrait être résolu par elles.
C’est un système de pensée qui emprisonne notre conscience et fait passer le narcissisme humain tel qu’il s’incarne dans le complexe démiurgique technoscientifique avant l’idée d’humanité, cette tâche infinie, cette idée régulatrice que tentaient de circonscrire des principes dénigrés par les adeptes et les profiteurs du tout technique, de cette nouvelle scolastique scientiste à laquelle nous avons permis d’avoir une emprise totale sur nos vies, sur l’humanité, sur la nature. Au point de breveter le vivant, au point d’assister non plus seulement à la réduction de la biodiversité, mais à la réduction de la diversité humaine, à commencer par la réduction de la psychodiversité (à travers la normalisation, l’uniformisation, l’extirpation de la différence et grâce aux moyens fournis par les technosciences sur la base des théories scientistes qui ont donné un rôle de régulation et de contrôle social à des disciplines telles que la médecine, la génétique, les applications de la biologie moléculaire, etc.).
Consommateurs des mêmes produits, matériels et immatériels, de l’industrie alimentaire à l’industrie de la culture produisant des loisirs passifs qui prennent notre « temps de cerveau disponible », nous sommes soumis, de par les cadres technoscientifiques et administratifs qui régissent notre existence de la naissance jusqu’à la mort, aux mêmes normes industrielles – car grâce à l’industrie, les normes scientistes s’appliquent à une échelle mondiale – qui deviennent des normes sociales.
Le résultat n’est plus juste une représentation du temps jadis, fait par un critique nostalgique. Non, il devient désormais visible. Car nous sommes de plus en plus uniformisés, standardisés, « normalisés », mis au pas… Nous devrions avoir tous le même taux de cholestérol, la même pression artérielle, la même glycémie, la même densité osseuse, la même apparence et corpulence, le même psychisme, etc., sous peine de rentrer dans l’une des cases du DSM (Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux) et des manuels de cette techno-médecine administrée, comme en témoignent les nombreux programmes de « prévention », au sens déformé du terme, de même que le paiement à la performance (P4P), qui prévoit que l’on nous soigne comme le bétail : par tranche d’âge et par pathologie.
Nous devenons potentiellement interchangeables, et c’est exactement ce qu’il faut à un néolibéralisme qui prédétermine nos vies en deux tranches : force de travail et entretien de la force de travail (toujours par des moyens mercantiles et profitables à des industriels de tout poil, puisque nous sommes consommateurs, y compris de loisirs passifs qui nous « distraient », nous « divertissent » et nous « entretiennent » (entertainment) pour garantir le sommeil de notre conscience. L’on voit à quel point le système néolibéral n’a plus besoin de coercition, au sens de l’application d’une violence tangible.
Non, c’est la « violence douce » (Pierre Bourdieu) qui a cours, par des moyens technologiques fusionnés avec les cadres administratifs de notre existence, et ces moyens non seulement ne sont pas dénoncés ou rejetés, mais sont explicitement considérés comme un progrès éthique et réclamés comme un droit et comme le support de l’exercice d’une liberté individuelle. Pensons à ceux qui réclament une « correction » médico-pharmacologique, parce qu’il est socialement dévalorisant de se dire marginal, différent, inadapté (au marché du travail, etc.), mais il est socialement accepté de se dire malade et d’entrer dans un rôle où il suffit d’être passif et d’obéir, laissant les moyens technoscientifiques prescrits faire leur œuvre. N’est-on pas tout autant cobaye que les rats de l’étude de Gilles-Eric Séralini ?
Tout critique – et même tout être humain différent – est susceptible d’être taxé de malade, surtout de malade mental, puisque la désobéissance, la rébellion, l’humeur inadéquate,… sont des troubles catalogués dans le DSM et amenant à la consommation de moyens de correction pharmacologique. Les industriels créent les problèmes et offrent des pseudo-solutions, toujours consuméristes et restant toujours dans l’enclos qu’ils ont dessiné pour nous. Il en va de même pour les consommateurs d’idéologies alternatives, qui pensent être hors système, voire contre le système, en allant voir des homéopathes et autres méthodes et médecines douces… Mais le système de pensée est le même. C’est le génie du néolibéralisme que d’avoir dessiné un enclos dans lequel peuvent s’épancher les pseudo-critiques, tant qu’ils ne sortent pas des limites. Quel alibi parfait pour un système qui encadre – et donc régit et contrôle – même les critiques qui le visent !
Le système des technosciences et leurs produits – des OGM insuffisamment testés aux nanoparticules pour lesquelles les décisions d’investissement ont été prises avant le pseudo-débat citoyen, puis aux médicaments inutiles par milliers – tout cela forme une tumeur aux excroissances totalisantes et totalitaires. Un totalitarisme qui est d’autant plus efficace qu’il est doux, mou et quasiment invisible.
Elena Pasca
Quelle bouillie.
En attendant, Séralini est une ordure qui torture les rats.
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