Par le Dr Bernard DUPERRAY
(DPI / présentation de l’auteur en fin d’article)
Le cancer du sein fait l’objet depuis plus de vingt ans d’un dépistage mammographique individuel ou de masse organisé, associé à une énorme propagande purement démagogique, qui vante ses effets bénéfiques et occulte ses effets délétères.
Le cancer du sein reste encore en 2012 un problème majeur de santé publique, le cancer le plus meurtrier chez les femmes. Il n’a pas été observé de baisse significative de la mortalité par cancer du sein. Là où cette baisse s’amorce, elle est retrouvée de façon identique chez les femmes dépistées et non dépistées. (1)
La France, où l’on fait proportionnellement 4 fois plus de mammographies qu’en Angleterre, obtient un résultat sur la baisse de mortalité par cancer du sein bien moins bon et l’un des plus mauvais avec la Suède en Europe occidentale.
Le recul de la mortalité par cancer du sein est beaucoup moins marqué que le recul global de mortalité toutes causes confondues dans la population générale, en dépit du fait qu’on en a fait une priorité avec le dépistage et qu’on lui a consacré plus de moyens qu’à d’autres pathologies. (2)
Il est par ailleurs remarquable que, même dans les pays où le dépistage est réalisé depuis longtemps, on n’observe pas de recul des formes avancées de cancer du sein. (3) Contrairement à ce qui est souvent affirmé, le nombre de mastectomies totales continue d’augmenter, et plus encore chez les femmes dépistées. (4-6)

Un bref rappel historique montre que l’on n’a pas tiré les leçons des erreurs pourtant patentes :
En France, au Congrès de la Société Française de Sénologie à Tours, en 1987, un modèle a été établi sur la base du schéma Halstedien de l’histoire naturelle du cancer du sein. On peut le résumer ainsi :
Le temps moyen de “doublement” de la taille tumorale serait d’environ 100 jours, ce qui signifie qu’il faudrait 7 à 8 ans pour passer de la première cellule maligne à une tumeur de 5 mm (20 duplications), 10 ans pour que la tumeur soit palpable. La mammographie précèderait donc la clinique de 2 à 3 ans.
- Selon cette hypothèse, une lésion de petit volume signifierait une lésion diagnostiquée “ précocement ”.
- Petit et précoce seraient synonymes de curable.
- La progression de la maladie serait inéluctable et linéaire dans le temps, et elle se déroulerait mécaniquement comme suit :
Cellule atypique > Carcinome in situ > cancer invasif > Métastases > Décès par cancer.
En conséquence, selon cette théorie, tout retard au diagnostic serait une perte de chances pour la patiente.
Par ailleurs, deux expériences randomisées sont censées avoir prouvé l’efficacité de la mammographie dans le diagnostic “ précoce ” du cancer du sein.
Health Insurance Plan à New-York, 1963, et Les Deux Comtés en Suède, 1985, 1997.
Leurs résultats publiés ont été identiques :
Baisse de la mortalité de 30% dans les groupes dépistés par rapport aux groupes témoins chez les femmes de plus de 50 ans. (7)
Tous les ingrédients pour justifier le dépistage de masse paraissaient donc réunis. On a postulé alors qu’avec la mammographie réduite à un test (un seul cliché en oblique externe) on aurait un bon test de dépistage, avec une bonne sensibilité et une bonne spécificité associées à une bonne valeur prédictive positive. L’objectif du test était de faire un tri dans une population à priori bien portante : entre d’une part les femmes présentant une anomalie – qui ne voulait pas dire automatiquement cancer, mais qui nécessitait la poursuite des examens en vue d’établir secondairement un diagnostic précis -, et d’autre part les femmes sans anomalie, pour lesquelles les investigations diagnostiques complémentaires étaient inutiles.
Malheureusement, ce bel échafaudage théorique s’est révélé complètement faux.
Il s’est construit
– contre l’évidence clinique :
En effet, chacun peut constater que :
Un petit cancer ne signifie pas un diagnostic précoce. Il peut rester de petite taille sans évoluer pendant des années.
Un volumineux cancer n’exclut pas un diagnostic précoce.
Petit ne signifie pas obligatoirement de bon pronostic. Il est des cancers métastasés que l’on ne retrouve pas à la mammographie.
L’évolution de la maladie n’est ni inéluctable, ni linéaire dans le temps.
En 40 ans, le délai entre deux dépistages n’a cessé de diminuer : de 5 ans à 3 ans, puis 2 ans en France et 1 an aux Etats-Unis. Et, même avec un dépistage annuel, 25 % des cancers diagnostiqués restent des cancers de l’intervalle.
– contre une évidence technique :
On ne disposait pas d’un bon test de dépistage. Le cliché anonyme unique sur chaque sein en oblique externe n’était ni suffisamment sensible, ni suffisamment spécifique, et sa valeur prédictive positive s’est rapidement révélée désastreuse. Par ailleurs, en l’absence d’examen clinique, la mammographie perd tout son crédit et méconnaît les cancers sans traduction radiologique. En effet, de volumineux cancers palpables peuvent rester sans traduction radiologique, en particulier en l’absence de stroma (réaction fibreuse de l’hôte).
Devant l’insuffisance et l’échec du test de dépistage, on a prétendu l’améliorer en lui substituant la mammographie de diagnostic personnalisée. Or, test de dépistage par un cliché et mammographie de diagnostic n’ont rien à voir, tant sur le plan technique que dans leur finalité. Le but désormais assigné au dépistage organisé était de réaliser un diagnostic d’emblée pour chaque femme participante. La confusion était totale entre médecine de population et médecine d’individu. Cela a mené à des complications prévisibles telles que le surdiagnostic, dont l’importance et l’étendue n’étaient pas soupçonnées.
Ce qui primait n’était plus l’obligation de résultat sur la baisse de mortalité par cancer du sein – postulée acquise grâce à l’existence du dépistage, malgré l’absence de vérification suffisante -, mais essentiellement le contrôle de qualité des examens réalisés dans le cadre du dépistage. On a abandonné le fond pour la forme. Le système s’est autonomisé, travaillant pour lui-même, comme si le dépistage était une fin en soi.
Or, plus la technique se perfectionne, plus on découvre de lésions, mais sans savoir apprécier leur potentiel évolutif. En conséquence, plus on est efficace dans la découverte, plus on crée de surdiagnostic, ce qui explique l’inefficacité du dépistage sur la mortalité par cancer du sein. Dans les conditions actuelles, plus on l’améliore, plus le dépistage devient pervers dans ses conséquences.
La classification BIRADS (Breast Imaging Reporting and Data System) de “ l’ American College of Radiology ” (ACR), finalisée par l’ANAES en 1998, s’est révélée irréaliste et rigide, donnant l’illusion d’une systématisation possible de l’interprétation, allant de la description à une conduite à tenir. Elle a eu pour effet, devant le manque de spécificité de la mammographie, de favoriser le classement en ACR 4 avec pour conséquence la multiplication des biopsies.
– contre les constatations contradictoires des études contrôlées qui ont été rapidement remises en question :
1) Dès 1994, certains s’interrogeaient déjà sur la pertinence du dépistage de masse du cancer du sein : (8) (9). En 1997, le professeur Paul Schaffer, épidémiologiste à la faculté de médecine de Strasbourg, impliqué dans le dépistage pilote du Bas Rhin, mettait en garde dans un texte paru dans le bulletin de l’ordre des médecins N°2, février 1997, sous le titre « Campagnes de dépistage des tumeurs : la prudence s’impose ».
En effet, les résultats obtenus ont été identiques avec des méthodologies radicalement différentes :
Etude HIP à New York :
- Examen clinique, mammographie avec 2 clichés par sein ;
- Rythme annuel de la mammographie;
- Films considérés aujourd’hui comme ininterprétables ;
- 80 % des tumeurs détectées étaient palpables.
Etude Les Deux Comtés (7):
- Pas d’examen clinique, mammographie avec une seule incidence par sein ;
- Intervalle de trois ans entre chaque examen ;
- Surmortalité toutes causes confondues dans le groupe dépisté.
2) La majorité des études ultérieures ne cesse de venir confirmer les premières remises en question des résultats publiés par Laszlo Tabar pour les Deux comtés suédois et le HIP.
En 2000, COCHRANE GROUPE : OLSEN 0 (10):
Les résultats interprétés après avoir tenu compte de la méthode de tirage au sort,
de la comparabilité des groupes, des exclusions en cours d’étude après randomisation,
du biais de classification des causes de décès en faveur des groupes dépistés, ne permettent pas d’affirmer qu’il existerait une preuve sûre que le dépistage du cancer du sein diminue la mortalité. (2001) (10)
résultats des 3 essais contrôlés les plus fiables :
Malmö : n = 42283 ; Canada I : n= 50430 ; Canada II (réf = palpation) : n= 39405
Décès par cancer du sein selon que le groupe
est invité ou non au dépistage par mammographie après 7 ans
Etude et référence Invitation à une mammographie
oui non
Malmö [Andersson I, BMJ 1988] 44 38
Canada I [Miller AB, CMAJ 1992] 38* 28
Canada II [Miller AB, CMAJ 1992] 38 39
Total, 7 ans 120 105
Soit 15 décès par cancer du sein de plus dans le groupe dépisté.
* Un audit a confirmé ces résultats : pas de biais [Bailar JC CMAJ 1997]
3) Les travaux plus récents de Welch, Zahl, Junod, Jorgensen, Autier, etc., les études en population au Danemark et en Norvège accumulent les preuves et confirment la validité des travaux de la Cochrane et de Prescrire.
La polémique sur des méta-analyses contradictoires est aujourd’hui devenue stérile. Les tentatives dilatoires de Stephen Duffy (11) ne changent rien aux faits établis et à la réalité.
Duffy noie le poisson du surdiagnostic en postulant une avance au diagnostic très exagérée. Ce temps de devancement n’intervient que pour expliquer le surplus de diagnostics lors de l’introduction du dépistage. Les études de suivi de cohortes à long terme et les études en population sur plusieurs décennies – où le temps de devancement n’a pratiquement plus d’effet sur l’incidence observée – montrent l’importance du surdiagnostic.
Il n’y a aucune preuve permettant d’affirmer que le dépistage soit à l’origine d’une baisse significative de la mortalité par cancer du sein.
Un rapport bénéfices/risques défavorable au dépistage
Les preuves s’accumulent toujours plus pour indiquer que le rapport bénéfices/risques du dépistage du cancer du sein est défavorable aux femmes qui l’ont suivi, avec des effets pervers majeurs (surdiagnostic, surtraitement, irradiations intempestives, vies détruites inutilement, angoisse généralisée, désinformation tant au niveau médical que dans la population).
Toutefois, le dépistage a été involontairement l’outil permettant à l’épidémiologiste perspicace de mettre en évidence ce dont personne ne prévoyait l’importance : le surdiagnostic.
Le surdiagnostic
Sa définition est purement épidémiologique :
Le surdiagnostic est le diagnostic histologique d’une “maladie” qui, si elle était restée inconnue, n’aurait jamais entraîné d’inconvénients durant la vie de la patiente.
Dans le contexte de nos connaissances actuelles, ce n’est pas une erreur de diagnostic, c’est un diagnostic correct, mais sans utilité pour la patiente.
Le cancer surdiagnostiqué est un vrai cancer au regard de la définition officielle du cancer, qui est basée uniquement sur l’histologie. Mais son évolution est atypique ou occulte par rapport au schéma attendu de l’histoire naturelle du cancer du sein, schéma qui s’est révélée faux, non validé par les faits.
Pour les cliniciens – chirurgiens, oncologues, radiologues, … – mais aussi pour les anatomopathologistes et les patientes, le surdiagnostic n’est pas perceptible ; pour eux, il n’y a que des diagnostics.
Sa réalité est mise en lumière uniquement par l’épidémiologie, en comparant des populations soumises à un dépistage d’intensité variable.
Le surdiagnostic des cancers du sein est encore largement minimisé, mais ne peut plus aujourd’hui être contesté. C’est un phénomène massif, catalysé par le dépistage systématique organisé. (12)
Certains disent, malgré tout : peu importe le surdiagnostic, puisque l’on observe actuellement une baisse de mortalité par cancer du sein. Ils lient cette baisse au dépistage. Rien n’est plus faux, car cette baisse est retrouvée de façon identique chez les femmes dépistées et non dépistées. (1)
Le surdiagnostic est la conséquence la plus perverse du dépistage.
Il explique les contradictions entre le succès apparent du dépistage et des traitements, d’une part, et l’absence de réduction significative de mortalité en population, d’autre part.
Le surdiagnostic est un produit direct de l’activité humaine. (13)
Néanmoins, le dépistage a le mérite d’avoir démontré bien involontairement que le modèle Halstedien d’une histoire naturelle linéaire de la maladie sur lequel il s’est appuyé, est erroné.
Deux questions se posent :
A partir de quand est-on malade ?
Qu’est–ce qu’un cancer ? Une maladie mortelle qui finit par tout envahir ? Ou bien une anomalie histologique repérée au microscope à un moment T, sans pouvoir préjuger de son devenir ?
Le premier pas pour sortir de ce bourbier qui détruit des vies consiste à revenir aux faits observés et à en tirer toutes les conséquences :
- le dépistage n’a pas provoqué de baisse sensible de mortalité (14)
- le dépistage n’a pas permis de faire reculer le nombre de formes avancées de cancer du sein (3)
- l’escalade thérapeutique pour les cancers in situ et la désescalade thérapeutique (Halsted, Patay, tumorectomie, curage, ganglion sentinelle) pour les cancers invasifs sont des manifestations désordonnées de notre ignorance et de notre désarroi devant ce fléau qu’on ne maîtrise pas et pour lequel on s’est fourvoyé avec l’espoir d’une amélioration liée au dépistage.
- l’incidence du cancer du sein chez des femmes non symptomatiques est considérablement plus élevée que prévue. (15)
- l’histologie est insuffisante pour caractériser la maladie cancéreuse létale.
- le cancer histologique n’est pas obligatoirement le cancer maladie.
- c’est toute l’histoire naturelle du cancer du sein qui doit être revisitée.
- certains cancers du sein régressent spontanément. (16)
- l’inefficacité du dépistage montre clairement qu’un retard de diagnostic chez une femme asymptomatique est sans conséquence ; il ne constitue pas une perte de chances, bien au contraire.
- la lutte contre le surdiagnostic doit être une priorité, et elle passe par une information complète donnée aux femmes à qui l’on propose le dépistage de même qu’au corps médical dans son ensemble.
Je tiens à remercier vivement Elena Pasca pour son aide précieuse qui m’a permis de rendre ce texte plus clair.
Notes et références
- Autier P, Boniol M, Gavin A, Vatten LJ. Breast cancer mortality in neighbouring European countries with different levels of screening but similar access to treatment : trend analysis of WHO mortality database : BMJ 2011 ; 343: d4411.
- Bernard Duperray, « Dépistage du Cancer : le modèle de prévention contredit par les faits » : http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/media/00/01/654450722.pdf ou http://www.sftg.net/documents%20PDF/Junod%20B..pdf
- Nederend J, Duijm LEM, Voogd AC ; Groenewoud JH ; Jansen FH, Louwman MWJ. Trends in incidence and detection of advanced breast cancer at biennial screening mammography in The Netherland : a population based study. Breast Cancer Res. 2012,14:R10
- Surhke P, Maehlen J, Schlichting E, Jorgensen KJ, Gotzsche PC, Zahl PH. Mammography screening and surgical breast cancer treatment in Norway : comparative analysis of cancer registry data. BMJ 2011,343: d4692
- McGuire KP, Santillan AA, Kaur P, Made T, Parbhoo J, Mathias M, et al. Are mastectomies on the rise ? A 13 year trend analysis of the selection of mastectomy versus breast conservation therapy in 5865 patients. Ann Surg Oncol 2009;16:2682-90.
- Walsh PM, McCarron P, Middleton PJ, Comber H, Gavin AT, Murrqy L. Influence of mammographic screening on trends in breast-conserving surgery in Ireland. Eur J Cancer Prev 2006 ; 15 :138-148.
- Tabar L, Fagerberg CJ, Gad A, Baldetorp L, Holmberg LH, Grontoft O, Ljugquist U, Ludstrom B, Manson JC, Eklund G, et al. Reduction in mortality from breast cancer after mass screening with mammography. Randomised trial from the Breast Cancer Screening Working Group of the Swedish National Board of Health and Welfare. Lancet. 1985 Apr 13;1(8433):829-32.
- Oeuvre généreuse et salvatrice ou idéologie sanitaire à l’éthique perverse : le dépistage de masse du cancer du sein est-il utile aux femmes ? Dilhuydy M H, Avignon, Clinique Sainte Catherine ; 8-9 juillet 1994.
- Duperray B, Devulder G, Duperray L, Monnier-Cholley L. Que penser du dépistage de masse du cancer du sein ? Gynécologie internationale, Tome 4, Nov 1995, 331-338.
- Olsen O, Gotzsche PC. Cochrane Database Syst Rev. 2001;(4) : CD001877. Review. Update in Cochrane Database Ss Rev. 2006;(4) :CD001877.
- Puliti D, Duffy SW Miccinesi G, de Koning H, Lynge E, Zappa M, Paci E. Euroscreen Working group. J Med Screen. 2012 ;19 Suppl 1:42-56.
- Jorgensen K.J et all : Overdiagnosis in publicly organised mammography screening programmes : systematic review of incidences trends. BMJ,339 : b 25 87 510-07-09)
- Elena Pasca, « Dépistage du cancer du sein par mammographie: une construction sociale érigée en science », Pharmacritique https://pharmacritique.com/2012/10/19/depistage-du-cancer-du-sein-par-mammographie-une-construction-sociale-erigee-en-science-un-marche-infini-et-texte-du-nordic-cochrane-centre/
- Bleyer A, Welch HG. Effect of three decades of screening mammography on breast-cancer incidence. N Engl J Med. 2012 Nov 22 ;367(21) :1998-2005. Doi :10.1056/NEJMoa1206809.
- Nielsen M, Thomsen JL, Primdahl S, Dyreborg U, Andersen JA. Breast cancer and atypia among young and middle-aged zomen : A study of 110 medicolegal autopsies. Br J Cancer 1987;56 :814-819
- Zahl PH, Maehlen J, Welch HG. The natural history of invasive breast cancers detected by screening mammography. Arch Intern Med. 2008;168(21):2311-6.
Déclaration publique d’intérêts de Bernard DUPERRAY
Radiologue, je fais de la sénologie depuis 1971 et uniquement de la sénologie depuis 1980. J’ai exercé conjointement en milieu hospitalier et dans le privé jusqu’en 2000, puis exclusivement à l’hôpital Saint Antoine à Paris.
J’ai été président du comité scientifique et secrétaire adjoint de l’ADECASO (Association pour le Dépistage des Cancers dans l’Oise) lors de la mise en place du dépistage organisé dans l’Oise, en 1993. J’ai accepté de participer à cette activité, qui au début se voulait une activité d’évaluation et de recherche.
Les doutes que j’avais dès le début des années 80 sur son efficacité, aussi bien sur le plan technique que théorique, n’étaient basés que sur une expérience clinique; une évaluation épidémiologique était indispensable. Dès 1995, l’échec du dépistage était patent; pourtant, il a été généralisé sans travail d’évaluation préalable.
Le mérite du dépistage organisé est d’avoir démontré, involontairement, que l’histoire naturelle de la maladie cancéreuse sur laquelle il s’appuie, est erronée, car elle n’est ni progressive, ni linéaire, et le temps de latence entre l’image et la clinique est extrêmement variable; le surdiagnostic est inévitable.
J’ai donc démissionné de toutes mes fonctions à l’ADECASO en septembre 1995, (extrait de la lettre de démission : « Les femmes n’ont actuellement aucune garantie que le système soit efficace, pire, que les effets pervers ne soient supérieurs aux bénéfices… »). J’ai arrêté mon activité privée et refusé ensuite de participer au dépistage.
Je déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt avec la question du dépistage organisé et du surdiagnostic.
Bernard Duperray, Juillet 2012
***
POST SCRIPTUM par Elena Pasca / Pharmacritique
La photo est extraite du site canadien La Presse.ca, où elle illustre un article paru le 22/11/2012 sous le titre « Cancer du sein: un million d’Américaines traitées inutilement« ; il rend compte d’une nouvelle étude de Gilbert Welch et al, qui remet elle aussi en question l’utilité du dépistage organisé, massif et systématique du cancer du sein. Voici quelques extraits:
(…) « Les mammographies de routine ont conduit plus d’un million de femmes aux États-Unis à être traitées inutilement contre un cancer du sein depuis 30 ans, alors que les tumeurs n’auraient pas atteint de stade avancé, selon une nouvelle étude américaine.
Ces résultats, publiés dans le New England Journal of Medicine (NEJM) du 22 novembre, jettent un nouveau doute sur l’efficacité de cet examen encouragé, mais déjà objet de controverses.
« Nous avons conclu que les mammographies ont détecté des tumeurs qui ne se seraient jamais développées pour provoquer des symptômes cliniques chez 1,3 million de femmes lors des trente dernières années », concluent les auteurs de l’étude, Gilbert Welch de la faculté de médecine de Dartmouth au New Hampshire et Archie Bleyer de l’Université des sciences d’Oregon.
Les traitements subis par les femmes sont souvent des interventions médicales lourdes – chirurgie, traitement radiologique, thérapie hormonale et chimiothérapie – qu’il est préférable d’éviter si ce n’est pas indispensable, soulignent-ils.
Les chercheurs ont analysé des données épidémiologiques pour déterminer la fréquence des tumeurs du sein découvertes précocement, et les cancers diagnostiqués à un stade avancé chez des femmes de 40 ans et au-delà entre 1976 et 2008.
Depuis le recours systématique à la mammographie aux États-Unis, le nombre de détections de cancers précoces du sein a doublé, mais le taux de femmes diagnostiquées d’un cancer avancé a baissé de seulement 8 %.
Selon les chercheurs, les mammographies n’ont donc pas permis de détecter efficacement les cancers avancés, mais ont parallèlement conduit à des diagnostics excessifs, 31 % en 2008, soit 70 000 femmes.
Ils concluent également que la forte baisse de la mortalité résultant du cancer du sein s’explique surtout par l’amélioration des traitements plutôt que par la détection précoce des tumeurs avec les mammographies.
Cette recherche s’ajoute à d’autres travaux publiés ces dernières années qui remettent en question l’utilité des mammographies de contrôle.
Une étude jugée importante menée en Norvège a montré que des mammographies régulières réduisaient le risque de mortalité par cancer du sein de moins de 10 %.
Une autre recherche a conclu que les mammographies n’avaient aucun effet sur la mortalité en comparant des pays en Europe où cet examen est devenu une routine dans les années 1990 à ceux qui l’ont généralisé dans les années 2000. (…) »
Deuxième édition du colloque de Bobigny sur la surmédicalisation – retenez la date
Pour en savoir plus, voir aussi les autres textes sur Pharmacritique, reprenant l’analyse critique du Nordic Cochrane Centre, donnant la parole au Pr Fernand Turcotte et au Pr Pierre Biron, critiquant l’abus de prévention, l’industrie du cancer, le dépistage organisé de certaines pathologies (dont certains cancers), dans un contexte plus global de la surmédicalisation, qui rend tout cela possible. Pire, le système de santé et de soins est structurellement organisé de façon à pousser à la surmédicalisation au quotidien, avec les conséquences inévitables que sont les surdiagnostics et les surtraitements.
« Surmédicalisation, surdiagnostics, surtraitements » – c’est le titre du colloque organisé par le groupe de réflexion Princeps, dont je fais partie, le 27 et 28 avril 2012 à la Faculté de médecine de Bobigny. C’est lors de ce colloque que Bernard Duperray a fait son exposé cité dans la note N° 2: Dépistage du Cancer : le modèle de prévention contredit par les faits », dont le fichier powerpoint est accessible sur cette page.
Voici le communiqué de presse, publié par Princeps après le colloque, qui résume l’état actuel d’un système déformé de part en part par les dérives d’une médecine préventive, prescriptive (au sens éthique) et prédictive). Les actes du colloque sont accessibles à partir de cette page, atelier par atelier.
La deuxième édition du colloque « Surmédicalisation, surdiagnostics, surtraitements » sera organisé par le groupe Princeps les 3 et 4 mai 2013, toujours à la Faculté de médecine de Bobigny. Je posterai dans quelques jours l’appel à contribution et le pré-programme.
Elena Pasca
Soeur et fille de deux femmes qui ont eu des cancers du sein, je suis dite « à risque » et incitée à faire pratiquer une mammographie annuelle.
Je dois avouer que depuis plusieurs mois, interpellée par cette notion de surdiagnostic, je repousse ma prochaine mammographie…
Je ne vous demanderais pas de conseil, vous ne m’en donneriez pas, mais Dieu que tout ceci est déstabilisant.
En attendant, je subis aussi tous les désagréments de la ménopause faute de THS possible.
Vivement le cap des 65 ans (au delà duquel mon espérance de vie a des chances d’atteindre les 20 ans ;o))
Merci cependant de votre liberté de ton !
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Un adage dit que la peur du mal fait plus de mal que le mal, il me semble qu’il n’est pas suffisamment répété, car chaque fois que je parle dépistage du cancer du sein ou lorsque je fais suivre une information, tel que je vais le faire pour celle-ci, je m’entends inlassablement répondre « j’ai trop peur, je préfère aller faire mon dépistage ! »
Les médecins généralistes doivent informer leurs patientes, cela fait partie de leur travail, car rares sont les radiologues qui refusent de faire le dépistage.
Quant à moi, j’empile les courriers de « Rendez-vous santé + », qui ne manque pas de me relancer régulièrement vue mon absence de réponse. J’espère qu’il ne va pas en faire un cancer, mais il pourrait faire l’économie de timbres, d’enveloppes et de papier.
Merci de votre honnêteté Docteur, et merci à Elena de vous avoir laissé la plume.
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Superbe article. A 54 ans ménopausée, comme une fleur et sans aucun symptôme, je ne suis jamais allée faire une mammographie malgré les relances de ma sécu et de ma gynéco. Et ce n’est pas cet article qui va me faire courir chez le radiologue. J’approuve à 100 % ! Que les inquiètes le fassent et qu’elles en assument les conséquences. Je me contente d’un auto examen régulier et ça me suffit.
Encore merci pour toutes ces infos et ces chiffres.
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Merci pour cet article complet.
Je me sens toujours très seule, entourée d’amies diagnostiquées cancéreuses dont les vies ont été anéanties …
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Merci pour cet article des plus complets. Y-a-t-il alors une alternative fiable et non invasive pour le dépistage? L’échographie, qui sert à « confirmer un diagnostic » après une mammographie, est-elle suffisante seule ? Que penser de la scintigraphie (radioactive..) ou des marqueurs ?
Je rédige un article scientifique dans le cadre de mes études concernant le lobby pharmaceutique, ses dérives. Je suis ouverte à tout échange que je pourrais citer à l’écrit !
Merci pour l’existence de Pharmacritique que je viens de découvrir.
Bien à vous
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