L’Express: conflits d’intérêts et corruption des médecins par le lobby pharmaceutique, qui contrôle l’information sur les médicaments

L’Express d’hier (3 juin) a publié sur son site un dossier qui fait la une cette semaine : « Tout ce que l’on ne vous dit pas sur les médicaments« . Il contient des extraits du livre du Dr Sauveur Boukris intitulé « Ces médicaments qui nous rendent malades » (Le Cherche Midi), à paraître aujourd’hui.

Sont abordés entre autres : « les effets secondaires gravissimes de médicaments consommés couramment; l’ignorance crasse de médecins formés, le plus souvent, à la seule école de l’industrie pharmaceutique; l’invention de maladies imaginaires pour l’unique profit d’entreprises florissantes; la partialité des experts; le laxisme d’autorités sanitaires bienveillantes; la force d’un lobby mieux organisé que jamais… »

Mais le dossier aborde aussi les interactions médicamenteuses, le nombre colossal d’hospitalisations et de décès dus aux effets secondaires, l’absence d’innovation thérapeutique, les risques de l’automédication, « les médecins téléguidés » par les laboratoires par le biais des visiteurs médicaux et autres financements créant des conflits d’intérêts...

*

La préface du livre est signée par le Pr Philippe Even, et le dossier contient un entretien avec lui, intitulé « Certains représentants de l’Etat sont corrompus« .

C’est sur ce dossier que je voudrais mettre l’accent dans cette note, parce que je pense qu’il a raison en disant qu’en France, le véritable changement ne peut venir que des patients, d’une prise de conscience qui pourrait faire suite aux scandales provoqués par les effets secondaires des médicaments et qui les poussera à taper du poing sur la table.

Cela rejoint ce qui a été dit et redit dans les pages de Pharmacritique, y compris en réponse à certains médecins qui prétendent représenter tellement bien « l’intérêt de [notre] santé » que du coup nous n’aurions plus qu’à suivre, à diffuser ce qu’ils pensent, eux, pas à penser par nous-mêmes et à dire ce que nous pensons. C’est exactement ce que les médecins qui ont des conflits d’intérêts nous demandent de faire. Alors pourquoi troquer une dépendance contre une autre? Ne vaut-il pas mieux prendre en main nos propres intérêts, en toute indépendance? Ne faut-il pas demander à toutes les castes médicales de mettre fin à ce paternalisme et à cette arrogance qui sous-tendent l’idée que nous serions incapables d’apprendre à penser par nous-mêmes s’agissant de notre santé ? Travaillons ensemble avec ceux qui veulent faire changer le statu quo, mais dans le respect mutuel et à pied d’égalité, pas dans cette même relation asymétrique de pouvoir qui continue à déformer la plupart du temps la relation médecin – patient.

Prenons juste ce petit exemple: combien de fois des commentateurs sont venus dire directement – ou suggérer du moins – que je devrais me taire, puisque je ne suis pas médecin? Certains font semblant d’adoucir l’injonction en disant que le domaine de la santé est très compliqué même pour les professionnels eux-mêmes… Alors pour l’usagère lambda que je suis… Mais nous devons apprendre un certain nombre de choses qui nous permettent de sortir de cet « illétrisme médical et pharmacologique » (Jean-Claude St-Onge, voir cette note), pour ne plus être les dindons de quelque farce que ce soit.

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Voici l’entretien avec Philippe EVEN réalisé par Julie Joly et Estelle Saget. Mais il va sans dire que tout le dossier vaut le détour.

« Des médicaments bidon pour des maladies bidon »

« A 77 ans, le Pr Philippe Even -qui préface le livre choc du Dr Sauveur Boukris Ces médicaments qui nous rendent malades- continue à mener, en franc-tireur, son combat pour une médecine et des experts indépendants de l’industrie pharmaceutique. L’ancien doyen de la faculté de Paris-V explique ce qui peut changer la donne.

Allez-vous prêcher dans le désert encore longtemps?

Je ne mène pas de croisade contre les laboratoires pharmaceutiques. Comme mes confrères, j’ai vécu dans l’innocence jusqu’à être nommé, en 1981, membre de la commission chargée d’autoriser les nouveaux médicaments. Et là, je suis tombé des nues. Dans cette instance, la décision se prend sur la base d’un dossier préparé par l’industriel. Personne d’autre, autour de la table, n’a d’expérience quant au médicament proposé. Pouvez-vous imaginer un procès dans lequel on donnerait seulement la parole à la défense? Au cours des sept années passées dans cette instance, j’ai découvert l’ampleur des mensonges de l’industrie pharmaceutique. Les représentants de l’Etat s’en accommodent. Certains, parce qu’ils sont naïfs, comme je l’étais moi-même. D’autres, parce qu’ils ont mis le doigt dans l’engrenage. D’autres encore, parce qu’ils sont corrompus.

Rien n’a changé depuis?

Je m’inquiète de voir le lobby de l’industrie, le Leem, recruter comme directeur général Philippe Lamoureux, l’ancien secrétaire général de l’Agence du médicament au ministère de la Santé. Ce haut fonctionnaire connaît tous les rouages de l’administration, tous ses décisionnaires. Il a été recruté précisément pour cette raison. Mais personne ne s’en émeut.

Et les initiatives de l’assurance-maladie?

Soyons sérieux. L’industrie pharmaceutique dispose, en France, d’une armée de 25 000 visiteurs médicaux pour sillonner les cabinets de ville. De jeunes et jolies filles, pour la plupart. Comment l’assurance-maladie peut-elle espérer les contrer en envoyant sur le terrain un maigre bataillon de 2500 médecins-conseils, de vieux messieurs fatigués qui n’ont pas mis les pieds hors de leur bureau depuis des années? La seule solution, c’est de supprimer les visiteurs médicaux.

Selon vous, les mensonges continuent?

Regardez le Tamiflu, ce médicament présenté comme le remède en cas de pandémie de grippe. Ces comprimés ne servent à rien s’ils ne sont pas pris dès les premiers symptômes. Certes, ils raccourcissent la durée de la maladie. Mais personne ne sait, au final, s’ils réduisent la mortalité! Le gouvernement vante pourtant leur efficacité, parce qu’il n’a pas d’autre parade.

D’où attendre le changement, alors?

Peut-être des Etats-Unis. Là-bas aussi, des médecins en exercice touchent de l’argent des firmes pharmaceutiques, pour être leur consultant, par exemple, ou pour tester un nouveau traitement auprès de leurs patients. Quand ces mêmes praticiens siègent dans des commissions soi-disant indépendantes pour évaluer l’intérêt de tel ou tel médicament, cela crée des conflits d’intérêts. Mais l’équivalent américain de notre Académie de médecine, l’Institute of Medicine, vient de proposer une solution radicale. Il demande que les industriels de la santé communiquent la liste nominative des médecins payés pour leurs collaborations, ponctuelles ou régulières, avec les montants correspondants. Voilà un vrai gage de transparence.

La France pourrait-elle suivre?

Je ne vois pas l’Académie de médecine ni le conseil de l’ordre défendre de telles exigences. Le changement viendra des patients. Les accidents causés par les médicaments leur font plus peur qu’avant. Ils ne s’en laissent plus conter. »

*

Elena Pasca

8 réflexions au sujet de “L’Express: conflits d’intérêts et corruption des médecins par le lobby pharmaceutique, qui contrôle l’information sur les médicaments”

  1. Vous devriez être déclarés « site d’utilité publique », merci pour vos excellentes analyses, j’essaie de faire connaître « Pharmacritique » le plus largement possible.
    Cordialement.

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  2. Il a raison, il faut supprimer les visiteurs médicaux. Je ne vois plus de visiteurs depuis trois ans après avoir passé 5 ans à démonter leurs plaquettes débiles en leur montrant que ce n’est pas de la science mais du marketing. J’en ai eu assez. Les seuls que je vois c’est quand les internes les reçoivent et je prend un malin plaisir à expliquer à ces derniers comment ne pas se laisser influencer.

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  3. A Eva et Charlotte
    Merci beaucoup pour ces remarques très sympathiques!
    Bonne continuation à vous!
    Cordialement,
    (La principale grande gueule de) Pharmacritique ;-))
    Façon de répondre à la question d’Eva: oui, je suis une femme, moi aussi ;-))

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  4. Ce ne sont pas les Visiteurs médicaux après lesquels il faut « gueuler » comme le suggère un confrère sans doute mal informé, mais après ceux qui dirigent les laboratoires, prévoient une politique de développement bête de marketing et REDIGENT les documents remis aux praticiens par les visiteurs qui font leur boulot comme d’autres (médecins entre autres).
    C’est en tant que médecin que je réagis. Alors, je dis au confrère qui jette injustement l’anathème, ne vous trompez pas de cible, ce sont LES DIRIGEANTS DES FIRMES QU’il FAUT INTERPELLER ET NON LES VISITEURS MEDICAUX.
    Quant à supprimer les visiteurs, sachez que dans certains projets gouvernementaux, il y a un dossier dangereux inspiré du Canada visant à réduire le médecin au simple rang de « conseiller », le « directeur de soins (l’infirmier chef brutalement bombardé ainsi et relais de la direction) ayant la charge de prescrire , la responsabilité demeurant au médecin (bizarre, aurait dit Jouvet).

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  5. Beau blog.
    Moi qui suis en construction d’un blog, puis d’un site sur une synthèse d’informations médicales indépendantes destinées aux professionnels de la santé, je ne manquerai pas de me référer sur certaines de vos interventions.
    Continuez dans cette direction.
    Cordialement

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  6. Je serais presque daccord sur dire que les délégués médicaux n’en peuvent rien et qu’il faut s’en prendre à leurs employeurs, toutefois, voyons, un article de mauvaise qualité se trouve chez un détaillant et la seule chose que l’on peut faire pour ne pas l’acheter c’est de ne pas aller chez ce détaillant. De même, si le délégué vient vous donner des cadeaux pour favoriser son entreprise, ce n’est pas honnête de les accepter. Ou alors, acceptons les mais ne prescrivons pas pour autant leurs « produits »

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