Le mardi 9 juin 2009 à 20 h 35 sera diffusé sur France 5 le documentaire « Les Médicamenteurs ». L’extrait est tiré de cette page de Télérama, où il accompagne la présentation de Samuel Gontier. « Cette enquête, conduite par Brigitte Rossigneux, journaliste au Canard enchaîné, et coréalisée par Stéphane Horel et Annick Redolfi, dévoile les secrets de l’industrie pharmaceutique en suivant les pérégrinations des médicaments, depuis leur conception jusqu’à leur exploitation commerciale. »
Lire aussi les commentaires de Pharmacritique, contenant des liens pour approfondir et/ou compléter les questions évoquées dans le documentaire.
On y aborde la prééminence absolue du marketing (voir cette note de Pharmacritique et celles-ci) et de la course aux profits. Rien d’autre ne compte : ni la santé des patients, ni l’innovation thérapeutique désormais quasi-inexistante, ni l’intégrité scientifique…
Le monde médico-pharmaceutique est une jungle où le plus fort domine, et où la force se conquiert d’abord par l’argent. La très grande majorité de ceux qui évoluent dans ce monde – médecins et leaders d’opinion, laboratoires, pharmaciens, associations de patients, sociétés savantes, chercheurs, hommes politiques servant de VRP – sont reliés par des liens plus ou moins visibles faits d’influences, de liens financiers et de tout autre moyen permettant d’augmenter les chiffres de vente et créant des conflits d’intérêts. Ces liens agissent comme une glue qui emprisonne les mouches sur les toiles d’araignées… Et souvent sans qu’elles s’en rendent compte, puisque les biais ne sont pas toujours explicits, surtout lorsque le ghost management des pharmas – gestion et contrôle invisibles de tout ce qui concerne l’information médicale et les médicaments, voir cette note – est à ce point-là omniprésent.
95% des médecins reçoivent toujours les visiteurs médicaux des laboratoires pharmaceutiques (pour comprendre l’impact de la visite médicale sur les prescriptions et les méthodes dont elle se sert pour influencer les professionnels de santé, voir ces notes de Pharmacritique). La formation médicale continue (voir ces notes) est financée en grande partie par l’industrie.
Bon nombre d’hommes politiques ont des conflits d’intérêts – des liens financiers et autres -, y compris au plus haut niveau de l’Etat. (Pour ce qui est des liens des Sarkozy (Nicolas Sarkozy mais aussi son frère, le Dr François Sarkozy) surtout avec Sanofi-Aventis, voir cette note et celle-ci. Le documentaire comprend d’ailleurs un extrait de la convention UMP de 2006, où Nicolas Sarkozy salue, dans son discours, la présence de Jean-François Dehecq entre autres par ces mots: « je peux dire que, dans l’aventure Sanofi-Aventis, on a travaillé main dans la main ». Et celui-ci répond en gros en demandant de plus gros efforts législatifs en faveur des intérêts économiques des laboratoires pharmaceutiques… Les hommes politiques sont contents d’aller inaugurer les usines et les filiales des laboratoires, mais, dit Dehecq s’adressant à Sarkozy et autres autres dirigeants de l’UMP, « j’aimerais que vous vous en souveniez quand vous faites les lois »… Voilà qui est très clair!
Pour un documentaire très explicite sur l’influence du lobby pharmaceutique (et des lobbies en général) sur les hommes politiques et sur nos lois, assorti d’extraits d’un article de Marie Bénilde sur le même thème, voir cette page).
Quant aux autorités sanitaires, non seulement elles ne jouent pas leur rôle de contrôle et de régulation, comme le montre très bien le documentaire, mais en plus elles font preuve d’une grande servilité, servent surtout les intérêts des laboratoires pharmaceutiques, que ce soit à l’échelon européen – voir les notes de Pharmacritique de la catégorie « Autorités d’in)sécurité sanitaire » – ou à l’échelon national. En France, notre AFSSAPS (agence du médicament) ou la HAS (Haute autorité sanitaire) fourmillent de conflits d’intérêts et donnent des autorisations de mise sur le marché à presque n’importe quoi, et peu importe si les nouveaux médicaments n’apportent rien par rapport aux anciens. Le documentaire donne l’exemple du Plavix (clopidogrel), antiagrégant plaquettaire qui n’a pas plus de bénéfice clinique que l’aspirine… Mais qui coûte 27 fois plus que celle-ci, et c’est pourquoi son producteur (Sanofi-Aventis) lui fait une publicité acharnée, quitte à recourir à des méthodes assez louches, comme vous pouvez le voir dans cette note de Pharmacritique.
Même le Sénat s’est ému de cette absence d’indépendance de l’AFSSAPS (agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé) par rapport aux firmes pharmaceutiques et de son empressement à homologuer tous les médicaments que celles-ci veulent mettre sur le marché, comme nous l’avons vu dans cette note.
Etc. Etc.
Un bémol :
Le documentaire « Les Médicamenteurs » aurait gagné à investiguer toute la planète médico-pharmaceutique, pour ne pas prêter le flanc à la critique à cause d’une vision un peu trop en noir et blanc, uniquement à charge pour certains et uniquement à décharge pour ceux qui témoignent.
Les médecins indépendants autour de la revue Prescrire (et de son extension, le Formindep) et certains hommes politiques critiques sont présentés comme s’ils étaient les sources d’une vérité absolue. Sans enquête sur leur stratégie, leurs liens à eux, leur attitude envers les patients, les influences auxquels ils sont éventuellement soumis. Et pourtant il en faudrait, parce que ces influences et les biais qui peuvent mener à l’exercic
e déformé d’une médecine qui devrait être rationnelle – fondée sur des preuves et servir les intérêts de la santé des patients -, ne sont pas que financiers, et qu’il peut y avoir aussi des stratégies motivées par l’acquisition d’un pouvoir symbolique, à travers une opposition symétrique au pouvoir médico-pharmaceutique en place, mais utilisant les mêmes méthodes que les corrompus. Et ayant le même mépris pour la capacité des patients à jouer un rôle actif dans les changements à venir, par exemple.
Pharmacritique a abordé certaines dimensions de cette question dans la note « La critique de la caste hospitalo-universitaire par Martin Winckler oublie son inverse symétrique: la caste indépendante. Dialectique des contraires?«
S’agissant de défendre les intérêts des patients et de la santé publique, les deux côtés du monde médico-politico-pharmaceutique devraient être soumis à une investigation approfondie, sans satisfecit d’emblée, et en aveugle, pour l’un d’entre eux. C’est ce à quoi nous a habitué le Canard enchaîné lui-même : critiquer les failles de tout le monde – ces failles qui entravent et déforment l’intérêt général -, et ce sans parti pris.
On l’a bien vu avec la loi HPST : lorsque certains intérêts des médecins de tout bord ont été remis en cause, ils ont su faire front, et les perdants sont ceux qui n’ont pas de lobby du tout, à savoir les patients et les usagers en général.
Espérons que cette unilatéralité sera compensée au moins sur le plateau de France 5, lors du débat, pour que la parole ne soit pas accaparée toujours par les leaders d’opinion des deux côtés.
Cette page de France 5 pour une présentation générale du documentaire
MISE A JOUR du 10 juin 2009
Vous trouverez sur cette page un autre extrait vidéo du documentaire « Les Médicamenteurs », centré plus particulièrement sur le manque d’évaluation des médicaments qui se voient octroyer une autorisation de mise sur le marché (AMM) et sur l’absence de transparence quant à ces procédures et aux délibérations des experts. Des médicaments qui n’apportent pas de réel progrès thérapeutique – qui n’améliorent pas le service médical rendu (SRM) – se voient homologués dans des conditions d’opacité quasi-totale.
Elena Pasca
Il ne faut pas désespérer. Le Dalaï Lama présentait tout à l’heure dans un POPB comble la démarche pour rendre la société plus éthique : commencer par soi-même !
Commencer par introduire plus de paix intérieure en nous-même ; puis par contagion cela touchera la famille, les proches, puis les proches des proches. Voila qui est réaliste si l’on est patient. Ça vous va ?
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Bonjour Randall,
Merci pour votre message. Je voudrais mettre tout de suite par écrit quelques éléments de réponse, puisque, prise comme je suis par autre chose, je risque de passer à côté…
Il y a deux aspects distincts, à une première vue rapide:
– être exemplaire lorsqu’on a des prétentions éthiques affichées
– paix intérieure
Cela dépend de ce que vous entendez par « paix intérieure », puisque beaucoup disent que, pour préserver leur « paix » et leur tranquillité, il vaut mieux fermer les yeux et ne pas se soucier de ce qui se passe à l’extérieur.
Un des problèmes majeurs que posent les religions est précisément celui-là: fermer les yeux, regarder en soi en oubliant que personne n’est coupé du monde social, se soucier de la « liberté intérieure » et de la « paix intérieure » et donc… laisser faire.
De toute façon, si le salut est soit assuré automatiquement, soit à obtenir par la prière, par la méditation ou en tout cas par l’intervention d’une transcendance extérieure, d’une altérité radicale située en dehors du monde social, il n’y a plus besoin de faire quoi que ce soit… Prions, croyons, ayons la foi, et dieu (ou les dieux, etc.) arrangera les choses. Même si ce n’est que dans l’au-delà…
Je suis désolée, mais depuis Kant, qui était pourtant croyant, on sépare morale et religion. Et on n’a d’autre choix que de les séparer, si on veut éviter les guerres de religion, arriver à un minimum de communication et de partage.
Du point de vue moral, on ne doit justement pas se replier sur soi… Les questions de morale – et leurs applications éthiques – sont toujours des questions de reconnaissance d’autrui et donc d’intersubjectivité. J’ai l’habitude de dire qu’on n’est jamais libre et autonome seul.
Mais qu’il faille s’appliquer à soi-même ce que l’on demande aux autres, certes! C’est exactement mon point de vue dans la note que je mentionne et qui parle de la caste indépendante, cette caste médicale qui se définit elle-même en termes éthiques. (Ce qui n’est pas mon cas, comme vous l’avez certainement remarqué; je n’ai pas de telles prétentions). Dans ce cas-là, lorsqu’on se présente publiquement, médiatiquement, comme un « mouvement éthique, vertueux et respectueux des personnes » ou encore comme une « démarche philosophique et humaniste », il faut être exemplaire! Il faut être à la hauteur de ses propres prétentions. Je ne demande pas plus, pour commencer, mais n’accepte pas moins non plus.
Sous cet angle-là, de s’appliquer à soi-même ce qu’on demande aux autres, les paroles du dalaï-lama – qui expriment une éthique particulière, contextuelle, non universalisable, puisqu’il s’agit de préceptes et non de principes – rejoignent les principes moraux. Alors espérons que le message passera…
Et j’espère que vous avez envoyé ce message en priorité à ceux qui sont concernés.
Paix intérieure
Du moins dans la philosophie morale moderne – et la philosophie reste quand même la seule à pouvoir produire une théorie universalisable -, on ne voit pas d’un très bon oeil « la paix intérieure ». Sans parler des sciences sociales… Je ne vois pas trop comment on pourrait être en paix compte tenu de tout ce qui ce passe, de l’état catastrophique de cette réalité sociale que nous contribuons à reproduire telle quelle surtout si on est en paix malgré elle et avec elle.
Les représentants de l’Ecole de Francfort – le principal courant philosophique auquel je me rattache et qui a donné la dernière grande théorie morale sous la plume de Jürgen Habermas – ont tous été des écorchés vifs. La même attitude prévaut dans la littérature engagée et dans les sciences sociales engagées. Les grandes gueules ne sont la plupart du temps pas des gens qui se perdent dans la contemplation d’une intériorité coupée de la dialectique avec la société.
Or seule la prise de conscience de cette dialectique fait sortir l’intériorité de chacun de l’état d’idiosyncrasie. Après, il faut s’approprier les instruments qui permettent de faire d’un « moi » qui est en paix avec tout, parfaitement adapté, un SUJET capable de pensée critique.
Adorno – l’une de mes principales références, prof de certains de mes profs – avait pour cela plusieurs formules, dont l’une me paraît appropriée: conservation de soi sans soi. Ou encore « des sujets (au sens d’assujettis) sans sujet ».
Je crois que personne ne pourrait dire qu’Adorno était dans un état de « paix intérieure »… Loin de là. Et lui et les autres philosophes et scientifiques sociaux de la « Théorie critique » se sont d’ailleurs employés à réfuter systématiquement ces conceptions religieuses de la liberté intérieure et de la paix intérieure.
Une éthique particulariste portée par un groupe et dont la signification est de ce fait limitée à ce groupe et en tout cas non universalisable, peut véhiculer un tel message. Parce que chacun est libre de véhiculer plein de choses qu’il considère comme éthiques. Cela ne veut pas dire qu’elles le sont.
Parce que la morale, les principes moraux, c’est autre chose. Et seules les applications de ces principes-là peuvent prétendre à la normativité, échapper au relativisme éthique. Il faut passer – les Grecs le savaient déjà – par la philosophie morale et politique pour passer des représentations contextuelles et particularistes à des choses universalisables…
Bon, je ne vais pas écrire un livre là-dessus, ou du moins pas ce soir ;-)))
Je réitère juste le message: oui, ceux qui ont des prétentions « éthiques » qu’ils veulent comprendre comme valant pour toute une société doivent être exemplaires. Ils doivent être à la hauteur de leurs propres prétentions et ne doivent pas commettre des actes contraires à ce qu’ils soutiennent, ni aux lois et aux principes moraux – déontologiques.
Je pense que c’est un constat qui ne peut être que consensuel, non? Je vois mal comment qui que ce soit pourrait prétendre échapper à cet impératif (hypothétique, au sens moral kantien) d’adéquation entre la théorie et la pratique et entre l’image médiatique et la pratique.
Cela devrait aller à tout le monde.
Mais est-ce le cas?
Et si ce n’est pas le cas, que suggérez-vous? Fermer les yeux pour rester « en paix intérieure »? Après tout, si on le fait, pourquoi diable ne pas les fermer sur le reste aussi, pourquoi troubler sa paix intérieure en critiquant les conflits d’intérêts, la corruption médico-pharmaceutique, l’hypocrisie et la volonté de pouvoir de beaucoup?
La fin ne justifie jamais les moyens. Pas du point de vue moral.
Cordialement
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je suis complètement d’accord avec vous et je pense que les chiffres nous font commprendre :
L’Amérique du Nord, le Japon, l’Europe de l’Ouest représentent 80% du marché mondial du médicament – l’Europe de l’Est, l’Asie et l’Amérique du Sud 19% – l’Afrique 1%. Exprimée par habitant, la consommation de médicaments est de 1 en Afrique, 2 en Asie, 5 en Europe de l’Est, 14 en Amérique du Sud, 40 dans l’UE (52 en France) et 80 pour l’Amérique du Nord.
En 2000, 14 laboratoires pharmaceutiques se classaient parmi les 100 premières entreprises mondiales, au 2e rang en termes de résultat net, mais de loin au 1er en termes de rentabilité, car l’industrie pharmaceutique a maintenu des marges plus importantes que toutes les autres industries.
Les plus gros laboratoires sont majoritairement américains comme Pfizer (Upjohn, Pharmacia, Warner-Lambert…), Merck Sharp and Dome (MSD), Eli-Lilly, Wyeth-Lederle, Shering-Plough, Abbott, Bristol-Myers-Squibb (BMS), Johnson et Johnson – européens comme Glaxo-Smith-Kline (Wellcome), Astra-Zeneca (ICI), Novartis (Ciba, Sandoz, Geigy), Sanofi-Aventis (Synthélabo, Rhône-Poulenc, Roussel, Hoechst), Bayer, Boehringer – japonais comme Takeda.
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