Lantus / insuline glargine et risque de cancers. Trois études renforcent les vieux soupçons. Arznei-Telegramm demande le retrait du marché

Mise à jour en date du 6.07.09 à la fin

Le réseau d’alerte (« blitz a-t ») de la revue allemande indépendante Arznei-Telegramm m’a informé le 27 juin de la diffusion sur le Lantus eDrug search.gifsite de l’Association européenne d’études sur le diabète (EASD) de trois études mettant en évidence un risque augmenté de cancer chez les patients diabétiques traités par insuline glargine (principe actif de Lantus° et Optisulin° de Sanofi-Aventis). Pour Arznei-Telegramm, « la seule conclusion logique, c’est le retrait du marché ». D’autant que le soupçon d’un effet cancérigène pèse sur le Lantus° depuis sa mise sur le marché en 2000.

Sanofi-Aventis n’est pas d’accord avec les résultats. Et l’agence du médicament (AFSSAPS) a publié aujourd’hui (29 juin) un communiqué avec la rengaine habituelle: l’EMEA (agence européenne du médicament) analyse cela. « Dans l’attente des résultats, et compte tenu de données discordantes voire contradictoires entre ces études, aucune conclusion ne peut être apportée. L’EMEA et l’AFSSAPS recommandent aux patients de ne pas interrompre leur traitement. »

Lorsque trois études différentes, dont l’une faite par l’excellent IQWiG, l’institut allemand d’évaluation de la qualité et du rapport coût-efficacité des médicaments, tirent la sonnette d’alarme, relayées par Arznei-Telegramm, alors que les autorités sanitaires et le labo disent autre chose, la seule action raisonnable – et prudente – est de suivre l’avis de l’institut et de la revue médicale indépendants. Toute l’histoire des catastrophes sanitaires et de l’absence d’information et de réaction typiques des autorités sanitaires nous pousse à la méfiance (arguments en fin de l’article, après les traductions). L’enjeu est trop important pour se fier à la langue de bois et aux temporisations.

Qu’est-ce que l’insuline glargine et quelle est son « histoire »?

Citons l’AFSSAPS : « L’insuline glargine est autorisée dans l’Union européenne depuis le 9 juin 2000. Deux médicaments, Lantus® et Optisulin®, sont commercialisés par Sanofi-Aventis. Cette insuline est indiquée dans le traitement du diabète sucré nécessitant un traitement par insuline chez l’adulte, l’adolescent et l’enfant de plus de 6 ans. L’insuline glargine est un analogue de l’insuline humaine, mais à la différence de celle-ci, elle est absorbée plus lentement et plus régulièrement par l’organisme après injection et sa durée d’action est plus longue. Disponible uniquement sur prescription médicale, l’insuline glargine dispose d’une AMM européenne centralisée. Elle est commercialisée dans les 27 pays de l’Union européenne. En France, environ 300 000 personnes diabétiques sont traitées avec de l’insuline glargine. »

Quelles sont les études parlant des risques de cancer sous insuline glargine?

Quatre études sur le suivi rétrospectif de patients diabétiques viennent de paraître. L’AFSSAPS résume : « Ces études rendues publiques le 26 juin 2009 dans la revue Diabetologia, suggèrent pour deux d’entre elles un lien possible entre l’administration d’insuline glargine en monothérapie et le développement d’un cancer du sein : une étude réalisée sur le registre suédois des personnes diabétiques, conduite sur plus de 100 000 patients, et l’autre sur le registre écossais des personnes diabétiques, comprenant environ 50 000 patients.

Une troisième étude allemande de cohorte réalisée à partir des données de remboursement, et incluant plus de 120 000 patients, retrouve une augmentation du risque de cancer (dont la nature n’est pas renseignée) avec toutes les insulines. [Affirmation tendancieuse, puisque les sources allemandes font une distinction très nette entre le Lantus et les autres, même les autres analogues]. Pour la glargine, cette augmentation du risque est en rapport avec la dose administrée.
Enfin une quatrième étude réalisée sur la base THIN au Royaume Uni ne montre pas d’augmentation du risque pour des cancers tels que sein, pancréas, colo-rectal et prostate. »

Cela dit, l’étude britannique est aussi celle qui a le nombre le plus petit de participants: 10.067 diabétiques, alors que celle faite en Ecosse en comprend  49.197, la suédoise 114.841 et enfin l’allemande faite par l’IQWiG 127.031 diabétiques.

Les références des études peuvent être lues en intégralité sur cette page du site de la revue Diabetologia. Diabetologia est l’organe officiel de la European Association for the Study of Diabetes (EASD). Voir aussi les précisions et demandes de recherches approfondies formulées par l’association, à consulter à partir de cette page.

 

Détails chronologiques et pourcentages

Les choses sont un peu plus compliquées et moins favorables au Lantus que ce que dit l’AFSSAPS… Et les détails nous apprennent que la parution simultanée de ces études n’est pas une coïncidence, que l’investigation de cet aspect et la publicisation large des résultats ne relèvent pas du hasard, mais d’une démarche réfléchie sur une question qui se pose depuis plusieurs années.

En fait, c’est l’Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen (IQWiG : Institut d’évaluation de la qualité et du coût-efficacité dans le système de santé) – l’adversaire numéro un de l’industrie pharmaceutique en Allemagne, à cause de son indépendance -, qui a pris au sérieux les risques de cancer mis en évidence dans des études expérimentales et décidé d’étudier les possibles conséquences sur la santé des patients diabétiques.

Voici tous les auteurs et les références complètes de l’étude allemande faite par l’IQWiG, sous la direction du diabétologue et excellent connaisseur de l’evidence-based medicine Pr Peter Sawicki, est ici:

L. G. Hemkens & U. Grouven & R. Bender & C. Günster & S. Gutschmidt & G. W. Selke & P. T. Sawicki, Risk of malignancies in patients with diabetes treated with human insulin or insulin analogues: a cohort study. Diabetologia (2009) 52:1732–1744. DOI 10.1007/s00125-009-1418-4

Conclusions:

« Considering the overall relationship between insulin dose and cancer, and the lower dose with glargine, the cancer incidence with glargine was higher than expected compared with human insulin. Our results based on observational data support safety concerns surrounding the mitogenic properties of glargine in diabetic patients. Prospective long-term studies are needed to further evaluate the safety of insulin analogues, especially glargine. »

Le soupçon d’effet cancérigène, de cancérogénicité existait avant même que le médicament soit mis sur le marché. Un « détail » que le communiqué de l’AFSSAPS et celui de Sanofi-Aventis oublient fort opportunément.

Selon Diabetologia et le communiqué de presse de l’association européenne EASD commentant les résultats de l’IQWiG, en comparaison avec les patients utilisant des doses similaires d’insuline humaine, sur chaque centaine de patients traités par Lantus pendant 18 mois en moyenne, un patient de plus a développé un cancer. Le risque dépend de la dose, sachant que l’IQWiG note lui-même que les doses de glargine prescrites restent en général assez faibles. Le Lantus augmenterait le risque de cancer de 9%, comparé à l’insuline humaine. Mais, pour une dose de 50 unités de Lantus par jour, le risque augmenterait de 31%. L’étude n’a pas pris en compte l’analogue insulinique detemir (Levemir), dont l’action est prolongée moyennant un principe différent de celui du Lantus.

Le Pr Edwin Gale, rédacteur en chef de Diabetologia, et le Pr Ulf Smith, président de l’EASD, disent dans leur communiqué sur le site d’EASD avoir attendu avant de publiciser les résultats de l’IQWiG; ils ne l’ont fait que lorsque l’étude de cohorte menée par celui-ci a pu être comparée avec d’autres. Des études rétrospectives ont donc été mises en place, utilisant des bases de données et des registres de Suède, d’Ecosse et de Grande-Bretagne. Selon l’étude suédoise, les patients sous Lantus seul (en monothérapie) voient doubler leur risque de développer un cancer du sein. Selon l’étude écossaise, le risque de cancer du sein en particulier est augmenté, mais les résultats n’atteignent pas une puissance statistiquement significative. L’étude britannique n’a pas trouvé de rapport entre glargine et cancers. Les deux spécialistes considèrent qu’il faudrait certes une étude prospective, mais une telle étude prend beaucoup de temps, et il n’est pas éthique d’attendre passivement que des patients fassent un cancer… Les études rétrospectives, sur la base de telles bases de données / registres restent les seules faisables et donc les meilleures à l’heure actuelle.

Ces détails jettent une lumière toute autre sur la question. Comme sur cette publicité typique de celles qu’on voit régulièrement dans les pages de la presse médicale française gratuite, dont même les plus indulgents ne pourraient pas affirmer qu’elle est une source d’information indépendante… Manifestement, il y a eu une course, une course aux profits, lorsque Sanofi-Aventis a fait homologuer Lantus et Lantus Solo Star sans approfondir les soupçons de carcinogénicité mis en évidence par les études expériementales. L’image est tirée du blog AdPharma.

 

Lantus AdPharma blog.jpg

Les détails selon la revue médicale indépendante Arznei-Telegramm (« Télégramme du médicament »)

(Traduction intégrale de l’alerte envoyée le 27 juin par la revue à son réseau. C’est Pharmacritique qui souligne en rouge et en gras.)

« CANCER SOUS INSULINE GLARGINE (LANTUS°) »

« … Le retrait du marché est la seule conclusion logique qu’on puisse tirer de tout cela.

L’on soupçonne l’analogue insulinique glargine à action prolongée (Lantus) d’augmenter le risque de survenue de cancers déjà depuis sa mise sur le marché en 2000 (a-t 2000; 31: 108). A la différence de l’insuline humaine, l’insuline glargine a une affinité plus forte pour le récepteur de l’IGF-1 (insulin growth factor-1), qui joue un rôle essentiel dans la biologie des tumeurs. Des études expérimentales indépendantes des laboratoires pharmaceutiques ont mis en évidence des effets prolifératifs de l’insuline glargine sur les cellules tumorales, et ces effets étaient nettement plus importants que ceux de l’insuline humaine [1,2].

Mais malgré ce soupçon qui ne date pas d’hier, il n’y a eu jusqu’ici aucune étude clinique portant sur la sécurité des analogues de l’insuline par rapport à l’insuline humaine. Cela change avec les quatre études observationnelles qui viennent de paraître en même temps [3,6]. Trois d’entre elles font état d’une augmentation du risque de cancers sous insuline glargine [3,5]. La voie de communication préférée a été la publication, compte tenu de la nature explosive du sujet.

Le risque de cancer semble augmenter avec la dose. C’est ce que montre la plus grande de ces études, faite par des investigateurs de l’Institut für Qualität und Wirtschaftlichkeit im Gesundheitswesen (IQWiG) et du Wissenschaftliches Institut der AOK [WiDO: Institut scientifique des AOK, sigle désignant les Allgemeine Ortskrankenkassen, le plus grand réseau de caisses d’assurance-maladie publiques allemandes, NdT]. 130.000 patients diabétiques assurés par les AOK ont été inclus. Ils étaient traités soit par l’insuline humaine soit par des injections d’un des analogues suivants de l’insuline : lispro (Humalog, Liprolog), aspart (Novorapid) ou insuline glargine (Lantus). Les patients ont été sélectionnés en fonction de l’absence de tout indice de présence d’un cancer dans les trois années précédant leur inclusion dans l’étude.

Le critère principal de jugement de l’étude est le diagnostic d’un cancer [3] survenu ou non chez ces patients. Les patients sont âgés en moyenne de 65 à 70 ans, et ils ont donc déjà un certain risque de cancer du fait de leur âge [7]. Par rapport aux patients sous insuline humaine, ce risque augmente sous Lantus en fonction de la dose : à 10 unités de glargine par jour, le hazard ratio (HR) est de 1,09 (intervalle de confiance (CI) 95%, 1,00-1,19). A 30 unités de glargine par jour, le HR est de 1,19 (95% CI 1,10-1,30). A 50 unités par jour, le HR est  de 1,31 (95% CI 1,20-1,42) [3]. Alors que sur 1.000 patients traités par insuline humaine seuls 41 ont développé un cancer dans un intervalle moyen de 20 mois, il y avait 4 cancers supplémentaires chez les personnes prenant 10 unités de glargine par jour, et à peu près 13 de plus sous 50 unités de glargine par jour [7].

Cette augmentation du risque de cancer n’a pas été constatée chez les patients traités par les analogues insuliniques aspart ou lispro [3,7].

Les auteurs soulignent qu’il n’est pas exclu que certains autres facteurs inconnus puissent avoir contribué à ces chiffres [7]. Cependant, compte tenu des données expérimentales déjà connues et des signaux de risque similaires qui nous viennent de deux autres études observationnelles (Beobachtungsstudien) publiées en même temps [4,5], les réticences devraient peser lourdement en défaveur de l’insuline glargine. Celle-ci semble stimuler plus fortement que d’autres insulines la croissance de cellules cancéreuses. Il n’y a pas de données quant à un éventuel effet de la glargine sur la dégénérescence de cellules saines en cellules cancéreuses [7].

Les risques de sécurité existants dès le départ auraient dû inciter les autorités sanitaires à n’accorder une autorisation de mise sur le marché à la glargine qu’à la condition expresse que les industriels mettent immédiatement en place des études de sécurité afin de clarifier le risque de cancérogénicité. Cela n’a pas été fait, malgré les demandes répétées [d’instances indépendantes telles Arznei-Telegramm et d’autres, NdT] [3].

En dépit des réticences, Lantus est devenue l’insuline la plus prescrite et générant le chiffre d’affaires le plus important en Allemagne, avec plus de 1,5 millions de boîtes vendue chaque année. Un tel usage massif n’a aucune justification.

En raison du principe de précaution et de prévention qui exige que l’on protège la santé des consommateurs, les fabricants et les autorités sanitaires devront démontrer l’innocuité de la glargine. En attendant que des preuves solides soient apportées, cet analogue synthétique de l’insuline devrait être retiré du marché. Les médecins devraient discuter avec les patients d’un traitement par insuline humaine. Il n’y a toutefois aucune raison de faire ce changement dans l’urgence et de façon abrupte, et le retrait du marché peut se faire au bout de quelques semaines, délai raisonnable permettant le passage d’une forme de traitement à l’autre.

A noter que la recherche n’a par ailleurs mis en évidence qu’un bénéfice supplémentaire marginal de la glargine par rapport à l’insuline humaine [8]. »

Notes

  1. MAYER, D. et al.: Arch. Physiol. Biochem. 2008; 114: 38-44
  2. WEINSTEIN, D. et al.: Diabetes Metab. Res. Rev. 2009; 25: 41-9
  3. HEMKENS, L.G. et al.: Risk of malignancies in patients with diabetes treated with human insulin or insulin analogues: a cohort study. Diabetologia, DOI 10.1007/s00125-009-1418-4, publié en ligne le 26 juin 2009; http://www.diabetologia-journal.org/cancer_files/081131Hemkenscorrectedproofs.pdf
  4. JONASSON, J.M. et al: Insulin glargine use and short-term incidence of malignancies—a population-based follow-up study in Sweden. Diabetologia, publié en ligne le 26 juin 2009http://www.diabetologia-journal.org/cancer_files/090776Jonassonacceptedpaper.pdf 
  5. SDRN Epidemiology Group: Use of insulin glargine and cancer incidence in Scotland: A study from the Scottish Diabetes Research Network Epidemiology Group. Diabetologia, publié en ligne le 26 juin 2009http://www.diabetologia-journal.org/cancer_files/090818Colhounacceptedpaper.pdf
  6. CURRIE, C.J. et al.: The influence of glucose-lowering therapies on cancer risk in type 2 diabetes. Diabetologia, publié en ligne le 26 juin 2009.http://www.diabetologia-journal.org/cancer_files/090740Currieuncorrected1stproofs.pdf
  7. IQWiG: Insulinanalogon Glargin steigert möglicherweise das Krebsrisiko [Augmentation potentielle du risque de cancer par l’analogue insulinique glargine]. Communiqué de presse du 26 juin 2009http://idw-online.de/pages/de/news?print=1&id=323048
  8. SINGH, S.R. et al.: CMAJ 2009; 180: 385-97

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Le communiqué de presse de l’IQWiG Peter Sawicki WDR.jpg

Extraits et résumé. Texte intégral allemand à lire sur cette page. Les auteurs ne sont certes pas catégoriques sur la causalité au sens strict, mais ne minimisent nullement la portée et la signification des résultats, notamment sur l’usage du Lantus. Certains journalistes ont affirmé un peu trop vite que l’IQWiG ne parlerait qu’en termes de potentialités n’induisant pas de conséquences sur le traitement actuel des diabétiques. 

« Le résultat inquiétant de l’analyse (…) est que les patients traités par glargine développent plus souvent un cancer que ceux traités par une dose équivalente d’insuline humaine. « Notre évaluation n’est certes pas une preuve absolue que la glargine stimule les cancers, dit Peter T. Sawicki [photo de la chaîne TV WDR], directeur de l’Institut et co-auteur de l’étude, « mais elle débouche toutefois sur un soupçon qui ne devrait par rester sans conséquences dans le traitement concret des patients“. (…) Les scientifiques de l’IQWiG soulignent que le rapport qu’ils ont mis en évidence entre la prescription d’insuline glargine et l’augmentation du risque de cancers est ce qu’on appelle une association statistique. [Donc pas une preuve directe de causalité stricte, NdT] (…) Et pourtant, il est inquiétant de voir que sur les trois autres études publiées dans le même numéro de Diabetologia, deux décrivent elles aussi un risque augmenté de cancers en rapport avec la glargine ».

De même, le fait que le risque de cancer est dose-dépendant, c’est-à-dire qu’il augmente en cas de dosage plus fort de glargine, renforce « le soupçon quant au rapport de causalité avec le médicament ». Oui, le terme « causalité » est bel et bien utilisé par l’IQWiG.

Et Peter T. Sawicki de déplorer, comme Arznei-Telegramm, que les risques déjà connus depuis les études expérimentales n’aient fait l’objet que de discussions entre spécialistes, sans aucune étude permettant d’approfondir la question, de clarifier le profil de sécurité afin de protéger la santé des patients.

« Selon l’IQWiG, les indices qui pointent vers les risques de la glargine sont désormais tellement forts que la charge de la preuve doit être inversée », ce qui veut dire que c’est au laboratoire Sanofi-Aventis d’apporter des preuves solides pour attester de l’éventuelle innocuité du Lantus. « Tant que des études solides n’auront pas démontré un bon profil de sécurité de la glargine dans une comparaison avec l’insuline humaine, ce médicament [Lantus] ne devrait être utilisé que lorsque sa prescription se justifie pour des raisons particulièrement importantes ». Autrement dit, en dernier recours, si jamais on ne peut faire autrement.


 

 

 

Les autorités sanitaires, AFSSAPS en tête, sont-elles crédibles ?

On l’a vu, l’AFSSAPS fait comme d’habitude. C’est-à-dire qu’elle ne fait rien et se borne à dire que « à ce stade, le lien entre la prise de ce médicament et l’augmentation du risque de cancer ne peut faire l’objet d’aucune conclusion définitive. »

Devrait-on rappeler que celle que Pharmacritique appelle « agence d'(in)sécurité sanitaire » est toujours à la traîne s’agissant de retirer un médicament ou même d’informer sur les risques ? Même à l’heure actuelle, 4 ans après son retrait, il n’y a toujours pas de « conclusion définitive » de l’agence quant au Vioxx, par exemple. Mais c’est le cas de toutes les autres catastrophes. On ne peut pas demander raisonnablement aux patients de courir de tels risques en attendant une hypothétique « conclusion définitive »… L’emploi de ce syntagme est non seulement ridicule, non scientifique et contraire à la prudence la plus élémentaire, mais montre bien à quel point l’agence du médicament nous prend pour des demeurés lorsqu’elle nous sert un tel prétexte.

Toute l’histoire de nos autorités sanitaires n’est pas en mesure de nous rassurer ni de crédibiliser leurs dires; leur servilité envers les laboratoires est connue, et ce sont ces derniers qui fournissent une grande partie du budget des agences du médicament nationales et de celle européenne, à travers les taxes payées lors de l’autorisation de nouveaux médicaments (AMM). Ce qui explique aussi pourquoi ces agences homologuent à tout va des centaines de médicaments qui n’apportent rien ou presque, ne sont que des copies à peine modifiées d’anciennes molécules (médicaments « me too ») ou alors sont mal évalués quant à la balance bénéfices-risques. Pharmacritique en a parlé surtout dans cette note très détaillée critiquant les procédures d’AMM de l’AFSSAPS).

Pour en savoir plus sur les conflits d’intérêts et le dévoiement des agences sanitaires, lisez certaines notes de la catégorie « Autorités d’(in)sécurité sanitaire », et en particulier la Déclaration sur le progrès thérapeutique faite par l’International Society of Drug Bulletins (ISDB: union de revues pharmacologiques indépendantes dont font partie Arznei-Telegramm et la revue Prescrire). Cette déclaration épingle clairement le fait que les agences du médicament se comportent plutôt en « prestataires de services » et semblent servir plus les intérêts économiques de leurs clients pharmaceutiques que la santé individuelle et publique. Le Sénat s’était lui aussi inquiété de l’opacité de nos institutions sanitaires, de leur financement par les laboratoires et des conflits d’intérêts omniprésents (voir cette note).

La pharmacovigilance, l’information que les autorités sanitaires devraient donner sur les effets secondaires des divers médicaments, est elle aussi en piteux état, brillant plutôt par son absence. Les Européens « sont tenus dans l’ignorance », constatait avec effarement le spécialiste américain Donald Light intervenant dans la revue Prescrire. Et tout le système est organisé de façon à minimiser les effets secondaires, à ne pas former ni sensibiliser les médecins à leur détection et à leur notification, comme nous l’apprend l’excellente analyse fournie par la même ISDB dans sa Déclaration sur la pharmacovigilance de 2003 (voir cette page).

Par quelque moyens que ce soit, la sécurité sanitaire est la première victime de la désinformation résultant du ghost management – qui veut dire gestion fantôme, invisible mais omniprésente, et contrôle total – de l’ensemble de la filière du médicament au moyen des conflits d’intérêts médico-pharmaceutiques. L’argent des laboratoires et la favorisation du retour sur l’investissement – je parle de l’investissement que représentent les paiements, cadeaux et autres financements omniprésents en médecine – passent clairement avant la santé.

Dans ce cas précis de l’insuline glargine, il s’agit de surcroît de notre firme nationale, Sanofi-Aventis, dont les réseaux de conflits d’intérêts dans les milieux médicaux et politiques commencent au plus haut niveau de l’Etat, et notamment avec Nicolas Sarkozy et François Sarkozy, comme nous l’avons vu dans cette note.

 

 

La réaction de Sanofi-Aventis: circulez, il n’y a rien à voir!

Le communiqué de Sanofi-Aventis, paru le 26 juin pour rassurer  tout le monde « sur la bonne tolérance de Lantus », considère que « les résultats de ces registres sont non concluants » et « ne permettent pas de conclure à une quelconque relation de causalité entre le traitement par Lantus® (insuline glargine) et la survenue de tumeurs cancéreuses ». Un dirigeant médical de la firme affirme que la sécurité des patients et leur santé a toujours été une « préoccupation primordiale » pour Sanofi. La formulation est tendancieuse: « résultats de ces registres », comme s’il s’agissait de données brutes, non sélectionnées, non évaluées et interprétées…

On peut lire des commentaires sur le site pharmamical My Pharma, qui note que les marchés ont mal pris la chose, puisque « vendredi, l’action du groupe français chutait de 8,1%. Le Lantus, troisième médicament de Sanofi-Aventis, dont la protection de son brevet arrivera à échéance en 2014, a généré 2,45 milliards de dollars de ventes l’an dernier ».

D’autres détails sur les enjeux financiers sont disponibles sur le site Trading Sat. On comprend l’énormité des profits en jeu: « « Lantus, c’est 12% des ventes estimées du groupe en 2009 et 30 points de base de la croissance estimée des ventes de Sanofi-Aventis entre 2010 et 2015″, a souligné vendredi Morgan Stanley. Prenant la mesure de la menace, le courtier a abaissé sa recommandation sur Sanofi-Aventis, de  « Surpondérer » à « Pondération égale », et son objectif de cours, de 58 à 48 euros. De même, JP Morgan a dégradé sa recommandation sur la valeur, de « Surperformance » à « Neutre ». Au vu du risque, Jefferies a réitéré son opinion « Neutre » et son objectif de cours de 42 euros.» « Sécurité des patients » ou ces profits? La question a été malgré tout résolue dans le sens des profits lorsque la firme n’a pas approfondi ou vérifié les conséquences des résultats des études expérimentales.

Oserait-on douter de ce que Sanofi dit ou a dit par le passé?

Il faudrait un peu d’esprit critique même face à la firme nationale, à cette « aventure » à laquelle Nicolas Sarkozy disait avoir participé directement. L’affirmation figure dans un extrait de la convention 2006 de l’UMP, repris dans le documentaire Les Médicamenteurs, voir cette note. On a cru les affirmations de la firme qui protestait de la même façon lorsque des soupçons ont commencé à peser sur Accomplia, sur le Gardasil, etc. Sommes-nous encore assez naïfs pour nous fier totalement à ceux qui ont tellement de conflits d’intérêts dans cette histoire ? Ne faudrait-il pas appliquer au moins le principe de précaution le plus élémentaire, vu l’enjeu humain ? L’appliquer individuellement, je veux dire, puisque les autorités et Sanofi-Aventis ne réagiront que s’ils n’ont pas le choix, et bien après tout le monde. C’est à nous de nous informer et de nous prendre en main. Et l’alternative thérapeutique existe.


Observation en guise de fin…

Je ne suis pas médecin. Mais, pour ce que cela vaut, et parlant d’usager à usager, Pharmacritique fait siennes les recommandations d’Arznei-Telegramm. Cela fera 40 ans cette année que cette revue médicale indépendante nous informe et se bat pour notre santé, pour un usage rationnel du médicament par une médecine fondée sur le niveau de preuve (evidence-based medicine ou EBM) et libre de conflits d’intérêts, et je n’ai jamais entendu parler d’une erreur d’évaluation qu’elle ait faite. La comparaison avec la revue Prescrire – référence habituelle pour les médecins français indépendants et qui travaille avec Arznei-Telegramm dans le cadre de l’ISDB, place la revue allemande devant la française en cas de différences ou pour la rigueur et l’exhaustivité de ses données sur des points précis sur lesquels j’ai personnellement fait la comparaison et discuté les résultats avec des médecins. Je donne cet exemple pour mieux faire comprendre au public français la qualité d’Arznei-Telegramm, difficilement accessible à cause de la barrière linguistique.

Un exemple de différence importante et de rigueur de l’analyse allemande, c’est le Gardasil, rejeté sur la base de plusieurs argumentaires très sérieux par Arznei-Telegramm, mais considéré toujours comme « un espoir à confirmer » par Prescrire. Qui n’est apparemment pas gênée par ces conflits d’intérêts-là. Dommage. Il y en aurait-il qui seraient plus acceptables que d’autres?

PS

Petite précision pour mieux comprendre ce que font l’IQWiG et Arznei-Telegramm en Allemagne, en toute indépendance: je me souviens d’une émission allemande mettant face à face Peter T. Sawicki et un dirigeant de l’équivalent allemand du LEEM (organisation patronale de l’industrie pharmaceutique). Le journaliste demandait d’emblée: l’idée que les institutions que vous représentez cessent un jour de se détester est-elle aussi farfelue qu’elle en a l’air? Les deux ont été pris par surprise et se sont regardés un moment avant de répondre…

La même chose vaut pour ce que représente Arznei-Telegramm et ses deux figures majeures, l’excellent Dr Wolfgang Becker-Brüser et le non moins excellent Pr Peter Schönhöfer.

MISE A JOUR (6 juillet 2009)

Dans la note « Selon Arznei-Telegramm, Sanofi-Aventis désinforme sur la sécurité du Lantus, insuline glargine liée à un risque accru de cancers« . La dimension « conflits d’intérêts » et des détails relevant du ghost management apparaissent de façon éclatante…

Elena Pasca

copyright Pharmacritique

56 réflexions au sujet de “Lantus / insuline glargine et risque de cancers. Trois études renforcent les vieux soupçons. Arznei-Telegramm demande le retrait du marché”

  1. Pas de soucis depuis 5 ans sous Lantus (20u/jour) + novorapid.
    Aujourd’hui la pharmacienne m’indique qu’il vont arrêter cette insuline.
    Ces études y sont p’être à l’origine.

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  2. Bonjour.
    je viens de découvrir votre article suite à un problème de délivrance par ma pharmarcie de ma Lantus…
    Je suis DID depuis 2003, j’ai 34ans, depuis le début sous novorapid et lantus , et à ce jour je n’ai pas eu de soucis avec cette insuline…
    Parfois, il arrive lors de l’injection de Lantus d’avoir une forte douleur locale, très vive à l’endroit de l’injection (souvent l’abdomen), que je décrirais comme une sensation de brûlure intérieure..Cela disparaît dans les 30sec suivantes…
    Je ne sais pas si cela est dû à l’insuline , car j’ai toujours mis ces effets sur le compte d’une aiguille moins « performante » ???
    Si une personne a déjà connu cela, qu’elle en fasse part bien gracieusement.
    Pour en revenir à mon souci qui m’a conduit jusqu’à cet article, il se trouve que ce matin même, me rendant chez ma pharmacienne avec mon ordonnance (même pharmacie depuis que je suis DID), elle m’a indiqué que la lantus nétait plus produite, elle a appelé son fournisseur qui lui a confirmé !? J’ai été pour le moins surpris…
    Alors, avez-vous des informations sur un éventuel retrait de cette lantus ??
    Mon médecin traitant que j’ai pu joindre ensuite m’a indiqué de prendre la solostar, puisque la posologie était identique selon lui…
    Existe-t-il une différence entre ces 2 insulines, produites par sanofi ? Ou simplement est-ce une technique marketing (bien-aimée des labos …)
    En vous remerciant pour votre aritcle et vos éventuelles réponses.

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  3. Bonjour, est-il possible que la lantus « réveille » un ancien cancer ? Ma mere a été traitée pour un cancer du col de l’utérus en 1983 par radiothérapie. Elle est décédée d’une carcinose péritonéale le 31 octobre 2013 (30 ans après), sachant que la carcinose est une dissémination d’un ancien cancer. Que s’est-il passé dans ce laps de temps ? Elle a été mise sous lantus en aôut 2012 (40 ui). Je précise que ma mère était diabétique de type 2 depuis une vingtaine d’années et traitée avec des cachets. C’est lors d’un passage à l’hôpital qu’ils l’on mise sous insuline.
    A.L. De la Réunion.

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  4. Bonjour,
    Tout d’abord un grand merci de nous informer et de sauver des vies grâce a vos articles. On vient de découvrir que je suis atteinte d’un diabète type 1, un mois après fait le vaccin de la méningite À,C obligatoire en vue d’un voyage d’un mois à l’étranger. On m’a prescrit de l’insuline (humalog et lantus ) maintenant que je sais qu’il y a des risques de cancer j’aimerais savoir si il y a d’autres type d’insuline non cancérigène?
    Je vous remercie pour votre réponse.

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