Des « Médecins sous influence » pharmaceutique propagent les biais et la désinformation comme jadis la fièvre puerpérale, selon Peter Mansfield

La chaîne australienne ABC a posté le 25 mai dans sa rubrique tribunes et prises de position (« Unleashed ») un texte édifiant du Dr Peter Peter Mansfield virtualcongress.jpgMansfield intitulé « Under the Influence » (Médecins sous influence). Pharmacritique vous propose une traduction.

Peter R. Mansfield est le directeur de l’association Healthy Skepticism, peu active et fortement influencée par la façon anglo-saxonne de percevoir l’ensemble du système de santé, mais dont les objectifs en matière de lutte contre la promotion pharmaceutique trompeuse sont louables.

[NdlR: J’ai retiré plusieurs fragments pour les réécrire avec plus de précisions].

Précisions préliminaires. Biais : les moyens concrets de la désinformation

Une précision s’impose pour faciliter la compréhension. En France, on parle de manière générale plus de la désinformation médicale induite par les influences de l’industrie que des biais concrets, c’est-à-dire des moyens par lesquels se fait cette désinformation. Le terme « biais » garde toujours des connotations de jargon scientifique – relevant des statistiques, de la psychologie sociale, etc. -, alors qu’il fait partie du langage courant en anglais. Il faut en parler, il faut s’approprier ces termes. C’est une dimension essentielle du processus d’apprentissage, puisque c’est en apprenant les mots que nous pouvons mieux pointer du doigt les stratégies des laboratoires et les comprendre. Il faut nommer et expliquer pour comprendre, afin de pouvoir changer les choses.

Pour une présentation générale des divers biais cognitifs – biais de jugement, de raisonnement, biais liés à la personnalité, etc. -, on peut se référer à cette description de Wikipédia, avant d’aller plus loin. Il faut aller plus loin, parce que Wikipédia est un immense biais, qui, comme tout biais, nous trompe en nous donnant une impression de connaissance, de maîtrise, et nous empêchant par là même de penser au sens propre de ce terme.

Interdiscpiplinarité: indispensable pour comprendre les biais, conflits d’intérêts, influences…

Dans une autre perspective, [NdlR : un autre fragment retiré pour le réécrire] il est évident que nous devons nous ouvrir tous, médecins compris, à l’interdisciplinarité, au savoir des sciences sociales et à ce qu’elles nous apprennent sur le fonctionnement de l’esprit humain. Personne n’est immunisée contre les influences, et les biais omniprésents informent nos expériences et nos connaissances… en les déformant. En cela, ils ont partie liée avec les préjugés et les stéréotypes, avec la « pensée en étiquettes » (Theodor W. Adorno). Ces moyens nous donnent certes des repères d’orientation rapide, mais nous payons cela au prix fort, puisqu’ils nous empêchent de penser, au sens d’exercice de la faculté de juger, nous désaisissent de tout esprit critique et de toute possibilité de distance critique nécessaire à l’évaluation consciente d’une perception, à l’intégration d’une expérience, à l’examen qui permet la transformation réfléchie d’une information en une connaissance…

C’est comme la pseudo-information médicale prémâchée par les services marketing que les firmes pharmaceutiques apportent aux médecins et à leurs associations et sociétés savantes, de même qu’aux patients et aux associations de malades. Tous ceux qui entrent en contact avec les supports de cette désinformation auront l’impression de gagner du temps, de s’orienter plus facilement qu’en cherchant par eux-mêmes et en croisant des sources d’information indépendantes. D’autant plus que celles-ci demandent habituellement un certain effort aux lecteurs, justement pour stimuler leur pensée critique et les pousser à désapprendre le gavage et la réception passive.

Il va de soi que biais, stéréotypes, étiquettes et préjugés ne sont pas la même chose. Il n’empêche qu’ils relèvent tous de la même problématique, connue en psychologie sociale en particulier quant au préformatage social de la connaissance et des classifications et catégorisations que nous utilisons tous.

C’est dans ce contexte qu’il faut situer les propos de Mansfield, qui vulgarise des exemples d’un phénomène général, de biais cognitifs auxquels personne n’échappe, même s’ils ne sont pas tous les mêmes dans les diverses catégories socio-professionnelles, où des biais spécifiques s’ajoutent aux biais partagés par la majorité.

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Voici la traduction intégrale du texte. Sauf mention contraire, la traduction reprend les liens explicatifs donnés par l’auteur dans le texte original. La photo de Mansfield est tirée de ce site dédié à l’utilisation des moyens du web 2.0 en médecine générale.

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« SOUS INFLUENCE » (« Under the Influence »)

« Une controverse de grande ampleur qui a eu lieu dans la médecine des années 1840 a débouché sur un changement de paradigme : les médecins ont intégré l’idée qu’il était nécessaire de tout faire pour éviter les infections microbiennes, et ce même lorsque les microbes étaient invisibles.

De nos jours, une controverse similaire a lieu quant aux infections invisibles que les médecins contractent lorsqu’ils entrent en contact avec le[s supports et les produits] du marketing de l’industrie pharmaceutique, et qu’ils sont contaminés par les biais de jugement. Doivent-ils éviter ce contact pour ne pas être infectés ? La question fait rage.

Ce débat sera illustré de nouveau cette semaine [fin mai 2009, NdT] lors du Congrès du Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists, qui aura lieu à Adelaide. L’équipe initiale d’organisateurs voulait que tout soit fait sans le financement de l’industrie pharmaceutique et sans les stands et autres expositions publicitaires de celle-ci. Les organisateurs ne voulaient pas devenir les obligés des laboratoires et avoir à renvoyer l’ascenseur, puisque toute obligation induit un devoir de réciprocité. Mais un autre groupe du même Collège est sorti victorieux de ce débat, et l’institution a finalement accepté des financements venant de sept laboratoires. Parmi les sponsors « d’or » figure Eli Lilly, firme pourtant récemment condamnée à des amendes faramineuses pour avoir fait une promotion trompeuse de son antipsychotique Zyprexa. Un autre sponsor du congrès des psychiatres est la firme AstraZeneca, accusée récemment d’avoir occulté certains effets secondaires de son antipsychotique Seroquel, ainsi que des résultats négatifs de la recherche clinique sur le même médicament.

[Sur cette controverse très édifiante autour de l’organisation du congr
s et les arguments des deux parties – les mêmes partout, de l’Australie au Canada -, voir cette note détaillée de Pharmacritique
].

Le contexte des années 1840 était une vague d’épidémie de fièvre puerpérale mortelle. Nous savons maintenant qu’elle était causée par des bactéries transmises aux femmes en couches par les médecins déjà contaminés lors des autopsies qu’ils pratiquaient avant les accouchements. Mais puisqu’ils n’avaient aucun symptôme évident, les praticiens ne se pensaient pas infectés.

Notre siècle a connu plusieurs autres épidémies issues d’un usage inadéquat des médicaments. Ainsi, l’épidémie du Vioxx a probablement tué plus d’Australiens que les incendies du Victorian Black Saturday [incendies de février 2009, qui ont fait beaucoup de victimes et ont traumatisé le pays. La signification dans ce contexte : des agissements humains déraisonnables sont pires que les catastrophes naturelles, NdT].

L’épidémie de ce qu’on a appelé « traitement hormonal substitutif » a accéléré le développement d’un cancer du sein chez bon nombre de femmes. Il y a eu d’autres épidémies similaires, et certaines sont en cours.

Beaucoup de médicaments font plus de bien que de mal lorsqu’ils sont pris par des groupes restreints de patients, mais ce rapport s’inverse lorsqu’ils sont prescrits en masse, sans discernement : dans l’ensemble, ils font alors plus de mal que de bien.

Le dénominateur commun de toutes ces épidémies, c’est leur vecteur, à savoir les médecins porteurs d’infections invisibles dues aux biais contractés lorsqu’ils entrent en contact avec les moyens d’influence des laboratoires pharmaceutiques. Bien entendu, ceux-ci ne réussissent pas à tromper tous les médecins tout le temps. Mais il ne faut pas beaucoup pour que les firmes obtiennent un bon retour sur investissement: des doses infimes d’influence et un nombre suffisant de médecins influencés y parviennent facilement.

Si tel n’était pas le cas, si le rendement n’était pas suffisant, le Corporations Act qui régit les techniques commerciales ferait vite fait en sorte que la publicité pour les médicaments soit déclarée hors la loi… Puisque ces accords requièrent que le personnel des firmes lui-même n’applique que des techniques d’affaires dont il sait qu’elles servent au mieux les intérêts des corporations respectives. Si la publicité reste légale et qu’elle continue à être mise en œuvre par les industriels, c’est bien parce qu’elle est efficace.

Ce que j’appelle biais, ce sont des fausses croyances que les médecins acquièrent et diffusent involontairement. Les médecins généralistes n’ont pas prescrit le Vioxx parce qu’ils voulaient tuer des gens ou qu’ils n’en avaient cure des conséquences. Ils ont prescrit du Vioxx aux patients souffrant de douleurs articulaires parce qu’ils pensaient vraiment que ce médicament avait en tout et pour tout un bon profil de sécurité. Ils ne savaient pas que le Vioxx pouvait provoquer des crises cardiaques.

La firme Merck le savait, elle. Elle disposait d’informations indiquant que le Vioxx provoquait plus d’attaques cardiaques que le Naproxène, qui est un médicament plus ancien, moins cher, moins risqué et ayant un effet antalgique comparable dans l’ensemble. Qu’à cela ne tienne. Les publicités de Merck ont mis l’accent sur le fait que le Vioxx était moins dangereux pour l’estomac. Ce qui est certes vrai, mais n’est qu’une partie de la vérité.

En 1840, les médecins ne connaissaient pas l’existence des microbes, puisque la théorie expliquant le développement de maladies à partir de germes pathogènes n’avait pas encore été élaborée. Aujourd’hui, l’état des connaissances n’est pas vraiment différent, toutes proportions gardées. Peu de médecins ont des connaissances relevant de la psychologie de la persuasion et de l’engagement et portant sur les divers biais. Ces connaissances existent pourtant, mais les théories en question n’ont pas encore été assimilées. La meilleure d’entre elle est vraisemblablement le modèle de probabilité d’élaboration (Elaboration Likelihood Model [cf. une explication en français, NdT]).

Cette théorie nous explique que la persuasion opère le plus souvent à un niveau indétectable, en dessous des zones balayées par le radar de la pensée consciente. Des messages de persuasion peuvent nous atteindre sans que nous nous en rendions compte, et nous toucher lorsque nous ne leur consacrons pas le temps et l’attention nécessaires pour les évaluer et les rejeter consciemment. La plupart des professionnels de santé n’ont jamais entendu parler de cette théorie.

Les médecins ne sont ni des dieux ni des ordinateurs. Nous sommes des êtres humains. Les avantages et les qualités que nous avons de par ce fait comprennent des capacités telles l’intuition, l’imagination, l’humour et la compassion. Ces avantages résultent de processus cérébraux qui se déroulent sans que nous en ayons conscience. Or ces processus inconscients nous rendent vulnérables à des influences qui opèrent en deçà de ce « radar » qu’est la perception consciente.

Dans les années 1840, la plupart des médecins se sont sentis offensés lorsqu’on leur a dit que c’était probablement eux qui transmettaient la fièvre puerpérale d’une accouchée à l’autre, sans s’en rendre compte. Rien que la possibilité qu’il en soit ainsi a été perçue comme une attaque personnelle à l’encontre de chacun d’entre eux. Ils ont émis des dénis défensifs pour protéger leur estime d’eux-mêmes. Aussi parce qu’une telle théorie mettait en cause leur identité et l’image qu’ils avaient d’eux-mêmes en tant que scientifiques. Identité et image qui impliquaient à l’époque de ne croire que ce qu’ils pouvaient voir, et les menaient par conséquent à rejeter les vieilles superstitions dépassées parlant de forces agissantes invisibles.

Les médecins ainsi mis en cause regardaient leurs mains et ne voyaient rien de mal, rien de répréhensible.

La plupart des professionn
els de santé d’aujourd’hui répondent de la même façon lorsqu’on suggère qu’ils pourraient être contaminés par des biais contractés au contact des moyens d’influence et de persuasion déployés par les firmes pharmaceutiques. Ils ne doutent pas de la protection, des défenses qu’ils pensent avoir du fait de leur intelligence, de leur formation et de leur pratique. A leurs yeux, cela devrait les immuniser contre les influences trompeuses.

Pourtant, l’intelligence et la formation professionnelle n’offrent que très peu de protection. Et de fait, sur les trois professions les plus à risque d’être trompées par des arnaques sur internet, deux se révèlent être des professionnels dont la formation porte précisément sur leur aptitude à évaluer le mieux les actes et les comportements des gens : les psychiatres et les psychologues. Les plus formés sont les plus facilement trompés, comme le montre l’analyse citée.

L’explication la plus plausible est qu’être trop confiant dans ses propres capacités augmente le risque d’être trompé et induit en erreur. Les personnes qui ont cette confiance démesurée en elles-mêmes sont plus facilement influençables, et les messages trompeurs les atteignent plus aisément parce qu’elles ne font pas les efforts nécessaires pour évaluer et rejeter ces derniers. Ni pour vérifier plutôt deux fois qu’une qu’aucune influence inconsciente n’a réussi à s’infiltrer. Nous sommes nombreux à penser que seuls les autres sont influençables, vulnérables à la tromperie. Certains psychologues appellent cela l’illusion de l’invulnérabilité, s’agissant de se définir soi-même par rapport à d’autres (illusion of unique invulnerability).

De même, toute notre formation de médecins ne nous prépare pas à une compréhension adéquate des statistiques.

Depuis les années 1840, les professionnels de santé ont vécu un changement de paradigme. Nous, médecins, comprenons désormais que des maladies peuvent être causées par des germes et ne prenons donc plus pour une attaque à la personne l’idée que nous pourrions porter et transmettre des infections. Nous avons intégré et assimilé la nécessité de nous laver les mains avant chaque accouchement ou avant chaque intervention chirurgicale.

Votre santé, notre santé, dépend de ce que nous tous faisons pour aider les médecins à intégrer cet autre changement de paradigme, à accepter le fait qu’ils sont eux aussi susceptibles de contracter ces germes que sont les biais induits par les moyens de persuasion industriels visant à les tromper.

Nous pouvons prévenir la transmission d’infections microbiennes à l’aide d’avancées technologiques telles les gants en latex et les préservatifs. Nous pouvons diagnostiquer ces infections à l’aide de microscopes, puis traiter efficacement la plupart d’entre elles, puisque nous disposons d’antibiotiques.

Par contre, nous n’avons pas de méthodes éprouvées et efficaces permettant à quiconque de s’exposer à des moyens d’influence sans risque de contracter une partie ou la totalité des biais qu’on veut lui inculquer. Nous n’avons aucune technique de diagnostic pour détecter ne serais-ce que la présence des biais, sans parler d’en analyser l’étendue et la portée. Et nous n’avons aucun traitement qui guérisse l’infection par les biais.

Voilà pourquoi les médecins doivent éviter de s’exposer aux germes, aux moyens d’influence développés par l’industrie pharmaceutique : pour la simple raison que nous n’avons aucune autre façon de réduire les risques de contracter cette infection-là.

Le système de soins s’améliorera lorsque les médecins auront compris tout ce que cela implique et choisiront, par conséquent, d’avoir recours à des sources d’information moins biaisées.

Et c’est pourquoi Healthy Skepticism en appelle à interdire toute implication des firmes pharmaceutiques dans la formation des médecins [qu’il s’agisse de la formation initiale ou continue, NdT].

Pour commencer, il faut informer tout le monde, afin que chacun puisse décider par lui-même de ce qu’il convient de faire en la matière, et c’est pourquoi nous demandons au gouvernement de mettre en place une enquête approfondie quant aux biais qui s’exercent dans la formation médicale de troisième cycle comme dans la formation médicale continue (postgraduate medical education).

Limiter les sources de biais dans la formation médicale contribuera à assurer des soins meilleurs, une meilleure santé des patients, ce qui aura en outre un impact économique bénéfique, grâce à une productivité améliorée et à la réduction des coûts. »

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Elena Pasca

2 réflexions au sujet de “Des « Médecins sous influence » pharmaceutique propagent les biais et la désinformation comme jadis la fièvre puerpérale, selon Peter Mansfield”

  1. lu dans « the heart » les dérives des essais cliniques
    Déclaration préalable des études cliniques avant publication : peut mieux faire
    14 septembre 2009 | Vincent Bargoin
    Paris, France — Même lorsqu’il s’agit d’essais randomisés, publiés dans les revues généralistes ou spécialisés les plus prestigieuses, l’enregistrement préalable est encore loin d’être la règle. C’est à ce constat qu’aboutit une enquête, menée par une équipe de l’Inserm U 738 (Département d’Epidémiologie Biostatistique et Recherche Clinique, Hôpital Bichat-Claude Bernard), et publiée dans le Journal of the American Medical Association [1]. Sur 323 essais randomisés de cardiologie, gastro-entérologie et rhumatologie, 45,5 % avaient été convenablement enregistrés, avant le lancement de l’étude, et avec un critère primaire conforme au critère effectivement publié.
    Sur 323 essais randomisés de cardiologie, gastro-entérologie et rhumatologie, 45,5 % avaient été convenablement enregistrés, avant le lancement de l’étude, et avec un critère primaire conforme au critère effectivement publié.
    « Nos résultats ne sont pas véritablement surprenants » indique le Dr Philippe Ravaud (Inserm U 738) à heartwire.
    « Le principe de l’enregistrement préalable est relativement récent et les défaillances constatées sont donc logiques. Elles ne témoignent en aucun cas d’une faillite des sites d’enregistrement. L’outil est extrêmement important pour contrer le biais de publication ; il est en particulier crucial pour les méta-analyses. Il doit simplement continuer de se développer. Et en ce sens, nos constatations doivent inciter les directeurs de journaux et les relecteurs à faire un peu plus attention lorsque des articles leurs sont soumis ».
    Un principe énoncé en 2005
    Le principe d’une déclaration préalable des essais randomisés a été énoncé en 2005 par l’International Committee of Medical Journal Editors (ICMJE), qui regroupe des journaux médicaux généralistes (Lancet, NEJM, JAMA, BMJ,…). De nombreux journaux de spécialités ont toutefois rapidement suivi le mouvement. Selon ce principe, les promoteurs d’études doivent déposer dans un registre une description du protocole, incluant notamment la désignation de l’investigateur principal et la description des critères primaires et secondaires de l’étude. Cette déclaration doit intervenir avant le démarrage des inclusions, et constitue théoriquement une condition à la publication des résultats dans les journaux adhérents au principe de l’enregistrement.
    323 essais contrôlés, publiés dans 20 journaux leaders
    L’évaluation publiée dans le JAMA porte sur 323 essais randomisés et contrôlés, indexés sur Medline en 2008, et publiés dans la liste des 10 journaux généralistes et des 10 journaux de spécialité possédant le plus fort facteur d’impact. Toutes ces publications décrivaient le critère primaire, soit explicitement, soit à travers le calcul de taille de l’échantillon. Les articles ne permettant pas d’identifier précisément un critère primaire ont été écartés. Les articles retenus concernaient la cardiologie (44 %), la gastro-entérologie (31,6 %) et la rhumatologie (24,5 %).
    Dans 19 cas (82,6 %), la modification imposée au critère entre déclaration et publication favorisait la significativité des résultats.
    Pour chaque essai, l’enregistrement préalable a été recherché directement à partir du N° d’enregistrement, à défaut de N° publié, en contactant l’auteur principal, et à défaut de réponse à trois demandes, dans les sites internationaux (exp. : ClinicalTrials.gov), les sites nationaux (exp. : Nederlands Trial Register), ainsi que par le portail de recherche de l’OMS. En cas d’échec à ces trois étapes, l’étude était réputée ne pas avoir été déclarée.
    Pour les études dont la déclaration a été retrouvée, deux items ont été examinés. Premièrement la date de déclaration : avant le 13 septembre 2005 pour les études lancées avant juillet 2005 (date butoir décidée par l’ICMJE), et avant le début de l’inclusion pour les études lancées après juillet 2005. Deuxièmement, la déclaration du critère primaire, et la clarté de sa description. Par exemple, la simple mention « pression artérielle » était considérée comme insuffisante. En revanche, « changement de la PA systolique entre t-0 et 12 mois » était considérée comme non ambiguë.
    Enregistrement des études, date d’enregistrement, et présence et qualité de la description du critère primaire
    Enregistrement correct
    (date + critère primaire) Absence d’enregistrement Enregistrement après la fin de l’étude Enregistrement sans description
    ou avec une description insuffisante du critère primaire Enregistrement après la fin de l’étude
    et sans description adéquate du critère primaire
    147 (45,5 %) 90 (27,9 %) 45 (13,9 %) 35 (10,8 %) 3 (0,9 %)
    Discordance entre le critère primaire déclaré et publié
    En ce qui concerne l’adéquation entre critère primaire déclaré, et critère effectivement retrouvé dans la publication, l’analyse n’a porté que sur les 147 études a priori correctement enregistrées. Dans 46 cas (31,3 %), le critère primaire publié ne correspondait pas au critère primaire annoncé.
    Comparaison entre critères primaires déclarés et publiés (sur 147 études a priori convenablement déclarées)
    Introduction dans la publication d’un critère primaire non déclaré, ou déclaré comme secondaire Omission du critère primaire déclaré dans la publication Publication comme primaire d’un critère déclaré comme secondaire Publication comme secondaire d’un critère déclaré comme primaire Publication de résultats relevés à des temps différents de ceux annoncés
    22 (15 %) 15 (10,2 %) 8 (5,4 %) 6 (4 %) 4 (2,7 %)
    Enfin, les conséquences de ces manquements ont pu être évaluées dans 23 études. Sans surprise, dans 19 cas (82,6 %), la modification imposée au critère entre déclaration et publication favorisait la significativité des résultats.
    Les journaux généralistes ne s’en tirent pas toujours mieux que les journaux de spécialité
    En ce qui concerne les journaux, on note que l’enregistrement (adéquat ou non) est plus fréquent dans les journaux généralistes que dans les journaux de spécialité (97,4 % des 114 essais publiés dans les journaux généralistes étaient enregistrés, contre 58,9 % des 209 essais publiés dans des journaux de spécialités).
    Bien que l’enregistrement des essais soit dorénavant la règle, l’implication complète des auteurs, des éditeurs et des relecteurs est encore nécessaire pour assurer la publication de résultats de qualité, non biaisés — Les auteurs
    Les enregistrements adéquats (date et description précise du critère primaire) sont également plus fréquents pour les essais publiés dans les journaux généralistes. En revanche, les deux types de journaux se retrouvent à égalité pour ce qui concerne « l’optimisation » du critère primaire avant publication — 24 papier sur 72 (33,3 %) dans les journaux généralistes ; 22 papiers sur 75 (29,3 %) dans les journaux de spécialités.
    Les auteurs concluent en soulignant que « bien que l’enregistrement des essais soit dorénavant la règle, l’implication complète des auteurs, des éditeurs et des relecteurs est encore nécessaire pour assurer la publication de résultats de qualité, non biaisés ».
    Vers la publication systématique des résultats ?
    Cet effort est d’autant plus nécessaire qu’une seconde étape est déjà sur les rails. Pour le moment, l’enregistrement n’est en principe obligatoire que dans la perspective d’une publication ultérieure dans les journaux de l’ICMJE et les journaux qui se sont ralliés au principe de la déclaration préalable. Mais comme l’explique le Dr Ravaud, depuis un an environ, aux États-Unis, la publication des principaux résultats, sur le site d’enregistrement, est elle aussi devenue obligatoire pour tous les médicaments ou dispositifs devant recevoir l’approbation de la FDA. La non-publication pure et simple de résultats pourrait en effet représenter une partie immergée du biais de publication, beaucoup plus importante que le bidouillage d’un critère composite ou l’enregistrement tardif d’une étude, lorsque le résultat commence à se profiler.
    Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt relatif à cette étude.

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