La coordination des soins tient-elle ses promesses d’économies, de meilleur suivi pour une meilleure qualité des soins ? Résultats dégrisants d’une méta-analyse américaine

Habituellement, on expérimente en France des modèles de réorganisation des soins qui ont abouti à des impasses ailleurs… L’une des coordination chemistry CEA.gifidées en vogue aujourd’hui est la coordination des soins – le parcours coordonné – assurée par un professionnel de santé en contact régulier avec les patients et surtout avec ceux souffrant de maladies chroniques, afin d’assurer la bonne observance du traitement, de coordonner le recours à différents spécialistes et l’interaction de ceux-ci. Ce modèle est censé assurer un suivi de qualité, unifier les soins, veiller à la compatibilité des diverses prescriptions et interventions, et, bien entendu, aboutir à un rapport coût – efficacité qui ferait des économies à l’assurance-maladie. Sans préjuger des résultats de cette organisation française, il serait intéressant de voir quelles sont les expériences étrangères, d’autant plus que le JAMA vient de publier une méta-analyse de 15 essais randomisés de coordination de soins.

Illustration: CEA (coordination chemistry /chimie de la coordination)

La comparaison entre la coordination à la française et celle à l’américaine n’est faisable que partiellement

En France, le rôle de coordination en revient au médecin traitant, interlocuteur privilégie dans le « parcours de soins coordonnés ». La question est d’autant plus d’actualité que l’on a annoncé depuis peu une deuxième baisse des remboursements si les malades n’ont pas de médecin traitant.

Bien entendu, il n’est pas question de réduire le médecin traitant à la coordination des soins, surtout telle qu’elle est conçue aux Etats-Unis, mais de la mettre en perspective par la comparaison avec les réalités évaluées à l’étranger – alors qu’elles ne le sont pas en France –, afin de voir si elle atteint ses objectifs ou non. On peut tirer des leçons des résultats étrangers afin d’améliorer certains aspects de la coordination à la française, puisqu’il est question aussi d’observance, de relation personnalisée, d’incitations financières (pour les médecins uniquement…), d’éducation quant aux comportements et modes de vie ayant un impact sur la santé, etc.

Il faut dire aussi dès le départ que la comparaison n’est pas complètement faisable, puisqu’il y a certainement des différences dans l’application de ce modèle aux Etats-Unis par rapport à la France. Toutefois, la méta-analyse dont il est question ici concerne les malades de plus de 65 ans, les malades chroniques et les handicapés pris en charge par le programme public d’assurance-maladie Medicare. D’autre part, la coordination est assurée en France par des médecins, aux Etats-Unis – dans ce cadre-là – par des infirmières. Mais encore une fois, ne regardons que le côté coordination, à l’exclusion du reste.

Rappelons qu’une dimension connexe de ce parcours coordonné des soins a par ailleurs été épinglée aussi par Health Consumer Powerhouse, qui estimait qu’il retardait la prise en charge par des spécialistes et n’était pas un bon point dans l’évaluation du système français de santé (voir cette note).

La méta-analyse parue dans le JAMA

Le 11 février 2009 paraissait dans le JAMA (Journal of the American Medical Association) la méta-analyse dirigée par Deborah Peikes et al., sous le titre “Effects of Care Coordination on Hospitalization, Quality of Care, and Health Care Expenditures Among Medicare Beneficiaries. 15 Randomized Trials » (Effets de la coordination des soins sur l’hospitalisation, la qualité des soins et les dépenses santé des bénéficiaires de Medicare. 15 études randomisées).

15 programmes de coordination de soins ont inclus 18.309 patients souffrant principalement d’insuffisance cardiaque, maladies coronariennes, affections pulmonaires et diabète, qui ont accepté de participer à cette étude entre avril 2002 et juin 2005. Les patients ont été randomisés entre soins coordonnés et soins habituels. Les critères de jugement choisis ont été le nombre d’hospitalisations, les coûts et certains paramètres évaluant la qualité des soins et son impact sur la santé.

Des infirmières ont été chargées de l’éducation thérapeutique des patients et de leur surveillance, assurée la plupart du temps par téléphone, afin d’améliorer l’observance des traitements et la capacité à communiquer avec les médecins. Les patients ont été contactés en moyenne deux fois par mois, mais la fréquence était très variable d’un groupe à l’autre. Les infirmières ont informé les médecins par des rapports écrits sur la situation des malades et les divers soins qu’ils avaient eus.

Sur les 15 programmes / études randomisées, 13 n’ont montré aucune différence significative (P<.05) quant au nombre d’hospitalisations. Quant aux deux autres : l’un des centres a enregistré 17% hospitalisations de moins dans le groupe coordonné, alors que les malades d’un autre centre ont eu 19% d’hospitalisations de plus que dans le groupe de contrôle… Aucun des 15 programmes n’a généré d’économies significatives. Aucune des mesures envisagées pour améliorer la bonne prise des traitements (l’observance) n’a eu d’impact notable, et des résultats modestes ont été obtenus sous l’angle de certains – mais pas de tous – critères de qualité des soins.

C’est ce dernier aspect qui permet aux auteurs de conclure quand même à l’utilité – aussi faible soit-elle – d’une coordination impliquant des contacts avec les malades souffrant de pathologies modérées à sévères, puisqu’elle ne génère pas de coûts supplémentaires mais réussit à apporter certaines améliorations dans la qualité des soins.

Editorial du JAMA sur la coordination des soins

Dans l’éditorial (réservé aux abonnés) qui accompagne cette méta-analyse, signé par John Ayanian et intitulé « The Elusive Quest for Quality and Cost Savings in the Medicare Program » (Améliorer la qualité et réduire les coûts – un objectif difficile à atteindre), l’auteur qualifie ces résultats de dégrisants et de nature à faire réfléchir sur les raisons de l’échec et sur les leçons à tirer pour améliorer le modèle. A noter qu’en plus de Harvard Medical School, John Ayanian exerce au Brigham and Women’s Hospital, qui est l’un des promoteurs du concept.

A retenir / Points soulignés par l’éditorialiste :

  • Le contact personnel avec les malades est le seul qui puisse avoir un impact ; celui téléphonique ne donne aucun résultat. De même, intervenir en équipe apporte plus de résultats que l’interaction avec un seul professionnel chargé de la coordination.
  • Les patients apprécient l’aide offerte dans l’organisation des soins et des rendez-vous ainsi que les conseils concernant le mode de vie, l’activité physique et le régime alimentaire. Cela dit, l’éditorial note que l’éducation en la matière n’a pas de conséquences plus importantes dans les groupes bénéficiant d’une coordination que dans les groupes de contrôle : elle ne se traduit pas par des changements plus marqués des comportements ali
    mentaires et physiques et des modes de vie que ceux obtenus suite aux conseils prodigués par les professionnels de santé exerçant de façon non coordonnée.
  • Pour espérer aboutir à des améliorations, les coordinateurs doivent être en contact direct et régulier avec les médecins des patients.
  • Les médecins et professionnels de santé devraient avoir des incitations financières pour s’impliquer dans une telle coordination, car la tarification habituelle à l’acte ne les motive pas à s’engager.
  • Améliorer l’accès à des soins primaires – médecine générale – mène parfois à des hospitalisations supplémentaires qui ne se traduisent pas forcément par une meilleure santé ou une meilleure qualité de vie, surtout s’agissant de personnes souffrant de pathologies très sévères.

Quelques extraits de l’éditorial du JAMA

« (…) Based on the increased Medicare expenditures related to program fees and the largely null effects on quality of care and health outcomes, CMS (Centers for Medicare & Medicaid Services, administration qui a financé les programmes de coordination) terminated all but 2 of the 15 programs when the evaluation was completed. Two programs selected to continue were judged to have the potential to generate sufficient savings from less frequent hospitalizations to offset their program fees. Despite the largely null effects of the demonstration project as whole, the evaluation offers 2 important insights to guide Medicare policy on coordination of chronic disease care going forward.

First, care coordinators must interact in person with patients and not simply educate or assist them by telephone. Only 4 of the 15 programs emphasized in-person contact between coordinators and participants, including both of the programs that CMS allowed to continue. The value of in-person contact is consistent with findings from a recent pooled analysis of 10 randomized studies of care management for congestive heart failure, in which such contact between care managers and recently hospitalized patients reduced subsequent readmissions, but telephone contact did not have a significant effect. [4] This pooled analysis also found that a team-based approach, but not an individual care manager, resulted in fewer readmissions than usual care.

A second crucial lesson is that care coordinators must collaborate closely with patients’ physicians to have a reasonable prospect of influencing care. Only 4 of the 15 programs had coordinators who were based in physicians’ offices or who attended patients’ medical appointments, including both of the programs that were authorized by CMS to continue. (…) Efforts to improve care coordination or access to primary care may sometimes lead to increased rates of hospitalization without measurable effects on health-related quality of life, particularly among very old or severely ill patients. [6] Consistent with this observation, from the 2 programs that demonstrated the potential to reduce hospitalizations, the authors concluded that patients with intermediate average costs (approximately $1000 per month), not those who were relatively healthy or extremely sick, were most likely to experience fewer hospitalizations.

To engage physicians and medical groups as serious partners in efforts to improve quality and contain costs, CMS will need to provide stronger financial incentives in Medicare—beyond traditional fee-for-service payments. (…) »

A suivre: les projets de pilotage et de coordination des soins par les médecins généralistes

Cet éditorial évoque en passant un modèle expérimenté actuellement à plusieurs endroits aux Etats-Unis et issu de la volonté des associations professionnelles de médecins généralistes de sauver leur discipline et de se réaffirmer comme des acteurs majeures dans le réseau de soins. Nous y reviendrons dans une note consacrée entièrement à ce sujet.

Elena Pasca

Copyright Pharmacritique

5 réflexions au sujet de “La coordination des soins tient-elle ses promesses d’économies, de meilleur suivi pour une meilleure qualité des soins ? Résultats dégrisants d’une méta-analyse américaine”

  1. Bonjour,
    Il faut comparer ce qui est comparable, pour extrapoler à la France la situation des USA où il n’y a quasiment plus de médecins généralistes il faudrait attendre 10 ans quand ceux-ci auront effectivement disparus du PMF (Paysage Médical Français) !
    Pour parler efficacité de la coordination il faudrait aller voir où elle est exercée par des médecins de 1er recours sur le terrain (et pas par téléphone) comme au Danemark où l’économie engendrée par rapport à la France est de l’ordre de 30 milliards d’euros pour des résultats sanitaires comparables; apprécier les résultats sanitaires est important pour juger de l’efficacité au meilleur coût et les USA sont le mauvais exemple avec notamment une mortalité maternelle et infantile au delà du 50è rang mondial du fait des millions d’exclus !
    Quand à la France la régulation par le « parcours de soins » n’est qu’un leurre ce dernier étant parfaitement contourné les caisses n’ayant pas mis en place les moyens de vérifier son application. Cordialement,
    Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP – ESPACE GENERALISTE

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  2. La coordination des soins aura un sens quand la médecine , le soin seront centrés sur le malade et non sur le médecin , quant auront disparu les rivalités entre généralistes et spécialistes, entre libéraux et hospitaliers, quand les gens se parleront et se comprendront mieux, quand le soins primaire et le soin secondaire seront mieux définis, quand chacun saura son utilité dans le système et ses limites et en essayant de ne pas empiéter sur les prérogatives des autres

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  3. La voix de la raison!!
    Merci!
    Oui, je n’apprécie pas l’arrogance des spécialistes vis-à-vis des généralistes qu’ils jugent bons à traiter des angines et la bobologie, mais je n’apprécie pas non plus que les généralistes considèrent que des spécialités entières n’ont pas de raison d’être (cf. la discussion suite à la note sur la gynécologie médicale). Je l’ai dit et le redis, la revalorisation – nécessaire – de la médecine générale ne peut pas se faire en contestant la légitimité des autres et en les dévalorisant.
    Je ne sais pas si le terme « prérogatives » est celui qu’il faut, ça se discute.
    Mais ce que je sais, par contre, c’est que je suis à 1000% d’accord avec votre affirmation « La coordination des soins aura un sens quand la médecine , le soin seront centrés sur le malade et non sur le médecin »
    Parce que l’un des risques, c’est que les patients en aient marre de ces gueguerres intestines, de ce défilé ridicule de coqs qui gonflent leurs plumes et donnent de la voix pour affirmer leur supériorité face aux autres. Et les patients devraient en avoir marre que leur voix ne comptent pas du tout.
    Aucun des médecins généralistes qui s’est prononcé à la suite de ce billet appelant à signer une pétition pour la sauvegarde de la gynécologie médicale n’a pris en compte le fait qu’aucune des femmes qui ont donné leur avis ne s’est dite favorable à la récupération de la gynécologie médicale par la médecine générale.
    Comme d’habitude en médecine, ce qui disent les patients, tout le monde s’en fout! Et souvent, plus le discours est du genre « le patient d’abord », plus ce patient ne sert que d’alibi et d’ornement dans le discours. (Et encore, tant qu’il se tait ou dit ce qu’on lui dit de dire. Autrement, on le censure et on le fout dehors).
    Après, Martin Winckler vient accabler les hospitalo-universitaires de tous les maux. Puis un autre médecin vient avec un discours du genre « je hais les médecins ».
    Bravo, nous voilà avancés!
    Y en a pas marre de ces infantilismes? Je me demande vraiment s’il n’y a pas lieu de rendre obligatoire une psychothérapie centrée sur le narcissisme – celui pathologique, s’entend, celui qui instrumentalise l’autre (le patient) et le traite en objet (de soins, mais peu importe), celui qui fait que les plumes du coq en question sont les plus lisses, les plus belles et qu’il est le plus à même de prendre soin des poules tout en défendant âprement son territoire…
    J’en vois pour preuve aussi le fait que lorsque j’ai manifesté ma préférence pour la raison, dans une discussion réfutant la pertinence d’une haine des médecins, cela a été interprété comme une négation des affects…
    J’espère vraiment que les affects d’un médecin anti avortement ne joueront pas du tout lorsqu’il faudra adresser la femme en question à un centre spécialisé; qu’un chirurgien ne sera pas pris d’un accès de pitié chrétienne lorsqu’il s’agira d’extirper une tumeur et ainsi de suite.
    Oui, la raison. Qui devrait contrôler les affects de tous, parce que la déontologique le demande, et qui devrait maîtriser l’amertume de ceux qui s’estiment dévalorisés, etc. Parce qu’à trop vouloir se tirer dans les pattes les uns aux autres et se voler dans les plumes (pour en rester aux coqs…), ce sont les patients qui n’auront plus d’estime pour les médecins qui se comportent de cette façon.
    La cour de récré, c’est quand même fini depuis quelque temps, non?

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  4. Il faut faire attention de ne pas opposer le bon patient au mauvais médecin . Nous sommes tous soumis à des systèmes de représentation communs qui peuvent être aliénants .
    Pou reprendre l’exemple de la gynécologie ou de la pédiâtrie, il existe aussi dans ce domaine ce que Bourdieu a appelé dans son remarquable ouvrage un  » sens de la distinction  » . S’il existe effectivement de bonnes raisons pour une femme de préférer un gynéco par exemple ( son médecin ne pratique pas la gynéco, elle est gênée d’être examinée par son médecin de famille etc ), d’autres sont le produit d’une idéologie de la consommation et de la volonté des classes sociales qui occupent une place supérieure dans le système économique de se distinguer des classes défavorisées. Quand on parle des patients, il ne faut pas perdre de vue que les comportements d’accès aux soins sont aussi déterminés par l’appartenance de classe .
    Heureux de vous voir rétablie et de pouvoir vous lire

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  5. Bonjour Alain Siary,
    je suis très contente de vous lire. Vos remarques m’ont manqué!
    Oui, vous avez raison quant aux différences, mais je ne pense pas avoir idéalisé les patients dans ces pages, même si j’exprime ma solidarité avec les victimes d’effets secondaires non reconnus par des médecins et par les autorités et que je critique certains préjugés de la médecine. La même critique est faite par les médecins éclairés, si je puis dire, qui pestent contre le paternalisme, les relations de pouvoir qui font que le choix et la voix des patients n’a aucune valeur, si ce n’est dans des déclarations médiatiques.
    je doute que ce que la plupart des femmes cherchent lorsqu’elles préfèrent les gynécologues aux généralistes soit un effet de distinction. (Cela arrive par contre lorsque des patients des deux sexes idéalisent les leaders d’opinion, et force est de constater qu’il y a en France une véritable idolâtrie et qu’on ferme les yeux trop facilement sur beaucoup trop de leurs dérapages et abus. La parole du Pr XY, c’est parole d’évangile, même si par ailleurs elle est contredite par tout le savoir médical livresque et l’opinion de tous les autres médecins. C’est triste).
    Je n’ai pas constaté, dans mon « enquête », de différences notables dans ce choix en fonction de la classe sociale. Mais cette « enquête » n’a bien entendu aucune valeur statistique ou autre.
    Pour moi, l’intention principale reste celle de séparer les questions gynécologiques du reste, à cause de cette gêne, qui serait un obstacle à une bonne relation médecin – patiente. A cela s’ajoute quand même la question des compétences s’agissant de pathologies gynécologues qui demandent un suivi particulier. Et aussi s’agissant des pathologies difficiles à diagnostiquer. Vous savez tout comme moi que l’expérience du médecin avec une certaine pathologie est quand même très importante, et pas seulement dans la maîtrise des gestes chirurgicaux…
    Mais un médecin généraliste qui fait de la gynécologie et s’est formé dans ce domaine, pourquoi pas? A condition que ce soit un autre médecin généraliste, pas celui habituel.
    Je ne peux pas imaginer cela autrement. Et manifestement d’autres femmes non plus.
    j’arrête pour ce soir, parce que ce que j’ai lu à propos du mépris et de l’abandon auxquels ont dû faire face les victimes de l’Agréal n’est pas de nature à me faire tenir un discours raisonnable et modéré a propos des médecins 😦 Il y a des moments où c’est la solidarité qui parle, et elle seule.
    On pourra en reparler un autre jour. Je voulais simplement vous dire que je suis moi aussi contente de vous retrouver.
    Cordialement

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