Les firmes pharmaceutiques profitent de la crise, malgré l’absence d’innovation. Elles vont dévorer les biotech

Pharmaceutical Business Review reprend une étude de la société d’analyse économique Datamonitor sur l’état financier actuel et les Argent Pharmalot.jpgperspectives de l’industrie pharmaceutique. On apprend que celle-ci non seulement n’est pas affectée par la crise, mais a toutes les chances d’en sortir renforcée et de racheter plein de sociétés de biotechnologies, les seules qui apportent de l’innovation thérapeutique…

 

Les 20 firmes les plus grandes disposent de liquidités propres chiffrées à 7,5 milliards de dollars et ne dépendent donc pas du tout des marchés financiers. Le taux moyen de dette des institutions financières – en proportion du capital – est de 95%, alors que celui de l’industrie pharmaceutique est de… 6%. Pfizer mène le bal avec à peu près 25 milliards de dollars en liquidités et en investissements rentables à court terme, suivi de près par Novartis.

Les rapaces en vol piqué sur les sociétés de biotechnologie

 

Cette puissance financière intacte place les firmes de nouveau en position de force vis-à-vis des entreprises de biotechnologies. Celles-ci avaient cherché à s’autonomiser en ayant recours aux crédits bancaires, qui sont nécessaires à leur fonctionnement. Mais elles ne les obtiennent plus et se tournent de nouveau vers les firmes pharmaceutiques. Celles-ci rêvent depuis longtemps de se jeter sur cette proie qui tombera toute cuite dans leur bec, puisque la dépendance financière envers les firmes entraînera une dépendance tout court : les biotech devront proposer à l’industrie pharmaceutique les principes actifs et autres découvertes au lieu de tenter de les développer par elles-mêmes.

 

Les rachats vont bon train : ainsi Eli Lilly n’a même pas besoin d’apports financiers extérieurs pour débourser plus de 6 milliards de dollars pour l’achat de ImClone, comme nous l’apprenons sur Boursorama. Et nous avions rendu compte du fait que Roche a déboursé plus de 43 milliards de dollars pour acheter une majorité de parts de Genentech, inventeur de ces pseudo-traitements du cancer de type Avastin (bevacizumab), dont le prix est pourtant astronomique. Mais ni l’efficacité toute relative (prolonger la vie de quelques semaines, tout au plus de quelques mois) ni le prix n’empêchent le succès commercial, comme nous l’apprend l’International Herald Tribune.

 

L’absence d’innovation a déjà été passée par pertes et profits et n’affecte pas la santé financière des firmes

 

L’autre dimension à prendre en compte est la crise de l’innovation, donc le fait qu’il n’y aura pas grand-chose pour remplacer les blockbusters, c’est-à-dire les médicaments qui rapportent le plus, mais dont les brevets expirent d’ici 2012, dans la plupart des cas. Le volume d’affaires perdu par les 50 principales firmes pharmaceutiques à cause de l’expiration des brevets est chiffré par Datamonitor à 115 milliards de dollars (86 milliards d’euros).

 

A cela s’ajoute la pression des systèmes nationaux de santé pour faire baisser le prix des médicaments. Et le durcissement des conditions à remplir pour obtenir une autorisation de mise sur le marché, du moins aux Etats-Unis. La FDA (agence états-unienne du médicament) n’a homologué que 19 nouveaux médicaments en 2007 : le plus bas niveau en 20 ans.

 Bourse Pharmalot.jpg

Mais les pertes à venir ont déjà été répercutées et amorties : l’index boursier Dow Jones US Pharmaceutical a perdu 10% entre janvier 2007 et mai 2008, mais remonte depuis le mois de juin, et ce malgré la crise…

 

Et puis il y a des stratégies pour éviter ces pertes : vive la publicité ! Et la crédulité des usagers !

 

Elle retombe toujours sur ses pieds, l’industrie pharmaceutique, même quand elle brasse du vide, des me-too, des copies de molécules anciennes dans un emballage nouveau ou alors des médicaments à utilité douteuse mais à prix d’or… Il faut reconnaître que les firmes sont passées maîtres dans la gestion de la pénurie de médicaments innovants, occultée par la profusion de pseudo-traitements, parfois pour de vraies maladies, mais surtout pour des maladies façonnées selon le très efficace procédé de disease mongering, technique combinant commerce, recyclage et publicité dans la stratégie globale de surmédicalisation, surmédicamentation, abus de prévention et autres combines à la Dr Knock.

 

Pile poil au moment où le Prozac (fluoxétine) arrivait à l’expiration du brevet et allait tomber dans le domaine public, n’a-t-on pas vu Eli Lilly le sortir sous le nom de Sarafem aux Etats-Unis et le présenter dans les publicités comme un traitement révolutionnaire du syndrome prémenstruel ? Pardon, il s’agit du trouble dysphorique prémenstruel (TDPM). Anciens médicaments, nouvelles indications… Ainsi, on teste sérieusement les antidépresseurs contre les bouffées de chaleur de la ménopause, les antiépileptiques dans les douleurs chroniques, la migraine, etc., les statines contre le cancer… Et la surprescription et surconsommation d’antidépresseurs et autres psychotropes n’est pas près de s’arrêter.

 

Mais l’exemple le plus frappant, ce sont les analogues agonistes GnRH (Enantone/Lupron, Décapeptyl/Gonapeptyl, Zoladex…). Ils tiennent déjà la sixième place en volume de dépenses aux Etats-Unis, rien que pour le cancer de la prostate. On comprend mieux les raisons du surdépistage de ce cancer: beaucoup de monde en vit, depuis l’industrie pharmaceutique aux sociétés savantes d’urologie ayant des conflits d’intérêts, jusqu’aux associations de malades qui ont elles-mêmes des intérêts, par leur sponsoring pharmaceutique. « Ils », c’est en fait surtout l’Enantone (acétate de leuproréline), appelée Lupron aux Etats-Unis, où elle est en position de quasi-monopole. Takeda Abbott Pharmaceuticals (TAP) ne se contente pas de cela ; la firme cherche non seulement à élargir les indications déjà existantes au cancer débutant et à des traitements de plusieurs années en endométriose, mais aussi à vendre l’Enantone dans le syndrome prémenstruel, la migraine, les troubles de la motilité intestinale, l’hirsutisme, l’épilepsie cataméniale, les douleurs pelviennes chroniques d’origine indéterminée, etc. C’est la première autorisation de marché qui est (un peu) plus difficile à obtenir. Après, les extensions d’indication se font bien plus facilement.

 

Vous pouvez lire la Déclaration sur le progrès thérapeutique de l’ISDB (International Society of Drug Bulletins : union internationale de revues médicales indépendantes), présentée dans cette note, pour comprendre que les pipelines sont vides. Il n’y a pas de progrès thérapeutique digne de ce nom, plus d’innovation réelle. Loin de là, puisque sur les centaines de médicaments sortis pendant la dernière décennie, il y en a moins de 10 qui constituent une véritable avancée. Et la plupart des « investissements » de l’industrie pharmaceutique et de ses dépenses se font pour le marketing, la promotion et autres formes de publicité, la communication, le lobbying… Et non plus pour la recherche et développement de médicaments, qui serait pourtant la raison d’être de firmes pharmaceutiques qui veulent s’appeler « laboratoires ».

 

 

 

 

 

Mais le grand public n’y voit que du feu. Et, grâce à un marketing, à un lobbying (avec des pantouflages, des mélanges public-privé, des revolving doors…) et à un réseau de vassalités financières (conflits d’intérêts, actionnariat…) extraordinairement efficaces, les firmes pharmaceutiques sont et seront à l’avenir aussi en position de force pour imposer leurs produits.

 

Jusqu’à ce que ce grand public décide de ne plus accepter que le profit passe avant la santé.

 

(Illustrations : Pharmalot dans un autre contexte)

 

Elena Pasca

Une réflexion sur “Les firmes pharmaceutiques profitent de la crise, malgré l’absence d’innovation. Elles vont dévorer les biotech”

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