57% des essais cliniques en vue de l’AMM ne sont pas publiés, même si l’AMM est accordée, nous dit PLoS

L’article de Kirby Lee et al, Publication of Clinical Trials Supporting Successful New Drug Applications: A Literature Analysis (Publication des Censure.jpgessais cliniques sur lesquels se fondent les nouvelles homologations de médicaments) est paru dans le numéro de septembre de la revue PloS (Public Library of Science).

Afin que les médicaments nouvellement produits par les firmes puissent obtenir l’autorisation (AMM) de l’agence du médicament, les laboratoires doivent soumettre à celle-ci au moins deux études prouvant leur innocuité et leur efficacité.

Les résultats de cette première étude quantitative sur le sort des essais cliniques fait avec des médicaments approuvés par la suite confirment ce que l’on savait déjà des méthodes de l’industrie pharmaceutique : n’est publié que ce qui se prête à une campagne de publicité et peut faire augmenter les ventes… C’est ce qu’on appelle un biais de publication.

La non publication n’est pas anodine. Elle doit nous faire réfléchir sur la piètre qualité des médicaments récents, puisque les firmes qui les produisent craignent vraisemblablement que l’accès aux données ne permette aux critiques de les démolir… Il s’agit quand même de 57% des essais cliniques qui sont ainsi censurés.

Les controverses récentes sur la suppression par l’industrie pharmaceutique de données montrant les risques d’effets secondaires graves de certains médicaments (antidépresseurs, l’antidiabétique Avandia…) ou sur la non publication de bon nombre de recherches défavorables à tel produit ont attiré l’attention sur le problème que pose une documentation incomplète, ne permettant pas aux médecins et aux chercheurs de juger des vrais bénéfices et risques des médicaments.

 

L’industrie a toutes les cartes en main. Et l’on est prié de croire que le jeu n’est pas faussé pour autant…

 

Cette publication sélective fait de l’industrie pharmaceutique la seule source d’information sur ses médicaments.

 

 

 

Elle peut formater cette information comme elle veut, sans contradicteurs, puisque la non publication veut dire que les données rélles, prises dans leur globalité, sont soustraites au débat. On est obligé de croire les firmes sur parole. Alors que l’histoire a prouvé que ce qui vient des laboratoires pharmaceutiques n’est jamais de l’information, mais toujours de la publicité, du marketing, de la communication, de la désinformation. N’en déplaise au LEEM (L€€M) et à l’EFPIA (syndicats français et européen de l’industrie pharmaceutique), qui affirment le contraire et se sont alliés avec la Direction entreprises et industrie de la Commission européenne, menée par ce grand ami de la santé publique qu’est Günter Verheugen, pour pouvoir abreuver directement les usagers de cette publicité. Au titre de l’ »éducation thérapeutique » et de l’ »aide à l’observance« , par exemple, notions très à la mode ces temps-ci et qui, curieusement, court-circuitent les médecins pour instaurer un boulevard menant des industriels directement aux patients, sans médiation aucune. (Je reviendrai là-dessus).

 

Les résultats de l’étude de PLoS et ses significations

 

Kirby Lee, Ida Sim et les autres ont mené une étude de cohorte des 909 essais cliniques mis en place pour étayer l’homologation de 90 médicaments, obtenue entre 1998 et 200. Les résultats : plus de la moitié de ces essais sur lesquels s’est basée l’autorisation de mise sur le marché accordée par l’agence états-unienne du médicament (FDA) n’étaient toujours pas publiés 5 ans ou plus après l’autorisation des médicaments en question. Pour donner le chiffre précis, seuls 43% de ces essais ont fait l’objet d’une publication.

 

C’est plus qu’un biais de publication, c’est de la désinformation délibérée. 

 

Les essais pivot et ceux menés à une plus large échelle et ayant des résultats statistiquement significatifs étaient plus susceptibles d’être publiés. Les essais ayant des résultats nettement favorables sont publiés, eux.

 

Ces méthodes n’ont rien d’étonnant, compte tenu des habitudes de l’industrie pharmaceutique en la matière, bien décrites dans l’excellent texte de Marcia Angell, traduit dans cette note. Tel dirigeant d’une firme ne disait-il qu’après tout, les données des essais cliniques sont la propriété de la firme et qu’elle en fait ce qu’elle veut ? Argumentation éventuellement recevable s’il s’agissait de marchands de tapis, qu’on choisirait d’acheter ou non et pour lesquels le comment de la fabrication importerait bien moins. Argumentation arrogante et irresponsable s’agissant de médicaments dont on doit tout connaître pour les utiliser à bon escient et en toute sécurité.

 

 

 

 

 

 

 

 

Il faudrait réformer d’urgence le système de propriété industrielle (propriété intellectuelle) qui permet une telle censure.

 

Ida Sim, co-auteure de cette étude publiée dans PLoS, confirme cette tendance à la sélection en fonction des résultats et y voit « une tendance structurelle qui détermine les modalités de diffusion au public de l’information obtenue au travers des essais cliniques », selon ses déclarations faites à Bloomberg.

 

Pourquoi cette occultation des essais cliniques, alors que les médicaments en question ont été mis sur le marché ?

 

Essayons de donner quelques éléments de réponse.shhh Pharmalot.jpg (Illustration: Pharmalot dans un autre contexte)

 

Si les firmes publient les autres essais, ceux pas franchement convaincants, elles s’exposent à la critique et l’image des médicaments et leur publicité risquent d’en prendre un sérieux coup. Donc les ventes aussi… Et je répète la question essentielle : pourquoi la FDA a-t-elle homologué des médicaments sur la base d’essais cliniques restreints ou dont les résultats n’étaient pas statistiquement significatifs ?? Ou alors que la recherche montrait simplement qu’un médicament nouveau n’était pas inférieur à un ancien ? Ce genre d’ « étude de non infériorité » n’est certainement pas quelque chose dont l’industrie souhaite que l’on parle, puisque les firmes font leur publicité justement en disant que le tout nouveau médicament X est révolutionnaire, ce qui expliquerait son prix astronomique, alors qu’il n’est en fait qu’une copie à peine modifiée d’un ancien médicament désormais disponible sous forme générique, donc moins cher. Il suffirait de modifier un excipient pour déclarer qu’un médicament est différent de l’ancien de la même classe…

 

D’autre part, j’ai parlé à plusieurs reprises de cette véritable offense au bon sens que constitue l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de certains médicaments avant même qu’ils aient fait l’objet d’essais cliniques dignes de ce nom. C’est le cas tout particulièrement des traitements (ou des adjuvants) contre le cancer, où les essais sont interrompus très vite et où l’agence du médicament accorde l’AMM les yeux fermés, soi-disant pour que ces médicaments soient plus vite accessibles aux patients. Cela se fait au mépris du principe de précaution qui exige des preuves de l’innocuité de la molécule en question.

 

Mais c’est aussi le cas des médicaments anticholestérol (statines et autres ezétrol…), qui se voient homologués juste parce qu’ils baissent le LDL cholestérol (dit aussi le « mauvais » cholestérol), sans faire la preuve d’un quelconque bénéfice clinique. Vous pouvez lire la note « Médicaments anticholestérol: théorie des firmes et pratiques serviles des agences du médicament » et les autres articles sur le cholestérol et les statines.

 

Alors quand on entend des usagers trop naïfs dire que puisqu’un médicament est disponible et prescrit, c’est qu’il a été testé, vérifié, etc… Non, parfois les essais n’ont jamais lieu. Ou alors ils donnent des résultats qui contredisent la publicité, comme nous l’avons vu dans le cas d’Inegy (simvastatine + ézétimibe), qui non seulement n’est pas plus efficace que la simvastatine toute seule, comme on a pu le voir dans cette note ou dans celle-ci, mais en plus il cumule les effets secondaires des deux composantes et est même suspecté d’être lié à des cancers

  

Bien entendu, en France, l’Afssaps ou la HAS n’ont pas dit un mot de la controverse autour de ce médicament… Il n’y a pas non plus eu de mise en garde à propos d’Avandia (rosiglitazone) ou des autres glitazones (Actos, Competact…). J’ai abordé ces aspects dans la catégorie « (Anti) cholestérol, Ezétrol, Inégy »…

 

 

Mais revenons à l’étude parue dans PLoS et à la nouvelle réglementation sur les essais cliniques

 

Quelle que soit la cause de cette publication hautement sélective, « le biais de publication nuit à l’intérêt général, puisqu’il entrave la capacité des cliniciens et des patients de prendre des décisions en connaissance de cause ainsi que la capacité des chercheurs à concevoir des essais cliniques plus sûrs et plus efficaces à partir des résultats d’essais antérieurs. Le biais de publication peut donc être considéré comme une forme d’inconduite scientifique », concluent les auteurs en citant l’article de Chalmers, Underreporting research is scientific misconduct (La sous-publication de la recherche relève de l’inconduite scientifique), publié en 1990 (JAMA 263: 1405–1408).

 

Les auteurs considèrent que leurs données constitueront un terme de comparaison dans l’analyse du biais de publication, puisque l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation de la FDA (décidée en octobre 2007) impose désormais de rendre compte au moins des résultats élémentaires des essais cliniques, qui devront être publiés sur un site du ministère fédéral de la santé.

 

Interrogé par Bloomberg, Ken Johnson, le vice-président du syndicat états-unien de l’industrie pharmaceutique (PhRMA), ne voit aucun problème dans cette rétention d’information, puisque, dit-il, la FDA résume toutes les informations pertinentes tirées des essais et les inclut dans les RCP (résumé des caractéristiques du produit) utilisés par les médecins.

Ken Johnson dit soutenir la nouvelle réglementation, mais la portée de celle-ci sera limitée de toute façon, puisque même si elle empêchera la disparition pure et simple de toute trace des études défavorables, l’obligation de publier un résumé sommaire sur un site Internet n’est pas la même chose qu’une publication complète dans une revue médicale, commente Ida Sim. Et elle ajoute à juste titre que les publications dans les journaux médicaux sont les principales sources d’information des médecins et du public, pour savoir si un médicament est efficace ou non, quels en sont les effets secondaires et les interactions, etc. 

La nouvelle réglementation rendant obligatoire la publication d’un minimum d’informations sur les essais cliniques pourrait même être contre-productive, remarque la chercheuse. En effet, les firmes pourraient publier encore moins d’essais cliniques dans leur intégralité, sous prétexte que le résumé est disponible sur le site en question…

L’industrie pharmaceutique trouve toujours le moyen de retomber sur ses pieds et de tourner à son avantage une réglementation apparemment plus contraignante… Son inventivité ne s’est jamais démentie depuis qu’elle existe… Et si l’on jugeait en termes de gagnants et de perdants, il n’y aurait aucun mystère quant au résultat.

L’article paru sur le site de Bloomberg s’intitule Research Showing Drug Failure Published Less Often, Study Finds.

Elena Pasca

4 réflexions au sujet de “57% des essais cliniques en vue de l’AMM ne sont pas publiés, même si l’AMM est accordée, nous dit PLoS”

  1. L’étude citée porte sur 1998 à 2000 (coquille sur le 2000 dans l’article). Savez-vous pourquoi ils ont choisi ces dates relativement anciennes ?
    Comme vous l’indiquez la nouvelle législation américaine de 2007 prévoit la publication obligatoire des essais. S’agit-il de tous les essais ou de ceux concernant les médicaments autorisés par la FDA ?
    Savez-vous qui va se charger de la publication quand ce n’est pas dans une revue ? A priori je suppose que ce sera la firme avec tous les risques de biais possibles. L’avantage de publication dans une revue c’est que la qualité des signataires est importante et qu’il y existe un certain niveau de contrôle qui fait que la revue peut refuser des articles, les faire réécrire ou faire des mises au point.

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  2. Même quand les essais défavorables sont publiés , ils sont beaucoup moins cités dans les publications que les essais positifs .
    Ainsi les essais favorables aux hypocholestérolémiants sont cités 5 fois plus souvent que les essais défavorables.
    L’étude CARDS montrant l’intéret de l’Atorvastatine 10 dans le Diabète a été diffusée et citée des centaines de fois , alors que l’essai ASPEN qui ne montrait aucun effet protecteur de ce produit chez les diabétiques est passé à la trappe .
    Les essais EUROPA et HOPE montrant l’intérét des IEC dans le post -infarctus sont rappelés réguliérement, l’essai PEACE qui ne conclue à aucun effet favorable est  » oublié » .
    Mais c’est dans les métaanalyses que le biais de publication est le plus marqué : dans ce genre de publication, on rassemble tous les essais thérapeutiques concernant un même produit ou une même classe dans une affection bien précise pour confirmer son intéret . Une métaanalyse positive tient lieu de vérité scientifique incontournable . Or l’habitude est d’exclure les essais publiés sous forme d’abstracts , ce qui entraine une surestimation d’environ 33 % de l’effet ( Lancet 2000 ; 356: 1228-1231)
    On voit bien les conséquences délétères que peut entrainer la publication d’abstracts à la place des essais. D’autant plus que les abstracts ont tendance à oublier les critères d’exclusion de la participation aux essais ( il est fondamental de savoir si la population de l’étude a les mêmes caractéristiques que les patients qui vont être traités par les praticiens) et à se contenter de la réduction du risque relatif sans mentionner le risque absolu ( réduire de 1/3 une pathologie qui concerne 1% de patients, ce n’est pas la même chose que réduire de 1/3 une pathologie qui en concerne 30% . Dans le premier cas il faut traiter 294 patients pour éviter l’événement indésirable, dans l’autre 10 seulement

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  3. Merci pour toutes ces précisions! J’apprends énormément!
    Je posterai ce soir des détails et liens sur ces nouvelles dispositions de loi concernant l’enregistrement des essais cliniques et quelques autres détails qui vont avec. Ce sera fait sous forme d’une mise à jour à la fin de la note elle-même. Merci d’avoir posé la question, parce que les détails sont effectivement très intéressants et j’ai des liens là-dessus.
    Je suis plus sceptique quant aux garanties qu’apporterait la publication dans une revue médicale, vu tous les exemples de ghostwriting (écriture fantôme par des agences spécialisées en marketing et en communication, pour des leaders d’opinion qui servent de prête-nom aux firmes), de conflits d’intérêts non déclarés, de manipulation de la recherche elle-même, de publication dans des revues n’ayant pas de politique claire de déclaration d’intérêts et ainsi de suite.
    A ce sujet, il est intéressant de lire, par exemple, l’éditorial furieux du JAMA et les propositions faites pour tenter d’endiguer ces manipulations. Je l’ai traduit – un peu à la va vite, je le reconnais – dans la note « Virulent éditorial du JAMA et propositions pour limiter conflits d’intérêts, ghostwriting, manipulation par les firmes »
    http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/archive/2008/05/06/editorial-du-jama-avec-des-propositions-pour-limiter-conflit.html
    Et puis le texte traduit dans cette note: « Marcia Angell dénonce la manipulation de la recherche clinique et le contrôle de l’information médicale par les firmes. A lire et à diffuser ! »
    http://pharmacritique.20minutes-blogs.fr/archive/2008/09/18/marcia-angell-denonce-la-manipulation-de-la-recherche-cliniq.html
    Cela dit, c’est certain qu’une telle publication vaut mieux qu’un résumé…
    Cordialement.

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  4. Toujours Servier… et l’ANSM et l’EMA : des valeurs sûres
    Lettre aux professionnels de santé reçue par tous les médecins pour la promotion de Procoralan, un médicament pour le coeur, une grande étude menée par cette firme (Servier étude INEGY) et qui oh désespoir! a montré une augmentation de la mortalité dans le groupe traité par ce médicament, pardon, poison… Co-édité avec l’ ANSM (agence nationale de sécurité des médicaments) et l’EMA (l’agence européenne celle-là, une vraie passoire, enfin les deux)
    Dans cette étude de 19000 patients inclus traités par PROCO, dans un sous-groupe de 12000 patients (excusez du peu) il a été relevé une surmortalité. POINT BARRE!
    Dans la lettre de Servier, PROCORALAN n’est plus indiqué que comme traitement « symptomatique » dans l’angor stable chronique. Bref si l’angor est stable on ne va pas introduire une médicament qui augmente la mortalité. CQFD, juste pour traiter un symptome, lequel d’ailleurs? Même ma gardienne d’immeuble comprends cela. Pas les cardiologues? ni le experts?
     » la balance bénéfices-risques est apparue défavorable en raison de ses effets indésirables cardiaques (et rétiniens), non justifiés par une efficacité particulière. Pourtant, sur la période 2008-2013, en France, l’Assurance maladie a remboursé environ 2,8 millions de boîtes d’ivabradine. Quel gâchis ! » (prescrire 2014).
    à 50 euro la boite faites le calcul, plus les morts et toutes les hospitalisations générées…

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