Voici un reportage de la chaîne de télévision américaine CBS, qui cite un rapport parlant de 57 milliards de dollars payés chaque année par les firmes pharmaceutiques aux médecins pour influencer leurs prescriptions. Ce qui induit des conflits d’intérêts, voire de la corruption, et des biais à tous les niveaux de la chaîne du médicament.
Le reportage peut être visionné sur cette page, qui contient aussi une transcription intitulée « Are Perks Compromising MD Ethics ? » (« Les cadeaux compromettent-ils l’éthique médicale ? »).
Le point de départ est le suicide d’une jeune fille de 12 ans alors qu’elle était traitée par l’antidépresseur Zoloft° (sertraline). Mais il y est question aussi des enquêtes du justicier Charles Grassley, auquel Pharmacritique devrait proposer d’être membre d’honneur…
(Photo tirée de Pharmalot)
Pour les lecteurs qui ne parlent pas anglais:
Les parents de la fillette décédée se rendent compte après coup que l’antidépresseur lui a été prescrit à la légère, sans véritable justification (sans « dépression caractérisée », etc.). Et ils mettent cela sur le compte du fait que le médecin prescripteur a été payé par Pfizer, le laboratoire qui produit le Zoloft, pour des activités promotionnelles (séminaires de formation médicale continue, conférences… tout tournant autour des avantages de Zoloft).
Le reporter de CBS élargit la perspective pour souligner qu’il y a des chances que votre médecin et le mien soit payé par les firmes pharmaceutiques. Et que le profit que ces médecins en tirent n’ont aucune commune mesure avec les stylos et les post-it portant le logo de telle firme, ces gadgets n’étant que des indices du fait qu’ils reçoivent la visite médicale, qu’ils sont influencés par l’industrie pharmaceutique dans leurs habitudes de prescription.
(Et cela vaut même lorsqu’ils ne reçoivent que des cadeaux qui n’ont pas une grande valeur marchande, puisque les études faites à ce sujet ont montré que l’influence s’exerce dès qu’il y a contact entre firmes et médecins et que ceux-ci acceptent la moindre chose. Cette acceptation et ce contact créent une obligation qui peut s’exprimer de plusieurs façons, et que les visiteurs médicaux savent exploiter. J’en ai parlé à plusieurs reprises, en mentionnant entre autres l’article d’Ashley Wazana, Physicians and the Pharmaceutical Industry : Is A Gift Ever Just A Gift ? (“Les médecins et l’industrie pharmaceutique : Un cadeau peut-il n’être qu’un cadeau ? »). La réponse est non. C’est un investissement qui doit être amorti et apporter du profit bien au-delà de la valeur initialement investie).
Une étude de l’Université du Québec, parue dans PLoS, a estimé à 57 milliards de dollars les sommes payées par l’industrie pour influencer les médecins, nous dit CBS. Et le reportage parle des dernières démarches du sénateur Charles Grassley (le même dont j’ai déjà parlé maintes fois) pour essayer de « nettoyer » un peu ces pattes graissées. Le sénateur enquête actuellement sur une vingtaine de facultés de médecine qui font des recherches médicales financées par l’industrie, puisque les grands pontes médicaux de ces universités – parmi lesquelles Harvard, Stanford, Cincinnatti, autrement dit l’élite médicale des Etats-Unis – ont pris l’habitude d’empocher de l’argent venant des firmes, sans le déclarer et tout en prétendant à l’ »objectivité » scientifique de leur travail… Si ce n’est pas de la schizophrénie, on se demande bien ce que c’est…
Le reportage donne l’exemple de trois psychiatres qui ont défrayé la chronique… lorsque l’enquête de Charles Grassley a mis en évidence les énormes sommes d’argent (plus d’un million et demi de dollars pour Joseph Biederman) qu’ils ont empoché pour faire marcher le commerce d’antidépresseurs, antipsychotiques et autres médicaments utilisés en psychiatre. (Nous en reparlerons dans une note à part).
Enfin, le médecin qui avait prescrit le Zoloft à la jeune fille n’a pas souhaité s’exprimer. La firme Pfizer a commis un communiqué disant qu’elle paie des médecins pour des activités de consultants, parce que cela lui permet d’apprendre « comment réduire les effets indésirables … et améliorer l’efficacité [de ses médicaments] ». Pour le bien des malades, quoi… Et celui des médecins, et même celui de l’humanité…
Commentaires
Vous avez dit désinformation médicale ? Commerce ? Conflits d’intérêts ? Corruption ? Chiffres de vente ? Profit ? Cours de l’action ? Actionnaires ?
Vous avez l’esprit mal tourné et ne comprenez rien à la philanthropie moderne ! Celle-ci ne consiste plus à faire de la charité directe, mais à profiter de la « main invisible » (Adam Smith) que vantait récemment une personne « compréhensive » dans un commentaire posté sur ce blog. Personne appartenant pourtant à un cercle indépendant et qui se dit critique de l’industrie pharmaceutique… Si les indépendants raisonnent de la sorte, on peut se demander jusqu’où va la « compréhension » des non indépendants… Jusqu’à justifier la manipulation des informations et le fait que des firmes pharmaceutiques ont occulté les données – mises en évidence lors de leurs propres essais cliniques – portant sur le fait que les antidépresseurs provoquent des tendances suicidaires chez les enfants et les adolescents ? C’est l’une des formes du biais de publication. L’exemple le plus connu étant la firme GSK, qui a tronqué des résultats de recherche, etc. à propos de son antidépresseur Deroxat/ Seroxat/ Paxil… C’était pour faire marcher le commerce, il faut le comprendre. Cela vaut bien quelques dizaines de morts. Ou plus. Aucune idée de combien il y en a ; on sait juste qu’il y a des milliers de procès aux Etats-Unis.
Où va-t-on si l’on se met à douter de la « main invisible » théorisée par ce brave Adam Smith ? Qui dit que le capitalisme n’a pas besoin de régulations et d’interventions étatiques, par exemple en matière d’activité des firmes pharmaceutiques, puisqu’il se régule et se corrige tout seul, comme si une « main invisible » était à l’œuvre pour systématiser et ordonner un tout qui peut paraître chaotique et arbitraire.
La référence à Adam Smith – et la légitimation de la publicité comme une composante essentielle du système économique qu’il a pensé – revient en fin de compte à justifier la mort de ces adolescents sous antidépresseur pour un oui ou pour un non… A légitimer comme des accidents de parcours les dizaines et centaines de milliers de crises cardiaques et de décès provoqués par Avandia, par le Vioxx, les malformations dues au Distilbène, bref, la mort ou la vie dévastée de tous ceux qui subissent les effets des mensonges et de la désinformation par ces firmes pharmaceutiques qui font – ce n’est pas un secret, tout de même ! – du commerce.
Elena Pasca
COLERE NOIRE :les médecins reçoivent actuellement une jolie brochure émanant des laboratoires Servier (scandale Médiator) : GUIDE D’AIDE A LA PRESCRIPTION DU PROTELOS et de son bon usage, avec un petit carnet destiné aux patients. Tant de sollicitude pour un médicament n’ayant aucune preuve d’activité bénéfique mais bien au contraire une brouette d’effets secondaires non rares… quel cynisme atroce MERCI SERVIER!
le seul bon usage du Protélos est de le déprescrire au plus vite
J’enjoins les patients ayant des effets secondaires graves avec des médicaments de se constituer partie civile au minimum contre leur médecins également; ceux-ci sont responsables de leur prescription, responsables de leur manque de formation. Nous avons le devoir de nous former, d’être critiques, d’être entièrement responsable de notre prescription.
Nous médecin ça suffit de se cacher derrière les recommandations mercantilo-fallacieuses des autorités, de recevoir les commerciaux en service commando, de jouer les pauvres victimes d’un système pourri-vérolé jusqu’à la moelle, de s’absoudre de notre incompétence, de vacciner de pauvres gamines et de pauvres bébés avec des vaccins n’ayant montré aucune preuve d’efficacité, etc.
NOUS MEDECINS SOMMES RESPONSABLES INDIVIDUELLEMENT DE CHACUN DE NOS ACTES
(aux patients de se bouger d’être acteur de leur santé, de cesser de s’en remettre à toute autorité quelconque)
écrit sous le coup de la colère, j’accepte que vous supprimiez les passages non-conforme à l’éthique du blog, veuillez m’excuser. Merci
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Bonjour Lucien,
Merci pour tous vos commentaires et toutes vos remarques judicieuses, que j’apprécie au plus haut point. Je ne supprime rien, car, au contraire, cette indignation est tout à votre honneur!
Merci aussi d’avoir signalé ce site qui faisait la promotion du dépistage du cancer du sein par mammographies régulières. Le lien a été effacé (il était là depuis la mobilisation contre les franchises, et je n’ai pas eu le temps d’aller voir comment chaque blog et chaque site en lien ont évolué dernièrement).
Merci donc pour votre vigilance et aussi pour vos mots d’encouragement, qui font du bien!
Au plaisir de vous relire!
Cordialement,
Elena Pasca / Pharmacritique
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