John Spangler est spécialiste en sevrage tabagique et dirige la prestigieuse unité d’intervention en tabacologie de l’université de Wake Forest. En mai 2007, il a averti aussi bien Pfizer que l’agence américaine du médicament (FDA) des risques d’effets secondaires graves en cas d’utilisation du Champix (varénicline) sur une longue durée. Ses mises en garde se fondaient sur l’analyse d’une étude financée par Pfizer lui-même, comprenant 251 personnes sous Champix pendant une année. Les objections de Spangler n’ont pas été prises au sérieux par la FDA. Elles ressortent aujour’dhui, parce qu’une investigation récente confirme ses dires et va même bien au-delà.
Les détails dans cet article paru sur le site de la chaîne états-unienne ABC: FDA, Pfizer Told of Chantix Safety Concerns A Year Ago (« La FDA et Pfizer ont été avertis il y a un an des risques d’effets secondaires du Champix »). Champixgate?
Quant à Pfizer, ce n’est pas étonnant qu’il n’en ait pas fait étalage… Vu qu’il était en plein dans sa campagne publicitaire grand public, dont j’ai parlé dans cette note, et qu’il préparait les esprits médicaux à l’offensive sur l’usage du Champix comme traitement de plusieurs années, si ce n’est à vie, de la dépendance au tabac…
Dépendance présentée par les grands experts à la solde de la firme pharmaceutique numéro 1 un au monde comme une maladie chronique, à l’instar du diabète ou de l’arthrite… J’en ai parlé dans cette note et ajouté des commentaires dans les autres notes réunies sous la catégorie Tabac, sevrage, aides à l’arrêt. Comment voulez-vous que Pfizer et sa valetaille disent en même temps que les risques cardiovasculaires et de troubles visuels augmentent avec la durée d’administration??
L’ancien vice-président du marketing de Pfizer, le lanceur d’alerte Peter Rost, parle du Chantixgate de la firme, compte tenu de tout ce qu’on apprend depuis début 2008… Chantix étant le nom de Champix (varénicline) aux Etats-Unis.
Quant à l’illustration, elle est tirée du blog Pharmalot: c’est un montage de Pfizer et de « fired » (licencié), qui fait allusion aux 10.000 postes que Pfizer veut supprimer au total. Extrapolons, comme les firmes savent si bien le faire, pour faire allusion aux effets indésirables facilement congédiés. Et puis il faudrait se demander si le moment n’est pas enfin venu de « congédier » les firmes pharmaceutiques qui occultent les données et mettent délibérément des vies humaines en danger. Un petit coup de balai, un petit nettoyage des pattes graissées, même au Kärcher, pourquoi pas? Restons dans l’air du temps.
Des détails troublants sur la petite étude de Pfizer
Spangler nous dit que Pfizer avait toute latitude de déceler le potentiel d’effets indésirables du Champix dans cette étude-là, malgré ses dimensions modestes. L’étude a curieusement été publiée dans une revue médicale assez obscure, ce qui est une autre forme du biais de publication. Et les données ont manifestement été interprétées de façon à écarter les signaux d’alerte, concernant notamment les risques d’effets indésirables cardiaques et ophtalmologiques. Il est vrai que le nombre réduit de participants ne permet pas de tirer une conclusion définitive, mais, en attendant une étude à large échelle, les médecins doivent partir du principe d’un risque accru d’effets indésirables si le Champix est utilisé au long cours, nous dit Spangler. En tout cas, les dimensions de l’étude sont un argument contre l’utilisation à long terme du Champix, puisqu’il n’y a en aucun cas suffisamment de preuves de quoi que ce soit: ni de l’efficacité, ni de l’innocuité. Le RCP états-unien (résumé des caractéristiques du produit, qui est la notice pour les médecins) préconise un traitement de 24 semaines, ce qui est déjà énorme. Je ne sais pas ce qu’il en est en France, n’ayant pas un intérêt particulier pour le Champix.
Reste le signal d’alerte, en vertu de la prudence qui devrait être de mise en médecine.
Voilà qui devrait balayer les prétentions des experts tels Steinberg et Foulds, à la solde de Pfizer, à propos de l’innocuité du Champix et de la balance bénéfice – risques restée soi-disant favorable, même après la publication de l’étude faite par un observatoire des pratiques médicales (Institute for safe medication practices). A noter qu’un des coauteurs de cette étude qui met sérieusement en garde contre le Champix est affilié à la même université (Wake Forest) que John Spangler.
Par ailleurs, il est intéressant de voir que parmi les 998 effets indésirables sévères mis en évidence par l’observatoire pour le dernier trimestre de 2007, 224 concernait des troubles du rythme cardiaque et 148 étaient des troubles visuels. Soit les deux types d’effets secondaires sur lesquels Spangler avait attiré l’attention un an auparavant.
Plus de la moitié des participants à l’étude ont abandonné en cours de route, pour cause d’effets indésirables, nous apprend la lettre envoyée par John Spangler au journal Current Opinion and Research, qui avait publié l’étude de Pfizer.
Les études ne sont pas sûres, mais les firmes veulent que les médecins les prennent pour des sources fiables de leurs prescriptions… La contradiction n’est pas de notre fait, mais se niche dans l’argumentation d’ensemble des firmes pharmaceutiques.
Pfizer répond aux objections de Spangler d’une façon qui a de quoi laisser pantois lorsqu’on creuse un peu : même si cette étude restreinte conclut à l’innocuité du Champix pendant 52 semaines, il ne faut pas s’y fier ( !), mais s’en tenir au RCP (résumé des caractéristiques du produit). L’argumentation d’un officiel du plus haut niveau de Pfizer a de quoi en étonner plus d’un : « Il est très important de séparer ce qui est dans la littérature médicale de ce qui figure dans le RCP ». C’est ce dernier qui doit être la source d’information des médecins, peut-on lire. Autrement dit, l’étude ne vaut pas tripette.
Ici, il convient de se poser une autre question, compte tenu de l’actualité aux Etats-Unis : si les études ne valent rien, pourquoi les firmes pharmaceutiques poussent-elles à la dérégulation ? En disant que la publicité pour des usages hors AMM – donc non autorisés par l’agence du médicament et n’ayant du coup pas de RCP – serait une source d’information sûre et utile pour les médecins. Pour expliquer encore mieux les choses : cette publicité-là serait basée uniquement sur des études dans le genre de celle mentionnée ici, financées par les firmes et n’ayant fait l’objet d’aucune vérification. Puisque c’est la demande d’homologation qui oblige les firmes à entrer un peu – mais pas beaucoup ! – dans les détails, et que si cette obligation-là saute, nos informations sur les effets indésirables se réduiront encore plus. (Je sais qu’il est difficile de concevoir une situation pire que celle qu’on vit, et pourtant…)
C’est ainsi qu’on détruit la médecine expérimentale et la médecine basée sur le niveau de preuve (EBM)
Nous avons donc une étude – favorable à l’usage du Champix pendant au moins un an – qui ne vaut pas grand-chose, de l’avis même de Pfizer, et qui est pourtant citée comme preuve dans au moins huit articles et dans les recommandations qui envisagent de traiter la dépendance tabagique comme une maladie chronique. La tactique est claire : le cercle des références qui se citent les unes les autres à tel point que la source n’est plus distinguée et reste inconnue. Ce qui relève de la spéculation devient du solide à coup de citations…
Si c’est cela la médecine basée sur le niveau de preuve (evidence-based medicine ou EBM)… Il n’y a plus besoin de détracteurs pour la discréditer, elle se discrédite toute seule lorsque les médecins restent « solidaires » au lieu de dénoncer cette façon de faire de leurs « confrères » investigateurs et corrompus, et ce afin de garder la mythique « autorité » de la médecine ainsi que son prestige. C’est comme ça qu’on va à la casse, à force de coups foireux et de lâchetés de ce genre. Et les médecins pourront s’étonner après coup que plus personne n’y croit, ni à la médecine ni à la science. Qu’ils s’étonnent que les patients se tournent vers les méthodes alternatives et n’ont plus de langage commun avec les médecins, comme on l’a vu dans les références de cette note.
Skrabanek et McCormick ont parfaitement décrit ce mécanisme de la référence circulaire et de l’argument d’autorité dans leur livre Idées folles, idées fausses en médecine, dont nous avons rendu compte dans cette note.
Les médecins devraient faire preuve d’un peu plus de courage et de responsabilité, même si la responsabilité semble sortir de leur vocabulaire lors des études de médecine. Et tout particulièrement en France, où ils ne sont pratiquement pas responsables de ce qu’ils font. Et les firmes non plus. On s’étonne après de la solidarité qu’il y a entre les deux parties en présence et de l’exaspération des patients… Si quelqu’un pense que l’affirmation est exagérée, qu’il essaie de demander des comptes pour une erreur médicale et/ou un médicament défectueux, et ce devant la justice française. Par exemple pour le Vioxx. Il n’y a tout simplement pas de victimes en France, et donc pas de responsables non plus, puisque les problèmes n’existent même pas.
La responsabilité devrait être motivée aussi par le fait que la destruction de la médecine ne concerne pas que celle-ci, mais toutes les sciences dites de la nature. Il n’en restera plus grand-chose, si rien ne change. Mais les médecins pourront toujours se reconvertir dans la médecine et la chirurgie esthétiques, qui ont de l’avenir. Des liftings, des implants capillaires et mammaires à la chaîne, quelle belle perspective! Quand tout le mode sera lifté, musclé, siliconné, dermoabrasé, sans problèmes d’érection et avec une chevelure de lion, gageons qu’il faudra aller en sens inverse, parce qu’il y aura des gens qui voudront se démarquer. L’avenir est assuré.
Mises à jour:
A noter que Spangler lui-même déclare avoir reçu des paiements de Pfizer par le passé (entre autres firmes). Apparemment, le déballage du linge sale se fait en famille. Le même lien permet de voir la réponse des auteurs de l’étude initiale, qui ne sont pas financés par Pfizer, mais carrément ses employés. Ce n’était donc pas une figure de style des blogs critiques, comme je le pensais au départ, mais bel et bien la réalité.
A noter tout de même que les effets secondaires relevés par Spangler n’atteignent pas un pourcentage « statistiquement significant », selon le jargon. Cela dit, peut-on croire les employés de Pfizer?
Une investigation de l’excellent Ed Silverman, qui tient le blog Pharmalot, nous apprend que les visiteurs médicaux de Pfizer ont volontairement minimisé les effets secondaires du Champix, y compris après le changement du RCP états-unien intervenu en février 2008. La FDA a demandé des mises en garde, puisqu’elle ne pouvait plus ignorer les gros titres faisant état d’effets indésirables psychiatriques majeurs… Même pour un visiteur médical, c’est assez curieux de parler de moins en moins des effets secondaires, alors même que les preuves s’accumulent.
Pfizer a des soucis à se faire pour son Champix, parce que la blogosphère anglophone ne le rate pas, c’est le moins qu’on puisse dire.
Comme on peut le voir, j’ai fait cette note en lisant et en passant d’un lien à l’autre. Alors des phrases incomplètes et des sauts abruptes d’un paragraphe à l’autre, il y en a certainement.
Elena Pasca