Où l’on apprend encore plus sur les méthodes de Pfizer…
Le Secrétariat américain des vétérans de guerre (Veteran Affairs), qui a un réseau médical et d’assurance-maladie à part, est actuellement sous le feu des critiques pour n’avoir pas averti les vétérans prenant du Champix des effets indésirables du médicament. Le même Secrétariat d’Etat est critiqué pour avoir enrôlé des vétérans de guerre fragiles, souffrant de stress post-traumatique, dans une étude sur le Champix, tout en sachant que le médicament pouvait déclencher des réactions de violence, entre autres effets indésirables psychiatriques. Enfin, l’ancien secrétaire d’Etat, passé dans le privé depuis 2005, fait du lobbying pour Pfizer auprès de la direction actuelle…
(Photo de la chaîne de télévision ABC)
Le Secrétariat d’Etat aurait dû avertir les vétérans dès la première rectification demandée par l’agence états-unienne du médicament (FDA) concernant les effets secondaires psychiatriques, tels la dépression, les tendances suicidaires, l’agressivité, l’anxiété, les épisodes psychotiques… Et relayer aussi les autres mises en garde, consécutives à l’étude faite par l’Observatoire des risques dans les pratiques médicales (Institute for Safe Medicine), dont nous avons parlé ici.
Une investigation conjointe de la chaîne de télévision ABC et du journal Washington Post a rendu publique l’existence de cette étude hautment problématique d’un point de vue éthique, comprenant 140 vétérans souffrant de stress post-traumatique sur lesquels on étudie les effets du Champix (varénicline) lors du sevrage tabagique.
Les journalistes ont pu illustrer le tout par un cas précis : celui du sniper James Elliott, souffrant de stress post-traumatique après 15 mois en Irak et pourtant enrôlé dans cette étude, pour 30 dollars par mois. Il a souffert d’un véritable effondrement psychique qu’il impute au médicament : un pétage de plombs psychotique avec des hallucinations qui l’a fait sortir dans la rue armé, agissant comme dans une transe, comme s’il était toujours à la guerre, entouré d’ennemis à abattre… Heureusement, sa compagne a averti la police qui l’a neutralisé avant qu’il tue quelqu’un. James Elliott estime être un cobaye de Pfizer, tout comme les autres vétérans enrôlés dans l’étude.
L’histoire est racontée dans cet article, dont l’intitulé reprend le titre d’une chanson du groupe Metallica : ‘Disposable Heroes’: Veterans Used To Test Suicide-Linked Drugs (« Héros jetables : des vétérans utilisés pour tester des médicaments pouvant provoquer des suicides »). Une vidéo sur la même page détaille l’histoire de James Elliott.
Les médecins du secrétariat d’Etat des vétérans ont mis trois mois avant d’avertir les participants à l’étude des nouvelles connaissances en matière d’effets indésirables. Et ils ne pensent pas devoir arrêter l’étude, disant que ce serait dommage de priver les vétérans qui sont en cours de traitement des bénéfices du Champix qui les aide dans leur sevrage tabagique… Après tout, rien ne prouve que l’effondrement de James Elliott soit dû à la varénicline…
« Une grave violation des règles éthiques », selon un spécialiste en éthique médicale
Pour Arthur Caplan, directeur du centre d’éthique médicale de l’université de Pennsylvanie, l’étude est contraire aux règles éthiques, puisqu’elle s’est faite sur une population très vulnérable, déjà souffrant de troubles psychiques. Et il est inconcevable que les médecins aient décidé de la continuer malgré tout. Le même Caplan cité sur le blog Pharmalot a des mots encore plus durs à l’égard de ce secrétariat d’Etat qui profite d’une population vulnérable au lieu de se soucier de son bien-être. Ce sont des cobayes de laboratoire pour 30 dollars par mois, titre l’excellent Ed Silverman. On peut imaginer que Pfizer avait en tête une extension d’indication. Mais quand on lit l’article du Washington Times, qui détaille l’histoire sur cette page (cliquez sur les différents carrés figurant en bas de l’image), il semble peu probable qu’il réussisse, vu l’émoi de l’opinion publique face à expérimentation. On apprend que 27 vétérans participant à l’étude ont dû être hospitalisés pour des épisodes psychotiques. Le Congrès a ouvert une enquête et Barack Obama en personne s’est ému de cette instrumentalisation des anciens soldats comme cobayes de laboratoire.
Le même Ed Silverman publie la photo d’une horloge murale de marque… Pfizer/ Champix, avec des commentaires très justes: il suffira de regarder l’horloge pour que les médecins, la FDA et le secrétariat d’Etat se disent qu’il est grand temps de parler des effets secondaires du Champix.
L’heure ne serait-elle pas venue de calmer un peu les ardeurs publicitaires et la course au profit à tout prix des firmes pharmaceutiques ?
Un ancien secrétaire d’Etat lobbyiste pour Pfizer (producteur du Champix)
Cet autre article du Washington Times nous apprend que Anthony Principi, l’ancien secrétaire général du Département des vétérans, passé chez Pfizer auquel il sert de lobbyiste, a récemment contacté l’actuelle direction pour savoir où cela en est… En toute innocence et sans aucune intention d’influencer qui que ce soit, dit Pfizer. Il s’agissait juste de savoir si le département allait maintenir le Champix sur la liste des médicaments agréés, compte tenu des alertes sur les effets secondaires… L’équipe de Principi chez Pfizer a dépensé 31 millions de dollars en lobbying, depuis 2005, lorsque cet ancien fonctionnaire en a pris la direction. L’article nous apprend qu’une des dernières décisions de Principi avant d’aller chez Pfizer avait été de faire rembourser intégralement les conseils en tabacologie par l’assurance-maladie des vétérans. Ce qui est une bonne chose en soi… sauf lorsque ces conseils consistent à conseiller les produits qui font grimper les bénéfices de Pfizer…
Le cas Principi est représentatif des conflits d’intérêts de la pire espèce, s’exerçant à travers les vases communicants situés au plus haut niveau du pouvoir : des hommes politiques et des hauts fonctionnaires de l’administration passent dans le privé pour des sommes astronomiques et se servent de leur carnet d’adresses à des fins de lobbying pour les multinationales. Ils occupent des positions stratégiques permettant d’influencer la législation et les décisions politiques.
L’administration Clinton avait mis un terme à ces pratiques en instaurant un délai de 5 ans avant qu’un ancien haut fonctionnaire travaillant dans le privé puisse avoir des contacts avec ces anciens collègues et faire du lobbying. Mais l’administration Bush, ennemie déclarée de toutes les régulations étatiques qui « freinent » la soi-disant auto-régulation du marché, a réduit ce délai à un an. Puis le Congrès l’a ramené à deux ans en 2007.
Catastrophiques, ces Américains! Ils ne voient que l’économie, que les intérêts privés des multinationales, et ne se gênent pas pour faire du lobbying…
Que ceux qui pensent de la sorte regardent ce qui se passe en France, où il n’y a pas de délai du tout. Même pas de séparation entre public et privé, puisque des hommes politiques en exercice travaillent en même temps pour le privé… Les revolving doors tournent très vite. Jean-François Copé, par exemple. Surhumain, ce Monsieur, puisqu’il occupe plusieurs postes publics à la fois… Tout en travaillant à mi-temps dans un cabinet privé d’affaires… Et rappelons-nous que notre président, Nicolas Sarkozy, est un fervent partisan d’Adam Smith. Donc de la disparition de toute régulation des affaires (dans tous les sens du mot), qui pourrait – ô misère! – endiguer l’expansion « naturelle » des entreprises…
L’heure est grave, c’est le cas de le dire… A plus d’un titre, puisque, malgré tous ses profits, Pfizer a annoncé en 2007 qu’il lui fallait faire des efforts pour « rester compétitif au niveau global ». Ce qui doit se traduire par une suppression de 10.000 postes dans les fabriques. Un « plan social » selon l’euphémisme très à la mode, mis en opeuvre progressivement, nous apprend Pharmalot. A se demander qui va produire le Champix s’il est prescrit pendant des années? Les leaders d’opinion pousseront-il le dévouement jusqu’à aller sur les chaînes de production?
Elena Pasca