Voici un nouveau site qui deviendra très vite une référence : PsychConflits. Il est consacré aux conflits d’intérêts en psychiatrie, c’est-à-dire à tout l’argent que reçoivent les psychiatres pour faire augmenter les ventes de médicaments antipsychotiques, neuroleptiques, antidépresseurs, tranquillisants/anxiolytiques, somnifères, énergisants, anti-démence, etc.
Le site est inauguré par une vidéo centrée sur les liens financiers entre la toute-puissante APA (Association Américaine de Psychiatrie) et l’industrie pharmaceutique, liens qui se concrétisent dans le contenu de la bible des psychiatres : le DSM IV. Il s’agit de la quatrième version révisée du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux : près de 900 pages et une influence énorme, puisque c’est lui qui dit ce qui est ou n’est pas une maladie psychiatrique, classifie les troubles en fonction de critères sujets à controverse, mais qui seront considérés partout dans le monde comme les outils diagnostiques par excellence. Ces critères et cette liste de maladies déterminent ce qui doit être traité, d’où la responsabilité des experts ayant conçu le DSM IV dans l’énorme augmentation des prescriptions des médicaments psychotropes et dans l’inflation des… maladies ou syndromes psychiatriques. De 112 « troubles » en 1952, nous en sommes arrivés à 374 aujourd’hui, souligne le commentaire de la vidéo. Le monde sombre dans la folie, apparemment…
Et si la folie la plus préoccupante n’était pas celle dont traite le DSM IV? Il fut un temps où une psychanalyse engagée considérait un symptôme comme le signe d’une répression psycho-sociale et le prenait comme une porte ouverte à une possible libération… Aujourd’hui, on ne cherche plus à savoir, à faire oeuvre d’autonomie, mais on abrase chimiquement la perception, la pensée, ce qui étouffe d’emblée tout pas vers la (prise de) conscience.
Plusieurs études de ces dernières années ont montré les forts liens qui unissent les auteurs du DSM-IV, ainsi que l’Association Américaine de Psychiatrie et toute une série de leaders d’opinion et d’experts dans diverses instances sanitaires à l’industrie pharmaceutique. Et, bien entendu, les psychiatres lambda, eux aussi courtisés par les firmes, principalement au moyen de la visite médicale.
La majorité des auteurs du DSM-IV (le DSM V est en préparation) ont des liens financiers non déclarés avec les laboratoires pharmaceutiques. Les images de la 160ème réunion de l’APA montrent plein de stands de firmes produisant des médicaments utilisés en psychiatrie, au point que cela ressemble à une foire commerciale, à un salon de pharma marketing, et certainement pas à un congrès médical censé diffuser des informations médicales indépendantes. Des extraits d’articles du New York Times et du Washington Post sont cités. Suit l’image du programme de la réunion de 2007 de l’APA, avec la longue liste de sponsors à côté du nom de chaque participant… Et le Washington Post de révéler que certains instructeurs (médecins réputés payés par les firmes pour vanter les mérites de leurs médicaments et inciter leurs collègues à les prescrire) sont financés par au moins 12 laboratoires en même temps.
« Pour survivre, nous devons aller là où se trouve l’argent », déclarait en 2003 le Dr Steven Sharfstein, ancien président de l’APA… C’est osé de parler de survie des psychiatres, vu la psychiatrisation extrême de la société américaine – et de celle occidentale en général. Quand on voit les programmes de « dépistage » psychiatrico-policier obligatoire dans les écoles publiques, sur le modèle du Teen Screen, qui commence par l’activité de flicage des enseignants, alliés de Big Pharma pour avoir des élèves « tranquilles » en classe, je pense qu’il n’y a pas de soucis à se faire pour la santé financière des psychiatres.
Cela arrive peu à peu en France aussi. Souvenez-vous du projet de Sarkozy de ficher les enfants ayant des troubles comportementaux qui seraient des signes avant-coureurs d’une future délinquance… Ficher un enfant de trois ans, cela s’appelle le progrès. Comme la tentation de la Ritaline pour que l’enfant ne dérange ni les enseignants ni des parents trop fatigués – après une journée de travail et une situation économique difficile – pour faire face à une activité tout ce qu’il y a de plus banale d’un enfant en bonne forme physique et mentale. Il semblerait que les enseignants français commencent eux aussi à regarder les enfants sous l’angle psychiatrique…
L’article du New York Times cité dans la vidéo date de juin 2007 et s’intitule : Psychiatrists Top List in Drug Maker Gifts (« Les psychiatres reçoivent le plus de cadeaux des firmes pharmaceutiques »). Puisque certains Etats américains commencent à demander que les liens financiers et les cadeaux offerts aux médecins pour des conférences et autres activités promotionnelles soient déclarés et inclus dans un registre rendu public, il existe déjà certaines données à la lecture desquelles une évidence s’impose : les psychiatres sont les médecins les plus payés par l’industrie pharmaceutique.
Il suffit de regarder la liste des 100 médecins les plus payés que l’Etat du Vermont a rendu publique. Après le Minnesota, le Vermont est un pionnier de la bataille pour une plus grande transparence – et c’est une bataille, avec d’innombrables obstacles et faux-fuyants de la part des déclarants individuels et institutionnels…
Selon le procureur général de l’Etat de Vermont, cité par le New York Times, les sommes d’argent et autres gratifications reçues par les psychiatres ont doublé entre 2005 et 2006… En deuxième position viennent les endocrinologues. Comme par hasard, les psychiatres les plus payés sont aussi ceux qui prescrivent le plus d’antipsychotiques aux enfants. Et la surmédication des enfants suite à une véritable explosion de diagnostics de maladies mentales cette dernière dizaine d’années est l’une des raisons majeures de la critique et de la remise en cause profondes et parfois acerbes qui prennent pour cible les pratiques des psychiatres américains et de leurs organisations professionnelles.
Ceux qui parlent anglais trouveront d’autres documents et liens intéressants sur ce même site PsychConflicts.
Un autre article détaillé du New York Times parle des enseignements à tirer des déclarations faites au Minnesota: Doctors’ Ties to Drug Makers Are Put on Close View (« Les liens des médecins avec les firmes pharmaceutiques sont regardés de près »).
Enfin, le site de l’Alliance for Human Research Protection contient plusieurs articles et liens au sujet des conflits d’intérêts en général, et ceux des psychiatres en particulier. Par exemple l’article intitulé Les médecins payés par l’industrie – l’intégrité vendue au plus offrant.
On trouve sur la même page la reproduction d’un article plus ancien du Washington Post qui rend compte de la réunion de l’Association Américaine de Psychiatrie de 2002. 4.000 représentants des firmes pharmaceutiques y avaient participé, et l’industrie avait payé 50.000 dollars par symposium, somme qui lui a permis de contrôler la sélection des intervenants et le contenu de leurs contributions… C’était une énorme foire commerciale qui tournait presque exclusivement autour des médicaments. Et l’auteur des commentaires d’ajouter : « et ils appellent cela evidence-based medicine… », ie. EBM ou « médecine basée sur les preuves », qui renvoie généralement à des essais cliniques randomisés en double aveugle, considérés comme le standard de ce type de médecine, mais facilement manipulables.
On comprend pourquoi les psychiatres sont l’objet de toutes les attentions (financières) : les médicaments qu’ils prescrivent constituaient à eux seuls 25% de toutes les ventes, déjà en 2002. Il y en a pour toute sorte de troubles imaginaires ou réels, qu’il s’agisse de maladie, de troubles du comportement, de vague à l’âme ou d’autres remèdes qui lissent notre quotidien en fonction de ce qu’on attend de nous (« lifestyle drugs », littéralement médicaments du mode de vie). Et on apprend que les psychotropes sont actuellement en première position de vente, toutes classes de médicaments confondues.
Pour ceux qui veulent voir les détails, voici le Rapport 2006 des sommes payées par l’industrie pharmaceutique aux médecins (pris par spécialité) dans l’Etat de Vermont, pour recompenser des services rendus en matière de marketing. C’est dit sans fioritures: « marketing » et non pas information ou formation ou un autre euphémisme qui cacherait l’objectif commercial et marchand de ces financements : Marketing disclosures : Report of Vermont, présenté par le procureur général de l’Etat. (Ce n’est pas un hasard que ce soit la justice qui s’en occupe; on reviendra sur cet aspect)
A noter que, conformément aux dispositions de la loi locale de transparence (« sunshine law »), détaillées dans l’introduction à ce texte, ces sommes ne comprennent pas les échantillons gratuits, les frais occasionnés par la formation médicale continue, les cadeaux, repas ou autres valeurs de moins de 25 dollars, certaines bourses ou financements d’études, la rétribution pour les activités dans les essais cliniques, les rabais sur les médicaments et d’autres financements moins directs que les sommes d’argent… Autrement dit, les sommes déclarés ne sont qu’une petite partie des financements réels…
Elena Pasca
Merci pour cet article Elena Pasca.
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A quand une justice française qui oblige à déclarer les conflits d’intérêts liés aux firmes pharmaceutiques en France, à défaut d’un (d’une) ministre (Marisol Touraine) qui ordonne à Google de ne plus indexer les liens d’intérêts des médecins aux firmes ? Quand les français en appuieront la demande, ne serait-ce qu’en signant la Charte du Formindep :
http://www.formindep.org/La-Charte-du-Formindep,61.html
Tout le monde peut signer !
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