La Commission Européenne nuit à la santé! Communiqué du « Collectif Europe et Médicament »

Le Collectif Europe et Médicament tire la sonnette d’alarme.

Il était urgent d’actualiser la réglementation européenne sur la pharmacovigilance, mais… ce qui se trame n’est pas une amélioration, c’est la porte ouverte à l’industrie pharmaceutique même dans des domaines de la santé qui lui étaient moins accessibles auparavant. Porte ouverte et tapis rouge déplié par les propositions de la Commission européenne, qui vont dans le sens d’une déréglementation à tout va, privilégient les intérêts des firmes pharmaceutiques et tendent à défaire même le peu de garde-fous actuels. La Commission veut déléguer beaucoup de prérogatives de pharmacovigilance à l’industrie pharmaceutique, par exemple la gestion des signalements d’effets indésirables, sans se soucier le moins du monde des conflits d’intérêts. Et puisqu’on labelise tout de nos jours – selon le modèle des marques chères aux firmes – le label qui s’impose pour la Commission européenne est: Nuit gravement à la santé!

Voici le communiqué de presse émis conjointement par le Collectif Europe et Médicament l’International Society of Drug Bulletins et Health Action International. Leurs (contre-)propositions sont présentées dans le fichier inséré à la fin du texte.

« Pharmacovigilance en Europe et sécurité des patients : refuser la déréglementation » Communiqué de presse, 1er février 2008 

« Différents désastres de santé publique (du thalidomide dans les années 1960 au rofécoxib (Vioxx°) dans les années 2000) ont sans cesse rappelé la nécessité d´une pharmacovigilance efficace pour protéger les citoyens. Malheureusement, les propositions réglementaires de la Commission européenne rendues publiques le 5 décembre 2007 sont lourdes de menaces (1). Sous couvert de simplification administrative et de “rationalisation du système”, les propositions de la Commission affaiblissent le système européen de pharmacovigilance et elles constituent une régression majeure en terme d’évaluation des médicaments.

Évaluation des médicaments avant mise sur le marché : affaiblie au profit de la compétitivité des firmes pharmaceutiques. Les propositions de la Commission européenne exposent les citoyens européens à des médicaments moins bien évalués avant mise sur le marché.

Des AMM au rabais. L’objectif annoncé de la Commission est d´accélérer la mise sur le marché de nouveaux médicaments : « des autorisations de mise sur le marché (AMM) plus précoces permettent un retour sur investissement plus rapide, une augmentation de la confiance des investisseurs, donc la réduction du coût total de développement du produit ». Pour atteindre cet objectif, la Commission propose d’affaiblir l’évaluation réalisée avant commercialisation en généralisant les AMM conditionnelles : il ne s’agirait plus d’une exception motivée par l’existence d’un besoin thérapeutique pressant, comme c’est le cas actuellement, mais la nouvelle règle. Pour favoriser ce glissement tout en rassurant l’opinion, la Commission s’abrite derrière la mise en place de “systèmes de gestion du risque”, pilotés par les firmes pharmaceutiques. Malheureusement, ces systèmes dits de “gestion du risque” ne sont pas conçus pour protéger efficacement les patients.

Des médicaments autorisés malgré un « manque de preuves d´efficacité ». La Commission propose de supprimer le « manque de preuves d´efficacité » de la liste des motifs pour lesquelles une AMM peut être refusée ou retirée. Or seule une efficacité démontrée peut justifier d´exposer les patients aux effets indésirables d’un médicament. Et comment les autorités pourront-elles évaluer la balance bénéfices-risques d’un nouveau médicament si elles ne disposent pas de données probantes quant à son efficacité ?

Mainmise des firmes sur la pharmacovigilance : à toutes les étapes aux dépens de la protection des patients. Confier aux firmes les missions de recueil, d´alerte, d´analyse, et d´information sur les effets indésirables de leurs médicaments n’est pas une situation acceptable en raison des conflits d’intérêts majeurs qu’elle comporte. Pourtant, les propositions de la Commission prévoient l’intervention des firmes, juges et parties, à tous les niveaux de décision.

Recueil des données issues de l´évaluation des risques : exigences minimalistes. Selon les propositions de la Commission, les études post-AMM et les plans de gestion du risque ne pourront être demandés par les Commissions d’AMM que dans des cas restreints, et le système dit de “gestion du risque” devra « être proportionné aux risques identifiés et potentiels tenant compte des informations disponibles sur le médicament ». Les effets indésirables inattendus ou tardifs, même graves, risquent d´être exclus de fait de ces systèmes, qui ne sont pas conçus pour mettre en évidence des effets indésirables rares sur le long terme.  

Recueil des données en routine : centralisation et dilution des responsabilités. La centralisation de la pharmacovigilance auprès du titulaire de l´AMM, la “maison mère”, risque de déresponsabiliser les exploitants au niveau national. Les conditions dans lesquelles sont enregistrées et traitées ces données sont incertaines, ne permettant pas de contrôle externe valable. Demander aux patients de notifier des effets indésirables pour les médicaments sous surveillance particulière auprès des firmes est inacceptable. Le système de pharmacovigilance des firmes ne doit en aucun cas se substituer aux systèmes publics de pharmacovigilance de chaque pays, qui, eux, sont conçus au service de l’intérêt général.

Alertes sous-traitées aux firmes : danger. La Commission prévoit de sous-traiter aux firmes, pourtant juges et parties, la surveillance de « toutes les données pertinentes incluant celles contenues dans Eudravigilance pour repérer les signaux des risques (…) ». C´est aussi aux firmes qu´il reviendrait d´alerter les autorités en cas d´information nouvelle susceptible de modifier la balance bénéfices-risques de leur médicament. 

 Analyse des données : opacité. Selon le projet de la Commission, concernant les résultats des études post-AMM, c´est encore aux firmes qu´il revient de : « considérer si les résultats de l´étude sont susceptibles d’entraîner une éventuelle modification de l´étiquetage » ou de « la balance bénéfices-risques » de leur médicament. La sous-traitance de l´interprétation des données fait perdre compétences et expertises aux Agences du médicament et aux systèmes de pharmacovigilance.

Processus de
décision : qui paie décide…
La réglementation de 2004 a renforcé les moyens dévolus à la pharmacovigilance en exigeant son financement public pour garantir son indépendance : « les activités liées à la pharmacovigilance (…) bénéficient d´un financement public suffisant à la hauteur des tâches conférées » (article 67.4 du Règlement (CE) 726/2004). Mais la Commission prépare l’annulation de cette exigence d’un financement public, autorisant le financement de la pharmacovigilance directement par les firmes via les redevances payées aux Agences pour l’octroi d’une AMM.

Information relative aux effets indésirables : confusion des rôles. Il est de la responsabilité des autorités de traiter et d´interpréter les données, puis de communiquer sur leurs résultats. La diffusion actuelle des informations aux soignants par les firmes (“Dear Doctor Letters”) confie à ces dernières le rôle de porte-parole des Agences sanitaires, et peut être source de dérives promotionnelles. 

Redresser le cap. Le Collectif Europe et Médicament, l´ISDB et HAI Europe désapprouvent fortement les propositions de la Commission et appellent à une réorientation fondamentale de ses travaux en faveur de l’intérêt général, conformément à sa mission de protection des citoyens européens (article 125 du Traité instituant l’Union européenne) (2). Pour réellement renforcer la pharmacovigilance, leurs propositions concrètes s’articulent autour de 4 axes :

  • – renforcer les critères pour permettre l´octroi d´une AMM plus sûre, pour des médicaments apportant un réel progrès thérapeutique ;
  • – garantir la transparence des données, des informations et des décisions de pharmacovigilance ;
  • – donner les moyens aux autorités d’être financièrement et intellectuellement indépendantes des firmes ;
  • – se donner les moyens d’une pharmacovigilance efficace.

Ces propositions sont détaillées dans leur réponse à la consultation (2). (…) »

Le texte complet incluant les propositions du Collectif Europe et Médicament, de l’ISDB et de Health Action International est ici: Propositions pharmacovigilance janvier 08.pdf

Des détails sur quelques actions du collectif Europe et Médicament sur cette page.

2 réflexions au sujet de “La Commission Européenne nuit à la santé! Communiqué du « Collectif Europe et Médicament »”

  1. Tres bonne analyse. On peut étendre votre billet aux problèmes cruciaux qui taraudent notamment les prises de consciences écologiques. Les structures européennes sont brassées par des lobby particulierement féroces et il est difficile aujourd’hui d’imaginer qu’on puisse avoir un jour un système qui soit au service des citoyens européens. A ce jour, l’Europe sert plus les industriels qu’autre chose.
    Beau courage!

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  2. Tout le mérite revient au Collectif Europe et Médicament, je n’ai fait que reprendre leur texte.
    J’imagine qu’il en va de même dans tous les domaines dans lesquels de gros intérêts financiers sont engagés… Des lobbies dont on ne sait pas grand-chose, ni au niveau européen ni en France. C’est d’abord une question de législation, à mes yeux, permettant l’accès à l’information, sur le modèle du « Freedom of Information Act ». Complété par des moyens juridiques et légaux qui permettent à des « watchdogs », à des initiatives et associations citoyennes non seulement d’exister, mais aussi d’agir efficacement, par exemple en justice. On en est très loin, comme vous dites… Ceux qui abordent ces questions – lobbies, conflits d’intérêts… – se voient habituellement taxés d’adeptes de je ne sais quelle théorie du complot, voire de paranoïaques…

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