Industrie pharmaceutique: du profit à tout prix. Le marketing des me-too cache l’absence d’innovation thérapeutique

Marc-André Gagnon est l’un des auteurs de la toute récente étude sur le marketing de l’industrie pharmaceutique, dont Bourse Pharmalot.jpgnous rendions compte dans la note précédente.

Et voici un article publié hier où Gagnon se départit de la neutralité des chiffres et dénonce ! Preuve que tous les économistes ne sont pas (encore ?) adeptes des théories ultralibérales du profit à tout prix. Il y en a encore qui pensent en termes de raison. Ouf ! Tout n’est peut-être pas perdu ! Gagnon ne mâche pas ses mots sur les conséquences de la prédominance du marketing sur la production, qu’il mettait en évidence dans son étude.

Pour utiliser les termes de Marx, parfaitement appropriés en l’occurrence, l’industrie pharmaceutique est le parfait exemple de la tendance économique qui fait passer la valeur d’échange avant celle d’usage. Ce n’est pas l’utilité d’un médicament qui compte, mais ce qui vient se surimposer. Les firmes vendent une marque, un logo, une illusion, en jouant sur la tendance sociale au conformisme, y compris dans la consommation médicale. Elles vendent une promesse. Presque jamais tenue, puisque la valeur d’usage se révèle être nulle ou presque (médicament sans bénéfice thérapeutique ou qui n’apporte rien par rapport à ceux déjà existants). L’antidépresseur Zoloft et les anticholestérol (surtout Ezétrol et Inegy) sont pris pour exemple par Gagnon.

Et puis la valeur d’usage est déficiente, les produits ont des vices cachés, des effets indésirables que ces experts en relations publiques et en techniques d’influence n’auront aucun mal à maquiller, voire à faire disparaître. Ainsi, le marketing crée du mensonge aux conséquences dangereuses pour la santé. C’est une dimension essentielle de la désinformation organisée des médecins et des patients. En anglais, on appelle cela « ghostwriting », écriture par des auteurs fantôme… En gros, c’est le service marketing/ communication de la firme pharmaceutique en question – ou alors des sociétés privées spécialisées dans la rédaction médicale au service de l’industrie – qui écrit les études ou les modifie pour les rendre vendables. Le profit, le rendement sont tout ce qui compte.

A lire et relire pour s’immuniser contre la propagande ambiante, par tous les media, par les leaders d’opinion, par les associations financées par les firmes – toute cette soupe publicitaire qu’on nous sert n’est qu’une version, à chaque fois taillée sur mesure, du même marketing à des fins d’augmentation des profits.

« Une pratique répandue », par Marc-André GAGNON

« M. Gagnon est chargé de cours en économie à l’Université de Montréal et à l’UQAM, et auteur de l’étude «The Cost of Pushing Pills» publiée dans la revue médicale américaine «PloS Medicine».

«Les médicaments d’aujourd’hui financent les miracles de demain», nous dit le slogan de GlaxoSmithKline. Les fabricants de miracles nous répètent sans cesse que le prix élevé des médicaments est justifié par les hauts coûts de l’innovation thérapeutique bienfaitrice.

Mais au-delà des discours, si l’industrie pharmaceutique se porte mieux que jamais financièrement, elle n’a jamais été plus mal en matière d’innovation thérapeutique. Le modèle d’affaires actuel de l’industrie pharmaceutique repose d’abord et avant tout sur la production de médicaments «me-too» [« moi aussi »] qui cherchent à améliorer de manière très marginale les médicaments déjà existants (modification de posologie, gestion des effets secondaires) afin d’étendre la durée de vie des brevets. On crée des «blockbusters» non pas en créant des médicaments ayant une valeur thérapeutique nouvelle, mais plutôt par des campagnes promotionnelles visant chaque échelon du corps médical, de la recherche et parfois du public afin d’établir des habitudes de prescription apportant souvent bien peu de résultats thérapeutiques.

La revue médicale indépendante Prescrire effectue chaque année une analyse des nouveaux médicaments sur le marché français. Pour 2006, 535 nouveaux médicaments sont entrés sur le marché, 10 représentaient une avancée thérapeutique significative, 469 n’apportaient rien de nouveau à la pharmacopée existante et 17 ne recevaient pas l’accord des médecins indépendants puisqu’ils représentaient de possibles dangers à la santé publique. Doit-on alors s’étonner lorsque nous apprenons que des générations complètes de nouveaux médicaments, par exemple pour traiter l’hypertension ou la schizophrénie, s’avèrent en fait moins efficaces que la génération précédente (même s’ils coûtent 10 fois plus cher que les médicaments précédents dont le brevet est périmé).

Quand la promotion biaise le savoir médical

Dans notre étude avec Joel Lexchin parue en janvier 2008 dans la revue PloS Medicine, nous avons montré que l’industrie pharmaceutique dépense aux États-Unis deux fois plus en promotion qu’en recherche et développement. Avec des dépenses promotionnelles totalisant 57,5 milliards$, l’industrie pharmaceutique américaine dépense seulement 4 milliards en publicité auprès des patients, mais dépense plus de 60 000$ par médecin pour faire la promotion de ses produits. Les données partielles que nous avons pu obtenir pour le Canada montrent que, mise à part l’interdiction partielle de la publicité auprès des patients, les proportions sont les mêmes qu’aux États-Unis.

La promotion des produits pharmaceutiques touche ainsi surtout les médecins à tous les échelons de la recherche médicale: du financement commercial des universités aux essais cliniques biaisés; des pseudo-publications scientifiques aux dons massifs d’échantillons; de l’éducation continue des médecins aux visites incessantes de représentants pharmaceutiques. Les stratégies promotionnelles sont des plus raffinées pour contrôler l’ensemble de la pratique médicale.

Par exemple, des documents internes de Pfizer dévoilés lors d’une poursuite ont permis de constater que 85 articles scientifiques sur la sertraline (l’antidépresseur Zoloft) avaient été rédigés directement par le bureau de relations publiques de Pfizer (la littérature scientifique compte 211 articles avec «sertraline» dans le titre). Pfizer avait elle-même produit une masse critique d’articles favorables au médicament, permettant à ses représentants de noyer toute étude défavorable afin de mieux convaincre les médecins. De plus, on apprenait en janvier 2008 que Pfizer avait aussi réussi à empêcher la diffusion d’une série d’études défavorables.

L’histoire se répète pour les réducteurs de cholestérol Vytorin [Inegy en France] et Zetia [Ezétrol], prescrits à plus d’un million d’exemplaires par semaine, alors que des études (non-diffusées) démontrent clairement que ces médicaments n’ont aucun impact pour réduire les crises cardiaques. C’était aussi l’histoire du Vioxx [rofécoxib]. Jeffrey Lisse, un médecin «auteur» d’une étude «scientifique» sur le Vioxx qui avait «omis» de mentionner la mort de certains participants à l’étude, confiait au New York Times que c’était la firme Merck qui avait directement organisé et réalisé l’essai clinique et qui était venu le voir par la suite avec un article «scientifique» qu’il n’avait plus qu’à signer en échange d’une somme substantielle. L’étude a ensuite été publiée dans une revue médicale comme si elle avait été menée de manière indépendante.

Tout le problème est là: même le médecin le plus compétent n’est plus en mesure d’obtenir des informations neutres et objectives lui permettant de prescrire les produits les plus efficaces pour ses patients. La promotion pharmaceu
tique s’étant immiscée dans l’ensemble de la pratique médicale, il est plutôt conduit à prescrire des produits au rendement thérapeutique douteux, mais offrant un meilleur rendement pour les actionnaires des entreprises
. »

MISE A JOUR

L’ensemble des méthodes (auteurs invités, auteurs fantôme, financement de la formation médicale continue, disease mongering/façonnage de maladies, conflits d’intérêts des médecins, des hommes politiques et des journalistes, etc.) par lesquelles les laboratoires pharmaceutiques manipulent l’information portant sur toutes les étapes de la vie d’un médicament s’appelle « ghost management« : c’est une gestion fantôme, un contrôle invisible mais omniprésent qui va de la conception d’un médicament à l’information biaisée donnée aux médecins et aux patients.

Pharmacritique a illustré ces techniques par l’un des meilleurs exemples en la matière: celui du laboratoire Merck, qui a excellé dans toutes ces combines de désinformation, allant jusqu’à produire une revue médicale fantôme, qui imitait une revue à comité de lecture pour mieux faire de la publicité à ses produits, en priorité au Vioxx et au Fosamax.

L’histoire de la fausse revue médicale et bien d’autres exemples sont détaillés dans la note « Merck et Elsevier ont édité une fausse revue médicale, outil publicitaire pour Fosamax et Vioxx. Ghost management révélé lors du procès Vioxx« .

Voir aussi les notes de la catégorie « Méthodes publicitaires, marketing: exemples« .

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