Progrès thérapeutique? Ou inflation marketing et occultation des effets indésirables des médicaments? Déclaration de l’ISDB

Voici un texte édifiant sur les méthodes et de l’industrie pharmaceutique et des agences sanitaires lorsqu’il s’agit d’imposer ou de maintenir  des médicaments sur le marché. En occultant, en minimisant et/ou en refusant de communqieur sur leurs effets secondaires. Ce texte complète la Déclaration de pharmacovigilance (note suivante). C’est la « Déclaration de l’ »International Society of Drug Bulletins » sur le progrès thérapeutique dans le domaine des médicaments », 2001. A se demander s’il y a un progrès thérapeutique, et s’il ne s’agit pas uniquement du succès – confirmé encore et toujours – des stratégies promotionnelles des laboratoires… On ne peut pas parler d’un progrès marketing, puisque les techniques et tactiques publicitaires sont toujours les mêmes, présentées, il est vrai, selon le dernier cri en matière de communication…

ISDB est une union de revues médicales indépendantes, dont font partie la revue française Prescrire et la revue allemande Arznei-Telegramm. Voici un résumé des aspects qui nous intéressent le plus dans ce contexte:

Pseudo-innovations et délais raccourcis de vérification des nouveaux médicaments : la sécurité sanitaire est la première victime

 

Le texte revient sur les pratiques de l’industrie pharmaceutique qui présente comme des nouveautés des versions à peine maquillées d’anciennes molécules. Les innovations véritables sont très rares. Les firmes  réclament, au nom du « progrès » thérapeutique, que les nouveaux médicaments soient mis sur le marché plus rapidement et incriminent la lenteur des procédures administratives d’homologation (autorisation de mise sur le marché) par les autorités sanitaires.

 

Il n’est pas rare que les laboratoires concernés instrumentalisent des associations de malades pour qu’elles fassent pression afin d’obtenir un délai de vérification raccourci. Or, cette rapidité ne sert que les intérêts financiers des firmes pharmaceutiques et dessert les intérêts des patients, parce que ce qui passe à la trappe, c’est la vérification du profil de sécurité des médicaments.

 

Les effets indésirables sont des données… négligeables

 

« Les nouveaux médicaments sont généralement autorisés sur la base de données testant leur efficacité, les données relatives aux effets indésirables étant considérées comme secondaires. On doit considérer les effets indésirables fréquents, mais aussi ceux qui sont rares et graves. Au moment de la mise sur le marché d’un nouveau médicament, il faut rester prudent devant un profil d’effets indésirables apparemment acceptable, car les effets rares ne pourront être connus que lorsqu’une population suffisamment importante aura été exposée au médicament. Les études de toxicité dites précliniques sont rarement publiées et demeurent souvent inaccessibles. Des études animales ont parfois été menées, mais bien souvent personne ne peut le savoir. Or toutes ces données sont nécessaires pour une évaluation indépendante de la sécurité d’emploi.

 

Nombre d’agences du médicament ou d’organismes de pharmacovigilance ne publient aucune information concernant les effets indésirables des médicaments, ou très peu, que ce soit pour les professionnels de santé ou pour le public ». Les effets secondaires, leur fréquence, leur gravité, et par conséquent le rapport bénéfices – risques ne deviendront évidents qu’au bout de plusieurs années, au fur et à mesure des signalements faits par les professionnels de santé et des plaintes des usagers qui les subissent. Ce qui est aléatoire et prend beaucoup trop de temps – temps qui signifie beaucoup de victimes dans les cas des médicaments aux effets indésirables sévères.

 

Il faudrait des études post-commercialisation sur la sécurité d’emploi, mais elles sont à la discrétion des firmes, ce qui veut dire qu’elles ne sont pas faites

 

Agences de sécurité sanitaire : exécutants de l’industrie pharmaceutique

 

Les auteurs soulignent que « Le manque de transparence et de contrôle démocratique des agences du médicament entrave la prise en compte des besoins du public », tout comme le fait que ces agences dites de sécurité sanitaire sont financées à plus de 50% par l’industrie pharmaceutique. Cela fait d’elles des « prestataires de service » payés par des firmes privées pour servir des intérêts financiers privés et non l’intérêt général de la santé publique et celui de la santé individuelle des patients / usagers.

 

Ces agences maintiennent le secret sur leurs délibérations et décisions et participent de la désinformation en occultant des parties importantes d’information sous le prétexte de la préservation du secret industriel des firmes. La dépendance vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique est parfaitement illustrée par leur impuissance : « au moment d’autoriser un nouveau médicament insuffisamment évalué, les agences sont incapables d’imposer aux industriels la réalisation d’études complémentaires concernant l’efficacité ou les effets indésirables. Un tel laxisme est inacceptable ».

 

De plus, une firme est libre de retirer un dossier d’autorisation déposé auprès d’une agence du médicament qui se montrerait difficile, et de le déposer dans une autre, plus laxiste. L’autorisation donnée par celle-ci sera valable en vertu des accords de reconnaissance mutuelle entre agences de sécurité sanitaire.

 

Etudes et essais cliniques : la manipulation pour leur faire dire ce qui convient aux firmes

 

Les auteurs passent au crible les études médicales comparatives, les essais sur lesquels se base l’autorisation d’un nouveau médicament, et le moins qu’on puisse dire, c’est que la manipulation et la désinformation règnent… Le « setting », le cadre, la méthodologie, les objectifs, les paramètres utilisés, tout est fait pour mettre en avant ce que veut affirmer la firme en question quant à un médicament et occulter des facettes moins glorieuses… « En banalisant ou en dissimulant les résultats d’essais qui ne collent pas à leur stratégie marketing, et en ne réalisant pas les études post-commercialisation réclamées par les agences du médicament, les firmes pharmaceutiques trompent les professionnels de santé et le public ». Or, la Déclaration d’Helsinki de 2000 stipule que les essais cliniques ayant un résultat négatif doivent aussi être rendus publics.

 

« La qualité et la pertinence des données cliniques exigées pour une demande d’autorisation de mise sur le marché sont inappropriées. Les autorités sanitaires et le législateur ont galvaudé le concept d’« innovation ». En Europe, l’exigence d’un « intérêt thérapeutique significatif » de la directive 87/22/EEC du Conseil européen de 1986 n’a pas été reprise dans le règlement 2309/93 du Conseil européen de 1993. »

 

L’industrie pharmaceutique propose et dispose… en éliminant toute concurrence

 

Le financement public en recherche et développement a beaucoup baissé, et, par conséquent, nous n’avons que ce qui est financé par l’industrie pharmaceutique. Tout ce qui n’est pas « commercialement attractif », donc profitable, passe à la trappe. Le monde universitaire n’a plus d’influence sur le choix et l’orientation des projets de recherche, mais doit lui-même s’adapter aux offres de financement.Les praticiens qui s’occupent des patients, surtout dans les maladies chroniques et complexes, n’ont plus leur mot à dire, ni sur la prévention ni sur les traitements (qui ne sont pas que médicamenteux).

 

« Dans la mesure où l’industrie pharmaceutique domine la recherche thérapeutique, celle-ci est focalisée sur les médicaments et subordonnées aux stratégies marketing des firmes et non aux besoins réels des patients. En outre, une grande partie de la recherche industrielle vise à capter des parts de marché pour des affections que l’on sait déjà traiter correctement. Fortes de leur quasi monopole sur la recherche, les firmes pharmaceutiques en viennent à penser qu’il est normal qu’elles contrôlent totalement les résultats des essais cliniques et qu’elles en soient propriétaires ».

 

Pour ce qui est de la manipulation des essais cliniques, voici cet cet excellent texte de Marcia Angell, ancienne rédactrice en chef du prestigieux New England Journal of Medicine, traduit par Pharmacritique: « Marcia Angell dénonce la manipulation de la recherche clinique et le contrôle de l’information médicale par les firmes. A lire et à diffuser!« 

 

 

Les pratiques cliniques se fondent sur une information manipulée

 

Il y a une « manipulation directe ou indirecte de l’information » qui menace la sécurité sanitaire et met en danger la notion même de « médecine fondée sur des niveaux de preuve », puisque ces « preuves » résultent d’information biaisées. Et c’est sur cette désinformation que se fondent dès lors à la fois « l’évaluation des bénéfices et des risques des médicaments ainsi que l’élaboration des recommandations pour la pratique ».

 

Le chantage pour exclure toute influence décisionnaire politique ou sociétale

 

Les firmes ont les moyens de peser sur les décisions officielles, en menaçant de délocaliser, de retirer tels investissements, de déplacer leur siège pour ne plus payer d’impôts, etc., si tel gouvernement prend une mesure qui les indispose ou risque de limiter leurs ventes.

 

Campagnes de promotion auprès des « consommateurs », en achetant leaders d’opinion et journalistes

 

Tout est fait pour que les p
atients et usager du système de soins soient considérés comme des « consommateurs », et les médicaments comme des biens de consommation banals. Là encore, c’est la sécurité qui est la première victime d’une telle attitude. Le lobbying pour obtenir la légalisation de la « publicité directe aux consommateurs » (« direct-to-consumer advertising » ou DTCA), actuellement interdite (sauf en Nouvelle-Zélande et aux Etats-Unis) va dans le même sens.

 

S’adresser directement aux « consommateurs » contourne les éventuelles instances critiques et met les professionnels de santé face à la pression d’usagers qui veulent eux aussi avoir le nouveau médicament présenté comme révolutionnaire et déjà pris par beaucoup d’autres « consommateurs ».

 

Une pression conformiste qui s’exerce déjà lorsque les laboratoires mettent en place des campagnes dites d’information en santé publique, portant en apparence sur des maladies, mais qui visent en fait à vanter les mérites de tel médicament, tout en contournant l’interdiction de la publicité pour les médicaments. Ces campagnes publicitaires ont pour acteurs des leaders d’opinion (des noms prestigieux dans leur domaine), la presse spécialisée et des journalistes généralistes, qui assurent la promotion des médicaments moyennant une contrepartie financière. Des sommes volontiers payées par les firmes dont le budget marketing et « communication » dépasse de loin celui alloué à la recherche et au développement.

 

Ces campagnes produisent l’opinion dominante sur tel médicament, légitimé par leur présence et la caution scientifique des leaders d’opinion.

 

Les émissions santé grand public dans les media sont des outils rêvés de propagande, et un autre moyen efficace pour imposer tel médicament. Tout comme certaines associations de malades, elles aussi source d’information du public en matière de traitements. « Mais leur faiblesse et leur dépendance vis-à-vis des subventions par des industriels sont inquiétantes » et font des associations financées par l’industrie des simples relais de la stratégie marketing des firmes.

Elena Pasca

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MISE A JOUR :

Voir aussi la note qui épingle la servilité des nos autorités d’(in)sécurité sanitaire face aux firmes pharmaceutiques, du point de vue de l’homologation hâtive des médicaments.

Le mot n’est pas trop fort, car ces instances publiques n’appliquent pas le plus élémentaire principe de précaution, ne demandent pas de preuves solides de l’efficacité, de la sécurité et de la bonne tolérance des nouveaux médicaments, et octroient à presque n’importe quelle molécule en autorisation de mise sur le marché (AMM): « Progrès thérapeutique nul en 2008, dit Prescrire. Multiples critiques des procédures d’AMM, responsables de l’inflation de médicaments dont le bénéfice clinique n’est pas évalué ».

4 réflexions au sujet de “Progrès thérapeutique? Ou inflation marketing et occultation des effets indésirables des médicaments? Déclaration de l’ISDB”

  1. Bonjour,
    Merci pour ce commentaire. Je ne maîtrise pas très bien la technique du blog et ne sais pas si c’est le bon moyen de répondre à un commentaire par un autre commentaire. J’espère que le texte passera…
    Les chiffres sont tirés du texte de la Déclaration, mais c’est moi qui ajoute l’ironie « ces agences dites de sécurité sanitaire »… Le sujet vaut la peine d’être développé dans une note à part… Il me semble que l’Afssaps est financée en très grande partie par l’industrie pharmaceutique, au moyen de ce qu’on appelle pudiquement « taxes et redevances », pour accorder une AMM, non? Je vais chercher d’autres références et ferai une note dans les prochains jours. A bientôt!

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  2. Merci, Sylvain, pour le commentaire et le lien. Effectivement, c’est de ce côté-là que je voulais regarder, puis du financement des experts de l’Afssaps par les firmes… Vaste sujet… Et l’équivalent aux Etats-Unis.
    Mais je suis débordé ces jours-ci… Alors à plus!

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