Les déclarations d’intérêts d’un certain nombre de sénateurs des Etats-Unis ont suscité un grand émoi dans la presse américaine, qui a largement repris la dépêche d’Associated Press « Key Health Care Senators Have Industry Ties« . On y apprend que des sénateurs ayant un rôle essentiel dans l’élaboration de la réforme du système de santé et de soins ont des conflits d’intérêts par leurs relations financières directes ou familiales avec des sociétés prestataires de soins, des laboratoires pharmaceutiques ou d’autres intervenants commerciaux dans le système de santé.
Ces révélations feront-elle le jeu de la campagne de discrédit engagée par les industriels contre la réforme d’Obama ?
A la fin de la note, plusieurs liens parlent de la situation française, bien pire, compte tenu de l’absence de transparence sur les liens entre les divers lobbies et nos hommes politiques. Des exemples concrets illustrent les conflits d’intérêts et les influences à l’œuvre dans notre république bananière. (Ou monarchie? Difficile à dire, avec Sarkozy 1er et les grandes familles (Sarkozy, Kouchner, Kosciusko-Morizet…) qui remplacent la noblesse de l’Ancien régime et imposent leurs intérêts privés partout).
Illustration tirée du blog Bioethics.net.
Révélations de mauvais augure pour la réforme portée par Barack Obama et bon nombre de démocrates
Parlant de république… Certes, les républicains – terme désignant la droite américaine – sont plus nombreux à avoir de tels liens financiers, selon les divers articles parus à ce sujet. Il n’empêche, cela tombe très mal pour Barack Obama, qui cherche à défendre une réforme du système de santé incluant une assurance-maladie publique. Même si celle-ci resterait optionnelle, l’idée d’une intervention étatique passe très mal auprès des assurances privées, de l’industrie pharmaceutique et d’une large partie de l’électorat de droite.
Les médecins tirent dans le dos d’Obama
Même l’influente American Medical Association (AMA), principale organisation des médecins états-uniens, pourtant pas complètement droitisée, a manifesté son opposition à cette mesure. Hier (15 juin 2009), Barack Obama a défendu son projet de réforme devant une AMA très sceptique.
On ne peut pas se tromper sur la position de l’AMA, et ce malgré la lettre laconique envoyée par la présidente Nancy Nielsen en réponse au New York Times. Parce qu’elle noie le poisson, rappelant certes l’engagement de l’organisation pour une assurance-maladie pour tous, mais une assurance privée… Ce qui est impossible, comme tout le monde sait. Mais un tel slogan ne mange pas de pain et préserve l’image que veut se donner la corporation médicale: image sociale et éthique, malgré la déshumanisation croissante et la réduction croissante de cette discipline à un commerce comme un autre. Voir à ce sujet l’excellent texte d’Arnold S. Relman traduit par Pharmacritique: « Ethique et valeurs médicales dans un monde marchand où la santé n’est qu’un commerce parmi d’autres« .
On reviendra sur la position de l’AMA et sur les difficultés de la réforme, parce qu’il y a trop de détails intéressants pour nous, Français. Par exemple du point de vue des difficultés qu’il y a à sortir d’un système complètement privatisé, et ce malgré toutes les catastrophes qu’il a engendré. L’exemple des Etats-Unis montre que la privatisation de la santé n’est qu’une question idéologique, nullement étayée par une recherche d’efficacité, de qualité à moindres coûts, de réduction des interventions administratives, etc. Il ne s’agit là que de slogans, et l’analyse des chiffres et de la réalité socio-économique des pays ayant un système privatisé montre qu’il n’a pas beaucoup de qualités…
Les notes réunies sous les catégories « privatisation de la santé » et « protection sociale en danger » abordent plusieurs aspects relatifs à ces questions.
Les faits – coût total pour les dépenses publiques et résultats en termes de qualité – démentent une par une toutes les supposées vertus d’un système privatisé de santé et de soins. Mais les pires préjugés et la pire irrationalité sont mobilisés pour l’imposer, ce système. Et une fois qu’un pays s’est engagé là-dedans et que les lobbies privés jouent contre un intérêt général qui n’a plus vraiment de traduction pratique et ne peut donc plus tellement être compris par le grand public, il est extrêmement difficile d’en sortir. Le système est inflationniste et laisse près de 50 millions de personnes sans assurance-maladie, soit tout le temps soit au moins pendant certaines périodes. 18 millions d’enfants se retrouvent dans cette situation (voir cette note).
Quel rapport avec les conflits d’intérêts des sénateurs ?
Eh bien, il y a deux possibilités : soit les conflits d’intérêts des sénateurs en question vont jouer en défaveur de la réforme, parce que ces politiques agiront conformément aux intérêts privés qu’ils représentent ; soit ces déclarations d’intérêt seront instrumentalisées dans la campagne de discrédit de la réforme, lancée par les industriels. Soit les deux – et c’est une troisième possibilité. Fort probable.
Certes, quand on voit que l’épouse du sénateur démocrate Chris Dodd – qui doit seconder le sénateur Kennedy dans la rédaction des propositions législatives du Sénat – fait partie du conseil d’administration de quatre laboratoires pharmaceutiques et autres industriels de la santé, il y a de quoi se poser des questions. Son porte-parole affirme que les deux époux ont toujours été très indépendants, et que le sénateur Dodd se bat depuis des décennies en faveur d’une réforme de la santé. Il a commencé ce combat avant leur mariage qui date d’il y a dix ans, nous dit-on. Mme Dodd a semble-t-il embauché un avocat spécialisé dans les questions d’éthique (ethics lawyer) qui la conseille sur la façon d’éviter les conflits d’intérêts (?!)
Les chances de l’administration Obama de garder un projet de loi conforme aux espérances initiales et de le faire adopter se réduisent de plus en plus.
Question rituelle : et en France ?
Nous épinglons tous régulièrement les défauts des Etats-Unis en matière de santé. Mais ils sont bien plus avancés dans tout ce qui concerne la transparence sur les conflits d’intérêts médico-pharmaceutiques, politiques et autres. Où sont les déclarations d’intérêt de nos sénateurs et de nos députés de France et de Navarre ? Pourquoi n’y a-t-il aucune transparence sur leurs relations – financières et autres – avec les divers lobbies impliqués dans la santé ? Aucune information sur les dépenses engagées par ces lobbies pour influencer nos élus, nos décideurs politico-sanitaires et nos lois ?
Quelques conseils de lecture (liens entre les lobbies et les hommes politiques français)
- cet article de Pharmacritique sur les relations de Nicolas Sarkozy, François Sarkozy et d’autres politiques avec Sanofi-Aventis et sur leur traduction en pratique : franchises médicales et instrumentalisation du plan Alzheimer et de la recherche publique pour produire des profits privés.
- le documentaire sur les lobbies à l’Assemblée et à l’Elysée, avec les commentaires tirés d’un article fort éloquent de Marie Bénilde
- la vidéo dans laquelle la députée Catherine Lemorton dénonce l’influence malsaine du lobby pharmaceutique sur les élus, les journalistes, les médecins…
- cette note qui part du livre d’Hélène Constanty et Vincent Nouzille, « Députés sous influences », et donne d’autres exemples de ces conflits d’intérêts omniprésents
- d’autres exemples de conflits d’intérêts passés ou présents dans les autres notes de la catégorie « Hommes politiques et lobbies (conflits d’intérêts)«
Elena Pasca