J’ai proposé dans cette note de nominer le syndicat européen de l’industrie pharmaceutique (EFPIA) et le commisaire Günter Verheugen pour les prix du lobby le plus néfaste et de la personnalité européenne traînant le plus de casseroles (pardon, conflits d’intérêts). Prix décernés par Corporate Europe Observatory à la suite du vote du grand public, qui débutera le 20 octobre.
Et voici une nouvelle occasion de voir à quel point ces deux-là méritent d’être couronnés… Dans l’éditorial traduit dans la note précédente, Nature Neuroscience donnait comme exemple à suivre un projet de la Commission européenne dont je n’avais pas encore entendu parler : Innovative Medicine Initiative (IMI). Une recherche rapide a suffi pour voir à quel point l’immense écran de fumée publicitaire cache une autre manoeuvre d’EFPIA, cette fois-ci pour utiliser l’argent public – nos impôts, autrement dit – à des fins de profits privés. Le projet donne à l’industrie pharmaceutique aussi la possibilité de s’approprier les résultats des équipes publiques de recherche. Pas si directement que cela, bien entendu…
Je rends compte de l’IMI à partir des commentaires de la Helmholtz Gemeinschaft : la plus grande organisation allemande de recherche qui salarie 25.600 chercheurs et réunit les 15 centres de recherche les plus réputés, pour un budget annuel de 2,3 milliards d’euros.
Elle a poliment mais vertement critiqué le projet Innovative Medicines Initiative de la Commission européenne et de l’EFPIA, qui se présente sous les beaux dehors d’une collaboration public-privé en matière de développement rapide de médicaments novateurs par une recherche européenne à laquelle on donnerait les moyens de devenir un leader en la matière. Selon la propagande officielle reprise sur ce site, il s’agirait là d’une concrétisation des Initiatives technologiques conjointes (JTI ou Joint Technology Initiative), ayant « pour objectif de renforcer l’innovation et la compétitivité des industriels dans un secteur économique clé pour l’Europe ».
Dans ce texte comme dans des prises de position résumées ailleurs, la Helmholtz Gemeinschft dénonce les pièges subtils mais efficaces tendus par le syndicat de l’industrie pharmaceutique, avec la complicité de la Commission européenne, pour pouvoir exploiter les sociétés publiques de recherche, dont ce projet européen exige une grande « transparence » des données, au nom d’un « échange de connaissances » entre public et privé… Mais la transparence ne s’applique pas de la même manière aux firmes, qui se cachent légalement derrière le secret de fabrication, etc.
De plus, le projet n’est aucunement une collaboration, vu l’inégalité de traitement des parties en présence, mais une façon masquée d’obtenir des subventions publiques pour les firmes privées… Sachant que les profits aussi seront privés…
Les termes de l’accord et les conditions posées excluront de facto beaucoup de centres de recherche et de PME de la participation à ce projet, souligne cette fédération allemande de la recherche.
Malgré la grande publicité faite par la Commission à ce projet censé profiter à la recherche, à l’économie et la santé européennes, la Helmholtz constate qu’il suffit d’analyser les dispositions pour voir qu’il s’agit là de favoriser l’industrie pharmaceutique dans son ensemble, donc les multinationales, et non pas la recherche européenne en tant que telle, et certainement pas celle publique, qui sera simplement la vache à lait d’une industrie dont les pipelines sont à sec. (Les termes de la Helmholtz sont plus polis que les miens, mais vu le jargon utilisé, une « traduction » de ce type n’est pas inutile).
La Helmholtz Gemeinschaft reproche la distribution inégale des droits et des éventuels avantages découlant des découvertes. Ainsi, les institutions de recherche devront dévoiler très tôt leurs projets et l’état de leurs recherches, sans aucune garantie vis-à-vis des firmes qui pourraient s’approprier ces résultats et embaucher des sociétés privés – sociétés de recherche sous contrat, par exemple, qui orienteraient ces résultats en un sens profitable à l’industrie, en extrayant les applications immédiatement brevetables et immédiatement rentables…
Beaucoup trop de paramètres précisant les droits des centres de recherches sont délibérément restés vagues et risquent de favoriser des dérapages et de mettre les centres publics dans l’impossibilité à défendre leurs intérêts, qui ne sont pas ceux des firmes. Cette inégalité est présente dès la négociation de l’accord, puisque les équipes publiques n’ont pas la même base légale pour fixer clairement leurs droits et leurs intérêts, ni les mêmes conseils juridiques pour se défendre, souligne la Helmholtz…
L’Innovative Medicines Initiative a élaboré une politique de propriété intellectuelle (IP dans le texte) qui favorise l’industrie pharmaceutique et influe aussi sur la nature même de la recherche, puisque les projets dont les firmes peuvent tirer des brevets seront encouragés, comme nous le disions plus haut d’un autre point de vue. En gros, les applications technologiques (la recherche dite appliquée) seront privilégiées au détriment de la recherche fondamentale.
C’est l’éternel problème de l’industrie pharmaceutique, qui n’a toujours pas réalisé que seule la recherche fondamentale renouvelle et actualise le savoir et apporte les connaissances nécessaires aux véritables avancées thérapeutiques. Chercher une mille et unième application des acquis de la recherche fondamentale d’il y a 20 ans, c’est ce que font les firmes actuellement, et cela se traduit par une absence de progrès thérapeutique et une véritable crise de l’innovation dont nous avons rendu compte en reprenant la Déclaration sur le progrès thérapeutique faite par l’ISDB (union des revues médicales indépendantes) dans la note « Progrès thérapeutique? Ou progrès marketing occultant les effets indésirables des médicaments? »
Qu’est-ce que cela veut dire concrètement pour les patients ? Pour l’essentiel, cela veut dire qu’ils sont inondés de copies à peine modifiées de médicaments déjà existants, présentés comme révolutionnaires, et que les firmes veulent étendre à plus de maladies en élargissant les critères permettant aux usagers de s’identifier à des maladies existantes ou en créant d’autres maladies par les procédés de disease mongering, décrits dans les articles de la catégorie éponyme).
Pourquoi ? Parce que les firmes obtiennent, moyennant un marketing très perfectionné, des revenus astronomiques pour des dépenses proches de zéro et n’ont pas intérêt à investir dans la recherche et le développement (R&D) qui pourrait aboutir à des molécules innovantes, mais au bout de recherches coûteuses et pas toutes couronnées de succès.
Pourquoi ? Parce que les firmes obtiennent, moyennant un marketing très perfectionné, des revenus astronomiques pour des dépenses proches de zéro et n’ont pas intérêt à investir dans la recherche et le développement (R&D) qui pourrait aboutir à des molécules innovantes, mais au bout de recherches coûteuses et pas toutes couronnées de succès.
Comme c’est commode de pouvoir exploiter la recherche publique et de ne payer par la suite que pour la production industrielle de produits issus des applications profitables de cette recherche !
Quant aux autres projets communs de la Commission européenne et de l’industrie pharmaceutique (représentée par l’EFPIA), vous pouvez vous faire une idée en lisant certaines notes de la catégorie Autorités d'(in)sécurité sanitaire et Publicité (directe) des firmes, marketing. Ces deux-là se chargeront de notre santé comme de notre portemonnaie, avec une efficacité déjà prouvée « cliniquement », dans la vraie vie.
Bref, il faudra voter pour l’EFPIA et pour Günter Verheugen à partir du 20 octobre, sur le site du Corporate Europe Observatory.
Elena Pasca
Une réflexion sur “Innovative Medicines Initiative : la Commission européenne et EFPIA s’allient pour dévaliser la recherche et les deniers publics”