Pas de pitié pour les gueux ! Sur les théories économiques du chômage, par Laurent Cordonnier. Ed. Raison d’agir 2000, 124 pages, 5,70 euros. Présentation par Denis Gombert : « Le mal du siècle économique, c’est le chômage. Voilà une opinion partagée par le plus grand nombre. D’une certaine façon, des générations d’économistes nous ont appris à penser comme ça. (…) On voudrait nous faire croire que « le chômage est le produit de la paresse des travailleurs ». Allons même plus loin, qu' »il existe des chômeurs par choix rationnel ». Dans Pas de pitié pour les gueux, Laurent Cordonnier montre les crocs et gronde. Contre l’idée reçue que l’existence du chômage serait la faute des salariés. Très sceptique sur le prétendu équilibre rationnel de la loi du marché, l’auteur cherche à savoir à qui profite [le chômage]. Dans son essai économique très contestataire sur les mécanismes complexes du chômage, Laurent Cordonnier remarque que le stock des chômeurs est, comme par hasard, juste suffisant pour protéger les intérêts capitalistes… On en revient à la question première : à qui profite le crime ? Peut-on sérieusement soupçonner les chômeurs de tirer avantageusement parti des imperfections du marché du travail et leur faire porter si facilement le chapeau du chômage ? »
La question fondamentale est: quelle est la fonction sociale de la « pauvreté » ? Réponse à partir de l’analyse de Georg Simmel, fondateur de la sociologie de la pauvreté.
Dans un essai de 1908, le sociologue allemand Georg Simmel s’interrogeait sur la fonction de la pauvreté et épinglait ce que l’usage du terme « pauvreté » disait en fait de la société qui l’utilisait. Une société qui préfère parler abstraitement de « pauvreté ». (Le présent est de mise, parce que cette approche n’a pas changé, bien au contraire). L’abstraction lui sert de automystification et la conforte dans l’illusion de la distance vis-à-vis de ces pauvres, comme s’ils étaient quelque chose de qualitativement différent. Cette abstraction qui désincarne les pauvres permet de ne surtout pas regarder chaque personne vivant dans la pauvreté en tant qu’individu, membre de la grande famille humaine et de ce fait égal en droit et en dignité avec tous les autres membres de la société. Seule la déshumanisation – activement entretenue par le pouvoir et les media – permet à la vision idéologique qui fait des êtres humains économiquement pauvres des boucs émissaires de s’ancrer dans la vision populaire de l’espace social. Certes, ces êtres humains survivent et ne correspondent pas à la notion en vogue de « l’acteur économique ». Le terme acteur n’est pas innocent ici; ne parle-t-on pas de « savoir se vendre »? C’est même incroyable à quoi le néolibéralisme pousse les individus… Mensonge, fausseté, rôle… Et les frustrations qui s’accumulent forcément risquent d’exploser, alors l’idéologie montre sur qui il convient de canaliser ces affects – pour détourner la vision et l’intellect des vraies causes – en orientant l’ire sur plus pauvre que soi, sur plus assujetti que soi. Assujetti par la case dans laquelle la société l’enferme et avec laquelle elle l’assimile: le statut d’assisté. Dénué de facto des attributs citoyens et de la reconnaissance sociale, frappé de « disqualification sociale » (Serge Paugam), ce qui veut dire plus qu’exclu: condamné à une mort sociale. Sociale et non pas physique, puisqu’il faut que ces individus existent, qu’on puisse les montrer du doigt, qu’ils puissent faire peur…
Citons Simmel qui analysait finement les débuts de ce processus dans un texte de 1908 :
« Le fait que quelqu’un soit pauvre ne veut pas dire qu’il appartienne à la catégorie sociale spécifique des pauvres. Il peut être un commerçant, un artiste ou un employé pauvre, mais il demeure dans la catégorie (commerçant, artiste ou employé), qui est définie par une activité ou une position spécifique, Dans cette catégorie, il est possible qu’il occupe, à cause de sa pauvreté, une position qui se modifie au fur et à mesure ; mais les individus qui, sous différents statuts et occupations, sont dans une telle position ne sont pas regroupés de quelque manière dans un tout sociologique particulier, différent de la couche sociale à laquelle ils appartiennent. Ce n’est qu’à partir du moment où ils sont assistés — ou peut-être dès que leur situation globale aurait dû exiger assistance, bien qu’elle n’ait pas encore été donnée — qu’ils deviennent membres d’un groupe caractérisé par la pauvreté. Ce groupe ne demeure pas uni par l’interaction de ses membres, mais par l’attitude collective que la société, en tant que tout, adopte à son égard. » (G. Simmel, Les Pauvres (1908), Paris, PUF, 1998, p. 98.) Ce n’est pas la pauvreté ou les pauvres qui existent aux yeux de la société, mais le statut social spécifique que la société leur accorde pour en faire un épouvantail et garantir ainsi le conformisme qui permet même au capitalisme le plus outrancier d’avoir d’infinies armées de réserve… Quel est ce statut ? Ou plutôt ce stigmate. C’est l’assistanant. Chaque travailleur ou employé acceptera n’importe quelles conditions de travail, n’importe quel salaire, etc. pour éviter de voir son humanité, son individualité dégradée à ce statut social spécifique forgé par la société pour faire semblant de voire les pauvres tout en exerçant à leur encontre la pire négation qui soit : la déshumanisation, la réduction de l’être humain à la passivité (et peu importe si elle ne cadre pas à la réalité), au fait de recevoir l’assistance, pourtant devoir de solidarité de toute société républicaine.
Alors oui, la pauvreté a cette fonction sociale d’épouvantail, de bouc émissaire de tous les maux et objet de tous les soupçons… Fonction très prisée par le capitalisme et facilement mobilisable pour faire passer des « réformes ». Telle situation n’est jamais la faute de l’économie néolibérale et de ses dérapages, mais la faute de ceux qui ne travaillent pas (sous-entendu : ils ne veulent pas travailler), ne se lèvent pas tôt, qui sont entretenus par les autres à coups d’énormes sacrifices (c’est nous qui payons pour eux, etc.). Les pauvres et les assistés sont donc essentiels pour le néolibéralisme ; et s’il n’y en avait pas, il faudrait les inventer… « Pas de pitié pour les gueux ! », ces coupables par excellence. Mais surtout pas de solidarité…
Citons un fragment d’une bonne introduction sur le site du Centre Europe – Tiers Monde (CETIM), appelée « La pauvreté, alibi des mondialisateurs »:
« La pauvreté est une réalité à la fois extrêmement simple et extrêmement compliquée. Simple, parce qu’elle se définit comme un déficit de revenu qui est relativement facile de résoudre. Compliquée, parce que les non-pauvres, voire les riches, cherchent à la définir moyennant des concepts qui ne mettent pas en danger leurs privilèges. Ainsi, la pauvreté est devenue une idée théorique dont le champ de signification s’étend à l’infini et qui rend les pauvres non-identifiables. Les façons dont nous voyons les pauvres sont le résultat d’une construction sociale [produite par l’idéologie néolibérale]. Le regard politique perçoit les pauvres en fonction des préoccupations majeures de l’époque et qui ne sont pas celles des plus démunis. La pauvreté est comme un miroir, un instrument de la pensée politique pour exposer son idéal. C’est pourquoi elle ne vient à l’ordre du jour politique que pour des raisons bien spécifiques. Selon le fondateur de la sociologie de la pauvreté, Georg Simmel, la lutte contre la pauvreté répond toujours aux besoins des non-pauvres. »
Vous trouverez sur ce site des extraits du livre de Serge Paugam, « La disqualification sociale: essai sur la nouvelle pauvreté ». PUF, 2000. Paugam a publié en 2005 le livre « Les formes élémentaires de la pauvreté« , qui est un essai de typologie européenne. La pauvreté, qui est une « prénotion » et non pas un concept, est une question très épineuse non pas tant en elle-même, mais parce qu’elle pose la question des ratés de tout un système économique, social et idéologique. Elle est aussi « peu tolérable dans une société globalement riche et démocratique où l’on recherche de manière prioritaire l’égalité réelle, et non plus seulement l’égalité formelle des individus-citoyens. Les pauvres ne peuvent y avoir qu’un statut dévalorisé puisqu’ils représentent le destin auquel les sociétés modernes ont cru pouvoir échapper. Les attitudes collectives face la pauvreté sont variées: désolation morale, pour certains, de voir parmi cette frange de la population l’expression directe de la paresse, de l’inculture et de l’irresponsabilité; mauvaise conscience, pour d’autres, sensibles avant tout à l’injustice faite à ces personnes à la limite de la survie, maintenues dans des conditions humainement insupportables » (extrait d’un article publié dans la revue L’Economie politique)
Pour ceux qui lisent l’allemand, voici le texte « L’autre sexe de la pauvreté » (Das andere Geschlecht der Armut) par Bettina Mathes, professeure à la Pennsylvania State University, qui met en évidence les différences socio-économiques entre hommes et femmes et la situation toujours plus précaire de celles-ci.
Il y aurait bien entendu beaucoup de choses à dire, et nous allons revenir là-dessus… Vous pouvez (re)lire aussi notre présentation du livre de Michaël Lainé, « Les 35 mensonges du libéralisme ou comment réfuter les idées reçues de l’économiquement correct ». Dans la note intitulée Les mensonges du néolibéralisme ou La marchécratie a son oeuvre de prédilection: la casse sociale.
Bonjour,
Je souhaite vous contacter par email. Merci de m’envoyer un email à : info xxxxx noslibertes.org
Bien cordialement.
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je trouve cette enquet pas intéressant car
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bonjour ,
j’ entreprends une etude sociologique portant sur la constrution sociale de la pauvreté et de la richesse en Côte d’ Ivoire et je souhaiterai avoir un maximum d’informations sur la question. je tiens à préciser que je suis au début de mes investigations.
Merci et bien à vous
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