Encore un pas vers le dévoiement de la médecine en un outil de normalisation et de contrôle social par la médicalisation de l’existence dans son ensemble; par la médicalisation des modes de vie, en l’occurrence…
Je n’ai pas eu le temps de creuser les conflits d’intérêts qui se cachent à coup sûr derrière l’exigence de l’ordre fédéral des médecins allemands, formulée le 15 septembre devant un comité parlementaire : il faudrait « reconnaître » les fumeurs comme des malades comme les autres, dans la catégorie des addictions. Cette demande est contestée par les caisses d’assurance-maladie et fait débat au sein de la profession et au-delà.
Selon l’ordre, cette « reconnaissance » permettrait aux médecins de mieux traiter les fumeurs, puisque les groupes de parole et la volonté ne suffisent pas. Parler du tabac comme d’un choix ou d’un mode de « mode de vie » (lifestyle) occulterait toutes les dimensions médicales du problème, qu’il faut aborder comme telles, y compris en organisant une formation de deux semaines ( !) pour les médecins qui voudraient se « spécialiser ». On peu imaginer le contenu de cette formation : bourrage de crâne à l’aide de tous les supports marketing vantant les mérites du Champix et autres Zyban, gommes, patchs, etc. Le tout financé par les firmes pharmaceutiques dont le désir le plus ardent – et le plus fumeux, c’est le cas de le dire! – est d' »éduquer » (sic) médecins et patients à la consommation…
L’union des associations de défense des consommateurs reste sceptique quant aux bénéfices que les fumeurs – ou du moins ceux qui désirent arrêter – pourraient tirer de ce changement de « statut ». Mais qu’il y ait ou non un bénéfice médical importe peu dans la bataille de gros sous qui est en train de se jouer… Et je crois que personne ne peut douter un seul instant du fait que derrière cette « philanthropie » et cette volonté « éducative » se cachent les firmes pharmaceutiques qui commercialisent les substituts nicotiniques et surtout les médicaments utilisés massivement dans le sevrage tabagique (Champix, Zyban, nortriptyline…).
Pfizer a subi de sérieux revers aux Etats-Unis – et nous en avons rendu compte dans plusieurs notes de la catégorie « Tabac, sevrage, aide à l’arrêt » -, mais la pharmacovigilance européenne fait preuve de sa servilité habituelle envers les firmes et ne les inquiète guère; alors pourquoi ne pas en profiter?
Comme dans les essais américains et ceux de l’OMS de faire du tabagisme une maladie chronique au même titre que le diabète – cf. cette note et celle-ci -, les lobbyistes des firmes se heurtent aux refus des assurances de prendre en charge le coût des « traitements », et cela freine énormément les profits des laboratoires… D’où l’habillage – et le verbiage – médical pour couvrir la face trop crue, brute et avide de cette recherche effrénée de profits, qui ne s’embarrasse pas des libertés individuelles…
Pour le moment, le ministère fédéral de la santé ne s’est pas prononcé sur cette demande. J’attends avec impatience les développements et la réaction des revues allemandes indépendantes pour vous tenir au courant.
Voici un texte de Deutsche Welle International en anglais : German Doctors Want Smoking Classified as a Sickness.
Liens en allemand :
Der Spiegel : Bundesärztekammer : Raucher sollen als Kranke gelten (Ordre fédéral des médecins: les fumeurs doivent être considérés comme des malades).
Kölner Stadt-Anzeiger: Krankenkassen: Rauchen ist keine Krankheit (Caisses d’assurances-maladie : fumer n’est pas une maladie).
Je ne sais même pas si je dois classer cette note à la catégorie « maladies inventées / disease mongering » ou alors à la catégorie « Tabac, sevrage, aide tabagique »… Il faudrait faire des mises à jour des deux côtés.
Elena Pasca
Fumer est un comportement comportant des risques à terme pour la santé, ce qui n’est pas tout à fait la même chose qu’une ‘maladie’.
En France, l’affaire est pliée depuis belle lurette : en dehors d’une prise en charge médicale, et subventionnée par l’Assurance Maladie, toutes les approches alternatives sont des charlataneries. Officiellement, AFSSAPS dixit (2003), à l’exception des TCC qui de toute façon sont inutilisées, parce qu’échappant au monopole médical.
Ce qui est gênant ce n’est pas tant que les médecins veuillent aider les fumeurs, certains le font avec compétence et honnêteté, c’est la revendication d’un monopole, justifié par des recommandations établies par les ‘experts’ en lien avec l’industrie pharmaceutique (cf. la listes des experts cooptés par l’AFSSAPS en 2003, 5 non médecins sur 95 participants, c’est dire la compétence à juger des aides « non médicamenteuses »).
Hier les esthéticiennes manifestaient pour garder le droit d’épiler leur client(e)s avec de la lumière pulsée, procédé réservé en France aux dermatologues. Bientôt les médecins, au motif de diététique, se réserveront le droit exclusif de servir dans les restaurants ?
Il est temps que la médecine cesse de vouloir régenter tout ce qui touche au bien-être, le domaine social, psychologique, etc. En France ce n’est pas un ministère de la Santé que nous avons rue de Ségur à Paris, mais un ministère de la médecine, ce qui n’est pas la même chose. Le résultat de confondre médecine et santé est que la médecine s’occupe – mal – de choses dont elle ne maîtrise pas les procédés et qu’elle y perd sa légitimité. La médecine c’est pour traiter les maladies non ? Pour le reste, il y a un vide abyssal.
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A 100% d’accord avec vous, Randall! J’ai eu l’occasion de parler de la normalisation et du contrôle social à travers la médecine et la culture psy, et ce dévoiement ne me dit rien qui vaille.
Je n’ai pas encore eu le temps de fouiller dans la blogosphère allemande pour trouver des détails sur les conflits d’intérêts qui sont derrière cette exigence de médicalisation, mais je n’ai aucun doute sur la nature financière de cet intérêt pour les fumeurs…
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