Charlotte J. Haug, rédactrice en chef du Journal of the Norwegian Medical Association, signe dans le numéro du 21 août du New England Journal of Medicine un éditorial intitulé Human Papillomavirus Vaccination – Reasons for Caution (Vaccination contre les papillomavirus humains – pourquoi nous devons être prudents). Je traduis les fragments essentiels de cet éditorial qui accompagne un article faisant état d’une modélisation de la vaccination par Gardasil pour en déterminer le rapport coût – effectivité en fonction des critères QALY (quality-adjusted life-year : années de vie évaluées selon des critères de qualité de vie).
J’ai rendu compte des résultats de la modélisation similaire effectuée en Autriche – et suite à laquelle le Gardasil a été retiré du programme national de vaccination, grâce aux efforts de la ministre de la Santé, la Dre Andrea Kdolsky… Les détails sont un peu plus bas sur la page, avec d’autres commentaires et liens.
Extraits de l’éditorial du New England Journal of Medicine (NEJM) signé Charlotte Haug :
[Les mots figurant entre parenthèses droites sont de Pharmacritique]
« Malgré les grands espoirs et les résultats prometteurs des essais cliniques, nous manquons toujours de preuves suffisantes de l’efficacité des vaccins contre le cancer du col de l’utérus. (…) L’effet global des vaccins sur le cancer du col de l’utérus reste inconnu. Comme le soulignent Kim et Goldie [1] dans le présent numéro du Journal, il faudra plusieurs décennies avant que l’on puisse évaluer l’impact réel de la vaccination contre le HPV sur le cancer du col de l’utérus. (…)
[Malgré l’autorisation de mise sur le marché et les affirmations dans certains articles], un certain nombre de questions restent sans réponse [5, 6]. On ne sait pas, par exemple, si le vaccin sera capable en fin de compte non seulement de prévenir les lésions du col de l’utérus [celles dues aux souches HPV 16 et 18], mais aussi les cas de cancer du col de l’utérus proprement dit et les décès. Combien de temps durera la protection conférée par le vaccin ? Et puisque la plupart des infections par HPV sont facilement éliminées par le système immunitaire, on peut se demander quel sera l’impact de la vaccination sur l’immunité naturelle contre les papillomavirus et quelles en seront les conséquences.
Comment l’organisme des jeunes filles préadolescentes réagira-t-il au Gardasil ? On ne le sait pas, puisque les essais cliniques n’ont mesuré que la réponse immunitaire [le taux d’anticorps] dans la population de cet âge ; les préadolescentes n’ont pas été évaluées en fonction de critères cliniques de jugement, tels l’apparition de dysplasies modérées et de haut grade (CIN 2, CIN 3). Seule la réaction clinique des jeunes filles de 16 à 24 ans a été évaluée.
Comment la vaccination influera-t-elle sur les pratiques de dépistage? Étant donné que les vaccins protègent contre seulement deux des souches oncogènes du papillomavirus humain, les femmes vaccinées doivent continuer à suivre un programme régulier de dépistage des dysplasies du col de l’utérus. Or les femmes vaccinées pourraient se sentir protégées contre le cancer du col de l’utérus, relâcher leur vigilance et ne plus poursuivre un programme régulier de dépistage.
Comment le vaccin affectera-t-il d’autres souches oncogènes du papillomavirus humain ? Si les sérotypes HPV-16 et HPV-18 sont effectivement supprimés, cela ne mènera-t-il pas à une pression sélective sur les autres souches de HPV? D’autres souches à haut risque oncogène pourraient émerger et s’imposer.
Il faudra observer un très grand nombre de femmes pendant des décennies avant de pouvoir répondre à ces premières questions essentielles.
Quant à la derrière question, il se peut que nous ayons une réponse plus rapide. Les publications rendant compte des essais cliniques font état, chez les femmes vaccinées, d’une hausse tendancielle du nombre de lésions cervicales précancéreuses causées par des sérotypes HPV autres que HPV 16 et 18 [2,4,6]. Ces résultats n’ont pas été statistiquement significatifs, peut-être parce qu’il n’y avait pas assez de critères de jugement cliniquement pertinents dans la période d’observation. Si nous aurons des essais randomisés et contrôlés de longue durée, comprenant des femmes vaccinées et non vaccinées, nous serons en mesure d’affirmer si cette tendance se confirme. Et si c’est le cas, nous avons toutes les raisons de nous inquiéter.
À l’été 2007, il y avait certainement des résultats préliminaires prometteurs en ce qui concerne l’efficacité du vaccin anti-HPV dans la prévention des lésions précancéreuses (c’est-à-dire CIN 2 / CIN 3) causées par les sérotypes HPV 16 et HPV 18. Cependant, des questions très importantes concernant l’efficacité globale du vaccin dans la protection contre le cancer du col sont restées sans réponse, et les chercheurs ont demandé que des essais à plus long terme soient menés avant que l’on recommande la mise en place de programmes de vaccination par Gardasil à grande échelle [5,6]. Malheureusement, depuis 2007, il n’y a plus eu de publications rendant compte d’essais à plus long terme.
Entre-temps, il y a eu beaucoup de pressions sur les instances de décision pour que le Gardasil soit inclus dans des programmes nationaux ou étatiques de vaccination. Mais comment les décideurs politico-sanitaires pourraient-ils prendre des décisions rationnelles dans de telles conditions d’absence de preuves scientifiques ? Ils doivent se prononcer sur des interventions médicales, telles la vaccination massive, dont l’issue est incertaine et dont on ne sait pas si elles vont être efficaces ou non ; elles pourraient s’avérer utiles à l’avenir, mais elles pourraient tout aussi bien s’avérer nocives.
Une façon d’aider les décideurs est de développer des modèles mathématiques de l’histoire et de l’évolution naturelles de la maladie, puis d’introduire diverses stratégies interventionnelles et d’en analyser le rapport coût – effectivité, afin d’estimer les coûts et les bénéfices effectifs pour la santé qui résulteraient de chaque intervention clinique. (…)
Lorsque tant de questions essentielles restent sans réponse, nous avons toutes les raisons d’être prudents avant d’implémenter des programmes de vaccination à grande échelle. Nous devrions concentrer nos efforts sur la recherche, afin d’y trouver des réponses plus solides, au lieu de cautionner de telles décisions très coûteuses et aux conséquences importantes, prises sur la base d’hypothèses qui n’ont pas été prouvées à ce jour. »
Mes commentaires :
J’ai abordé dans la note précédente (et les liens qu’elle donne) cette crainte des chercheurs: la possibilité que les vaccins contre certaines souches de papillomavirus aient un effet de remplacement sérologique, donc de « pression de sélection » de souches oncogènes résistantes. (Pour mieux comprendre, il suffit de penser aux conséquences de l’usage des antibiotiques dans les cas où ils ne sont pas nécessaires : il y a des mutations et les bactéries deviennent résistantes. Non seulement le système immunitaire ne se débrouille plus tout seul, mais même les traitements n’arrivent plus à enrayer la maladie. Ce n’est qu’une analogie, toutes spécificités gardées). Autant rappeler aussi les quelques détails que donne Juan Gérvas, repris dans la note « Gardasil: une prévention incertaine et des dégâts fort possibles. Juan Gérvas persiste et signe. »
Résultats étonnants de la modélisation autrichienne…
Une modélisation telle que l’exige Charlotte J. Haug a été réalisée à l’Institut Ludwig Boltzmann en Autriche, notamment par Ingrid Zechmeister, et c’est sur la base de ces résultats que le gouvernement autrichien s’est basé lorsqu’il a refusé d’inclure le Gardasil dans le programme de vaccination et de le rembourser. Les résultats de la modélisation sont exposés dans la note « Même une vaccination systématique par un Gardasil supposé efficace n’aurait qu’un faible impact sur l’incidence du cancer du col de l’utérus, selon une expertise autrichienne ». La décision politique est détaillée dans la note « L’Autriche mise sur les méthodes sûres de prévention du cancer du col de l’utérus. Un sérieux revers pour le Gardasil ».
Pas étonnant qu’on ne trouve aucune trace de ces informations sur les sites officiels consacrés au Gardasil, puisque ces questionnements accentuent l’impression de vaccin inutile, que peut avoir même un usager lambda, même à supposer que le Gardasil soit effectif et qu’il n’y ait pas d’effets indésirables graves ni de rappels qui le rendraient encore plus coûteux. C’est une expérimentation grandeur nature, comme le disait Carlos Alvarez-Dardet… Et advienne que pourra, une fois que Merck et Sanofi Pasteur MSD auront fait des profits considérables.
Des liens et d’autres commentaires inspirés par les confusions ambiantes
-
Pour creuser, on peut (re)lire la bonne trentaine de notes réunies sous les catégories « Gardasil, très critiqué à l’étranger » et « Gardasil (divers) ».
-
Virus du papillome humain: l’utilité du vaccin mise en doute (André Noël commente l’éditorial du NEJM et rend compte de la réaction du laboratoire Merck, qui produit et commercialise le vaccin en dehors de l’Europe).
-
Voix discordantes autour du vaccin contre le cancer du col de l’utérus (sur le site Le coin bio).
On peut retenir certains aspects contenus dans ce dernier texte, tout en gardant des réserves, tout d’abord face à la mauvaise formule figurant dans le titre et dans la première phrase, et qui contribue à la désinformation ambiante : « vaccination contre le cancer du col de l’utérus (papillomavirus humain) ». C’est précisément cette confusion que veulent entretenir Merck et Sanofi Pasteur MSD…
Gardasil et Cervarix ne sont pas des vaccins « contre le cancer du col de l’utérus »
Or il ne s’agit pas des vaccins contre le cancer du col de l’utérus, ni même contre « le » papillomavirus, mais contre seulement deux des quinze ou seize sérotypes oncogènes de papillomavirus humains (HPV), dont on sait qu’ils interviennent, avec d’autres co-facteurs, dans certaines dysplasies de haut grade et certains cancers du col de l’utérus. Rappelons que ni le Gardasil ni le Cervarix n’ont à ce jour apporté la preuve de leur capacité à protéger contre le cancer du col de l’utérus, à le prévenir, à baisser sa fréquence et sa mortalité. L’efficacité devrait être jugée à long terme et de façon globale, tous sérotypes / génotypes de papillomavirus confondus.
Les souches 16 et 18 sont rares, voire très rares dans les pays industrialisés ; on vaccine donc massivement contre un ennemi peu présent
D’autre part, comment peut-on affirmer que les sérotypes 16 et 18 interviendraient dans 70% des cas de cancer du col de l’utérus en Occident? Puisque leur prévalence géographique est très variable et qu’ils sont notamment très rares dans les pays industrialisés. La journaliste a tort aussi lorsqu’elle affirme de façon péremptoire que, s’il existe « de nombreux autres papillomavirus, [ils sont] certes moins fréquents » [que les 16 et 18]. Rien ne permet de l’affirmer. Cela dépend de l’aire géographique, comme je l’ai dit en reprenant diverses études et enquêtes statistiques portant sur la prévalence des sérotypes HPV (cf. les notes de la catégorie « Gardasil (divers) »).
Bref, une voix critique de plus est la bienvenue, mais il faudrait que les arguments soient solides et aillent au-delà de la citation de sources critiques, d’une part, et au-delà de la propagande de Merck et Sanofi Pasteur, d’autre part – et déjà en ce qui concerne les chiffres, puisque ceux-ci sont les principaux outils du pharmacommerce de la peur.
Ainsi, lorsque la journaliste dit que 80% des femmes adultes sont infectées par des papillomavirus, il faudrait relativiser et nuancer tout de suite en rappelant par exemple l’enquête états-unienne, menée par le centre national des statistiques et le CDC, qui a montré que de toutes les femmes infectées, seules 3,4% étaient infectées par les sérotypes vaccinaux du Gardasil (HPV 6, 11, 16, 18). Parmi elles, seules 2,3 % étaient infectées par les HPV 16 ou 18… Et ce n’est donc pas par provocation que j’ai posé sur Pharmacritique la question qui fâche : « Le Gardasil est là. Mais où sont les souches HPV 16 et 18 ? »
Manifestement, ce ne sont pas ces deux-là qu’on puisse tenir pour responsables de 70% des cancers du col de l’utérus aux Etats-Unis…
Mais il y a mieux
Une enquête à Barcelone a mis en évidence une prévalence des sérotypes / génotypes à haut risque 16 et 18 proche de zéro. Et même en prenant en compte tous les 120 génotypes de papillomavirus humains, seules 2,98% des femmes barcelonaises étaient infectées. C’est loin du taux de 80% avancé par Sanofi Pasteur et repris trop à la légère par la journaliste du « Coin bio ». Détails dans la note « Fréquence des infections par tous les sérotypes HPV à Barcelone: 2,98%… Gardasil et Cervarix, pour quoi faire? »
La monographie du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC ou IARC, auprès de l’OMS) a confirmé ces disparités (cf. la note « Prévalence géographique très contrastée des papillomavirus, rappelle la monographie de l’agence de l’OMS. Gardasil et Cervarix devraient être utilisés en conséquence »).
Alors oui, il faut poser et reposer la question : Gardasil et Cervarix, pour quoi faire ? Pour lutter contre un ennemi quasiment fictif, un peu comme si on voulait vacciner contre le Yeti les gens viviant en plein soleil méridional ?
Cette question est essentielle, puisque la réponse va d’emblée dans le sens d’une utilité et d’une efficacité contestables du Gardasil et du Cervarix dans les pays occidentaux et impose de tenir compte au moins des disparités régionales. Mais il est possible que la vaccination aboutisse à une sélection de génotypes à haut risque oncogène, qui résisteront au travail d’un système immunitaire continuellement sursollicité par les vaccins, ce qui risquerait de mener à des dysplasies et à des cancers du col de l’utérus plus fréquents même dans des régions où ils étaient très rares.
Si on veut démonter la désinformation, il faut aller jusqu’au bout et décortiquer les arguments de l’industrie pharmaceutique. Autrement, toute analyse qui se veut critique mais confirme en fait les chiffres véhiculés par les firmes pharmaceutiques et se situe dans les termes posés par l’industrie pour faire peur risque de conforter les positions de la propagande industrielle.
Gardons l’esprit critique en éveil et essayons de ne pas nous arrêter à mi-chemin.
Elena Pasca
je suis tout à fait d’accord avec les arguments exposés à propos du Gardasil . Cependant, il y a une information qui me semble erronée : Si l’infection par HPV 16 et 18 est très minoritaire, en revanche ils sont responsables de 70% des cancers invasifs .
L’étude EDITH (PRETET (Jean-Luc) : Human papillomavirus genotype distribution in high grade cervical lesions (CIN 2/3) in France : EDITH study. (2008) avait pour but d’évaluer la fréquence des HPV impliqués dans les CIN2, CIN3 et les cancers invasifs en France .
Pour les CIN2 et 3 : HPV 16 : 62%, HPV 31 15% HPV 33 : 12% HPV : 52: 9 % HPV 18 : 4% .
Pour les cancers invasifs le HPV16 passe à 73% et le 18 à 19% , les autres chutent .
En fait la signification de ces résultats implique probablement une compétition entre ces HPV à potentiel carcinogène pour s’intégrer dans le génome et entrainer un cancer . On peut penser qu’en éradiquant les 2 « gagnants », on favorisera les autres , ce qui risque fort d’annuler purement et simplement l’effet protecteur du vaccin . A ce sujet les résultats de l’étude Futur 2 auraient du soulever ce problème, puisque la protection contre les CIN2 et CIN3 tout HPV confondu, chez les femmes n’ayant jamais contacté les 16 et 18 au moment du premier vaccin tombe à 27% . Il est probable que la protection vis à vis des HPV16 et 18 a favorisé les autres.
Ainsi le fait que ces 2 sérotypes soit de plus en plus fréquents quand on passe d’une simple infection au cancer invasif avec toutes les lésions intermédiaires peut faire craindre après leur éradication que les autres occuperont la place laissée vacante .
Ainsi souligner ce fait joue plutôt en défaveur du vaccin et mérite d’être souligné
J’aimeJ’aime
le point de vu du généraliste :
Le cancer du col de l’utérus tue 700 personnes/an d’après les dernières données, la 13ème cause de mortalité par cancer en France, dans les milieux défavorisés surtout! qui ne bénificie pas de dépistage. Il y a 12 autres cancers qui tuent beaucoup plus que celui-ci… Ce n’est donc pas un problème de santé publique!
Il tue essentielemnt des femmes non dépistées. Le dépistage REGULIER par frottis laisse passer très peu de cancer, il n’existe pas de méthode fiable à 100%.
Vacciner tous les ans toute une classe d’âge coûtera 200 millions d’euro tous les ans, somme bien plus rentable si l’on consacre cette somme à pratiquer des frottis : 5 millions de frottis/annuel supplémentaie pour le même prix!!! plus aucune femme ne passera à travers ce filet.
LA SANTE N’A PAS DE PRIX MAIS ELLE A UN COÛT, il s’agit d’utiliser rationnelement VOTRE argent.
Dernier point : dans l’attente d’études ultérieurs je m’abstiens de vacciner et je ne me sens pas pas le courage de prendre un risque avec une gamine de 15 ans alors qu’elle a moins d’une chance sur mille de mourir de ce cancer dans 40 ans.
J’aimeJ’aime
Je suis moi-même généraliste et tout à fait d’accord avec cette attitude .
Les arguments pour ne pas vacciner sont nombreux .
Il n’y avait aucune urgence à commercialiser ces vaccins d’autant plus que la HAS recommandait d’étendre le dépistage du cancer du col avant de commercialiser le Gardasil et le haut Conseil de la santé publique était opposé à la commercialisation du Cervarix en raison du produit lipidique SAO4 immunogène utilisé dont on ignore les effets à long terme .
Les impératifs commerciaux l’ont emporté sur la santé publique avec le risque de favoriser l’extension des autres HPV à potentiel carcinogène .
J’attendrai donc aussi d’avoir plus de données dans l’avenir pour utiliser ces vaccins
J’aimeJ’aime