Bush opposé au projet de régulation du tabac par l’agence du médicament. Celle-ci doit-elle servir des fins politiques ?

Une dépêche d’hier d’Associated Press nous apprend que l’administration Bush a l’intention d’opposer son veto au projet d’amendement – 360445286.jpgpourtant largement soutenu, y compris par Obama et McCain – qui attribuerait à l’agence du médicament (FDA) la régulation des produits du tabac. Selon le secrétaire fédéral à la Santé, une telle régulation enverrait « un message qui pourrait être mal compris », puisque le public pourrait croire que « le tabac peut avoir quelque chose de sain ou peut être rendu plus sain », ce qui n’est pas le cas. L’argumentation d’ensemble est fumeuse… Les partisans de l’amendement pensent, quant à eux, que l’agence du médicament pourrait demander l’interdiction non pas du tabac, mais de certaines substances nocives contenues dans les cigarettes et autres formes de tabac, par exemple.

La bataille a lieu entre les activistes anti-tabac et les industriels du tabac tels Philipp Morris, le plus grand producteur des Etats-Unis. Chaque camp ayant ses soutiens politiques, ses lobbyistes et ses façades associatives. Les républicains (droite américaine) soutiennent traditionnellement les industriels du tabac, mais le clivage est moins prononcé cette fois-ci, puisque des républicains ont eux aussi voté pour l’amendement qui transférerait la régulation des produits tabagiques à la FDA. On s’étonne quand même… La FDA (Food and Drug Administration) est déjà un colosse réunissant les questions de sécurité alimentaire (AFSSA en France) et de sécurité sanitaire (Afssaps chez nous).

Ses dirigeants ont dit à de multiples reprises qu’ils n’avaient pas les moyens financiers suffisants pour remplir leurs missions, et un comité de soutien a même été créé pour faire pression sur les politiques afin qu’ils votent une rallonge budgétaire non prévue. Ce qui a fini par être fait, même si les hommes politiques critiques de l’industrie pharmaceutique et qui tiennent la FDA à l’œil pour sa servilité n’ont pas manqué l’occasion de dire – et dans des termes très crus – que ces relations contre nature avec les firmes sont la cause des ratés de l’agence, et non pas l’insuffisance des moyens. Bon, l’argument du manque de moyens n’est pas à côté de la plaque. Une agence qui n’a même pas suffisamment d’ordinateurs n’est pas franchement très bien partie pour faire du bon  travail…

 

La FDA devrait aussi exercer un certain contrôle sur les essais cliniques menés à l’étranger, ce qui est une très bonne chose, d’ailleurs. Responsabilité qu’elle partagera avec l’EMEA (agence européenne du médicament) en fonction des aires géographiques.

On se demande effectivement si c’est judicieux d’attribuer encore plus de responsabilités à la FDA sans en diluer à l’extrême – voire pervertir – la mission première. On ne s’y prendrait pas autrement si on voulait la plomber.

La question se pose surtout s’agissant de créer des responsabilités qui dépassent largement son domaine de compétences légitimes. Parce que la question essentielle est celle-là. Quelle légitimité aurait la FDA en devenant le bras armé d’une volonté politique qui l’oriente vers la prohibition ? (Qu’on ne s’y trompe pas : si elle cherchait à orienter la FDA en sens inverse, elle serait tout aussi peu justifiable). N’est-ce pas là demander à la science quelque chose qui n’est pas de son ressort, mais ne doit dépendre que de la décision politique et du débat public dans chaque société ?

Me voilà d’accord avec Bush, même si les arguments ne sont pas les mêmes. Une fois n’est pas coutume…

La nouvelle a été reprise aujourd’hui par le Wall Street Journal, qui donne des liens pour ceux qui veulent approfondir les dessous politiques de ce débat : Bush Administration Opposes FDA Regulation of Tobacco.

Il y aura certainement beaucoup de réactions dans la blogosphère anglophone, mais ce sera pour une autre fois… Je fais la note à la va-vite, juste pour poser cette question des attributions et des limites de compétence d’une agence de sécurité sanitaire. C’est une question de principe, pertinente bien au-delà du tabac, me semble-t-il. Parce qu’on doit réfléchir aux conséquences d’un changement de la « nature » et du rôle des instances scientifiques étatiques, publiques. Leur instrumentalisation par les politiques – et par les intérêts industriels, en dernière instance – est-elle acceptable même pour une cause que la majorité considère comme juste et justifiée?

 

 

Elena Pasca

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