Mise à jour du 3 décembre 2012:
Les réflexions sur le dépistage et surdépistage des cancers, sur les surdiagnostics, sur les justifications mises en avant (qui occultent les intérêts en présence), sur la différence entre les découvertes histologiques (cancer histologique) et les symptômes cliniques (cancer maladie), sur le contexte dans lequel se fait ce surdépistage et sur ses conséquences sont abordés de façon disparate sur Pharmacritique, dans des articles et notes rassemblés sous plusieurs catégories, selon l’angle de vue: prévention, surmédicalisation, industrie du cancer, conflits d’intérêts, surmédicalisation du corps des femmes, médicalisation de l’existence, silence de la raison dès que le mot « cancer » est prononcé, vaccins supposés prévenir le cancer du col de l’utérus, disease mongering (façonnage de maladies/ invention de maladies / vendeurs de maladies), actes médicaux comme forme de contrôle social, uniformisation des individus à travers des normes médicales devenues des normes sociales, etc.
Ces articles (qui traitent donc tous du dépistage des cancers, en particulier celui du sein et de la prostate) sont acessibles à partir de la liste alphabétique des catégories à gauche du blog (il faut descendre sur la page, pour accéder aux articles, du plus récent au plus ancien). Quelques exemples de catégories: « surmédicalisation, surconsommation« , « prévention, abus de prévention, médecine préventive« , « disease mongering, invention de maladies, maladies à vendre », etc.
Les actes du colloque « Surmédicalisation, surdiagnostics, surtraitements », qui a eu lieu à la Faculte de médecine de Bobigny fin avril 2012 à l’initiative du groupe Princeps dont je fais partie (et où il a beaucoup été question du dépistage/surdépistage, du surdiagnostic des cancers et ses conséquences), sont accessibles à partir de cette page, avec un accent mis sur les causes, le contexte global, les formes que prend le surdépistage ainsi que ses conséquences.
J’ai essayé d’expliquer comment des éléments très disparates – des intérêts matériels et idéologiques, des représentations sociales, des stéréotypes habilement exploités, une vision déformée du féminisme, des éléments scientistes qui s’imbriquent parfaitement avec des représentations et des clichés irrationnels, etc. – s’amalgament dans le dépistage du cancer du sein tel qu’il nous est présenté aujourd’hui. Après analyse, il se révèle être une construction sociale érigée en science.
J’ai essayé, dans cet article détaillé et donnant des liens et références, de montrer dans quel sens devrait aller, à mon avis, une analyse plus efficace du dépistage et d’en poser quelques balises. A mon avis, le débat public indispensable devrait s’appuyer sur une généalogie critique décomposant cette construction sociale dans ses éléments – chacun étudié en synchronie et en diachronie – et analysant comment et pourquoi ils se sont amalgamés pour donner le résultat que l’on connaît aujourd’hui et qui gonfle chaque année avec un « octobre rose » qui, manifestement, déconnecte notre matière grise…
L’article prend en compte aussi d’autres éléments d’actualité (les contradictions de Marisol Touraine, le prix de la revue Prescrire accordé à Peter Gotzsche pour son dernier livre sur le surdépistage et le surdiagnostic des cancers du sein, livre décrit en grandes lignes et avec des liens, etc.). Il s’appelle « Dépistage du cancer du sein par mammographie: une construction sociale érigée en science. Texte du Nordic Cochrane Centre et autres informations ». A la fin l’article, j’ai repris des extraits du texte informatif de Cochrane, que tout le monde devrait lire.
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J’ai parlé dans cette note de l’étude de Per-Henrik Zahl, H. Gilbert Welch et al qui mettent en évidence la régression spontanée de 22% des cancers du sein et reposent avec éclat la question du surdépistage et du surdiagnostic de certains cancers qu’il aurait mieux valu ignorer, et ce pour que les personnes en question restent en bonne santé…
H. Gilbert Welch est professeur de médecine interne et de famille à la faculté de médecine de Dartmouth et dirige le département des anciens combattants (Veteran Affairs) dans l’Etat du Vermont.
Son livre Dois-je me faire tester pour le cancer ? Peut-être pas et voici pourquoi (PU Laval, 2005) fait une irruption rafraîchissante dans le monde sclérosé d’une médecine qui se comprend de plus en plus comme une application standardisée, réflexe et non réfléchie des acquis technologiques à l’ensemble de la population, et peu importe qu’il y ait des bénéfices réels ou pas. Or un dépistage généralisé – même d’affections telles que les cancers – ne tient pas lieu de politique de santé publique.
Gardons-nous de réduire les exploits de l’humanité aux produits des technosciences et de remplacer la réflexion de l’homme sur lui-même et sur la santé par l’application aveugle de standards à légitimité morale / déontologique douteuse.
La façon dont nous percevons majoritairement le dépistage montre que le scientisme (la science érigée en dogmes intangibles) peut parfaitement s’accommoder de l’irrationalisme, de représentations obscurantistes, arbitraires, etc., sans parler de la médecine paternaliste qui leur fournit des injonctions à la place des informations, dès lors que les intérêts et les enjeux sont suffisamment importants.
Il faut une critique lucide pour délier tout cela, pour que les femmes – et la société dans son ensemble – ne soient pas désinformées par des vulgarisations mêlant science et pseudo-science, mais informées de l’état actuel des connaissances scientifiques, afin qu’elles puissent prendre elles-mêmes leur décision, en connaissance de cause, et ne plus suivre aveuglement les « directives » de ceux qui veulent parler pour elles et à leur place. Même avec les meilleures intentions du monde – soi-disant pour leur bien -, cette façon de faire est un acte de mépris des femmes, d’instrumentalisation par des médecins paternalistes qui vont, dans le dépistage comme ailleurs, trop loin, dans un esprit de contrôle social et de formatage uniformisant des individus, sous prétexte de prévention. Dans un texte fort bien écrit, paru en 2002 dans le CMAJ sous le titre The Arrogance of Preventive Medicine, David Sackett a parfaitement décrit la « médecine préventive« : arrogante, présomptueuse, agressive… Tous ces attributs – et bien d’autres – décrivent très bien la médecine paternaliste…
La médecine préventive, la médecine paternaliste, la médicalisation de l’existence (E. Zarifian) visant surtout les femmes – dont le corps devient source inépuisable de profit en plus d’être l’objet inépuisable de l’exercice de la domination masculine – bref, tout cela doit être abordé ouvertement, lucidement, dans un débat public, afin de dévoiler les causes, les formes, les conséquences de cette surmédicalisation dont le surdépistage des cancers n’est qu’une petite partie.
Ce débat public intéresse toute la société, car cette médicalisation touche notre mode de vie, notre rapport à nous-même, à notre corps, à la médecine, à la consommation… C’est pourquoi ce débat ne doit pas être laissé aux professionnels de santé – qui vivent de ce système et contribuent à sa reproduction, sont sous influences diverses, conscientes ou pas – ni aux associations de patients ayant divers biais et intérêts (matériels/ financiers, idéologiques et autres) et/ou qui sont instrumentalisées par des leaders d’opinion. Non, ce débat doit casser toutes les barrières de l’entre-soi (corporatiste ou autre); il doit tout d’abord laisser parler une expertise citoyenne dont je ne cesse de souligner l’importance. Cette expertise citoyenne peut se faire si les citoyens ont accès à toutes les données, si leur voix est libre et prise en compte.
Un compte-rendu du livre figure sur cette page ou encore sur celle-ci. Les commentaires du traducteur du livre, le Dr Fernand Turcotte, valent assurément le détour. Notons aussi que la revue Prescrire a attribué l’un de ses trois prix du livre médical 2007 à l’ouvrage de Welch.
Pour comprendre les enjeux, on peut lire l’exposé de Bernard Junod, « Dépistage du cancer : surdiagnostic et logiques institutionnelles », qui décrit parfaitement le cercle vicieux dans lequel nous enferme l’industrie du cancer : « des cancers non évolutifs, des pseudo-cancers, sont diagnostiqués [de façon histologique, donc incertaine] en plus grand nombre à cause du dépistage. L’illusion de l’efficacité de leur traitement contribue à renforcer l’idée qu’une détection précoce soit bénéfique », alors que beaucoup d’entre eux n’évoluent pas, ne posent pas de problème de santé et ne nécessitent pas de traitements.
En 2005, H. Gilbert Welch a lancé un pavé dans la mare de la désinformation
Dans un article de 2005, Search and destroy – the right cancer strategy for Europeans ? (Trouver et détruire : est-ce la bonne approche stratégique du cancer en Europe?), publié dans le European Journal of Cancer (41(2005) :660-663), Welch pose quelques questions majeures. Le texte n’est pas accessible et n’a pas de résumé, alors voici un résumé des idées principales, assorties de quelques citations :
– D’abord le constat : les Etats-Unis ont déclaré la guerre au cancer et aimeraient bien que les Européens suivent. Mais il n’est pas certain du tout que le dépistage tous azimuts soit la bonne voie. Le risque de dommages collatéraux est trop important.
– Les cancers les plus agressifs ne seront pas détectés, puisqu’ils évoluent trop vite pour cela ; il est donc faux d’assimiler dépistage et (plus fortes chances de) guérison ;
– Beaucoup de personnes dépistées auront des résultats ambigus, incertains, et entreront dans une spirale d’examens et d’analyses dont certains sont très invasifs, et ce rien que pour invalider un résultat « faux positif » ;
– Plus on cherche, plus on trouve. La maxime se vérifie aussi en matière de cancers. Welch donne l’exemple du cancer de la prostate : tout dépend ici de l’acharnement de l’urologue et du nombre de localisations biopsiées, et cela peut aboutir à une quarantaine d’aiguilles à biopsie et à au moins tout autant de cancers microscopiques, sans aucune signification clinique. « Mounting evidence suggests that a reservoir of cancer exists in humans that is much larger than what is known to be clinically relevant. Increased diagnostic scrutiny has been found to result in an increase in the apparent prevalence of lung cancer, breast cancer melanoma (…) renal cell carcinoma, as well as neuroblastoma (…). Wherever we look harder, we find more cancer.”
– Des personnes en bonne santé auront des traitements lourds parfaitement inutiles. « Ironically, the more cancer we find, the less likely an individual case matters. Screening can detect pseudodisease: an abnormality that meets the pathological definition of cancer, but either does not progress or grows so slowly that an individual dies from another cause before the cancer ever causes symptoms. As screening tests become increasingly sensitive, the detection of pseudodisease is an increasingly common problem. Patients who have pseudodisease detected cannot benefit from early treatment. Instead, they only experience the morbidity of a cancer diagnosis and the morbidity (and occasional mortality) of our cancer therapies.” Et Welch de donner de nouveau l’exemple du cancer de la prostate: “Millions have been biopsied who otherwise would not have. Hundreds of thousands with non-progressive disease have been turned into cancer patients unnecessarily. Of those who have been treated many have suffered ill-effects: notably, impotence and incontinence. A few have even had their life shortened by treatment.”
– Il n’existe pas de définition unique et consensuelle du cancer, ce qui fait que des pathologistes auront des vues divergentes et donneront des résultats incertains et contrastés…
– Les médecins seront trop occupés par l’agenda des dépistages réguliers pour s’occuper des soucis de santé vraiment importants de leurs patients : « The more time we spend describing, ordering, communicating results, and following-up abnormal findings, the less time there is to spend dealing with the patient’s concerns. »
– Plus on dépiste, plus on doit poursuivre le dépistage… « Finally, cancer screening tends to provide its own positive feedback. Because screening finds more cancer, incidence rates may climb dramatically as screening is used more frequently. But even more important, 5-year survival also climbs dramatically. Of course, 5-year survival will increase simply because we are telling people they have cancer earlier in their life (not changing their time of death) and because we are telling more people they have cancer (that is, finding more pseudodisease). So expect that every screening programme will be associated with increased 5-year survival – even if it does not help people live one day longer.The effect of screening on incidence and 5-year survival can create a cycle of increasing aggressiveness in the search for cancer.”
Et un extrait de la conclusion de Gilbert Welch:
« Cross-country comparisons provide a type of natural experiment with which to examine the wide range of effects that screening can have on a population. A few may have their lives saved, a few will die of cancer anyway. Many more will face testing cascades and uncertainty, some will be treated unnecessarily, and a few may die from treatment. And patients, physicians and national health programmes can be distracted from more important health pursuits.
It has been said that the first casualty of war is truth. Screening evangelists tend to exaggerate the benefits of screening and minimize its downsides. Worse yet, they may fail to mention downsides entirely. More secular scientists need to work hard to make sure that the public (and policymakers) have access to both sides of the story.”
PS : Si jamais quelqu’un a un moment pour traduire des fragments cités en anglais, ce serait très utile.
Plus d’informations, de liens, de références, de critiques… dans les autres articles (suivez les liens donnés au début de ce billet ou alors la liste alphabétique des catégories à gauche du blog).
Elena Pasca
TRAD:
l’on a dit que la premiere victime de la guerre est la vérité les « évangélistes » du dépistage ont tendance à exagérer les benefices du dépistage et à en minimiser les inconvénients.Plus grave encore ils peuvent éviter totalement de mentionner ces inconvénients.Davantage de scientifiques « laics » doivent travailler dur pour s’assurer que le public (et les décideurs politiques) ont acces aux deux versants de la réalité
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Merci pour la traduction!
J’espère que d’autres suivront votre exemple! si chacun y met un peu du sien…
Il y a tellement de boulot, tellement d’infos, que si j’essaie de tout traduire, ça prend trop de temps et je n’y arrive plus. Alors je suis obligée de laisser quelques fragments en original.
Mais je me dis que le plus important, c’est de rendre ces extraits accessibles, (puisqu’ils sont contenus dans des revues réservées aux abonnés).
Bon week-end!
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Bonjour, je suis une Francaise aux Etats Unis depuis six mois. Mon ami Americain vient d apprendre suite a trois biopsies de prostate qu il etait porteur d un cancer de la prostate d ou nos diverses recherches concernant les traitements c est la raison pour laquelle je vous confie ses coordonnees email.
J aime votre analyse.
A bientot vous lire.
D.R.
[Nom de famille supprimé par Pharmacritique. Prudence s’agissant de donner des infos personnelles sur internet! Beaucoup de charlatans et de commerçants de tout poil pourraient s’en servir…]
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bonjour
peut être pouvez vous m’aider , je suis à la recherche d’un livre paru dernierement et écrit par une cancerologue qui dénonce les abus sur le dépistage du cancer . je ne connais ni le titre , ni le nom de l’auteur . D’ avance merci si vous me trouvez le titre de ce livre
jeannine
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