Universités à vendre aux industriels les plus offrants. Bachelot et Pécresse font du marketing

Le dernier numéro d’Impact Médecine étale Valérie Pécresse sur toute sa une. Et son sourire m’a rappelé une lecture récente, en rapport avec la note précédente sur ce médecin australien censuré par une université arrosée de liquide par l’industrie pharmaceutique.

C’est là qu’on voit ce que devient une université, une recherche publique, dès lors qu’elle est financée par de l’argent industriel… J’avais parlé en passant de Mme Pécresse, en évoquant ce numéro de février de PharmaNetwork, qui a eu le privilège d’avoir deux ministres d’un coup…

C’est un magazine d' »information » précieuse sur les tendances lourdes de l’industrie pharmaceutiques, à l’exemple du « lean management« … Et, parlant « management », j’avais mentionné aussi les techniques magiques de gestion que Roselyne Bachelot s’applique à elle-même… Puisqu’elle y est allée pour évoquer à la une de PharmaNetwork l’avenir de la visite médicale, sans mentionner son propre passé de visiteuse médicale. Il a tout bonnement disparu de son CV. L’avenir de ce métier serait-il de disparaître de la sorte ?

Mais on peut douter que notre ministre de la privatisation de la santé puisse nourrir de telles idées subversives… Entre les paroles et les actes… Il y a par exemple le ratage tout récent sur les dépassements d’honoraires, qui pourraient augmenter au lieu de diminuer comme prévu. Il y a aussi ces phrases sur les changements dans la formation médicale continue que personne ne sait comment interpréter, du moins d’après le Quotidien du Médecin d’hier… (J’espère que tout le monde a remarqué le sérieux et l’indépendance de mes sources dans cette note 😉 Mais je voulais aller là où étaient ces deux ministres, et force est de constater qu’elles ne sont pas allées prêter main forte à la rédaction du dernier numéro de Prescrire, et pas non plus dans un laboratoire miteux du CNRS qui dépérit dans l’indifférence ministérielle, alors…)

Retour à PharmaNetwork : notre ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse, s’est elle aussi efforcée de rassurer l’industrie pharmaceutique en disant à quel point la réforme des universités était faite pour favoriser le « partenariat » avec les industriels privés… Le titre de l’entretien en dit long : « 20 universités ont déjà pris contact avec des entreprises«   Et la professeure Martine Aiach, doyenne de la Faculté des sciences pharmaceutiques et biologiques de Paris V, de se féliciter : « Nous comptons beaucoup sur ce nouveau texte pour faire appel à une aide privée… ». On dirait les mendiants qui tendent la main pour qu’on leur donne trois sous par charité.

Et voici un article de … 2001 du Monde diplomatique, plus actuel que jamais… L’auteur est Ibrahim Warde et le titre raconte à lui tout seul toute une histoire: « Mariage d’argent à la mode libérale. L’université américaine vampirisée par les marchands« .

Extraits: « Parce qu’ils relèvent du domaine public, l’éducation et la santé suscitent les plus grandes convoitises des entreprises privées. L’assaut d’une logique de profit se déploie avec une vigueur particulière dans l’université. Sous couvert de « marché des idées », la course aux disciplines qui « attirent l’argent » a déjà multiplié aux Etats-Unis les conflits d’intérêt entre recherche et monde des affaires. (…) Une telle invasion de logiques de marché, aboutissant à une segmentation entre « chercheurs-entrepreneurs » et tâcherons de l’enseignement, met en péril l’unité de l’université (…).

Par ailleurs, alors qu’il était autrefois convenu que les donations étaient effectuées sans restrictions ni obligations, les quémandeurs d’aides doivent à présent, pour paraphraser une formule célèbre, manier simultanément la sébile et l’encensoir (…). La logique de « l’université marchande » impose, pour les entreprises, que leurs donations soient considérées comme des investissements : publicité gratuite, éloges, respectabilité font partie, au même titre que les découvertes commercialisables, des bénéfices justifiés par la dépense (…). Et toute infraction mérite sanctions : Nike a récemment suspendu son concours financier à trois universités (Michigan, Oregon et Brown) sous prétexte que leurs étudiants avaient critiqué certaines de ses pratiques dans des pays pauvres, en particulier en matière d’emploi d’enfants. (…)

Comme le note M. David Kirp, professeur de fonction publique à l’Université de Berkeley, « le vieil idéal d’un « marché des idées » (marketplace of ideas) s’est transformé en un grotesque jeu de mots (…) ».

Sur les campus, des personnages d’un type nouveau apparaissent : les professeurs-entrepreneurs pour qui l’ancrage dans une université offre la promesse d’un enrichissement rapide. Ces universitaires consacrent le plus clair de leur temps à leurs entreprises commerciales. L’affiliation universitaire leur procure la crédibilité scientifique, un point de chute en cas d’échec, et surtout la possibilité de privatiser les revenus tout en socialisant les dépenses (les services administratifs de l’institution tiennent lieu de secrétariat ; les doctorants ou chercheurs servent de nègres). Ces pratiques, très répandues, sont rarement critiquées, car ces entrepreneurs sont souvent aussi les superstars réputées, qui peuvent faire bénéficier l’université, au moins indirectement (sous forme de legs ou de donations), des retombées de leurs initiatives.  

Au-delà des considérations éthiques, le modèle de l’université marchande soulève des questions d’ordre politique. La réflexion sur la chose publique est de plus en plus formée (et déformée) en fonction des intérêts financiers des « experts ». Des organismes de recherche à but non lucratif servent souvent d’écran nécessaire à des groupes industriels. Ainsi, lors du procès Microsoft, des instituts de recherche « indépendants », mais en réalité financés par le géant du logiciel, produisirent une moisson d’« études » destinées à influencer tant le public que les juges (…)

Mordre la main qui vous nourrit ?

ET qu’il s’agisse de la nocivité du tabac, de l’effet de serre, des prothèses mammaires ou des vertus de tel ou tel médicament, il se trouvera toujours un expert en mesure de « torturer les chiffres » jusqu’à leur arracher une conclusion de nature à satisfaire les commanditaires (…) »

Et un exemple concret de conflits d’intérêts dans une université canadienne : une histoire vécue racontée sous le titre Université Inc. Science sans conscience.

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