Le mythe du « trou de la Sécu ». Extraits du livre de Julien Duval

Julien Duval est chargé de recherche au CNRS. Ses travaux portent sur le journalisme et sur la protection sociale. Coauteur du « Décembre » trou de la sécu.jpgdes intellectuels français (Raisons d’agir, 1998), il collabore aux Actes de la recherche en sciences sociales et enseigne la sociologie à l’Institut d’études politiques de Rennes et à l’École nationale de la statistique et de l’analyse de l’information (ENSAI).
Sur le site « Le choix des libraires », vous pouvez écouter un enregistrement de Julien Duval exposant les grandes lignes du livre Le Mythe du « trou de la Sécu » et les enjeux de l’analyse.

La note précédente contient une présentation générale de l’ouvrage dont voici quelques extraits (pp. 17-19 et pp. 21-24), tirés du Blog Goudouly.

Source de l’illustration: le blog de Didih.

[…] « Depuis une vingtaine d’années, quelques idées très répandues structurent le débat public en matière de protection sociale : les difficultés financières de la Sécurité sociale, ses sombres perspectives d’avenir, les effets négatifs sur l’économie d’un trop haut niveau des prélèvements… Si ces idées, qui reposent en partie sur des faits avérés, peuvent présenter une certaine cohérence logique, on ne saurait les comparer à des propositions scientifiquement validées.

Ce sont d’abord des lieux communs, nés des rapports de force au sein d’un « jeu politique » dont le fonctionnement a été analysé en sciences sociales [1]. Leur qualité première est de faire consensus parmi les groupes qui prennent le plus activement part au « débat public » : le pouvoir politique, les experts reconnus par celui-ci, les « partis de gouvernement », les journalistes des grands médias, les instituts de sondage. Les raisons qui incitent ces différents agents à promouvoir certaines « vérités » ne relèvent pas de la science pure.

Les responsables politiques, par exemple, ne cherchent pas tant, dans leur discours, à livrer des descriptions rigoureuses de l’état du monde qu’à en donner des représentations qui justifient leur action. De plus, leurs conditions de travail sont marquées par l’urgence. Comme les journalistes, ils doivent régulièrement s’exprimer sur des « dossiers » qu’ils connaissent mal. Dans ces conditions, il est logique qu’ils soient tentés de s’en remettre aux idées reçues, celles qu’ils peuvent défendre sans risque, puisque tout le monde les a déjà admises.

Il n’est donc pas étonnant que la vision dominante en matière de protection sociale, soumise à un examen un tant soit peu rigoureux, se révèle très inconsistante. Des chiffres indiscutables donnent communément lieu à des interprétations ou des conclusions qui le sont beaucoup moins. Il n’est pas rare, non plus, que le débat public s’organise autour de propositions quasi indémontrables, ou accorde sans sourciller une validité générale à un raisonnement vérifié (au mieux) uniquement dans des conditions très particulières. Ainsi, des outsiders du jeu politique (par exemple certains syndicats, partis minoritaires ou intellectuels critiques) formulent régulièrement des objections très argumentées contre tel ou tel lieu commun sans jamais entamer de façon décisive le crédit collectif dont celui-ci bénéficie.

Ces remarques valent pour le « déficit de la Sécurité sociale ». Occupant une place de première importance dans la vision dominante, ce sujet est, à coup sûr, l’un des plus commentés. Les médias suivent attentivement son évolution et le propulsent « à la une » en maintes occasions. Ce qu’ils appellent le « déficit de la Sécurité sociale » correspond, en réalité, aux besoins de financement du régime général. Le chiffre officiel fait les gros titres quand le rapport semestriel de la commission des comptes de la Sécurité sociale est rendu public : parmi beaucoup d’autres informations, ce document comporte les prévisions relatives aux besoins de financement du régime général pour l’année en cours. Mais le célèbre chiffre retient parfois l’attention journalistique en d’autres circonstances : depuis 1995, la Cour des comptes publie un rapport sur la Sécurité sociale qui est remis au Parlement en prévision du vote à l’automne de la loi de financement de la Sécurité sociale. Et, en cours d’année, la presse titrera également sur des chiffres officieux annonçant un dépassement des prévisions officielles. […]

De fait, c’est presque quotidiennement que les médias rappellent l’existence du « trou de la Sécu ». Rares sont les articles sur la Sécurité sociale qui ne s’y réfèrent pas, d’une façon ou d’une autre. Ainsi, le « trou » sert régulièrement d’accroche ou de chute quand les informations télévisées traitent des sujets tels que les escroqueries aux prestations sociales, la médecine, les hôpitaux… La tendance journalistique à assimiler la Sécurité sociale à son déficit est très visible aux anniversaires de la création de l’institution. Les commémorations inspirent alors des reportages évoquant largement, et parfois exclusivement, le « trou » : certains le considèrent comme aussi ancien que l’institution ; pour d’autres, c’est seulement dans les années 1970 qu’il se serait mis à « ronger le système ». Bref, lorsqu’un journaliste qualifie la Sécurité sociale de « système qui produit des déficits » [2], il exprime moins une opinion personnelle qu’une vision très répandue dans les médias.

Les journalistes ont certes de bonnes raisons de s’intéresser au « trou de la Sécu ». Longtemps, une raison technique l’a rendu préoccupant : les administrations de Sécurité sociale étaient dans une quasi-impossibilité matérielle d’emprunter pour couvrir leurs besoins de financement. Mais la focalisation médiatique semble d’abord tenir au montant du déficit : en 2005, 11,6 milliards d’euros. S’ils le qualifient souvent d’« énorme », les journalistes diagnostiquent aussi un état « chronique » et, à ce titre, inquiétant : depuis les années 1990, les besoins de financement du régime général viennent grossir la dette, gérée par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Outre un risque de « faillite », il arrive également aux médias d’envisager que l’institution soit un jour dans l’impossibilité de verser les prestations sociales.

Ces arguments, qui semblent justifier l’importance accordée au sujet, doivent être relativisés. Le montant absolu du déficit, auquel les médias s’en tiennent généralement, paraît colossal. Mais, rapporté aux sommes en jeu, il ne correspond pas à une part considérable de l’ensemble des recettes du régime général : même en 2005, où il atteint un niveau sans précédent, il n’en représente que 4,3 %. La même année, pour le budget de l’État, le rapport du solde aux recettes s’élève à 18 %. De même, on peut noter qu’en 2005 les besoins de financement de la Sécurité sociale ne constituent que 7,3 % de l’ensemble des besoins des administrations publiques [3].

Si l’importance accordée au chiffre du déficit paraît disproportionnée, on peut aussi discuter de la lecture qui en est régulièrement faite. L’expression « trou de la Sécu » est une sorte d’« obstacle verbal » qui « pousse à une pensée autonome » et tend à fournir « une fausse explication à l’aide d’un mot explicatif »  [4]. Elle invite à penser les finances de la Sécurité sociale su
r le modèle du budget d’un ménage.
L’analogie est parfois explicite. Pour tel journaliste de télévision, par exemple, il s’agit de problèmes « tout simples » : « le budget d’un ménage, il est composé des revenus et puis on doit s’y tenir, tout simplement »  [5]. L’expression « trou de la Sécu » ne fait pas que nommer un problème, elle renvoie implicitement au principe de l’économie ménagère selon lequel on ne peut pas durablement dépenser plus qu’on ne gagne. Elle renferme ainsi une explication : l’institution est en déficit parce qu’elle vit au-dessus de ses moyens ; et si elle vit au-dessus de ses moyens, c’est qu’elle gaspille ses ressources ou fait des dépenses inutiles.

Des sujets très médiatisés confortent cette thèse : les « abus » entourant le fonctionnement de la Sécurité sociale, ou les escroqueries aux assurances-maladie ou chômage, si souvent rapportées par les radios et les télévisions privées. Certains news magazines en proposent fréquemment des compilations sous la forme de « unes » et de dossiers dénonçant « la grande fraude sociale » ou « ceux qui creusent vraiment le trou de la Sécu ». Depuis 2002, les gouvernements de droite martèlent que le système actuel donnerait lieu à des « fraudes » de plus en plus nombreuses et que les assurés comme les médecins dépenseraient sans compter. Il fut ainsi beaucoup question ces derniers temps de « surconsommation de médicaments », de « nomadisme médical », d’« examens médicaux injustifiés », d’« arrêts de travail abusifs »… sans parler de la « bobologie » : « Les Français vont de plus en plus souvent à l’hôpital pour de petits traitements ou de simples bobos. On donne sa carte Vitale, on ne sait pas combien ça coûte » [6]. […] »

Notes :

  • [1] Voir Pierre Bourdieu et Luc Boltanski, « La production de l’idéologie dominante », Actes de la recherche en sciences sociales, 2-3, juin 1976, p. 4-73 ; Patrick Champagne, Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique, Paris, Minuit, 1990 ; Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Paris, Raisons d’agir, 1996 ; Pierre Bourdieu, « Science, politique et sciences sociales », Actes de la recherche en sciences sociales, 141-142, mars 2002, p. 9-10.
  • [2] Pierre-Marie Vidal, « Quel modèle ? », Métro, 21 septembre 2005.
  • [3] « Les comptes des administrations publiques en 2005 », Insee Première, 1078, mai 2006.
  • [4] Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1970, p. 21 et 81.
  • [5] LCI, 27 octobre 1994.
  • [6] Journal de 13 heures, TF1, mercredi 28 septembre 2005.

Voir aussi les autres notes réunies sous les catégories « Privatisation de la santé« , « Protection sociale en danger » et « L’hôpital public tué par les marchands« .

4 réflexions au sujet de “Le mythe du « trou de la Sécu ». Extraits du livre de Julien Duval”

  1. J’ai supprimé un commentaire publié à la fin de cette note il y a quelques jours, et je voudrais dire pourquoi.
    L’auteur avait posté exactement le même, à la virgule près, sur quelques autres sites parlant des franchises et de la Sécurité sociale. Mais ce n’est pas ce qui importe. Je mentionne ce détail pour dire que ces phrases sont disponibles ailleurs.
    Ce n’est pas non plus les propositions de l’auteur d’enlever les ayant droit, de serrer la vis aux travailleurs, toujours aux travailleurs, etc. Chacun est libre d’avoir ses opinions, de droite comme de gauche. Si l’auteur veut épargner les revenus du capital, ne pas contrôler les prix des médicaments et les dépassements d’honoraires, ne pas réclamer le paiement des dettes de l’Etat à la Sécu, et ainsi de suite, libre à lui… Il prend tel quel le message néolibéral qui dit que la protection sociale est en faillite – et l’amène à la faillite – pour mieux la privatiser… Libre à lui.
    Mais je suis une vieille républicaine, et s’il y a une chose que je n’accepte pas, c’est la remise en cause des principes de la République. Je dis bien principes, que je ne confonds nullement avec la mise en pratique actuelle… Une honte!
    Mais lorsque l’application historique mauvaise s’accompagnera d’une corruption du sens des principes et d’un abandon des principes, alors là, on sera vraiment dans la …
    Il n’est même pas question de discuter de ça, parce qu’on connaît le raisonnement circulaire de telles argumentations. On connaît aussi l’arsenal, toujours le même, de ceux qui s’en prennent à plus faible qu’eux, coupable de tous les maux…
    Faire des étrangers des boucs émissaires, voilà qui a réussi depuis la nuit des temps à détourner l’attention des vrais problèmes… La CMU n’est pas l’apanage des étrangers – c’est un dispositif créé pour des millions de personnes qui sont pauvres à cause d’un système néolibéral où il n’y a plus aucun garde-fou social, pas à cause d’une origine…
    Et remettre en question le droit du sol, cela rappelle un passé encore récent et ses conséquences… On commence avec les étrangers, les juifs, les handicapés, les Tziganes, les homosexuels… On les prive de droits, comme le proposait ce monsieur, quoique pas si directement que cela. Non, l’inacceptable est présenté entre les lignes, sous un verni de propos plus « respectables »…
    Il ne faut pas que de tels propos se banalisent ou soient acceptés au nom de la liberté d’expression ou de je ne sais quoi d’autre. La liberté sans limites, c’est de l’arbitraire, et le plus fort réussit à imposer ses vues…
    La République, elle, n’a ni couleur, ni origine, ni ethnie, ni liens de sang. C’est une adhésion volontaire à un pacte politique et social qui se fout des spécificités des individus. Ce sont des citoyens, et tout le reste est d’ordre privé et ne regarde personne ni ne doit être imposé aux autres. Ils sont unis non pas par la charité, mais par la solidarité – qui est un devoir républicain. Il y en a d’autres, mais ce n’est pas le lieu de les détailler.
    Je conseille la lecture des ouvrages de l’excellent Claude NICOLET, historien de la République, et de ceux de Marcel GAUCHET, par exemple sur la Révolution française.
    Pas touche aux principes de la République!

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  2. 600 millions sur 20 milliards de déficit, c’est dérisoire. Il faut avoir le courage de revoir le fond de l’indemnisation car le déficit n’est pas dû aux médicaments. Il faut cerner les abus (arrêt de travail, cures de complaisance, examens inutiles etc,). Il faut aligner les cotisations des retraités sur les actifs, voire augmenter d’un demi point les cotisations, diminuer les indemnités pour arrêt de travail, ne pas augmenter le prix des consultations des médecins

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  3. CHAPITRE II: VERS LA SOLUTION DE L’ENIGME
    L’auteur part donc en quête de réponses. Les économistes de la santé lui apprennent qu’à l’échelle du pays il y a aussi des disparités: certains états sont plutôt dépensiers, d’autres plutôt économes. Ces économistes de la santé vont même plus loin, ils ont constaté que la tendance au niveau du pays est la même que celle qui existe entre MC Allen et El Paso , les états qui dépensent le plus sont ceux qui dispensent des soins de moins bonne qualité. Dans les états qui dépensent le plus il y a MOINS DE PREVENTION mais plus d’actes techniques, MOINS DE GENERALISTES AUSSI. En un mot les habitants de ces états ont moins de choses utiles mais plus de choses superflues qui coûtent cher.
    Une enquête menée par un économiste, Eliott Fisher, sur 1 million de patients âgés ayant présenté des cancer du colon, des fractures de hanche ou des infarctus montre que ceux habitant dans des états dépensiers ont reçu 60% de soins en plus, mais que dans ces états les résultats tant en termes de survie, que de résultat fonctionnel et de satisfaction des patients est plutôt moins bons que dans les autres états. Comment expliquer ce paradoxe, alors que le bon sens commun tendrait à faire croire que plus on en a mieux c’est (the more the better)? Une partie de l’explication se trouve sans doute dans la pertinence des actes. Les patients se voient proposer beaucoup d’actes dans les états dépensiers, mais ce ne sont pas forcément ceux dont-ils auraient eu besoin. Une autre explication se trouve dans la iatrogénie, les complication dues à ces actes techniques. Aux Etats Unis 60 millions de personnes sont opérées chaque année soit un américains sur 5. On pense que 100 000 de ces personnes meurent de complications suite à ces opérations soit environ 4% de la mortalité globale.
    Une analyse plus fine des PRESCRIPTIONS permet de se rendre compte que c’est QUAND LES CONDUTIES A TENIR NE SONT PAS CLAIRES QUE LES PRESCRITPIONS DERAPENT Quand les protocoles de suivi sont bien définis il y a moins de différences entre les médecins dépensiers et ceux qui ne le sont pas.
    Le Dr Gawande interroge un chirurgien cardiaque de la ville de Mc Allen, propriétaire d’un ranch. Celui-ci sait seulement que les quelques 8000 patients qu’il a opérés ces 20 dernières années étaient presque tous obèses ou diabétiques et qu’ils ne pratiquaient aucune mesure de prévention. Les GESTIONNAIRES du plus grand hôpital de Mc Allen découvrent avec étonnement cet excès de dépenses de leur ville, ils ne savent pas comment les patients sont soignés et ne s’en soucient pas non plus. Ce sont des gestionnaires: leur job c’est de s’assurer que l’hôpital fasse des profits. Ils pensent que ce sont certainement les autres qui sont responsables du gaspillage. Mais pourquoi donc les malades lourds reçoivent ils cinq fois plus de visites de spécialistes que la moyenne?
    Certains vieux médecins se souviennent qu’en 1992, année où la dépense moyenne était de 4800 dollars, soit la même que la moyenne nationale, quelque chose s’est passé. Des dirigeants d’institutions de santé locales SE SONT MIS A PENSER QUE LA RECHERCHE DE PROFITS TOUJOURS CROISSANTS ÉTAIT UNE PRATIQUE ETHIQUEMENT LEGITIME EN MEDECINE. Alors la culture de l’argent s’est mise à prévaloir. Les médecins ont recherché tous les moyens pour rentabiliser leur activité: acheter des doppler, faire en sorte que les patients viennent au cabinet plutôt que leur donner des conseils téléphoniques, multiplier les visites des malades chroniques… Les jeunes médecins ne réfléchissent plus. Ils prescrivent. Les médecins ne coopèrent plus, ne se concertent pas. Ils sont tous en concurrence les uns avec les autres, non pour savoir qui prodigue les meilleurs soins mais pour savoir celui qui aura la plus belle voiture, le plus gros ranch. La corruption s’est développée. Certains médecins se sont mis à demander plusieurs milliers de dollars par mois ou différents services pour adresser leur clientèle à telle agence de soins à domicile ou à tel hôpital.
    A l’opposé de ce tableau se trouve l’exemple de la Clinique de Mayo à Rochester Minnesota. L’emblème de la clinique est « LES BESOINS DU PATIENT D’ABORD ». La Clinique Mayo est une institution à but non lucratif. Les médecins acceptent d’être salariés, de se rendre disponibles pour leurs collègues si ceux-ci ont besoin d’un avis, de se concerter pour les cas difficiles. Un responsable dit:« QUAND LES MEDECINS SE METTENT A REFLECHIR ENSEMBLE IL EN RESSORT PLUS DE REFLEXION ET MOINS D’EXAMENS ».La ville de Rochester présente un très haut standard en matière de qualité des soins alors que les dépenses par habitant sont parmi les 15% les plus faibles. A Grand Junction dans le Colorado, les médecins de ville ont décidé de s’autoréguler. Ils demandent les mêmes honoraires à leurs patients quel que soit leur assureur, ils se réunissent pour résoudre ensemble les problèmes de santé rencontrés à l’échelle de leur communauté: manque de prévention dans tel domaine, excès de complications pour telle pathologie. Le niveau des dépenses y est presque trois fois inférieur à celui de Mc Allen.

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  4. CHAPITRE III: LA MORALE DE CETTE HISTOIRE. LES ENFANTS SAGES NE DEVRAIENT PAS CROIRE TOUT CE QU’ON LEUR RACONTE
    Les responsables politiques états uniens passent beaucoup de temps à se demander comment améliorer le système. Pour eux la question se résume à « qui va payer? ». Est-ce que ce sont les assureurs publics, déjà majoritaires à Mc Allen? Est-ce que ce sont les assureurs privés, qui sélectionnent les patients, utilisent tous les moyens pour éviter de payer les factures afin de maximiser leurs profits? Est-ce que ce sont les patients eux-mêmes? Peut-être que si leur propre argent était en jeu ils feraient plus attention? Imaginons le tableau. Une patiente a besoin d’un pontage et va voir un chirurgien cardiaque. Après lui avoir expliqué l’opération et ses risques le marchandage commence. Le chirurgien: « je vous fais trois pontages pour 30000 mais si vous en prenez quatre vous aurez droit à une nuit supplémentaire en unité de soins intensifs ».
    Finalement la question est de savoir si la FINALITE DU MEDECIN est plutôt de répondre aux besoins du malade ou de maximiser son revenu. Aucun système de paiement ne permet de faire coïncider parfaitement ces deux objectifs. Mais le système américains a réussi à les faire diverger complètement. Et cela s’est avéré désastreux à la fois pour les patients [avec un état sanitaire de la population dégradé] et pour les coûts.
    L’exemple des communautés qui conjuguent une très haute qualité et un coût faible montre que l’important c’est que QUELQU’UN ASSUME LA RESPONSABILITE DE L’ENSEMBLE DU SYSTÈME ET DE SA COHERENCE. SINON LE SYSTÈME S’EMBALLE, IL N’A PLUS DE FREINS. Atul Gawande est américain, d’origine ou converti, peu importe. Alors il ne faut pas trop lui en demander. Il ne peut pas imaginer une seconde que l’Etat joue un rôle de régulation dans le système de santé. Alors il s’en remet à des mesures incitatives pour motiver les médecins à travailler localement ensemble et à assumer la responsabilité du système de soins. Mais à quel niveau faudrait-il faire monter ces mesures incitatives pour faire travailler ensemble et faire assumer des responsabilités à des médecins qui se vautrent déjà dans le luxe sans en assumer aucune?
    Il semble que l »énigme de Mc Allen » n’en était pas vraiment une. Ou seulement pour ceux qui s’obstinent encore à croire aux DEUX GRANS MYTHES ou DOGMES du néolibéralisme (arnaques serait un mot plus juste) de ce début du 21ème siècle: premièrement, le marché (le capitalisme) peut s’auto-réguler, deuxièmement, la concurrence fait baisser les coûts pour le consommateur.
    Si on en revient à notre bon vieux système de santé à la française. Les chiffres montrent que non seulement il coûte deux fois moins cher par habitant que le système américain (3600 contre 7500 dollars environ) mais qu’en plus il est bien plus efficace si l’on prend des indicateurs comme la mortalité infantile (deux fois plus faible en France de 3 contre 6 environ) ou l’espérance de vie à la naissance. Certes, il y a des défauts, des gros défauts parfois, comme une nette insuffisance de prévention provoquant une surmortalité précoce importante, des gaspillages. Mais nous pouvons savoir exactement où sont les défauts et les gaspillages car tant que l’Etat paye il surveille de près les dépenses, l’affectation des ressources. Aux Etats Unis personne ne rend compte de l’ensemble des dépenses.
    Qu’est-ce que la Sécurité Sociale en fin de compte? Si l’on part du principe, auquel je tiens beaucoup, que les richesses pas plus que les micro-organismes ne naissent par génération spontanée, contrairement à ce que pensent les spéculateurs, mais qu’elles sont toujours le produit d’un travail, la Sécurité Sociale n’est qu’un des MOYEN DE REDISTRIBUER LE PRODUIT DE CE TRAVAIL au plus grand nombre pour générer du bien être sanitaire, entre autres. Et cela sans conditions de revenu, sans conditions de santé préalable, sans conditions suspensives écrites en toutes petites lettres dans un coin du contrat. LA REDISTRIBUTION EST LE SEUL MOYEN DONT UN ETAT DISPOSE POUR ATTENUER LA TENDANCE CONSUBSTANTIELLE AU CAPITALISME A L’AUGMENTATION DES INEGALITES. Elle est approchée par le coefficient de Gini (différence de revenu entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres) Plus un pays a un coefficient de Gini faible plus il est égalitaire. Le coefficient de Gini le plus bas se situe aux environ de 0,25 c’est le Danemark. La France a un coefficient aux environs de 0,28, ce qui le situe dans les 20 pays les plus égalitaires, et les Etats Unis aux environs de 0,4 ce qui ne la place pas très loin de la Chine. Je ne m’étendrai pas sur la question de savoir s’il existe réellement un déficit de la Sécurité Sociale ou si celui-ci a été délibérément creusé en n’affectant pas les recettes de certaines taxes comme celles sur le tabac au financement de la Sécurité Sociale ou en accumulant les exonérations patronales depuis les années 90 qui ont fait passer la part des prélèvements patronaux consacrées au financement de la sécurité sociale de 45% à 21% [doc chiffres clés 2009 sur site de la sécurité sociale].
    En tous cas cette analyse plus nuancée permet de voir que LE PROBELME NE SE RESUME PAS A UNE SIMPLE QUESTION TECHNIQUE ET COMPTABLE COMME ON ESSAYE DE LE FAIRE CROIRE POUR OCCULTER LES LES RAISONS PUREMENT IDEOLOGIQUES QUI MOTIVENT LES DECISIONS DES POLITIQUES, idéologiques étant entendu au sens de décisions sous tendues par une certaine vision du monde, de ce vers quoi le monde doit aller..
    Attaquer la Sécurité Sociale, la discréditer, revient à tenter de remettre en cause une forme de redistribution du produit du travail, donc à augmenter les inégalités. Or, l’augmentation des inégalités c’est-ce qui génère les crises, comme l’analysait Marriner S Eccles, ancien président de la Banque Fédérale américaine après la crise de 1929 [ http://dechiffrages.blog.lemonde.fr/files/2008/10/eccles-traduction-jfc.1224612322.pdf
    ]. Donc CE NE SONT PAS LES SOINS QUI COUTENT CHER MAIS LES INEGALITES. Elles coûtent cher non seulement en termes financiers, mais aussi en termes d’équité, de justice, de souffrance induite par l’impossibilité d’accéder aux soins. Toutes les raisons invoquées pour justifier l’augmentation des inégalités, ne servent qu’à cacher ce fait que le capitalisme est insatiable, qu’il ne peut supporter qu’aucune source de profit ne lui échappe, et que GRACE A LA PUISSANCE ECONOMIQUE ACQUISE PAR LES GRANDS GROUPES INDUSTRIALO-FINACIERS ET AUX ALLIANCES AD HOC AVEC LE MONDE POLITIQUE ET LES INSITUTIONS INTERNATIONALES IL PEUT DESORMAIS IMPOSER SES EXIGENCES A L’ENSEMBLE DES SOCIETES DE LA PLANETE (non plus seulement aux pays pauvres) AU DETRIMENT DE L’INTERET GENERAL.
    Pour remettre les choses en perspective par rapport à la dramatisation de ce fameux trou de la sécu, rappelons nous qu’en 2008 un petit c… (désormais présenté par les médias comme le Robin des Bois des temps modernes) faisant joujou avec son ordinateur a fait disparaître 5 milliards d’euros de sa banque. Même pas mal!
    Là nous parlons du système qui permet à 57 millions de français de recevoir des soins!
    Face à cela la stratégie gouvernementale, présentée comme une approche purement rationnelle et technique alors qu’elle est partisane et idéologiquE, et qui consiste à faire LE CONTRAIRE DE CE QU’IL FAUDRAIT FAIRE si l’on voulait réellement optimiser le rapport coût efficacité du système de soins:
    Diminuer les moyens du système public que ce soit pour la médecine préventive (santé scolaire, PMI…) que pour le système hospitalier en supprimant des emplois de terrain, ceux qui font effectivement le travail, qui assurent une MEDECINE A MEDIATION HUMAINE donc plus efficace, et qui contiennent les coûts car ils sont salariés. En revanche, sont embauchés à tour de bras des gestionnaires, des cadres administratifs qui coûtent cher et ne servent qu’à entraver le travail des agents de terrain. Ce qui fait que le SERVICE PUBLIC N’A JAMAIS ÉTÉ AUSSI BUREAUCRATIQUE ET PROPICE A LA GABEGIE QUE DEPUIS QUE LES NEO LIBEARUX CE SONT MIS EN TETE DE LE RENDRE PLUS EFFICIENT.
    STIGMATISER LES MEDECINS GENERALISTES qui sont les seuls qui puissent avoir une vision globale des patients, plus humaine et moins technique, et qui puissent donc freiner la multiplication d’actes techniques par les spécialistes. Les honoraires des médecins généralistes ne représentent pourtant qu’environ 3% de l’ensemble de la Consommation de soins et biens médicaux. Les seuls soins de la bouche et dentaires représentent des sommes trois fois plus importantes (environ 28% des dépenses de soins ambulatoires d’après l’IRDES). Après avoir fait des propositions intéressantes et cohérentes comme l’Option Médecin Référent, qui pouvait permettre de libérer les médecins de l’emprise des laboratoires, on en vient à leur proposer de prendre part au festin avec le secteur optionnel. Une manière efficace sans doute de leur faire abandonner les dernières tentatives d’amélioration des pratiques pour les convertir définitivement à la logique addictogène du « toujours plus » ( d‘honoraires), avec laquelle, comme dans toute addiction, toute autre préoccupation que l’appât du gain, comme le souci de l’autre, du travail bien fait, est vouée à disparaître.
    Ouvrir grande la porte aux laboratoires qui essayent de brouiller les pistes, de faire prescrire des médicaments hors AMM, d’inventer des maladies (disease mongering), d’inventer des pandémies, de s’affranchir de tout contrôle eux-mêmes mais d’avoir un contrôle total des prescriptions des médecins afin de vendre le plus de médicaments possibles sans aucun égard pour le bénéfice réel escompté pour la population.
    Toute cette politique, très cohérente et efficace au fond, quand on la considère pour ce qu’elle est, non pas comme un moyen de rendre le meilleur service à la population en minimisant les coûts, mais comme un moyen de « faire entrer le renard dans le poulailler« , comme le disait D. Dupagne sur son site dans une de ses articles récents, commence à porter ses fruits.
    Les dépenses ne cessent d’augmenter et une proportion de plus en plus importante de ces dépenses est supportée directement pas les ménages, comme l’explique ce article du nouvel Obs[http://hebdo.nouvelobs.com/sommaire/notre-epoque/098435/quand-la-sante-devient-un-luxe.html
    Le renard, représenté entre autres par le secteur privé d’hospitalisation, à but lucratif, se lèche les babines. Ce secteur, qui appartient de plus en plus à des grands groupes dont on connaît les exigences illimitées en matière de profits, va gagner du terrain à la faveur de la destruction des hôpitaux publics {cf articles prof Grimaldi sur pharmacritique]. Au détriment d’une prise en charge plus humaine et moins coûteuse des patients.
    J’ai un exemple en tête: la clinique Natécia à Lyon, spécialisée en obstétrique et pédiatrie, résultat du regroupement de plusieurs cliniques privées. Environ un an après son ouverture, le taux de césariennes y était de 30%, soit 50% supérieur à la moyenne lyonnaise. Les prématurés de 1,8kg et leurs mamans sont mis à la porte , car il n’est pas question qu’ils occupent des lits qui doivent être réservés à des activités plus lucratives.
    Atul Gawande constate que les premières fissures apparaissent dans les lieux qui résistent encore à la logique unique du profit. Et c’est une vraie question: comment nager à contre-courant quand ce courant est un véritable Maelstrom qui emporte tout sur son passage? comment rendre pérennes, voire imposer, d’autres pratiques que celles édictées par une nomenclatura maffieuse politico-financière qui tend à cumuler tous les pouvoirs dans une symbiose parfaite ? Comment faire autre chose que gesticuler?
    Pourquoi ne pas commencer par remettre en place des conférences de consensus organisées de manière indépendante des laboratoires comme le propose D. Dupagne ( http://www.atoute.org/n/article158.html )
    ? Et je remarque la parenté de celles-ci avec les conventions de citoyens de la Fondation Sciences Citoyennes http://sciencescitoyennes.org/spip.php?rubrique124 )
    Vivent les contre-pouvoirs et vive la démocratie!

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