Inititives et informations sur le sabotage de la santé au travail et la résistance du Dr Dominique Huez

Je rends compte de plusieurs initiatives pour défendre le lanceur d’alerte Dr Dominique Huez et la médecine du travail, donne beaucoup d’informations, d’extraits, de liens pour comprendre les problématiques autour de la santé au travail qui nous concernent tous. Tout cela avec des commentaires contribuant au débat grâce à mes lectures et formation en sciences sociales.

Tous les articles centrés sur la santé au travail, le management, le Dr Dominique Huez, maladies et expositions professionnelles, etc. sont réunis sous la catégorie « santé au travail, médecine du travail ». Donc s’il y a des liens cassés, tous les textes restent facilement accessibles en descendant sur cette page ou alors depuis la liste alphabétique de catégories.

J’ai évoqué les grandes lignes de la situation de la santé au travail, le déni permanent des politiques quant aux risques et maladies professionnelles et à la destruction programmée de la médecine du travail, ainsi que le rôle de l’Ordre des médecins, le mouvement d’insoumission ordinale et d’autres informations et liens utiles dans l’article du 27 février 2017, Rébellion contre l’Ordre des médecins. Soutien au Dr Dominique Huez. Manifeste pour la santé, la sécurité au travail et la justice sociale.

Après plusieurs extraits d’articles permettant de comprendre que les pressions subies par les médecins du travail ne datent pas d’hier et visent à intimider les autres et les dissuader d’établir des certificats liant la souffrance d’un salarié aux conditions de son travail, je reprends des extraits d’articles parlant des « tribunaux d’exception de l’ordre des médecins », expliquant divers types de pathologies liées au travail, critiquant le cirque médiatique autour d’un concept bien plus néfaste qu’il n’y paraît (burn out, épuisement professionnel), etc. L’on y apprend comment, en réponse au lobbying des acteurs économiques, les politiques sabotent la santé au travail et préparent la mort de la médecine du travail, après l’avoir privée de toute possibilité d’accomplir son devoir en conformité avec le code de déontologie des médecins et l’intérêt de la santé des salariés…

Enfin, je reproduis des extraits de la défense du Dr Huez devant l’Ordre des médecins, en juin 2016, puis la lettre ouverte qu’il vient d’adresser à l’actuel directeur du CNPE de Chinon, la centrale nucléaire qui employait le salarié dont la dépression, liée à son travail, est à l’origine du harcèlement par le sous-traitant ORYS.


Une projection suivie d’un débat animé par Dominique Huez aura lieu le jeudi 23 mars à Tours. Tout le monde est invité par les associations et syndicats qui soutiennent le Dr Dominique Huez et la requête devant le Conseil d’Etat (évoquée dans cet article) pour que l’Ordre des médecins cesse de recevoir les plaintes des employeurs.

« Médecine du travail, qu’en reste-t-il ? » est le thème de la soirée qui débutera à 20h, aux Studio, par la projection du documentaire de Michel Szempruch « Les maux du travail ». La soirée est organisée par le Cinéma national populaire (CNP), le Collectif 37 « Notre santé en danger », la Ligue des droits de l’homme, Convergences Services publics 37, l’ACRO et le réseau Sortir du nucléaire 37. Une pétition devrait être lancée au cours de la soirée. [Mise à jour: la pétition peut être signée sur cette page: « Contre la collusion entre les employeurs et l’Ordre des médecins ». J’y reviendrai, car Sciences Citoyennes a rejoint le collectif de soutien, à signé la pétition et appelle à la signer].

Malgré toutes les pressions qui s’exercent sur lui, et de la part de l’employeur (ORYS) et de la part de l’Ordre des médecins, non seulement le Dr Huez n’a pas reculé, mais il a écrit des livres (évoqués dans cet article), s’est investi auprès de l’Association Santé, Médecine au Travail (A-SMT, dont le site contient une documentation fort utile), a pris position publiquement, en lanceur d’alerte, pour que tous les citoyens puissent comprendre l’étendue du désastre de la santé au travail, ce non sujet pour les media et les politiques, alors que tous les salariés (et « indépendants ») en vivent les conséquences au quotidien.

Dans un article paru le 9 mars 2017 sur son blog, Dominique Huez nous livre un bilan chiffré des plaintes des employeurs devant l’Ordre des médecins:

« Pour avoir attesté d’un lien entre la santé de leur patient et leur travail, dix à quinze plaintes annuelles nous sont connues depuis 2013, soit au moins 100 médecins qui sont poursuivis annuellement par des employeurs devant l’ordre des médecins. Après plainte, 40% des médecins renoncent à leur diagnostic, 40% des médecins sont envoyés en chambre disciplinaire, 90% y sont condamnés. (…)

Cela pour avoir donné à leur patient un extrait de leur dossier médical, indiqué au médecin conseil le motif de l’arrêt maladie, rédigé un certificat médical initial d’accident du travail ou de maladie professionnelle, rédigé un écrit médical de liaison entre médecins, rédigé pour son patient un écrit médical qui trace le travail clinique, rédigé une alerte médicale collective à destination d’un employeur.

De cela ces médecins sont poursuivis pour certificat de complaisance ou calomnieux et condamnés quasi systématiquement par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins s’ils ne renoncent pas à leur diagnostic médical du lien entre la pathologie constatée et le travail du patient, renoncement alors sous la menace du dispositif de « conciliation » avec l’employeur plaignant. »

Même s’il est retraité, donc ne risque pas de signer d’autres certificats attestant d’un lien de causalité entre le travail et l’état de santé des salariés, le Dr Dominique Huez continue de subir un véritable acharnement et harcèlement depuis des années, manifestement pour en faire un exemple et dissuader tous les médecins du travail qui envisageraient de faire correctement leur travail, sans céder aux pressions conjointes des employeurs et de l’Ordre des médecins… Plusieurs articles en témoignent, dont un texte édifiant, daté du 26 septembre 2016, intitulé Les tribunaux d’exception de l’Ordre des médecins

Un autre texte vaut le détour, paru le 6 juin 2016 sur son blog, qui expose les principaux arguments utilisés par Dominique Huez (photo) pour se défendre devant la Chambre nationale disciplinaire de l’Ordre des médecins. Nous apprenons ici que l’un des multiples risques que la situation actuelle, la recevabilité des plaintes des employeurs, les poursuites disciplinaires par l’Ordre et les suites nous font courir, c’est celui de la violation du secret médical. Sans oublier la multiple perte de chances qu’entraînent les modifications de la médecine du travail, par exemple à travers les tentatives de sélectionner des profils psychologiques adaptés aux postes risqués, comme s’il était possible de se défausser d’emblée de toute imputabilité, sous prétexte soit que les risques étaient inhérents, soit que le profil psychologique s’est révélé inadapté après coup, pour des raisons psychiques strictement individuelles (genre faille psychanalytique d’oedipe non résolu)…

C’est une sorte de darwinisme psycho-économique que le lobbying d’acteurs économico-financiers a réussi à imposer à travers la loi El Khomri, en plus des autres atteintes au Code du travail et de la précarisation généralisée sur le bien nommé « marché du travail », elle-même source de pathologies potentiellement infinies. Mais on attend de la stabilité émotionnelle sur un marché de plus en plus instable… N’est-ce pas l’adaptabilité totale à cette instabilité qui serait signe d’une pathologie mentale? Il faudrait actualiser les analyses philosophiques, sociologiques et de psychologie sociale de la Théorie critique, notamment de l’adaptation, de l’ajustement aux rôles, sous toutes ses formes. Et se dire avec ces penseurs-là, que c’est la société qui est malade lorsqu’elle demande un ajustement aux injonctions les plus contraires, au zapping, avec deux possibilités: l’acceptation conformiste en extirpant toute humanité ou alors le recours à la médecine pour se faire déclarer inadapté, déviant, marginal, donc accepter le conformisme du rôle de malade, ce qui veut dire subir la correction psycho-pharmacologique d’une médecine dévoyée à son rôle d’agent de contrôle social…

Ceux qui rêvent d’un Emmanuel Macron rempart contre les excès du néolibéralisme à la François Fillon vont vite déchanter, et la gueule de bois sera à la mesure de la grande réussite des autocars et de Uber en termes de conditions de travail, notamment de la sécurité indispensable à l’anticipation, à la réalisation du moindre projet de vie.

L’instabilité est vantée comme une qualité suprême de celui qui sait s’adapter – être flexible, zapper, se vendre tout aussi bien sur des fronts contraires – et pourtant, l’hyperactivité est blâmée comme une maladie devant être corrigée, mais elle aussi ramenée par les psychanalystes lacaniens aux éternelles coupables: les mères. La psychanalyse lacanienne est l’alibi parfait du néolibéralisme, comme de tous les pouvoirs, d’ailleurs, puisqu’elle projette sur (sa reconstruction de) l’enfance de l’individu – dans sa relation avec la mère – les causes de tous les maux. Et l’Ordre des médecins ne sanctionne pourtant jamais les délires sexistes de médecins dits psychosomaticiens lacaniens qui excluent toute détermination socio-économique, sortent totalement les individus de l’histoire, pour naturaliser, essentialiser, en projetant leurs constructions abstraites sur des personnes concrètes, elles, en fonction de ce qu’ils considèrent être un déterminisme absolu: celui psychique de la petite enfance. A chaque fois qu’un individu se plaint de ses conditions de travail, le soupçon est là; à chaque suicide, l’on traque la faille « psychodynamique », incriminant une famille qui subit ainsi une double peine…

Nous tous, patients souffrant au travail à cause des mauvaises conditions de travail, d’expositions à des agents toxiques, d’un management qui ne s’intéresse qu’au rendement, d’une précarité qui détruit toute possibilité de construire un réseau de solidarité, un collectif, et – individuellement -, un avenir et des projets de vie de famille, etc., nous sommes les grands perdants de ces pressions qu’exercent les conseils départementaux de l’Ordre des médecins sur ceux qu’ils sont censés représenter pourtant et qu’ils livrent aux employeurs et à leurs intimidations…

« Effrayés par la possibilité d’un blâme, craignant d’être stigmatisés comme des praticiens non respectueux de l’éthique, de nombreux médecins attaqués renient leurs certificats », déclarait le Dr Dominique Huez à un journaliste du Parisien, en mars 2014.

De telles situations de harcèlement et de pression exercées sur des médecins du travail par des employeurs ne sont pas nouvelles; seulement, la loi du silence règne et peu d’informations sont diffusées dans les media. La Nouvelle République fait partie des rares journaux qui s’en font l’écho, par exemple dans un article de mai 2013, déjà, sur le cas du Dr Dominique Huez et de la Dr Bernadette Bergeron: Des médecins de travail attaqués par les employeurs. L’article rend compte des arguments des employeurs, intéressants parce qu’ils nous font comprendre sur la base de quel vide argumentatif l’Ordre des médecins accepte les plaintes… Les employeurs se plaignent du manque de « prudence » des praticiens qui ont rédigé des certificats médicaux attestant de la causalité entre l’état de santé dégradé d’un salarié et les caractéristiques de son poste de travail. Cette imprudence signifie que ces médecins auraient « manqué à leurs obligations professionnelles et déontologiques ».

Autrement dit, la déontologie consisterait – aux yeux des employeurs comme du Conseil national de l’Ordre des médecins – à exonérer les employeurs de toute responsabilité en matière de santé au travail… Alors même que les conditions de travail rendent malades de plus en plus de salariés, qu’il s’agisse de pathologies physiques ou psychiques, mal nommées burn out (ce qui évacue le problème au lieu de le clarifier…), que le nombre d’accidents de travail, de maladies professionnelles et de suicides en rapport avec le travail et même sur le lieu du travail, etc. ne cessent d’augmenter. J’en ai rendu compte, chiffres et graphiques à l’appui, dans l’article Plus de 20.000 décès liés au travail en 15 ans! Les intérêts industriels prévalent sur la santé au travail – non sujet collectif qui favorise la mort de la médecine du travail

Dans un article du 14 mars, La Nouvelle République nous informe des derniers épisodes de l’acharnement de l’employeur ORYS à l’égard du Dr Dominique Huez, Quand l’huissier débarque chez l’ex-médecin du travail...Voici des extraits, qui nous font comprendre le harcèlement incessant, visant à dissuader tout médecin de travail qui aurait l’outrecuidance de faire son travail sans « prudence » pour les intérêts des industriels:

« Vendredi après-midi, un huissier s’est présenté au domicile de Dominique Huez, qui, trente ans durant fut médecin du travail à la centrale nucléaire de Chinon, à Avoine. Après deux premiers courriers (…), il s’agissait pour l’huissier de saisir les deux véhicules du médecin retraité. Une situation à laquelle ce dernier s’est opposé. Avant de prendre la plume et de s’adresser à Régis Clément, actuel directeur du CNPE de Chinon, via « l’équivalent d’une lettre ouverte. » Un courrier qu’il a également fait suivre aux syndicats présents à la centrale. [NdR: Lettre reprise en fin d’article. La requête devant le Conseil d’Etat est évoquée dans cet article, qui contient beaucoup d’autres informations et liens].

[Le Dr Huez] a déposé un recours devant le Conseil d’État sur l’irrecevabilité des plaintes émanant des employeurs et veut également attendre la décision de cette haute juridiction concernant le versement de ces 1.000 € « Ce recouvrement n’a aucun caractère d’urgence. C’est un raisonnement intellectuel avant que les huissiers s’en mêlent ! Symboliquement pour moi, c’est impossible. Et je pense aussi que c’est important que ce qui se passe soit visible », insiste Dominique Huez.
Contre vents et marées, mais surtout contre les employeurs, il défend le secret médical (…). « Harcèlement », « acharnement », les mots utilisés par le Dr Huez témoignent de sa colère. Pour lui, il s’agit visiblement « de faire peur aux médecins qui attestent médicalement d’un lien entre l’atteinte à la santé de leur patient et leurs conditions de travail », rappelant au passage qu’il n’a jamais pu bénéficier du soutien juridique matériel auquel il avait droit de la part de son employeur. A l’époque, le CNPE avait émis une condition : il voulait rester maître des moyens de défense. Ce que Dominique Huez avait refusé. Il y a déjà laissé quelque 15.000 €. « EDF ne m’a pas protégé. »
Aujourd’hui, l’ancien médecin du travail demande à la direction du CNPE de surseoir à ses commandements de saisie-vente sur ses biens. Le combat continue. »

*

Médecine du travail et médecine de santé publique font désordre

Dans un entretien avec le Dr Alain Braillon, médecin de santé publique, il a été question de la mort de cette discipline, elle aussi parente pauvre d’une médecine calquée sur les intérêts des industriels, elle aussi restant en travers de la gorge de ces acteurs économico-financiers dont les affaires sont sacrées… Au nom de la compétitivité de l’économie nationale, qui ne saurait s’encombrer des intérêts de la santé d’individus insignifiants, interchangeables, maintenus dans la peur du déclassement s’ils l’ouvrent trop et auxquels on présente le repoussoir absolu, pour les maintenir dans un état d’acceptation et d’obéissance: l’armée de pauvres et de précaires. Façon de dire: vous vous plaignez, vous faites la fine bouche pour quelques désagréments au travail? Voici ce qui vous attend! C’est la fonction sociale de la pauvreté, qui pourrait être éliminée facilement; mais l’ordre en place n’aurait alors plus d’épouvantail à agiter, pour que tout le monde rentre dans les rangs…

L’Ordre des médecins se charge d’éliminer ces quelques grains de sable dans les rouages bien huilés d’un business qui détient le véritable pouvoir, et non pas les politiques qui lui servent la soupe et font en sorte que les affaires se fassent sans réglementations, sans « lourdeurs » administratives, médicales, humaines ou autres. Pensons au discours de 2009 de Nicolas Sarkozy lorsqu’il a décerné la Légion d’honneur à Servier, exemple de la compétitivité française trop entravée par les réglementations… J’ai expliqué dans un article d’investigation de mars 2009 les motivations de Nicolas Sarkozy: les conflits d’intérêts (et ceux de ses trois frères) avec l’industrie pharmaceutique et d’autres acteurs économiques et lobbies.

Ce n’est pas le « facteur humain » qui empêchera les gains de productivité, quand même! Dans un article de mai 2008, j’ironisais sur l’arrivée des sondes urinaires pour ne pas interrompre la cadence du travail, mettant en évidence les méthodes du lean management, dont on parle étonnement peu, au vu de ses conséquences désastreuses sur la santé des salariés…

Sur son blog hébergé par Médiapart, le Dr Dominique Huez signe des articles – accessibles à partir de cette page – qui nous apportent des informations indispensables sur toutes les dimensions de la santé au travail et sur l’étendue de la dégradation, voulue par employeurs et politiques, de la médecine du travail. Elle est édentée peu à peu en vue d’une mise à mort certaine, à coups de mesures qui ne font pas beaucoup de bruits dans les media, telles que l’espacement des visites, puis tel médecin « expert » qui remplacerait le médecin du travail, mais dont l’indépendance est loin d’être garantie; sans oublier la réduction des effectifs de cette spécialité, les pressions exercées aussi sur les médecins d’autres spécialités qui contribueraient à affirmer la responsabilité du travail dans la survenue de maladies professionnelles, d’accidents du travail, etc.

Burn-out: une notion fourre-tout qui favorise la psychologisation et occulte la critique

Et sans oublier l’analyse critique des mesures qui semblent aller dans le bon sens, d’autant qu’elles sont claironnées sur tous les toits, comme pour mieux masquer le marasme de l’ensemble et la censure médiatique sur tout ce qui relève de la santé au travail. Je pense au cirque médiatique fait autour de la notion de burn-out ou épuisement professionnel. Or une analyse très rigoureuse du « Rapport parlementaire de la mission d’information sur le syndrome d’épuisement professionnel ou burn-out », faite par l’Association Santé, Médecine au Travail, montre que la promotion d’une telle notion est synonyme de « bonnes intentions », mais avec des « contenus préoccupants ».

Dans un article paru le 10 mars 2017 sur son blog, Dominique Huez nous livre une interprétation elle aussi à contre-courant: Burn-out constaté médicalement: Qu’en reste-t-il après l’analyse du « travailler »? Il y fait fait la distinction entre les pathologies de surcharge – dont le burn-out fait partie -, celles dues à un état de stress post-traumatique et les pathologies de la solitude (due à l’isolation imposée par des méthodes de management qui cassent les réseaux de solidarité classiques – dimension parfaitement analysée par le sociologue du travail états-unien Richard Sennett dans son livre Le travail sans qualités). Extraits: 

« Le burn-out, figure changeante de symptômes de souffrance professionnelle précédant la psychopathologie, est le vocable aujourd’hui qui permet de nommer un vécu professionnel insupportable. Il dispense d’en repérer la causalité professionnelle, il interdit une réparation médico-légale faute de certifier un diagnostic médical reconnu. (…)

Le Burn-out décrit le processus d’épuisement qui peut mener à une dépression professionnelle.Il y a un risque pour la restauration de la santé, à se limiter à ce « mot-valise », qui amalgame cause et conséquence. C’est le moyen de dédramatiser la maladie  sans analyser la causalité du travail ni en permettre sa reconnaissance en maladie professionnelle car la pathologie n’est pas nommée.

La dépression professionnelle est une des issues morbides des pathologies de surcharge. Elle est déclenchée par des événements qui engagent le rapport subjectif au travail et demeurent en partie non pensés, n’ayant pu faire l’objet d’une délibération collective. L’amputation défensive psychiquement de la capacité de raisonner, les défauts majeurs de reconnaissance des contributions singulières et la fragilisation du travailler ensemble peuvent en majorer le risque. Il s’agit de la pathologie mentale la plus répandue sur les lieux de travail, et pourtant la moins socialisée. Elle peut être reconnue en maladie professionnelle par le CRRMP [NdR: Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles] si son lien direct et essentiel avec le travail est démontré, mais ce processus est entravé par la nécessité réglementaire d’une IPP [Invalidité partielle permanente] supérieure à 25%. »

Nous sommes très loin des clichés véhiculés dans les media, qui psychologisent à outrance, en cherchant dans le passé du salarié la causalité psychique, comme la psychanalyse sait si bien faire, elle dont les procédés ont été repris en médecine pour rendre l’individu coupable des tares d’un système sur lequel il n’a aucune prise ou pour reléguer comme psychanalytiquement causée (par un oedipe non résolu, une fixation au stade oral ou anal (sic), etc.) toute maladie qui n’est pas de diagnostic facile, dans un système qui fonctionne selon une logique de maîtrise comptable de la médecine.

Dans son analyse, l’association A-SMT note que le rapport parlementaire sur l’épuisement professionnel demande que l’Ordre des médecins cesse d’accepter les plaintes des employeurs, mais ne demande pas l’essentiel, à savoir l’abrogation de l’article litigieux qui sert de fondement au CNOM pour justifier la recevabilité de ces plaintes; les parlementaires ne demandent pas non plus que cessent les procédures disciplinaires intentées aux médecins qui refusent de renier leurs constats et persistent à mettre en cause le travail, et ce malgré les pressions et la mascarade de « conciliation » lors de laquelle ils sont obligés de rencontrer même physiquement des représentants des employeurs qui déploient tout le registre d’intimidations possibles. Lorsqu’il n’y a pas « conciliation », lorsque le médecin du travail n’accepte pas que l’on dise que son travail n’a pas été conforme à la déontologie – par manquement de « prudence » à l’égard des intérêts de l’employeur -, le praticien est systématiquement poursuivi par l’Ordre des médecins en chambre disciplinaire

Un camp de travail avec les coachs et les médecins comme gardiens de la discipline…

On est dans le registre sémantique du camp de travail, bien discipliné et transparent pour les employeurs. Qui situe chaque individu dans une case impartie, selon son rôle économique dans un ordre qui devrait s’harmoniser naturellement, de par « la main invisible du marché » chère à Adam Smith, sans réglementations ni autres entraves à la bonne santé des affaires. Un ordre qui est de plus en plus celui utilitariste anglo-saxon dans les faits, chacun pour soi dans la compétition généralisée, et ce malgré le recours purement rhétorique aux principes républicains…

Les agents de contrôle social maintiennent cet ordre en rendant transparents les individus, lors des violations du secret médical comme lors des prérequis des coachings et autres formations. Les coachs – ces normalisateurs et ordonnateurs par excellence – font en sorte que les salariés intériorisent les contraintes d’un système économique productiviste comme s’il était naturel et comme si les seuls échecs ne pouvaient venir que d’eux, de leur « investissement » insuffisant dans l’entreprise, de leur effort insuffisant d’adaptation et de « pensée positive », bref, de leur attitude négative qui serait contre-productive.

Les coachs fouillent dans la tête des salariés pour apprendre leurs « failles », soi-disant pour leur enseigner comment les gérer, sous prétexte de gestion du stress, de « lâcher prise », de « recettes du bonheur » (par les chargés de bonheur en entreprise (!)), sans oublier les recettes de pensée positive, ce qui veut dire élimination de toutes les entraves à la compétition, et ainsi de suite. J’ai donné ailleurs l’exemple de ce que l’idéologie néolibérale nous vante comme étant le comble du bonheur en entreprise, à savoir l’ambiance « jeune » et « branchée » des start-up et d’autres sociétés qui embauchent un chargé de bonheur, un masseur et un coach, afin que les salariés y passent de plus en plus de temps, se sentent de plus en plus redevables et effacent de plus en plus les limites entre leur vie privée et leur travail. C’est ainsi que l’entreprise devient peu à peu une institution totalitaire, selon le modèle décrit par le sociologue Erving Goffman pour l’armée et l’asile. Ces aspects sont détaillés dans cet article, qui revient aussi en détail sur la psychologisation.

Je conseille toujours l’excellent livre de Roland Gori et Pierre Le Coz, L’Empire des coachs. Une nouvelle forme de contrôle social (Albin Michel, 2006), pour essayer de comprendre les fonctions disciplinaires et adaptatrices des coachs. Quant aux dégâts de la pensée positive, de l’attitude positive, je renvoie toujours au livre incontournable de la sociologue Barbara Ehrenreich, Smile or Die. How Positive Thinking Fooled America and the World. C’est un recueil d’articles dont plusieurs se réfèrent directement à l’attitude positive imposée aux malades, au nom de tous les intérêts sauf les leurs…

Les coachings sont le prétexte de formatages dont la nuisance n’est pas perceptible de suite; mais les objectifs fixés sont inatteignables, ce qui entraîne des dégâts sur l’estime de soi, des idées de dévalorisation en général, des idéations anxieuses, des comparaisons incessantes avec un standard de normalité défini par le coach en fonction des objectifs de l’entreprise.

Le détour par les coachs permet d’illustrer à quel point nous sommes dans le registre du camp de travail transparent – le panoptique -, imposé aussi selon les méthodes pastorales issues du biopouvoir, ces méthodes de biodiscipline des corps et des esprits théorisées par Michel Foucault à la suite des études de la Théorie critique.

Adaptation à la discipline de l’ordre établi, y compris en recourant à des méthodes de discipline par la médecine et en imposant aux médecins récalcitrants la discipline par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins…

La discipline, c’est doigt sur la couture du pantalon, au garde-à-vous, apprise si bien par les médecins du temps de Vichy, devant ceux qui détiennent le pouvoir… Vichy, c’est la résurrection des ordres, comme lors de l’Ancien régime, puisque c’est en 1940 que l’Ordre des médecins a vu le jour. Et le pouvoir, c’est l’attribut des acteurs économico-financiers de l’ordre établi, auxquels l’Ordre des médecins sert de bras armé, disciplinant tout ce qui dépasse. Comme un lit de Procuste qui coupe tout ce qui sort du cadre défini d’avance, tout ce qui fait désordre. Et l’intérêt de la santé des patients, ce n’est pas le problème de l’Ordre. Si ce n’est dans la mesure où il peut être un fonds de commerce pour d’autres spécialités médico-pharmaceutiques chargées d’apporter la correction médico-pharmacologique aux déviants, inadaptés, critiques, donc marginalisés, bref, à tous ceux qui « ne savent pas se vendre ».

Les politiques font eux aussi le jeu des industriels et autres employeurs, puisque les législations et réglementations successives n’ont cessé de priver la médecine du travail de toutes ses prérogatives, l’entraînant peu à peu vers une mort programmée. Un article de 4 juin 2016, signé par plusieurs médecins du travail – Stéphanie Paolini, Mireille Chevalier, Eric Ben-Brik – et posté sur le blog de l’un d’entre eux, nous informe de l’étendue du problème: « Loi El Khomri: mort de la médecine du travail sur ordonnance avec pastille Vichy« . Je cite quelques extraits de ce texte qui dénonce, entre autres, l’article 44 de la loi El Khomri qui

« remet en cause le rôle exclusivement préventif de la médecine du travail et renvoie aux heures sombres de ses débuts. C’est un passage vers la sélection, faussement sécuritaire visant à éliminer les travailleurs à risques et non plus à prévenir les atteinte à leur santé du fait de leur travail.

Très peu de gens le savent, les services médicaux du travail n’ont pas été institutionnalisés par la loi n°46-2195 du 11 octobre 1946, comme souvent citée dans les historiques, mais par la loi n°625 du 28 juillet 1942 signée à Vichy par Philippe Pétain, Maréchal de France et chef de l’Etat français, ainsi que par Hubert Lagardelle, Ministre secrétaire d’Etat au travail de l’époque. [NdR: L’Ordre des médecins date lui aussi de Vichy…]

(…) lors des rencontres parlementaires sur le « Bien-être au travail » du 30 mars 2016, madame la Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du dialogue sociale, a annoncé pour 2020, une diminution de la moitié des médecins du travail avec un passage de 5 000 médecins du travail à 2 500. (…)

Cette loi va profondément réduire la fonction préventive de la médecine du travail au profil d’une médecine sécuritaire de sélection, de tri, et de contrôle de la santé des travailleurs « à risques ».

Le véritable enjeu de l’article 44 de projet de loi El Khomri serait donc : d’une part, d’éliminer les travailleurs à risques mais pas les risques en entreprise ; et d’autre part, d’éliminer les médecins du travail (et peut-être les médecins inspecteurs du travail) pour affranchir les employeurs de ce dispositif onéreux, dont le coût en cotisations approcherait 1,3 Md€ par an selon le rapport de la Cour des comptes du 27 novembre 2012 sur « les services de santé au travail interentreprises : une réforme en devenir ». »

***

Lettre du Dr Dominique Huez à Régis Clément, directeur du CNPE de Chinon

 *

Docteur Dominique Huez                                                     le 12 mars 2017

Spécialiste en médecine du travail

Ancien médecin du travail du SST

du CNPE CHINON de 1983 à 2013

[…]

 

Au Directeur du CNPE de Chinon

Monsieur Régis Clément […]

 

Monsieur le Directeur

Comme vous le savez, suite à un certificat médical rédigé dans le cadre de mon exercice de médecin du travail du SST du CNPE de Chinon fin 2011 pour un salarié de la Société ORYS vu en urgence lors de son travail sur le site du CNPE, monsieur V. A. , j’ai fait l’objet d’une plainte de la Société ORYS auprès du Conseil de l’ordre des médecins d’Indre et Loire.

Le 26 septembre 2016, la chambre nationale disciplinaire de l’ordre des médecins m’a infligé la sanction de l’avertissement assortie de devoir verser à la Société ORYS une somme de 1.000 euros « au titre des frais exposés par celle-ci ».

Fin 2016 j’ai fait recours-cassation auprès du Conseil d’Etat centré sur l’irrecevabilité des plaintes d’un employeur auprès de l’ordre des médecins, par l’office de maitre Olivier Coudray. Je n’ai pas été en mesure de faire recours spécifique contre la mise en œuvre de la sanction de l’avertissement car elle n’entraine aucune matérialité de préjudice, et son devenir est lié à la décision du Conseil d’Etat.

J’ai donc décidé d’attendre la décision de la dite haute juridiction concernant le versement de la somme de 1.000 euros au profit de la Société ORYS.

Lors de l’audience publique de la chambre disciplinaire nationale du 8 juin 2016 me concernant, la Société ORYS présente à l’audience, a omis de faire état auprès de cette chambre qu’elle avait été condamnée à verser à mon patient monsieur V. A.  par les prud’hommes, la somme de 20.000 euros pour harcèlement moral et qu’elle avait décidé de ne pas en faire appel. Et aussi du fait qu’elle avait réalisé une rupture conventionnelle du contrat de travail de mon patient qui aurait entrainé un versement au profit de V. A.  d’une somme de l’ordre de 80.000 euros. Le certificat médical que j’ai établi concernant ce dernier se situe dans les suites des évènements jugés par les prud’hommes.

Malgré mes demandes, aucune plainte n’a été déposée au pénal par ORYS contre moi concernant ce qui y ferait litige.

Depuis le 9 janvier 2017, la Société ORYS a lancé à mon encontre par voie d’huissier un commandement de saisie-vente pour recouvrir les frais de 1.000 euros.

J’ai signifié au dit huissier qu’il n’y avait aucun caractère d’urgence pour le versement de cette somme et que j’attendrais l’avis du Conseil d’Etat, et que d’autre part la condamnation dont se prévalait la Société ORYS n’était pas signée par le Président de la Chambre nationale disciplinaire, ce qui fait donc partie de mes moyens de droit de nullité dans mon pourvoi auprès du Conseil d’Etat.

Le 10 mars 2017, j’ai subi un nouveau commandement du huissier de la Société ORYS,  valant saisie formelle sur mes véhicules. La seule voiture ayant une valeur que je possède l’est en copropriété avec mon épouse. L’huissier a refusé de me montrer une décision de la chambre nationale disciplinaire signée de son Président.

Ce recouvrement  n’a aucun caractère d’urgence et ses moyens sont totalement disproportionnés. Je note qu’il n’a pas été demandé par ORYS à un juge un recouvrement sur mon compte bancaire.

Je considère que cet acharnement qui confine au harcèlement par la Société ORYS à mon encontre, vise à sanctionner la pratique de médecine du travail indépendante de toute pression que je crois avoir exercé, et que son objet est de faire peur aux médecins qui attestent médicalement d’un lien entre l’atteinte à la santé de leur patient et leurs conditions de travail.

Je note que vous n’avez jamais condamné cette plainte « irrecevable »  à mon encontre.

Je note que je n’ai jamais pu bénéficier du soutien juridique matériel que vous me deviez comme employeur, soutien que vous avez conditionné au choix par vous-même de mes moyens de défense. Le coût des moyens juridiques nécessaires à ma défense excède déjà 15.000 euros.

Je note que vous mettez en exergue la Société ORYS pour son exemplarité pour la prévention du Facteur Humain concernant la Sûreté nucléaire.

Je considère que vous êtes responsable moralement de cette plainte de la Société ORYS à laquelle vous auriez pu et dû vous opposer.

Je vous demande donc expressément d’intervenir par tous moyens auprès de la Société ORYS pour qu’elle sursoie à ses commandements de saisie-vente sur mes biens concernant la somme des 1.000 euros de frais, en attente du jugement du Conseil d’Etat et d’un possible nouveau jugement.

En l’attente de votre intervention.

Docteur Dominique Huez

 *

Copie à la presse et aux syndicats et associations concernés par les enjeux de cette affaire

NB Je tiens à votre disposition tout document juridique en ma possession

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