Une table ronde consternante a eu lieu le 10 décembre 2009 à la Haute autorité de santé (HAS), sous le titre pourtant prometteur « Expertise et conflits d’intérêts ». Divers acteurs majeurs du système actuel de santé et d’expertise sanitaire – HAS, l’industrie pharmaceutique (LEEM), l’AFSSA (agence de sécurité alimentaire), des leaders d’opinion associatifs et médicaux (Nicolas Danchin, EURORDIS), Christian Vigouroux (Conseil d’Etat), Pierre Chirac (rédacteur de la revue « Prescrire ») étaient là pour vanter l’excellence du système, banaliser les conflits d’intérêts, tenir des discours de congratulation réciproque et se renvoyer des politesses. A l’exception, mais à peine perceptible tant il était poli et sage, du rédacteur de « Prescrire ».
Ce que je voudrais souligner ici, c’est une dimension absente du débat, à savoir le rapport intrinsèque entre conflits d’intérêts et lobbying. Le peu de fois où l’influence et le lobbying ont été mentionnés, c’était pour faire un acte d’équilibrisme (digne de cirques moins savants) visant à les distinguer des conflits d’intérêts, des liens financiers ou autres que les experts et autres gros pontes et associations ou sociétés savantes entretiennent avec l’industrie pharmaceutique. (Illustration tirée de ce site).
Or les conflits d’intérêts constituent la forme la plus répandue et la plus parfaite de lobbying, dans la mesure où les intérêts des lobbies sont transposés dans des expertises considérées comme scientifiques, donc neutres, qui fondent les décisions politiques. Les intérêts privés, particularistes, traduits en « science » par les experts payés par des industriels, se confondent, suite à la décision politique, avec l’intérêt général… Et la transparence n’y changera rien, n’en déplaise à Christian Vigouroux, conseiller d’Etat qui a défendu cette distinction lors de la table ronde et a légitimé l’existence des groupes d’influence, des activités de lobbying et de la recherche d’influence en général, pourvu que cela soit transparent et déclaré.
Je voudrais opposer à cela la position du réseau de veille et d’action citoyennes ETAL (Encadrement et transparence des activités de lobbying) et de la Fondation Sciences Citoyennes, rappelée ici à partir du compte-rendu d’une audition au Sénat fin septembre, dans le cadre d’un groupe de travail sur l’encadrement des activités de lobbying et des groupes d’intérêts. Le vice-président du Sénat, Jean-Léonce Dupont, a lui aussi essayé d’évacuer du débat cette question décidément très épineuse du rapport entre conflits d’intérêts et lobbying. L’exemple donné lors de cette audition pour tenter de dépasser ce saucissonnage des divers aspects du lobbying est précisément celui de l’industrie pharmaceutique influençant la décision politique à travers les travaux des experts qu’elle paye. J’ai réalisé lors de la table ronde de la HAS que ce texte garde toute son actualité et est pertinent pour Pharmacritique, de même que les critiques d’ETAL relatives au lobbying en général.
Un système verrouillé qui se reproduit grâce aux réseaux de conflits d’intérêts…
Tout se tient et forme un système fermé d’expertise, d’information (ou plutôt désinformation) et de décision politico-sanitaire dont les tares structurelles doivent être exposées sans se perdre dans les politesses, pour exiger une mise à plat radicale. On doit commencer par nommer les diverses composantes tels que lobbying direct ou indirect; conflits d’intérêts dans leurs variantes; pantouflage; intimidation des lanceurs d’alerte qui ne sont pas protégés; absence d’une déontologie de l’expertise, d’expertise citoyenne, d’interdisciplinarité, de mécanismes de démocratie participative exempts de conflits d’intérêts; non reconnaissance du tiers secteur scientifique; méthodes de désinformation des professionnels et du grand public; media dépendants des industriels annonceurs; sciences instrumentalisées par les industriels au lieu de servir le bien commun; applications technoscientifiques privilégiées au détriment de la recherche fondamentale; recherche publique mise au service des profits privés; absence d’encadrement éthique des applications technoscientifiques, etc.
Commençons par les conflits d’intérêts comme forme du lobbying, à l’exemple de l’industrie pharmaceutique, donné lors de l’audition du réseau ETAL au Sénat. Inutile de dire que ce n’est qu’un début.
Ce qui me paraît intéressant, c’est de mettre en évidence la réaction dans les plus hautes sphères de l’Etat: le vice-président du Sénat puis un conseiller d’Etat ayant la même attitude, presque au mot près: le lobbying fait partie de la démocratie, comme les groupes d’intérêts et la tentative d’influencer les décideurs… Pas question de chercher à les interdire. Il suffit d’un peu plus de transparence (je reviendrai sur cette question). Les deux refusent tout aussi nettement de reconnaître le rapport entre conflits d’intérêts et lobbying, puisque cela changerait tout de suite le regard qu’on porte sur les leaders d’opinions (médecins et autres chercheurs / scientifiques), d’autant plus lorsqu’il s’agit d’experts auprès des agences de régulation et de contrôle (AFSSAPS, AFFSA…) ou auprès d’autres instances d’expertise et de conseil des politiques (Haute autorité de santé), HCSP (Haut conseil de la santé publique), CTV (Comité technique des vaccinations), etc.
Que l’opinion publique en arrive à percer l’écran de fumée et à voir ces experts ayant des conflits d’intérêts dans leur nudité d’exécutants des lobbies qui les paient, voilà ce qu’il faut éviter. Parce que cela remet forcément en cause les décisions politico-sanitaires censées servir l’intérêt général et le bien commun des citoyens, et qui prennent pour fondements prétendument inattaquables les expertises scientifiques se présentant comme neutres, apolitiques et non partisanes. La neutralité de la science et de l’expertise, il n’y a que les lobbies pour défendre encore cette idée…
Quelques concessions apparentes sur la transparence, vantée comme l’indice majeur de qualité du système dans son ensemble, sont faites de temps en temps pour entretenir les illusions et permettre la reproduction sans entraves du système d’expertise garantissant la transposition en pratique des intérêts particularistes. La table ronde qui a eu lieu à la Haute autorité de santé le 10 décembre a servi a cela, ni plus ni moins. De même que l’audition des ONGs, des lobbyistes, des industriels et autres groupes d’intérêts au mois de septembre au Sénat.
Il faut donner l’impression d’une évolution, d’un système ouvert aux critiques et aux changements, tout en empêchant l’assimilation entre l’influence et le lobbying classique – que le grand public rapproche facilement de la corruption – et les conflits d’intérêts des experts présentés comme anodins en termes d’influence (!) et bénéfiques pour le progrès des domaines respectifs. Les usagers ne doivent pas réaliser que le lobbying est partout, qu’il ne se limite pas à l’influence sur des hommes politiques au moyen de firmes de conseils, mais vient altérer – c’est l’une des significations du terme « corruption » – le jugement des scientifiques et des médecins à une très large échelle…
Et le seul moyen de résister à l’influence et aux biais, c’est de ne pas s’y exposer, comme le rappelait Peter Mansfield, le fondateur de l’association Healthy Skepticism, dans cet article traduit par Pharmacritique parlant des « médecins sous influence », qui propagent la désinformation comme ils propageaient jadis la fièvre puerpérale: par les mains sales. La transparence n’y change rien.
ETAL et Fondation Sciences Citoyennes
La Fondation Sciences Citoyennes fait partie du réseau ETAL (Encadrement et transparence des activités de lobbying), qui réunit une vingtaine d’ONG et de syndicats tels ATTAC, Anticor, Amis de la Terre, Confédération paysanne, Greenpeace… sur la base d’un « Appel citoyen pour un encadrement et une transparence des activités de lobbying en direction des instances de décision publique ». Yveline Nicolas, de l’association Adéquations, assure la coordination du réseau, qui s’inscrit dans la campagne citoyenne européenne ALTER-EU (Alliance for Lobbying Transparency & Ethics Regulation).
Tous les textes d’ETAL (accessibles à partir de cette page) sont très clairs sur la filiation qui nous intéresse ici, et les signataires exigeaient par ailleurs ceci dès le lancement de l’Appel:
- « L’interdiction du lobbying d’intérêts économiques et financiers privés dans des secteurs d’intérêt général essentiels tels que les droits humains, la préservation de l’environnement, la santé, l’éducation, la solidarité… ;
- L’interdiction de tout conflit d’intérêt entre la décision publique et des intérêts économiques catégoriels, pour que les élu-es aient les moyens d’exercer leurs fonctions de façon indépendante. »
La question des conflits d’intérêts, du pantouflage, des mélanges malsains entre privé et public est une constante dans l’activité d’ALTER-EU, indissociable du lobb
ying.
Compte-rendu de l’audition au Sénat:
Je reprends ici le texte du compte-rendu de l’audition tel qu’il figure sur le site de la Fondation Sciences Citoyennes.
« Le Sénat a publié le 7 octobre des premières règles pour l’encadrement des groupes d’intérêts (lobbyistes). Le Réseau citoyen ETAL (pour un encadrement et une transparence des activités de lobbying) les juge partielles et imprécises, même si la mise en place d’un registre obligatoire et la publication des noms des clients des lobbyistes semblent aller un peu plus loin que les dispositions prises précédemment par l’Assemblée nationale. Adéquations publie ici le compte rendu de l’audition d’ETAL au Sénat le 29 septembre sur la question du lobbying, où le réseau a présenté son analyse d’ensemble pour une meilleure indépendance de la prise de décision publique au service de l’intérêt général. Pour ETAL, au lieu de légitimer, par des règles peu contraignantes, la présence des lobbyistes dans les lieux de décisions publiques, il faut développer des mécanismes permettant une expertise indépendante, des auditions pluralistes et transparentes de tous les acteurs, et interdire les conflits d’intérêts.
Compte rendu de l’audition d’ETAL au Sénat le 29 septembre 2009 sur la question de l’encadrement des groupes d’intérêts.
Etaient présents pour ETAL :
Yveline Nicolas, d’Adéquations,
Jean-Pierre Roux, d’Anticor,
Elena Pasca, de Fondation Sciences Citoyennes,
Bénédicte Fiquet et Jean-Marie Nicolas d’Adéquations.
Sénat, Assemblée nationale et lobbyistes…
Jean-Léonce Dupont (vice-président du Sénat et président du groupe de travail sur la règlementation de l’activité des groupes d’intérêts) a introduit l’audition en soulignant l’étendue de la problématique et en demandant aux personnes auditionnées si elles voyaient une différence quant à la manière dont le problème se posait au Sénat et à l’Assemblée nationale.
Yveline Nicolas a présenté le réseau ETAL, animé par l’association Adéquations. ETAL est un réseau de veille et de propositions sur le lobbying, les conflits d’intérêts et l’expertise citoyenne. ETAL est membre et partenaire d’Alter EU (Alliance for Lobbying Transparency & Ethics Regulation) qui regroupe au niveau européen plus de 160 groupes de la société civile. Puis Yveline Nicolas a développé les points suivants :
lobbying et conflits d’intérêts sont incompatibles avec l’exercice de la démocratie ;
nous avons l’exemple du registre facultatif des lobbystes au niveau de la Commission européenne, qui est un échec ;
les règles adoptées par l’Assemblée nationale pour encadrer le lobbying sont très nettement insuffisantes et ne font que le légitimer et ce alors que les dérives mentionnées au travers du code de conduite lui-même sont inadmissibles.
ETAL déplore que l’adoption de ces règles se soient faites en l’absence de tout débat public et que les associations issues de la société civile n’aient pas été auditionnées. Elle remercie le groupe de travail du Sénat de cette audition. Yveline Nicolas résume les propositions d’ETAL et renvoie à l’appel envoyé précédemment au groupe de travail du Sénat.
A la question de Jean-Pierre Roux, d’Anticor, demandant pourquoi il n’y aurait pas de règlement commun aux deux chambres, Jean-Léonce Dupont répond que ces deux chambres sont indépendantes et que le lobbying ne s’y exerce pas dans les mêmes proportions. Les différences de système conduisent notamment à ce que le nombre de titres d’accès délivrés sous diverses formes à des représentants de groupes d’intérêt soit bien plus élevé à l’Assemblée nationale qu’au Sénat.
Jean-Pierre Roux rappelle que les consultants en affaires publiques et les lobbyistes se sont félicités des règles adoptées par l’Assemblée nationale. Yveline Nicolas s’interroge : « les décideurs et les élus ont-ils intérêt à cette offensive des lobbyistes ? ». Elle mentionne le document diffusé par Affaires publiques consultants (APC) , qui regroupe 26 cabinets de lobbying en France. Ce document montre comment les lobbyistes professionnels se proposent de mettre à profit, pour influencer les élus, les nouvelles opportunités suite à la réforme des institutions qui a entraîné la création de dispositifs nouveaux à l’Assemblée nationale.
Jean-Léonce Dupont indique que le Sénat n’est pas là pour interdire toute activité de lobbying. « Le lobbying est une donnée de toute démocratie développée ». Yveline Nicolas souligne que nombre de démocraties développées sont en train de questionner sa légitimité. Le Parlement anglais vient de soulever le problème des conflits d’intérêt, la Commission européenne, véritable laboratoire de cette offensive se soucie de ses dérives, chaque jour la presse américaine fait état des combats du président Obama contre les lobbyistes : c’est devenu partie intégrante du débat public et médiatique. Elle souligne aussi que le réseau ETAL fait une distinction entre les pratiques de lobbying d’intérêts « lucratifs » et l’action d’associations à but non lucratif indépendantes de pouvoirs économiques et financiers, comme les membres du réseau ETAL, qui promeuvent une conception d’un l’intérêt public et collectif.
Conflits d’intérêts, pantouflage… 
Elena Pasca, de la Fondation Sciences Citoyennes, précise que l’influence des groupes d’intérêt sur la décision publique se joue bien souvent en amont du lobbying direct auprès des élus. Les hommes politiques prennent des décisions sur la base d’expertises scientifiques qu’ils considèrent neutres. Or ces expertises traduisent déjà des intérêts privés, du fait que les experts qui les rédigent et élaborent les recommandations officielles ont des conflits d’intérêts, et qu’ils sont présents partout.
[Illustration tirée du site In these times].
Prenons l’exemple de l’industrie pharmaceutique, de son influence dans le monde de la santé. Les mêmes professionnels aux conflits d’intérêts manifestes sont présents à toutes les articulations du système, et peuvent donc imposer les intérêts privés des industriels : ce sont les mêmes qui sont grands professeurs dans les hôpitaux et les universités, dominent la presse et l’édition médicales, la recherche, de même que l’information et la formation médicale continue – financée à 98% par l’industrie pharmaceutique, c’est dire ! Les mêmes sont experts auprès des agences de régulation (Haute autorité de santé, AFSSAPS…).
Dans ces conditions, « le lobbying direct auprès des élus n’est que la cerise sur le gâteau », puisque les intérêts des industriels sont déjà assurés par ce verrouillage total du système possible du fait des conflits d’intérêts. Cette domination de l’industrie pharmaceutique a atteint un degré tel que l’on parle désormais de « ghost management » : gestion invisible, mais omniprésente de tous les aspects médico-pharmaceutiques à travers lesquels ses intérêts particuliers sont susceptibles de s’imposer.
Et n’oublions pas les « mélanges malsains entre public et privé », dont on a un exemple avec le patron du LEEM (Les entreprises du médicament, syndicat des industries pharmaceutiques) et de Sanofi France, qui est entré dans le CA de l’INSERM au titre de « représentant du monde du travail »…
Les Etats-Unis, par exemple, ont une réglementation limitant le pantouflage ; ce qui n’est pas le cas en France, comme on a pu le voir encore récemment avec le passage direct de l’ancien directeur de l’institut public INPES (Institut National de Prévention et d’Education à la Santé), à la direction du LEEM.
Expertise citoyenne, lanceurs d’alertes, poursuites bâillon…
Elena Pasca insiste sur les propositions de la Fondation Sciences Citoyennes, portées également par le réseau ETAL, sur la nécessité de créer une Haute autorité de l’expertise et de l’alerte, qui définirait le statut de l’expert et les modalités de l’expertise sur plusieurs plans. Les experts seraient tenus de déclarer auprès de cette Haute autorité leurs conflits d’intérêts en totalité, alors que les déclarations publiques actuelles sont incomplètes et non suivies. Cette Haute autorité aurait un pouvoir de contrôle et de sanction. Elle permettrait – en réponse à la saisine par des associations, par exemple -, de mettre en place des expertises contradictoires, des « contre-expertises », y compris en faisant appel à des formes d’expertise citoyenne.
La Haute autorité de l’expertise garantirait également un fonds financier, de sorte que les associations et des citoyens dont les moyens sont dérisoires face à la puissance financière des industriels puissent financer des expertises et contre-expertises sous différentes formes.
Les seuls qui permettent de briser ce système verrouillé sont les lanceurs d’alerte, or ils n’ont aucun statut et sont d’autant plus exposés aux poursuites-bâillon, comme on l’a vu avec le procès intenté par le lobby du sel à Pierre Méneton, entre autres.
La Haute autorité définirait aussi un statut juridique des lanceurs d’alerte garantissant leur protection et se saisirait des dossiers d’alerte. (Les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont déjà légiféré sur la protection des lanceurs d’alerte, cela demande réforme du droit du travail et de l’expression). La Fondation Sciences Citoyennes a fait des propositions en ce sens.
Enfin, un moyen d’expertise qui échappe aux conflits d’intérêts, ce sont les conventions de citoyens, sur lesquels un groupe d’experts de diverses spécialités mis en place par la Fondation Sciences Citoyennes a formulé un projet de loi.
Le réseau ETAL communiquera au Sénat les projets de loi et les propositions élaborés par la Fondation Sciences citoyennes sur ces questions, entre autre dans le cadre du Grenelle de l’environnement. (Certaines de ces propositions sur l’expertise, l’alerte et les lanceurs d’alerte ont été reprises dans un rapport de Corinne Lepage).
Jean-Léonce Dupont : « vous êtes au-delà du sujet sur lequel nous avons travaillé. Nous procédons par étape. La mise en question de l’expertise telle que vous la présentez pose beaucoup de problèmes mais dépasse le cadre de notre réflexion. M. Dupont estime que la présentation de la situation de l’industrie pharmaceutique faite par Elena Pasca est « effrayante ».
Elena Pasca insiste : le Sénat doit élargir le niveau de son intervention à ce qui se passe en amont, au niveau de l’expertise, car cette base sur laquelle reposent les décisions des élus est déjà déformée dans le sens des intérêts privés des lobbies / industries. La seule réglementation du lobbying direct ne résoudrait en rien le problème que pose l’omniprésence des conflits d’intérêts.
[Jean-Léonce Dupont ayant donné des exemples de sollicitations multiples par des groupes et des individus réclamant la satisfaction de leurs intérêts privés et la difficulté d’y voir clair quant aux conflits d’intérêts], Elena Pasca ajoute que nous comprenons ces difficultés, mais nos propositions visent justement à donner aux élus des moyens qui les aident à porter cette confrontation d’intérêts à un «&nbs
p;niveau supérieur de réflexion », celui de l’intérêt général. Les conventions de citoyens sont un tel moyen, un mécanisme participatif à l’expertise et à la décision ; là, il s’agit de citoyens qui n’ont pas de conflits d’intérêts. En outre, les conventions permettraient aux élus de savoir ce que pensent des citoyens représentatifs sur diverses questions d’intérêt général, de façon autrement plus utile que par les sondages… On peut comprendre qu’il n’y ait pas de réponse possible tout de suite, mais le Sénat peut mettre en œuvre une réflexion sur la question dans sa globalité, sur l’ensemble de ce système verrouillé par les conflits d’intérêts.
Yveline Nicolas renchérit sur le thème des poursuites-bâillon de manière à souligner que le lobbying emprunte des voies variées. Elle l’illustre avec le cas du MDRGF (Mouvement pour le droit et le respect des générations futures), membre du réseau ETAL, qui fait l’objet d’une poursuite par la Fédération Nationale des Producteurs de Raisins de Table, qui réclame 500 000 euros suite à la publication d’analyses de pesticides dans les raisins de tables réalisées en novembre 2008 avec d’autres associations européennes. Yveline Nicolas précise que le Canada vient d’adopter une loi pour contrer les abus des poursuites-bâillon, qui en se développant deviennent une menace pour le pluralisme et le débat démocratique, car elles visent à écraser des associations qui n’ont pas les mêmes moyens que les entreprises.
Jean-Léonce Dupont revient à la proposition de la Haute Autorité de l’Expertise. « Comment dans le système que vous décrivez, cette institution pourrait-elle garder son indépendance ? »
Yveline Nicolas indique qu’il existe différentes procédures pour des débats pluralistes, dont l’organisation est codifiée, transparente, avec la publication des calendriers des débats, des interventions, des auditions sur des sites web. Elle donne l’exemple du Grenelle de l’environnement, avec son format de débat en collèges d’acteurs (associations, entreprises, syndicats, collectivités et élus, discutant avec l’administration), selon des groupes de travail thématiques avec un calendrier, une publication des rapports, etc. Cela a été très loin d’être parfait en raison de l’inégalité des moyens entre acteurs, mais a eu le mérite de donner une place à l’expertise des ONG. En tout cas, c’est déjà plus transparent que de laisser chacun agir en ordre dispersé selon ses moyens et son accès aux décideurs.
Situation des élus, projet de règlement du Sénat… 
Jean-Léonce Dupont : « Vous citez des domaines – ceux de l’environnement – où les experts peuvent afficher des positions terriblement opposées. Ce qui prouve à quel point la prise de décision peut être difficile. Notre première étape d’encadrement du lobbying a des objectifs plus modestes. Mais, dans une démocratie, la raison d’être des élus est précisément de faire preuve de discernement vis-à-vis des opinions et des intérêts opposés qui leurs sont soumis. Quant aux règles en préparation au Sénat, il s’agit d’une première étape, visant à encadrer les conditions d’accès et d’intervention des groupes d’intérêts.
Jean-Pierre Roux : il faut aussi prendre en compte la question du cumul des mandats, qui amène au clientélisme. On sait à quel point les maires des grandes villes usent de leur statut de parlementaire pour le renouvellement de leur mandat. Généralement les élus nous répondent « Il faut que nous ayons les pieds dans la glaise ». C’est en fait une particularité française tout à fait inenvisageable dans les pays du Nord par exemple.
Jean-Léonce Dupont : « je rappelle la particularité du Sénat qui est de représenter les territoires ». Il faut que vous intégriez ce qu’est le Sénat.
[Illustration: blog Université du Minnesota: conflits d’intérêts]
A la demande d’Yveline Nicolas, Jean-Léonce Dupont décline les types de structures qui ont été auditionnées par le groupe de travail du Sénat sur les groupes d’intérêts. Il s’agit de représentants d’entreprises considérés comme lobbyistes, de lobbyistes organisés en réseaux et de l’ONG Transparency International. Les comptes-rendus ne sont pas publics.
Jean-Pierre Roux rappelle que la réhabilitation du politique passe par un encadrement du lobbying et l’élimination des conflits d’intérêts. Il déplore qu’il n’y ait pas de volet sanction dans les règles de l’Assemblée et demande ce qu’il en sera au Sénat concernant à la fois les lobbyistes et les élus.
Réponse de Jean- Léonce Dupont : une sanction consistera à exclure le lobbyiste d’un droit d’accès au Sénat.
Yveline Nicolas demande si les règles du Sénat seront soumises au débat public avant d’être adoptées. Réponse de Jean-Léonce Dupont : « non car c’est une décision qui dépend du bureau du Sénat et concerne un règlement intérieur ».
A la question d’Yveline Nicolas : « considérez-vous que les associations à but non lucratif ou les administrations publiques sont à mettre sur le même plan que les lobbyistes défendant des intérêts privés ? », Jean-Léonce Dupont répond : pour l’instant nous n’avons pas envie de faire de différence parmi les différentes catégories de gens qui accèdent au Sénat. Ça ne veut pas dire que tous les lobbyistes s’y prennent de la même manière, qu’ils ont les mêmes moyens et les mêmes effets. Mais ça n’exclut pas le fait que même des acteurs publics fassent du lobbying, comme par exemple en France, dans le domaine du nucléaire.
Yveline Nicolas : le réseau ETAL est d’accord sur le fait que le secteur du nucléaire fait du lobbying.
Le réseau ETAL indique enfin qu’il rassemblera et transmettra un dossier avec les propositions, textes de lois, procédures existant dans d’autres pays, sur les thèmes évoqués de l’expertise citoyenne, de l’expertise scientifique indépendante, des conflits d’intérêts et des poursuites-bâillon. »
D’autres textes du réseau ETAL
- Le communiqué suite à l’audition au Sénat, à lire sur cette page.
- D’autres textes d’ETAL traitant de variations sur le même thème du lobbying sont accessibles à partir de cette page du site d’Adéquations.
- Sur la question des conflits d’intérêts, de l’expertise citoyenne, des conventions de citoyens, des lanceurs d’alerte et de la Haute autorité de l’expertise et de l’alerte, voir le site de la Fondation Sciences Citoyennes.
Mes « liens » et une question
Je fais partie de la Fondation Sciences Citoyennes que j’ai l’honneur et le plaisir de co-représenter, avec l’excellent Jacques Testart, dans le cadre d’ETAL. C’est à ce titre que je suis intervenue moi aussi lors de cette audition: pour exprimer les critiques et les propositions communes au sujet des conflits d’intérêts. J’ai aussi poussé un coup de gueule lors de la table ronde du 10 décembre à la HAS et aurai l’occasion de revenir là-dessus à travers un communiqué de la Fondation Sciences Citoyennes.
Coup de gueule parce que, vu les enjeux énormes – les conséquences des conflits d’intérêts en matière de santé -, entendre les discours de congratulation sans réagir était au-dessus de mes forces.
Pierre Chirac – qui représentait la revue « Prescrire » – a certes rappelé certains points névralgiques et les différences entre le « monde réel » et le « monde idéal » de ces discours, mais avec une réserve et une politesse exquises. Au point de se demander si un tel discours ne fait pas, objectivement, le jeu des leaders d’opinion qui vantent le système en place. Puisqu’ils peuvent dire: regardez, on invite les critiques, ils sont libres d’intervenir, mais même eux n’ont pas de reproches forts à formuler. La question doit être posée. Objectivement, par sa position très molle, la présence de la revue « Prescrire » à un tel show constitue un alibi parfait tant qu’elle ne frappe pas les esprits par une intervention brisant le consensus de congratulation générale et de satisfecit global sans analyse critique. Ce qui ne veut dire en rien qu’elle cautionnerait le système, car il est évident que ce n’est pas le cas.
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Elena Pasca
Je suis écoeuré de l’attitude des représentants de la revue prescrire.
Depuis quelques années je trouve leurs indignations de plus en plus molles, bien vagues à tel point que je ne les comprends pas toujours, un manque de critique caractérisé, des prises de position pro vaccins non fondées, et contre le vaccin de la grippe A, bien tardive, mollassonne, du genre « ‘à tiens! ben ça alors! p’têt’ ben qu’non ».
Faut-il rappeler que M. PIERRE CHIRAC de la revue prescrire est pharmacien de son état et n’est pas la personne habilitée à siéger à un tel colloque?
Pour mémoire la rédaction de cette revue au fonctionnement abscons fait appelle à beaucoup de pharmaciens.
Cela pourrait expliquer des prises de positions qui n’en sont pas quand on compte 6 pharmaciens contre 5 médecins dans les « REDACTEURS SENIORS », 14 pharmaciens contre 11 médecins dans les rédacteurs juniors…
Cette revue s’appelle « prescrire », quand j’y songe…
Peut-être serait-il temps que nous médecins reprenions aussi le flambeau de cette pharmacovigilance et cessions de faire confiance à cette revue « prescrire ».
Il aura fallu une journaliste philosophe, Eléna, pour m’ouvrir les yeux, car hormis une résistance passive et active auprès de mes patients je ne fais pas grand chose.
MGFRANC
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Quel mépris pour les pharmaciens…..Le pharmacien n’est il pas le spécialiste du médicament, et par conséquent le mieux placé pour en faire la critique…?
Je trouve fort dommage qu’il n’y ait à ce jour pas plus de coopération médecin/pharmacien, leurs domaines sont pourtant complémentaires…..
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A MGFranc,
Vous avez certainement retenu de moi l’aspect coup de gueule spontané. Il faudra que je fasse quelques articles du genre modéré, pour compenser ;-))
Ne vous laissez pas influencer, par moi non plus.
Pour ce qui me concerne:
J’ai certes critiqué certaines positions de la revue « Prescrire », les caractérisant justement de « mollassonnes », par exemple pour le Gardasil. J’ai déploré une trop grande confiance dans les vaccins et l’absence de réaction quant à la grippe A (la réaction a fini par arriver, mais elle a été mollassonne, oui).
J’ai critiqué dans un article sur ce blog la structure hiérarchique rigide et certains autres défauts de « Prescrire », et je crois que personne ne peut contester ces défauts-là.
Le travail de la revue, je le compare à celui de sa grande soeur « Arznei-Telegramm » (indépendante, membre de l’ISDB, 40 ans de coups de gueule, pas de bévues), et il est certain qu’il n’est pas facile de faire de même, d’autant que la rédaction allemande est autrement plus ouverte…
Mais je ne voudrais pas qu’on me prête des propos qui ne sont pas les miens: je n’ai nulle part rejeté « Prescrire » en bloc. Au contraire, je lui fais de la publicité (pas plus tard que la semaine dernière, dans une émission de radio, par exemple).
Les critiques sont constructives; à mon avis, elles sont nécessaires pour que la revue se débarrasse des défauts en question en prenant exemple sur sa grande soeur allemande.
« Prescrire » souffre à coup sûr du fait que certains la citent comme si c’était une bible, ajoutant même « bssn », sans vraiment rigoler… Ils en font un dogme, et c’est bien dommage. A mon avis, cette attitude est en elle-même de nature à déclencher des réactions comme la vôtre.
A propos des pharmaciens
Je n’ai jamais eu une attitude corporatiste, quelle que soit la corporation, et ne partage pas du tout vos remarques quant aux pharmaciens vs. médecins. « C » a raison, il faudrait coopérer, pas se tirer dans les pattes. (Mais pas non plus dire qui serait « le mieux placé », parce qu’il y a aussi le pharmacologue, côté médecins, qui pourrait prétendre être « le » spécialiste du médicament. Justement, si on y pense, le problème est qu’il y a peut-être un peu trop de spécialistes, un débat un peu trop feutré, limité aux chapelles.)
Je ne savais pas que Pierre Chirac est pharmacien, et franchement, médecin ou pharmacien ou autre, cela ne m’intéresse pas du tout. J’ai critiqué sa réserve, sa trop grande politesse en tant que représentant de « Prescrire », qui est restée inaudible.
Cela n’a rien à voir avec sa personne, avec sa formation, avec son travail – il n’a certainement pas exprimé une opinion individuelle, et la modération n’est pas non plus une question de personne, à mon avis. Si la revue voulait un discours plus offensif, elle aurait les moyens de l’exprimer.
Je suis mal à l’aise à l’idée que mes propos puissent être interprétés comme une attaque personnelle, parce que l’intention n’est pas du tout celle-là.
Si jamais il le comprend comme ça, je lui envoie mes excuses.
Quel que soit son représentant, je veux une revue « Prescrire » plus offensive, parce que le discours actuel sonne comme le critique de service, auquel plus personne ne fait attention, qui est là pour la forme, invité pour que les apologètes du système actuel puissent dire qu’ils sont ouverts à la critique, transparents, etc. A mon avis, il faudrait soit refuser de participer, soit y aller pour taper du poing sur la table de façon à la secouer sérieusement.
Mais je comprends que ce n’était pas facile de se faire entendre à côté de la star de la soirée, Christian Vigouroux, charmeur et charismatique, en plus de la fonction régalienne de conseiller d’Etat… Ou encore à côté de Nicolas Danchin avec ses diapositives disant à quel point ce système avec ses conflits d’intérêts est merveilleux, puisqu’il a permis une baisse de la mortalité cardiovasculaire en France, grâce aux médicaments anti-hypertenseurs et anti-diabétiques…
Comment le Pr de cardiologie Nicolas Danchin peut-il affirmer de telles choses sans que quiconque émette une objection quelconque? Comment peut-il se permettre de commencer son speech par une diapositive qui liste les labos qui le paient, tout en rigolant, en tournant cette transparence en dérision?
Qui peut encore croire à une telle transparence?
Pourquoi le représentant de Prescrire (et peu importe comment il s’appelle) n’a-t-il jamais essayé de formuler un bémol, quelle que soit la nature des allégations des uns et des autres?
Un mot encore de l’habilitation
La directrice juridique du LEEM serait-elle « habilitée », elle, à « siéger » à un tel colloque? (Je ne sais pas non plus quelle est sa qualification, et, là encore, cela n’a pas d’importance).
Tout citoyen est « habilité » à débattre; d’autant plus qu’il ne s’agissait pas de se prononcer sur des questions techniques au sens strict, mais de débattre des conflits d’intérêts dans l’expertise en général. (Enfin, il n’y a pas eu de débat du tout, mais le thème était celui-là).
C’est vrai qu’on ne réfléchit habituellement pas au fait que les pharmaciens ont eux aussi des conflits d’intérêts.
« Prescrire » a raison de les impliquer, de les responsabiliser.
Je reviens à mon exemple préféré, Arznei-Telegramm. Son directeur, l’excellent Wolfgang Becker-Brüser, est médecin et pharmacien. Qui dit mieux?
Vous savez, à vous lire tous les deux, MGFranc et C, je me dis que c’est à nous, citoyens lambda qui ne sommes en rien spécialistes du médicament, de vous mettre tous les deux devant vos responsabilités et critiquer vertement une attitude digne de « la poutre et la paille ».
Et l’habilitation, on doit la prendre, pas attendre que quiconque nous la donne!
Bien à vous.
Elena
(Je m’en vais traduire un texte de ma principale référence, très différent de ce que peut dire la petite soeur française).
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Merci pour votre vigilance et vos alertes.
continuez à faire circuler l’information, j’en ferai de même à ma modeste mesure.
F.Joseph
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Pierre Chirac a-t-il des liens de parenté avec Jacques Chirac ?
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D’accord avec vous PHARMACRITIQUE, la responsabilité totale du corps médical est indubitable :
-participation à des « congrès-vacances » intégralement payés par les labos,
-pseudo formations médicales continues du soir(FMC) avec restau gastronomique et surtout précédés de la présentation du médicament, dont le niveau est affligeant mais le marketing redoutable,
-grand-messes annuelles pour tous (comme le salon du médec) où s’auto congratulent les labos
-représentants des labos « at home » avec cadeaux, brosse à reluire, joli(e)s sourires
-presse médicale 100% émmanation des labos
-études bidons, manipulations des chiffres, pseudo-leaders d’opinion, etc, etc.
Ce bilan est effroyable, déprimant, honteux…
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la modération de Pierre Chirac est une qualité dont je suis moi-même tout à fait incapable
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Merci Eléna,
bonne et heureuse année !
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Et ces conflits d’intérêts ont vu leur summum lorsque le CPA a géré la politique de prévention dans l’affaire de l’amiante. France 2 diffuse d’ailleurs le 28 janvier en seconde partie de soirée un documentaire sur la question : « 100.000 morts ».
MC
http://www.lobbycratie.fr
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