Le Baker IDI Heart & Diabetes Institute est l’une des plus grandes institutions australiennes de recherche dans les maladies cardiovasculaires, le diabète et l’obésité. Son directeur annonçait dans un communiqué en date du 1er mai qu’il allait recevoir un financement « novateur » de Sanofi-Aventis : 25 cents pour chaque boîte de Plavix (clopidogrel, un anticoagulant) vendue dans les pharmacies. Il espérait une « donation » pouvant aller jusqu’à 500.000 dollars australiens (plus de 280.000 euros) pour l’année 2009. Sans se soucier le moins du monde de la pression et de l’influence sur les prescripteurs dont l’indépendance est compromise s’ils s’adaptent à de tels « accords » commerciaux, même s’ils sont soi-disant conclus après des « négociations prudentes et méticuleuses » entre Sanofi et l’institut Baker IDI. Celui-ci fait de facto de la publicité pour des intérêts privés tout en étant lui-même à but non lucratif, donc considéré comme une source fiable d’informations médicales non commerciales.
Après tout, disait ce même dirigeant, il faut bien trouver des financements pour des domaines de recherche aussi importants. Selon lui, cet accord serait exemplaire dans la mesure où la firme pharmaceutique n’aurait pas son mot à dire sur la façon d’utiliser une somme d’argent qui aurait servi autrement aux dépenses marketing de Sanofi-Aventis. (Comme si cette « donation » n’était pas du marketing…)
L’arrangement n’était pas destiné à rester secret, tout le contraire. Il a été mentionné dans des publicités communes pour le Plavix, portant le logo de Sanofi-Aventis et du Baker IDI, parues entre autres dans le journal de médecine générale The Australian Doctor. Sanofi-Aventis aurait déjà fait une « donation » (en fait un investissement à des fins de marketing sans rien de charitable…) de plus de 100.000 dollars australiens.
Voici l’une des publicités parues dans un journal médical et donnée comme exemple par l’émission de télévision « Insight » de SBS, sur laquelle nous reviendrons:
Première partie: « David n’est pas le seul à bénéficier du Plavix ».
Le chien de garde de l’industrie elle-même a mis fin à ces arrangements
C’est ce qu’on apprend le 21 mai dans le journal The Australian : « Sanofi-Aventis fined for $500k drugs deal linked to prescription sales » (Sanofi-Aventis devra payer une amende pour son deal de 500.000 dollars).
Le comité de surveillance de l’application du code de bonne conduite établi par l’association de l’industrie pharmaceutique Medicines Australia a demandé à Sanofi-Aventis d’arrêter toute forme de « donation » ou de financement qui serait liés aux ventes de ses produits. Le laboratoire doit aussi payer une amende de 25.000 dollars australiens. Le comité de surveillance considère que cet accord est intervenu en violation d’une disposition du Code de bonne conduite stipulant l’interdiction de tout ce qui pourrait « interférer avec l’indépendance d’un professionnel de santé en matière de prescriptions ou de soins ».
Sanofi-Aventis n’a pas souhaité répondre immédiatement, arguant qu’il ne disposait pas encore de la décision dans son intégralité.
Quant au directeur de l’Institut Baker IDI, il se dit déçu par la décision, mais espère que l’arrangement avec Sanofi-Aventis pourra se poursuivre sous une autre forme.
Le Crikey Health Blog commente à quel point cet arrangement très habile est de nature à influencer les prescriptions sans en avoir l’air. On suggère aux lecteurs du journal de médecine générale – et à d’autres qui ont vu la même publicité ailleurs – qu’ils peuvent faire une bonne action en prescrivant du Plavix, faire un don qui ira augmenter le budget de la recherche et de la prévention en matière cardiovasculaire. A l’opposé des critiques présentant des médecins influencés par les dons et les cadeaux de l’industrie pharmaceutique, cette fois-ci, ce sont eux qui donnent, et ce sans rien recevoir en échange, donc de façon désintéressée. Cela donne bonne conscience et aide à redorer le blason…
Voici la deuxième partie de la même publicité: Une donation de 100.681 dollars (australiens) a déjà été faite au Baker IDI. Cela peut monter bien plus haut. Sous-entendu: prescrivez du Plavix et tout le monde en bénéficiera à travers le financement de la recherche.
La note du Crikey Health Blog s’intitule à juste titre « Who’s the loser with this clever drug company campaign?” (Qui est le perdant dans cette campagne promotionnelle astucieuse?). Le Baker IDI et le public, bien entendu. Tout comme certains médecins qui se laissent instrumentaliser une fois de plus. L’influence sur les prescriptions est inadmissible, même présentée de la sorte. Quant au nom du seul gagnant, il ne fait plus de doute. Là, ce n’est plus du ghost management – la gestion fantôme ubiquitaire de tout ce qui concerne de près ou de loin les médicaments –, mais une nouvelle forme de publicité ouverte…
Philanthropie ? Que nenni !
C’est incroyable qu’une institution de recherche de la réputation du Baker IDI Heart & Diabetes prête son logo au marketing de Sanofi-Aventis, au point d’apparaître ensemble sur des publicités pour un médicament. Quoi qu’en dise le directeur du Baker, il fait de la publicité pour le Plavix, et, étant une autorité reconnue dans ce domaine, l’institut exerce une sorte de chantage mâtiné de culpabilisation : les médecins qui ne prescriraient pas le Plavix – ou pas assez, etc. – seraient co-responsables des impasses de la recherche, faute de financements.
Si Sanofi-Aventis avait vraiment voulu faire une « donation », elle aurait été inconditionnelle, pas liée au nombre d’ordonnances prescrivant du Plavix. On voit encore une fois que les laboratoires n’ont rien de philanthropique, qu’« un cadeau [des firmes] est toujours plus qu’un cadeau », selon Ashley Wazana, dont le texte de référence est paru en 2000 dans le JAMA sous le titre « Is A Gift Ever Just A Gift ? »
La même chose vaut pour les investissements dans les diverses formes de formation médicale continue, dans l’éducation thérapeutique et le glissement des financements vers le « marketing relationnel » (accès direct au patient), dans l’« aide » aux associations. Bref, partout où l’industrie finance quelque chose, elle attend un retour sur investissement calculé d’avance. Et il faut reconnaître qu’elle sait adapter ses stratégies…
Qu’est-ce que le Plavix et quelle est sa position sur le marché ?
Le Plavix (clopidogrel) est un anticoagulant/ antiagrégant plaquettaire utilisé en prévention des accidents athérothrombotiques (caillots sanguins) chez les patients ayant certains antécédents cardiovasculaires.
Pour plus de détails sur les indications, les mises en garde et les effets secondaires, voir le RCP européen (résumé des caractéristiques du produit, ici en français) et celui des Etats-Unis, sur le site de Sanofi.
Pas étonnant que Sanofi-Aventis cherche à consolider la position du Plavix, vendu en France en collaboration avec la firme BMS (Bristol Myers Squibb). Il est déjà le deuxième médicament le plus vendu au monde, avec un chiffre d’affaires de 8,6 milliards de dollars à lui seul, comme nous l’apprend cet article des Echos, dont nous tirons aussi le graphique montrant les 10 premières molécules les plus vendues.
Les concurrents se bousculent au portillon
Sanofi veut pousser sa poule aux œufs d’or à engranger au plus vite encore plus de profits, en prévision des vaches maigres à venir, pour cause de concurrence. Une douzaine de demandes d’homologation d’un clopidogrel générique – contenant un composant insignifiant modifié, de façon à court-circuiter le brevet – circulent en Europe, et certaines pourraient aboutir dès cet automne 2009, avant même l’expiration du brevet du Plavix. Celui-ci s’étend jusqu’en 2011 aux Etats-Unis et jusqu’en 2013 en Europe et au Japon. La question des copies par des génériqueurs (Ranbaxy, Mylan…) est exposée en détail dans l’article déjà cité des Echos : « Sanofi-Aventis : des fabricants de génériques veulent copier le Plavix », en date du 13 mai.
Le danger vient aussi de la concurrence par d’autres anticoagulants tels Efient (prasugrel, voir son RCP européen) d’Eli Lilly, plus efficace dans la réduction des accidents ischémiques et des thromboses de stent, mais au prix de plus de saignements graves, y compris mortels. C’est la conclusion de l’étude TRITON-TIMI dont les résultats ont été publiés en novembre 2007 dans le New England Journal of Medicine (« Prasugrel versus Clopidogrel in Patients with Acute Coronary Syndromes« ).
En outre, le Plavix sera bientôt concurrencé par le Brilinta (ticagrelor) d’AstraZeneca, qui montrerait de meilleurs résultats dans un essai de phase III. Voir cet article du 12 mai du Wall Street Journal : « AstraZeneca Says Brilinta Beats Plavix in Clinical Trial » ou encore la nouvelle relayée par Radio BFM : « AstraZeneca : Brilinta bat Plavix en phase III ». Ainsi, « AstraZeneca a souligné que l’étude menée, appelée PLATO, sera publiée en août prochain et confirmé que le Brilinta sera soumis à l’approbation des autorités au quatrième trimestre, pour une future commercialisation de ce médicament, qui empêche la formation d’un caillot de sang dans un vaisseau sanguin. »
De scandale en scandale… En 2008, la campagne « éducative » de Sanofi sur les caillots sanguins faisait rage. Pour vendre du Lovenox
Cette note de Pharmacritique rend compte d’un article de Ray Moynihan dans le British Medical Journal, dénonçant la campagne publicitaire déguisée menée par Sanofi-Aventis en Australie à propos des caillots sanguins. Ceux-ci seraient l’ennemi public numéro un – il doit y en avoir pas mal, entre le cholestérol, les papillomavirus, la dépression, etc. –, et il faudrait les combattre à tout prix, quitte à prescrire massivement des anticoagulants, et notamment le Lovenox (énoxaprine). Pas besoin de nommer explicitement le Lovenox, il suffit de vendre la maladie pour vendre le médicament du laboratoire qui finance la campagne soi-disant informative… Tout le monde comprend, et la firme en question peut affirmer ce qu’elle veut, puisque, du moment que le médicament n’est pas nommé et que l’interdiction de la publicité directe est ainsi « respectée », il n’y a pas d’obligation de mentionner les effets secondaires des traitements et autres détails déflationnistes.
Il se trouve que Ray Moynihan a eu raison. Ses investigations ont été confirmées par la suite, lorsque les conflits d’intérêts du groupe d’experts qui a rédigé les recommandations officielles sur la prévention des complications thromboemboliques ont été mis en évidence. Sanofi-Aventis a donné le « la » aux experts… Le Crikey Health Blog en parle et donne des liens dans le billet appelé « The blood clot controversy thickens » (La controverse autours des caillots sanguins s’épaissit).
Le même blog contient d’autres billets sur cette promotion inédite du Plavix:
- Some responses to the deal between Sanofi-Aventis and the Baker
- Some more thoughts on the Baker/Sanofi deal
Elena Pasca
encore un coup de SANOFI aux 9 milliards d’euro de bénéfices en 2010 :
MULTAQ !!!
médicament qui doit remplacer amyodarone, 8 fois plus cher, bien moins efficace qu’amyodarone, et déjà quelques casseroles, moins bien toléré chez mes quelques patients traités, lutte contre les cardio hospitaliers pour faire stopper ce produit à mes patients, notamment des hépatites mortelles et tous mes patients traités montrant des perturbations hépatiques, une AMM restrictive aux USA, bref un fiasco qui sera soit sanitaire, soit commercial selon la réussite ou non de cette nouvelle » blague ».
Merci Sanofi, tu vas encore nous faire rire (jaune) dans ce concours macabre avec Servier et consors
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