L’éducation thérapeutique des patients abandonnée à l’industrie pharmaceutique par le Sénat (Collectif Europe et Médicament)

Le Collectif Europe et Médicament fait une lecture critique du projet de loi HPST (« Hôpital, patients, santé, territoires » ou « loi Bachelot ») en ce qui concerne Collectif Europe et Médicament.jpgl’éducation thérapeutique des patients : « Ã‰ducation thérapeutique des patients (ETP) : bientôt abandonnée aux firmes pharmaceutiques?« .

Les sénateurs sont en train de légitimer par la loi l’intrusion des conflits d’intérêts majeurs des laboratoires jusque dans la vie privée des malades et de leurs familles, en permettant que des intérêts privés soient impliqués dans l’exercice des mesures d’accompagnement des malades et en rendant la conception des programmes d’accompagnement, d’observance du traitement – et d’éducation thérapeutique en général – par les associations des patients dépendante du financement industriel. Les firmes s’assurent ainsi un précieux accès direct aux malades, précieux parce qu’il représente un moyen direct d’influence par toutes sortes de tactiques publicitaires.

Cela s’inscrit dans la tendance des firmes à miser de plus en plus sur le rapport direct aux patients, sur le « marketing relationnel », comme nous l’avons dit dans cette note qui rend compte d’une analyse économique: « Des visiteurs médicaux aux publicités à la télévision : le marketing des laboratoires se recentre sur les patients et les pharmaciens« .

D’autres notes des catégories « Publicité directe pour les médicaments » et « Autorités d'(in)sécurité sanitaire » abordent elles aussi le lobbying acharné de l’industrie pour que l’Europe lui permette d’entrer directement en contact avec le patient, en contournant la loi sur l’interdiction de la publicité directe, en finançant (et en participant à) des programmes dits d’observance du traitement ou d’accompagnement des malades, ainsi qu’en se positionnant comme une source prétendument objective et fiable d’informations santé. Rappelons dans ce contexte que l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) s’est opposée dans un rapport de 2008 à toute participation des firmes à des programmes d’observance / d’accompagnement – qui sont deux formes d’éducation thérapeutique…

D’autre part, l’industrie s’insinue de plus en plus dans les facultés de médecine, pour assurer elle-même l’enseignement de la thérapeutique et de la pharmacologie aux futurs médecins, comme nous l’avons dit en traduisant un article du British Medical Journal qui donne plusieurs exemples britanniques (voir cette note). Des facultés qui ne peuvent pas financer un département de pharmacologie font appel à des laboratoires qui leur fournissent des « enseignants »…

Selon le communiqué en date du 18 mai qui nous a été envoyé par la revue Prescrire, « Le Collectif Europe et Médicament encourage les sénateurs à consolider la position [critique] des députés en veillant à :

  • – maintenir l’interdiction de tout contact direct ou indirect des firmes pharmaceutiques avec les patients et leur entourage ;
  • – garantir la confidentialité des données recueillies dans le cadre de l’éducation thérapeutique et de l’accompagnement des patients, afin qu’elles ne soient pas utilisées à des fins commerciales ;
  • – proposer la création d’un fonds public national d’éducation thérapeutique. Â»

Voici le texte du communiqué:

« Une éducation thérapeutique de qualité est un enjeu majeur d’amélioration de la qualité des soins et de la qualité de vie des patients et de leur entourage.

En avril 2009, lors du passage du projet de loi portant sur la réforme de l’Hôpital, et relatif aux patients, à la santé et aux territoires (dite « loi Bachelot ») devant les Députés, ceux-ci ont clairement souhaité protéger les patients de toute influence directe ou indirecte des firmes pharmaceutiques dans les domaines de l’éducation thérapeutique et des actions d’accompagnement (y compris via les programmes dits d’ »apprentissage »).

Le Collectif Europe et Médicament s’est félicité de cette mesure importante pour éviter la mainmise des firmes pharmaceutiques sur les missions des autres acteurs de la santé (patients/usagers, leur entourage et leurs organisations ; professionnels de santé ; autorités sanitaires). Cette mesure reprenait d’ailleurs les préconisations argumentées du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de 2008.

Un amendement plaçant l’éducation thérapeutique sous le contrôle de l’industrie pharmaceutique.

Malheureusement, en Commission sénatoriale, un amendement inquiétant a été introduit :

«_Toutefois, ces entreprises et ces personnes [entreprises pharmaceutiques ou du dispositif médical] peuvent prendre part aux actions ou programmes mentionnés aux articles L. 1161-2 et L. 1161-3 [programmes d’éducation thérapeutique et actions d’accompagnement] dès lors que des professionnels de santé et des associations mentionnées à l’article L. 1114-1 [associations de patients] élaborent et mettent en oeuvre ces programmes ou actions ».

Cet amendement place le développement de l’éducation thérapeutique sous le contrôle de l’industrie pharmaceutique (a). Et il rendra les associations de patients dépendantes du financement industriel pour la mise en oeuvre d’actions d’éducation thérapeutique.

Après avoir souligné l’importance des enjeux de l’éducation thérapeutique dans un récent communiqué de presse (4 mai 2009), la Haute Autorité de Santé (HAS) a d’ailleurs alerté sur ce risque. Risque accru dans un contexte où les firmes pharmaceutiques réorientent leur marketing vers le grand public, les patients et leurs organisations.

Le rapporteur de la Commission des Affaires sociales du Sénat, Monsieur Alain Milon, a justifié cet amendement en arguant qu’il répond à une demande de certaines associations de patients (b). C’est oublier un peu vite la demande initiale des associations de patients et la recommandation 19 du rapport Saout, Président du Collectif Interassociatif sur la santé (CISS) : « Le financement des activités et des programmes d’éducation thérapeutique du patient devra être assuré (…) sur un fonds national clairement identifié et réparti au niveau régional sur les futures ARS » (1).

Proposer une autre voie pour le développement d’une éducation thérapeutique indépendante de qualité, au service des patients.

Les programmes d’éducation thérapeutique qui répondent réellement à l’intérêt des malades, les seuls à Ã
ªtre légitimes, doivent être conçus sereinement, sans pression d’origine commerciale. Le Collectif Europe et Médicament défend ainsi l’idée que
l’éducation thérapeutique des patients mérite la création d’un fonds public national, qui pourra notamment être alimenté par des taxes sur les dépenses promotionnelles des firmes pharmaceutiques (et agroalimentaires dans le cadre de la lutte contre l’obésité, l’alcoolisme, etc.).

Le Collectif Europe et Médicament encourage les Sénateurs à consolider la position des Députés en veillant :

  • à maintenir l’interdiction de tout contact direct ou indirect des firmes pharmaceutiques avec les patients et leur entourage ;
  • à garantir la confidentialité des données recueillies dans le cadre de l’éducation thérapeutique et de l’accompagnement des patients, afin qu’elles ne soient pas utilisées à des fins commerciales ; et
  • à proposer la création d’un fonds public national d’éducation thérapeutique.

Les amendements déposés en ce sens sont notamment les amendements N° 517 et 518, N°520, N° 522 à 529, N°556, N°647, N°790 et 791 et N°900.

Le Collectif Europe et Médicament

Notes

a- La littérature marketing pharmaceutique est claire : les programmes dits « d’éducation thérapeutique » financés et/ou initiés par les firmes pharmaceutiques ont pour objectif premier la fidélisation des patients à certains médicaments, afin d’augmenter leurs ventes au long cours. Et l’analyse des programmes déjà soumis à l’Agence française des produits de santé montre que ces programmes ne sont pas justifiés par des raisons médicales, mais destinés au sauvetage économique de médicaments à éviter parce que leur balance bénéfices-risques est défavorable ou parce qu’il existe de meilleurs choix pour les patients (lire l’annexe 5 du Rapport de l’IGAS : http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000049/0000.pdf).

b- M. Alain Milon : « S’agissant de l’implication des entreprises, l’Assemblée nationale a jugé insuffisantes les garanties éthiques offertes par le texte initial ; elle a donc rendu quasiment impossible leur participation aux différents programmes et actions. Ce qui inquiète les associations qui dépendent d’elles pour leur financement » (compte rendu du débat en séance du 12 mai 2009).

1- Saout C., Charbonnel B., Bertrand D. « Pour une politique nationale d’éducation thérapeutique du patient » http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000578/0000.pdf.

Dossier documentaire :

Analyse des programmes soumis à l’Agence française des produits de santé ; arguments marketing des firmes ; témoignages ; historique : www.prescrire.org/aLaUne/dossierObservanceFirmes2.php

Créé en mars 2002, fort de plus de soixante organisations membres réparties dans douze pays de l’Union, le Collectif Europe et Médicaments est composé des quatre grandes familles des acteurs de la santé : associations de malades, organisations familiales et de consommateurs, organismes d’assurance maladie et organisations de professionnels de santé. Â»

*

Elena Pasca

5 réflexions au sujet de “L’éducation thérapeutique des patients abandonnée à l’industrie pharmaceutique par le Sénat (Collectif Europe et Médicament)”

  1. Mais quelle bonne idée… ne sont-ce pas les pharmas qui sont le plus à même de conseiller sur leurs médicaments ? Il me semble que c’est la logique même que de faire confiance en leur savoir-faire scientifique légendaire, non ?
    Vive les pharmas. Leur mode de fonctionnement souvent prévisible mais parfois surprenant d’inventivité (et surtout… idéal) doit vraiment être appliqué à l’agriculture (cf. brevets OGM), à la politique, à l’art culinaire, à la sécurité, aux loisirs, aux poules carrées et au dentifrice. Un peu d’ordre ferait du bien à la société.
    L’avenir appartient aux propriétaires de pilules pour survivants d’un monde en loques.
    P.S. : La dernière phrase n’est pas ironique…

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  2. Bien vu, Gaël!
    Je crois de plus en plus que Pharmacritique vise juste quand elle dit que c’est à nous de sortir de l' »illétrisme médical » dans lequel tout le monde à intérêt à nous maintenir, quoique pour des raisons différentes. Renvoyons les médecins qui pratiquent une médecine du 19ème dos à dos avec les labos et apprenons à nous orienter dans cette jungle, à lire les indices et interpréter les signaux d’alarme!
    Cordialement

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  3. Il est évident que devant le matraquage médiatique des lobbys pharmaco-médicaux, la plupart des « patients » en puissance, dérésponsabilisés à l’extrême du contrôle de leur équilibre de santé (la maladie est forcément la faute à pas de chance, au méchant virus ou microbe agresseur, mais jamais à la personne qui aura tout fait (consciemment ou non) à mettre son système immunitaire à genoux…), feront toujours d’abord confiance à celui qui va leur promettre la pillule ou piqure miracle qui va le soulager instantanément de son mal.
    Lorsqu’on se rend compte que la petite blague du patient qui croise son médecin traitant dans la rue et que ce dernier lui demande machinalement « Comment allez-vous ? », le pas malade lui répond gêné : « Ã§a va bien docteur, excusez-moi…. ».
    Si on analyse ce gag d’un peu plus près, on est obligé de constater qu’un nombre EFFARANT d’individus VIT de la maladie de monsieur tout le monde. Et que tout ce beau monde a TOUT INTERET à ce que nous soyons malades le plus possible et le plus longtemps possible…
    Ceci posé, il ne reste plus qu’à tous ceux qui ont compris de diffuser ce genre d’info le plus largement possible. C’est par la prise en compte de ces lamentables réalités par un maximum de gens, que nous arriverons à « contrer » ce rouleau compresseur. Donc, informons autour de nous….

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  4. Le manque de moyens pour mettre en oeuvre l’éducation thérapeutique au sein d’un établissement hospitalier est une réalité ! En tant que paramédical je la vis au quotidien, en essayant de faire évoluer l’Unité créée il y a 4 ans.
    La loi HSPT et la création des ARS après un vent d’espoir d’avenir nous laisse un peu sceptique et inquiet : quelle aide pour notre hôpital qui a eu le courage de se lancer dans l’aventure malgré l’ère de la T2A??.
    Ma prochaine formation ? proposée par un labo pharmaceutique of course ..No coment…

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  5. bonjour,
    Nouvel infirmier dans un service de diabétologie, il n’a pas fallu 4 jours pour être abordé par des commerciaux de labos me couvrant d’attentions et même d’un cadeau de bienvenue (que j’ai refusé)… Je les attends au tournant lors de mes prochaines rencontres!
    Que la force de Pharmacritique soit avec moi!;)
    Minus

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