Décidément, la dysfonction érectile est à l’honneur ces temps-ci, comme on l’a vu avec la promotion du Viagra par la CIA…
On apprend que Consumers International, la fédération internationale d’associations de consommateurs, a décerné le prix Marketing Overdose à la firme Eli Lilly, pour avoir dépassé toutes les bornes dans le déluge publicitaire pour sa pilule Cialis (tadalafil), indiquée dans la dysfonction érectile. Les détails sont éloquents…
Pharmacommerce de la performance
La firme s’est fait taper sur les doigts à plusieurs reprises, mais qu’à cela ne tienne ! Début 2008, elle a même lancé une campagne publicitaire encourageant les couples à avoir plus de rapports sexuels. Voilà qui se charge de l’éducation sexuelle et de la santé des couples… Eli Lilly fixe la « normalité » à au moins deux rapports par semaine. Nous avons donc d’une part la médecine qui se mêle de tous les aspects de la vie, médicalise à tout va, créant des maladies nouvelles (disease mongering, voir cette catégorie) pour le compte de l’industrie pharmaceutique, et, d’autre part, le très lucratif pharmacommerce de la peur (Gardasil, médicaments anti-cholestérol, anti-ostéopénie et anti autres catastrophes imminentes). A cela s’ajoute de plus en plus le pharmacommerce de la performance comme le pharmacommerce des styles de vie (avec les lifestyle drugs, dont Pharmacritique s’est moquée dans cette note, par exemple) – et les médecins qui sont payés pour les promouvoir…
La performance n’est rien de nouveau dans un monde où il faut satisfaire tant d’intérêts économiques en consommant toujours plus. La création de besoins artificiels à travers une idéologie qui définit des standards de « normalité » valorisés par la société et qu’il faut atteindre est le propre de l’individualisme capitaliste et s’exacerbe sous le néolibéralisme, dans lequel on ne vit que par ce qu’on consomme, on se définit par ses possessions comme par sa jeunesse, sa flexibilité, son dynamisme, ses exploits médiatisés ou dignes de l’être…
Si on pense que les Japonais ne font l’amour qu’en moyenne 45 fois par an, selon une enquête d’une marque de préservatifs dans 41 pays, on se demande quelle est la mesure la plus efficace : diminuer le rythme crevant de travail dans ce pays, donner plus de congés payés, etc., ou apporter une pseudo-solution qui contente tous les intérêts économiques ?
Les chiffres
Les ventes du Cialis (tadalafil) ont rapporté 1,1 milliards de dollars en 2007, ce qui en fait l’un des produits les mieux vendus d’Eli Lilly. Mais ces résultats n’ont rien de surprenant, vu les 152 millions de dollars investis dans la publicité rien qu’aux Etats-Unis.
Une enquête de Consumers Union montre l’efficacité de la… publicité
Selon Consumers International, la dysfonction érectile est un commerce florissant, malgré le fait que certaines études indépendantes remettent en question l’efficacité des traitements médicamenteux. Une enquête menée par Consumers Union, membre de la fédération internationale, parmi les consommateurs a montré que seuls 49% des hommes les considèrent efficaces. Et un tiers d’entre eux disent avoir des effets indésirables.
La même enquête montre que ce sont surtout les hommes les moins susceptibles de souffrir de dysfonction érectile qui demandent aux médecins ce qu’il en est de ces médicaments. A commencer par ceux de moins de 40 ans. Cela s’explique par le fait que les publicités font figurer des acteurs qui n’ont tout au plus qu’une quarantaine d’années, pas plus de 60… Parmi les hommes ayant demandé une ordonnance à leur médecin après avoir vu la publicité, 63% en ont eu une. Enfin, l’usage « récréatif » et l’abus de tels médicaments se répandent parmi les jeunes hommes grâce à la possibilité d’achat sur Internet, sans ordonnance, donc sans diagnostic. Il est aussi intéressant de voir qu’un quart des hommes interrogés perçoivent le Cialis comme un médicament pour tous les hommes, pas seulement pour ceux qui souffrent de dysfonctions érectiles. Encore un médicament qui crée « sa » maladie !
Réprimandes pour la publicité contraire à « l’éthique » industrielle et occultant les effets secondaires
Les résultats de cette enquête ne sont pas étonnants ; ils montrent simplement que la campagne de publicité diffusée sur Internet, à la télévision et chez les prestataires de soins (brochures pour les salles d’attente, etc.) a parfaitement rempli ses objectifs. Le Financial Times avait attiré l’attention sur certains aspects douteux de ce matraquage publicitaire commencé en juillet 2008 autour du slogan « 40 après 40 », ce qui voudrait dire que 40% des hommes après 40 ans auraient des problèmes d’érection. Il s’agit, selon Consumers International, de la première campagne de ce type dans les gr
ands media britanniques. Elle ne donne pas les noms de marque, mais veut soi-disant sensibiliser quant à la maladie, dans des termes très explicites et incitant les hommes à s’adresser à leurs médecins. Médecins qui auront dans leurs salles d’attente des brochures plus bavardes, elles… Nous avons la même chose en France, alors pourquoi s’étonner ?
D’ailleurs, une note parue sur le blog Marketing Overdose de Consumers International nous explique les combines d’Eli Lilly, qui lui permettent de contourner très facilement l’interdiction de nommer directement le Cialis.
En plus de ces pourcentages douteux, qui atteignent 50% dans une publicité australienne, la campagne publicitaire passe sous silence les effets secondaires tels que maux de tête, brûlures d’estomac, douleurs musculaires, nez qui coule, rougeurs… Sans parler des effets indésirables rares tels les troubles visuels et auditifs.
Et même sans le nom du médicament, le résultat de cette campagne est de très mauvais augure quant aux conséquences d’une publicité directe aux consommateurs. Et nous aurons une telle publicité, puisque, après un recul en octobre, la Commission européenne a annoncé vouloir persister dans ses projets de démolir les (déjà faibles) garde-fous actuels…
C’est le même Financial Times qui a rendu compte dans cet article de la réprimande que le syndicat de l’industrie (ABPI) a « infligée » à Eli Lilly en octobre 2008. Oui, ce ne sont pas les autorités sanitaires, inertes en Grande-Bretagne comme partout, mais le chien de garde de l’industrie pharmaceutique britannique, appelé Prescription Medicines Code of Practice Authority (PMCPA), qui a réprimandé Eli Lilly pour sa publicité tronquée, « non équilibrée » et ne respectant pas « l’éthique » de l’industrie.
Notons que ces réprimandes sont assez courantes en Grande-Bretagne, où il n’est pas rare que telle firme qui ne respecte pas les « règles de bonne pratique » instituées par le syndicat, que ce soit dans ses pratiques de vente, ses publicités, etc., en soit exclue pour quelques mois et admonestée publiquement. Rien de tel en France, où le L€€M garde jalousement les secrets de famille, malgré le code (non obligatoire) de déontologie (sic) claironné sur tous les toits, et dont Pharmacritique pense avoir saisi la quintessence dans cette caricature comme dans celle-ci.
On apprend aussi que ces réprimandes ne valent rien – remarquez, le code d’ « éthique » volontaire du L€€M encore moins ! -, puisque Eli Lilly avait déjà été admonestée en 2003, lorsqu’elle faisait une publicité totalement illégale pour le Cialis, puisqu’elle en vantait les mérites aux médecins britanniques avant même que le médicament ne soit autorisé.
Réprimande en Australie, à l’initiative d’une association de consommateurs
L’association australienne de consommateurs Choice, affiliée à Consumers International, a porté plainte contre les publicités australiennes d’Eli Lilly pour le Cialis. Le chien de garde de l’industrie pharmaceutique (Medicines Australia’s Code of Conduct Committee) a condamné la firme a une amende de 60.000 euros, comme nous l’apprend cet article du journal The Australian, qui donne les détails de l’affaire. 60.000 euros, cela équivaut au coût du Cialis pris par 12 hommes pendant une année, comme le rappelle Choice… Comparez ce chiffre aux bénéfices de plus d’un milliard ! Il n’y a pas de doute possible, cette amende fera mal et incitera la firme à rester sur les rails… De qui se moque-t-on ?
D’autres moyens publicitaires
La guerre publicitaire continue de plus belle, par exemple à travers le sponsoring d’un prestigieux tournoi de golf et d’une compétition de voile de la taille de America’s Cup.
Sans parler des réunions de formation médicale continue et autres congrès et colloques médicaux.
En 2007, Jorg Ostertag, le président de la filiale chinoise d’Eli Lilly s’est même permis de suggérer le Cialis comme un remède contre le taux élevé de divorces dans le pays… C’est dire si les firmes peuvent tout se permettre,
même dans une dictature telle la Chine.
Il y a un grand écart entre dysfonction et performance imposée
Inutile de dire qu’il ne s’agit pas ici de nier la souffrance des hommes qui ont des dysfonctions érectiles allant au-delà de la « panne sexuelle » qui n’a rien d’inhabituel. Mais encore faut-il savoir si le diagnostic a été posé par un médecin, s’il est juste, quelle en est la cause, si les alternatives, les changements de mode de vie et les remèdes moins invasifs ont été essayés, et ainsi de suite.
Gare aux conséquences si les hommes se mettent à complexer en se comparant avec le « standard » de « normalité » et de performance défini par les objectifs marketing d’une firme pharmaceutique, dont l’appétit est insatiable par définition… Avoir les yeux plus gros que le ventre risque de ne pas être bon pour la santé. La sagesse populaire le sait depuis que l’humanité existe, et elle conseillerait de laisser les Japonais se reposer un peu plus, avant de leur demander d’être performants partout.
Illustrations
Le photomontage met en scène John McCain, battu aux présidentielles des USA. Il est tiré de Punditkitchen.com
Et voici un autre photomontage, figurant notre élu, Sarkozy, qui a lui aussi une femme plus jeune, comme John McCain et comme ces chefs de guerre afghans rétribués en Viagra, et qui veille à ce que le commerce des laboratoires Lagardère, entre autres, se porte mieux que bien. De la performance, quoi !
Informations complémentaires
Dans les notes de la catégorie Publicité directe aux consommateurs.
Elena Pasca