L’unité de formation continue de l’université de Dalhousie (Canada) a réalisé en 2006 une enquête détaillée sur les mérites et les inconvénients de la visite académique, du point de vue des médecins généralistes de la région. Les résultats ont été publiés en 2007 sous le titre « Family physicians’ perceptions of academic detailing : a quantitative and qualitative study » (« Comment les médecins de famille perçoivent-ils la visite académique ? Une étude quantitative et qualitative »).
Le contexte
L’un des noms anglophones de la visite académique (academic detailing) est counter detailing, autrement dit une sorte d’antidote, voire de vaccin, selon les cas, contre les VRP de l’industrie pharmaceutique. Cette contre-visite neutralise – et vise à remplacer – ce qu’on appelle improprement « visite médicale ». Le nom est impropre, parce que cela n’a rien de médical; c’est une démarche faite par des commerciaux dont le but ultime est de désinformer afin de faire vendre un maximum de médicaments produits par les firmes qui les emploient. Cette démarche promotionnelle n’a rien de raisonnable, et elle ne s’adresse d’ailleurs pas à la raison, comme nous l’avons vu dans les notes sur les visiteurs médicaux et leur impact.
La visite académique est un parti pris pour l’EBM (« evidence-based medicine »)
Et ce n’est pas un hasard si les critiques des us et coutumes de l’industrie pharmaceutique se définissent de façon stéréotypée comme des militants pour « un usage rationnel » du médicament. La réponse aux questions de santé doit être apportée en fonction de la raison, aussi imparfaites que soient ses concrétisations. Ces questions relèvent de l’intérêt général et ne peuvent pas être abandonnées aux publicitaires, aux affairistes et autres VRP poussés par des intérêts boursiers.
La visite académique devrait apporter une information exempte de biais commerciaux. Au contraire, l’objectif de cette information indépendante est d’aider les médecins à faire un usage raisonnable et raisonné des médicaments, en fonction de la balance bénéfice-risques, donc en fonction des connaissances sur le sujet, telles que les apporte – ou du moins devrait les apporter ! – la médecine fondée sur les preuves (EBM). C’est le message de l’illustration (dont j’ai perdu l’origine) : beliefs vs. evidence. Même s’il faut préciser qu’on peut utiliser le mot « belief » (croyance, opinion, conviction, foi) dans une acception moins péjorative, moins dichotomique par rapport à la science. C’est ce qu’expliquent les rédacteurs de la revue Minerva lorsqu’ils rendent compte de la conception d’un « web of beliefs« , dans un éditorial datant de 2004, mais toujours actuel, intitulé Sciences de base et EBM: menace d’un nouveau paradigme?
Pour exclure les biais, les influences plus ou moins conscientes qui sont tout autant d’occasions de corruption des médecins, la visite académique doit se faire au moyen d’un réseau indépendant d’information financé par des fonds publics. Nous en avons parlé dans cette note : « Projet législatif pour contrecarrer l’influence de Big Pharma : financement public d’une visite académique ». Le projet en question a été proposé par des élus américains, mais l’idée est australienne et canadienne.
La visite académique veut-elle dire la même chose en France ?
Il est certain que des différences existent par rapport à ce que préconise la Haute autorité de santé (HAS) en France, compte tenu de l’organisation très différente des systèmes de soins dans les divers pays. En France, la visite académique s’inscrirait, si elle venait à être appliquée, dans une démarche d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) ; elle « consiste[rait] en un échange avec des médecins à leur cabinet pour leur transmettre des messages éducatifs, préventifs, de dépistage ou de prise en charge des patients en accord avec des données de la science de type EBM », dit la HAS. Le côté évaluation des compétences et des pratiques met l’acception officielle française de la visite académique dans une lumière différente et contribue à faire hésiter les médecins. « Evaluation » et « influence » dans le sens de prescriptions plus soucieuses du coût des médicaments et du rapport efficacité – coût sont des notions qui risquent d’être mal acceptées par des médecins libéraux. Parfois à tort, parfois à raison, là n’est pas la question.
D’au
tre part, l’idée d’un pilotage de l’information par la HAS a de quoi faire peur, compte tenu des conflits d’intérêts qui grouillent dans son sein… Il faudrait d’abord faire un bon nettoyage parmi les experts de cette autorité hautement conflictuelle, si l’on peut dire, avant qu’on lui confie quoi que ce soit. D’autant plus s’il s’agit de lui confier un intérêt public dont il est certain qu’elle n’est actuellement pas digne. (Occasion de dire que, si on a moins parlé de la HAS dans ces pages, cela veut simplement dire qu’elle ne sort pas de l’ordinaire, à savoir du niveau habituel de conflits d’intérêts qui définit toutes nos autorités d'(in)sécurité sanitaires. Voilà un oubli réparé).
La page d’information de la HAS donne des informations plus détaillées sur les significations de la visite médicale académique, mais curieusement sans parler de la dimension économique. Un « projet d’information thérapeutique de proximité » (Infoproximed), réalisé avec la participation de la revue Prescrire, et qui a donné des résultats prometteurs, est donné comme exemple.
En France, notons aussi le travail de l’Institut Puppem (« Pour Une Prescription Plus Efficiente du Médicament »); il s’agit d’une version de la visite académique: dans cette perspective, les informations sur les médicaments seraient apportées par des « délégués de l’assurance-maladie » (DAM). Reste à voir si la volonté d’économiser – typique de toute assurance-maladie – n’apporterait pas un certain biais dans l’information difusée de cette façon. (Question que Pharmacritique se contente de poser, sans pouvoir y répondre pour le moment).
L’expérience régionale canadienne
Il n’empêche que la visite académique veut dire apprentissage et mise en oeuvre de certaines techniques qui se sont révélées efficaces dans la pratique des visiteurs médicaux employés par les laboratoires pharmaceutiques; il s’agirait de les utiliser à bon escient et dans un but raisonnable. Dans ce contexte, il n’est pas inintéressant de voir les résultats du centre universitaire de Dalhousie (Nova Scotia, Canada), qui utilise depuis plusieurs années la visite académique comme une composante de la formation médicale continue. Le texte complet peut être lu dans l’article Family physicians’ perceptions of academic detailing : a quantitative and qualitative study (« Comment la visite académique est-elle perçue par les médecins de famille ? Une enquête qualitative et quantitative »).
Cette université a un service de visite académique depuis 2001, employant deux pharmaciens et une infirmière pour apporter des informations médicales aux médecins de famille (généralistes) de la région. Par ailleurs, le fait qu’il ne s’agisse pas de médecins est mentionné par les généralistes interrogés comme un facteur susceptible de les démotiver dans leur recours à la visite académique. L’autre facteur décourageant étant le fait de devoir passer du temps avec les visiteurs académiques pendant la journée de travail. (On a du mal à imaginer une (in)formation qui ne prendrait pas de temps…)
On voit tout de suite que l’enquête entre dans le détail de ce qui convient ou non aux généralistes dans la forme et le contenu actuels de la visite académique. C’est dans ces détails que réside son mérite, et les intéressés devraient lire le texte dans son ensemble.
(Ici, il s’agit surtout de prendre cette enquête pour prétexte et dire aux usagers ce qu’est la visite académique, en quoi elle est différente de la visite improprement appelée « médicale », en quoi elle est plus sûre pour l’information des médecins et pour la santé des patients ; et pourquoi la visite académique doit être financé par l’Etat, etc. Tout cela aboutit à une conclusion qui est aussi un point de départ pour d’autres considérations critiques : les laboratoires pharmaceutiques ne doivent jamais être considérés comme des sources d’information médicale, et ce quel que soit le sujet. Comme le disait le Collectif Europe et Médicament, tout ce qui vient des laboratoires est de l’ordre de la publicité. Comme celle pour la lessive qui lave plus blanc que blanc et détruit les bactéries au passage – ou alors pour le yaourt qui « agit à l’intérieur – et ça se voit à l’extérieur »… Autrement dit, il ne s’agit pas de connaissances et de science, mais de marketing et de stratégies promotionnelles visant une extension du marché, un profit en termes d’argent ou d’image et ainsi de suite…)
Résultats encourageants de l’expérience canadienne
68% des généralistes interrogés et qui ont reçu plus d’une fois un visiteur académique pensent que la valeur scientifique de la visite académique est plus élevée, voire beaucoup pl
us élevée que celle apportée par les VRP (visiteurs médicaux) des firmes pharmaceutiques. Ils sont très peu nombreux à penser l’inverse.
Cela dit, les statistiques montrent que 46% des médecins généralistes n’ont jamais reçu un visiteur académique… Le signe encourageant étant que si 12% n’ont eu recours à une visite académique qu’une seule fois, 42% ont reçu des visiteurs académiques plusieurs fois.
La motivation la plus forte des généralistes pour recevoir un visiteur académique est l’assurance que l’information en question se base sur des preuves scientifiques et les aide à pratiquer une médecine fondée sur des preuves (EBM : evidence-based medicine, dont nous avons parlé plus haut). En deuxième place arrive la qualité du matériel informatif ou du support éducatif. L’article précise qu’il s’agit en général d’une brochure qui peut faire jusqu’à 40 pages et qui présente les résultats de la recherche médicale sur la question respective. Les détails sont précédés d’une synthèse qui met en valeur les points les plus importants, de façon à faciliter l’assimilation de l’information.
93% de généralistes ayant eu recours à la visite académique disent être certains de répéter l’expérience ou du moins être disposés à le faire. Ce qui les rassure, malgré la formation non médicale des interlocuteurs, c’est de savoir que même si ceux-ci n’ont pas de réponse à toutes les questions, la visite aura une suite et les visiteurs se chargeront de trouver et de leur faire parvenir les réponses.
A noter que la visite académique semble éveiller l’esprit critique des médecins, qui se montrent plus critiques face aux programmes traditionnels de formation médicale continue (FMC) financés par l’industrie pharmaceutique et face à d’autres informations publicitaires. Ce qui prouve que la visite médicale offre les bases de l’apprentissage d’une méthode et d’une attitude d’ensemble, et qu’elle ne se réduit pas à l’assimilation de connaissances précises sur l’usage d’un médicament ou d’un dispositif médical. Le texte présentant les résultats de l’enquête souligne d’ailleurs cet aspect : une visite académique intégrée dans un ensemble cohérent de programmes de formation médicale continue se révèle être en mesure de changer les comportements (professionnels) et les pratiques des médecins, selon les recherches faites à ce sujet.
Il faut noter aussi que, dans les projets anglo-saxons, la question de la visite académique est disjointe de celle de l’évaluation des pratiques professionnelles, si ce n’est dans l’appréciation que chaque médecin est disposé ou non à faire de sa propre pratique et de ses compétences, une fois confronté à des informations apportés par des visiteurs qui ne sont pas là pour lui dire à quel point il est génial… (Ce qui le change des flatteries des visiteurs médicaux…).
Une synthèse rapide des résultats de l’enquête canadienne peut être lue sur cette page présentant le « poster ».
En fin de compte, la question qui se pose est une variante de l’interrogation éternelle : qui doit éduquer les éducateurs?
Elena Pasca