Le Guardian dénonce l’impact du financement industriel de la formation médicale sur la santé des patients

Un article intéressant a été publié le 23 août dans le journal britannique The Guardian : Drug giants accused over 1548256468.jpgdoctors’ perks (« Les firmes pharmaceutiques se voient reprocher les à-côtés offerts aux médecins. Accepter des vols gratuits, des repas et des tickets pour des matchs peut nuire aux soins, disent les critiques »).

 

« Les firmes pharmaceutiques dépensent chaque année des millions de livres sterling pour financer la participation des médecins et autres professionnels de santé à des conférences partout dans le monde. Ce sont des voyages tous frais payés, et le tout n’est qu’une application massive des stratégies promotionnelles de l’industrie pharmaceutique, sous les oripeaux de la formation médicale continue ».

 

Photo : Pharmalot (pour illustrer les conflits d’intérêts dans un autre contexte). Les vols et la haute voltige… Cela dit, ce sont les patients et les usagers en général qui se cassent la gueule.

 

Les grandes lignes et quelques extraits traduits pour les lecteurs qui ne lisent pas l’anglais :

 

Le journal The Guardian a pu évaluer l’ordre de grandeur de ces financements industriels en examinant certains des registres dans lesquels les hôpitaux doivent inventorier les cadeaux et autres « dons » reçus par le personnel médical. Mais les financements sont loin d’être transparents et les déclarations loin d’être complètes… Trois quarts des 90 hôpitaux interpellés au nom de la loi sur la liberté d’information – inexistante en France – ont refusé de communiquer ce type de renseignements.

 

Les deux journalistes, Sarah Boseley et Rob Evans, donnent des exemples concrets de frais de voyage payés par diverses firmes telles Roche, Sanofi-Aventis, Astra Zeneca, GSK, sous prétexte de la formation médicale continue (FMC)… Aux voyages tous frais payés, qui peuvent coûter jusqu’à 5.000 livres (6.600 euros) par médecin, s’ajoutent les repas offerts à l’hôpital ou dans des restaurants et toutes sortes de cadeaux, ristournes et privilèges qui créent des conflits d’intérêts et ont des conséquences néfastes sur la qualité des soins. Cette corruption par l’industrie influence plus ou moins consciemment le comportement des médecins et mène à des prescriptions irrationnelles et risquées pour la santé des patients.

 

Un rapport officiel de 2005 tirait la sonnette d’alarme en disant que des désastres tels celui provoqué par le Vioxx (rofécoxib, anti-inflammatoire tueur de Merck) risquent de se reproduire dans ces conditions d’influence pharmaceutique énorme sur l’information médicale.

 

Plusieurs médecins et militants associatifs interrogés par le Guardian arrivent à la même conclusion : les professionnels de santé qui acceptent ces « largesses considérables » mettent la médecine au service du commerce pharmaceutique et de l’intérêt économique des firmes en lieu et place du seul intérêt de la santé des patients. Joe Collier, professeur émérite en politique de santé et critique de longue date des conflits d’intérêts, parle d’une « campagne orchestrée par l’industrie pharmaceutique qui a un impact et une influence énormes sur toute la filière du médicament ainsi que sur ce que les médecins prescrivent aux patients. Dans l’ensemble, cette influence se fait au détriment des bonnes pratiques cliniques ».

 

Selon les firmes pharmaceutiques, tous ces financements relèveraient du soutien à la formation médicale continue.

 

Justin MacMullan, un leader de l’association Consumers International, réfute les allégations des firmes qui disent payer pour que les médecins soient mieux formés et informés – et donc pour le bien des patients, en fin de compte : « C’est très inquiétant de voir qu’il s’agit en réalité de stratégies marketing hautement efficaces et très bien ciblées. Cet état de fait élimine toute possibilité d’attitude impartiale et met en péril la capacité des médecins à décider du traitement le plus approprié en fonction d’informations médicales non biaisées et en fonction de la balance bénéfices – risques ».

 

Consumers International milite pour que les firmes pharmaceutiques déclarent publiquement les sommes d’argent et autres cadeaux donnés aux médecins. « Des pays comme les États-Unis et l’Australie ont pris conscience de l’importance de cette question et exigent des sociétés pharmaceutiques qu’elles déclarent les financements des organisations médicales et de la formation médicale continue. Les instances européennes de régulation négligent ce problème et ne font pas leur travail », dit MacMullan.

 

Le syndicat britannique de l’industrie pharmaceutique (ABPI, équivalent du LEEM en France) soutient lui aussi que ces financements sont justifiés, puisqu’ils permettent aux médecins d’assister à des conférences données par les experts de chaque domaine ; mais ils doivent être transparents.

 

Les prétentions des firmes de contribuer à la formation des médecins et au progrès dans la qualité des soins sont qualifiées de « bobards » par le député travailliste Paul Flynn : « Ce n’est pas vrai. Tout cela fait partie d’un énorme budget marketing. Les firmes veulent maximiser leurs profits, et non pas aider les gens dont la vie est en danger », dit-il. « L’influence de ces firmes est énorme ».

 

Y aurait-il des médecins surhumains qui résisteraient aux influences et aux obligations de réciprocité que créent les cadeaux et autres à-côtés?

 

La plupart des médecins prétendent ne pas être influencés par tout ce qu’ils reçoivent. L’article donne l’exemple de Robert Storey, un cardiologue investigateur dans des essais cliniques, qui a participé à 4 voyages en 7 mois, pour un total de 12.000 livres sterling (près de 16.000 euros), payées par Astra Zeneca. Il dit que son objectivité n’est pas entamée par ce qu’il considère être des « voyages d’affaires » servant à diffuser des informations médicales. Quant aux médecins moins titrés, leurs voyages sont arrangés en classe économique par les visiteurs médicaux qui s’occupent d’eux au nom des firmes respectives.

 

Lorsque les voyages sont organisés par les visiteurs médicaux, ceux-ci pourraient attendre quelque chose en échange, reconnaît Storey. « Ces médecins [moins titrés] reçoivent régulièrement des visiteurs médicaux (…) et sont probablement influencés, parce qu’ils ne sont pas sûrs d’obtenir des financements pour participer aux prochaines conférences ; d’où leur intérêt à entretenir de bonnes relations avec divers visiteurs médicaux ».

 

Donnant – donnant, en somme.

 

Elena Pasca

2 réflexions au sujet de “Le Guardian dénonce l’impact du financement industriel de la formation médicale sur la santé des patients”

  1. Merci « ‘cui, cui’ fit l’oiseau », c’est très sympa! La boîte à questions de 20 minutes comme lieu où on peut faire connaître les blogs respectifs… Hi hi hi
    J’aurais préféré que ce soit pour d’autre raisons que les soucis techniques!
    Tu sais quoi? J’ai lu le message laissé par « Le sot l’y laisse », et, en cliquant sur le lien, j’ai bien l’impression de savoir de qui il s’agit. Je ne vais pas le dire, bien entendu, mais je suis pratiquement certaine que nous avons été présentés et nous sommes rencontrés au moins une fois dans le milieu, disons littéraire -artistique. Mais je serais étonnée que la personne en question me reconnaisse, vu que ce que je fais dans ces pages est à mille lieues de l’activité qui nous a fait nous rencontrer…
    Le monde est petit, c’est assez incroyable!
    20 minutes et ses problèmes techniques… On peut avoir des suprises…
    Quand j’ai vu que ce blog que j’ai découvert par hasard mentionne Maria Yudina, je suis restée bouche bée…
    http://lesot-l-y-laisse.20minutes-blogs.fr/
    Peu de monde connaît ces vieilles pianistes russes, et ça m’a d’ailleurs poussée à récouter des enregistrements que j’avais négligés depuis longtemps: d’autres pianistes de la même génération, que je mentionne parce que j’ai envie de donner envie aux curieux parmi les lecteurs de découvrir ces merveilles: Yelena Bekman-Shcherbina, Maria Izrailevna Grinberg, Maria Yudina…
    Par contre, « ‘cui, cui’, fit l’oiseau », je n’ai pas trouvé de lien vers ton blog à toi, ni ici ni sur la boîte aux questions de 20 minutes.
    Je vais y retourner bientôt.
    Merci pour ton commentaire et à bientôt dans la vallée des lamentations de 20 minutes 😉

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