La formation médicale continue accréditée par l’ordre des médecins : foire publicitaire et capitulation devant les firmes (Arznei-Telegramm)

La revue médicale indépendante Arznei-Telegramm revient dans son numéro d’août sur le scandale perpétuel qu’est le financement de la argent médocs pub WSJ.jpgformation médicale continue (FMC) par l’industrie pharmaceutique. La question se repose dans le contexte d’un travail d’investigation mené par des media généralistes allemands, qui ont décortiqué ce que cachent les offres de FMC en ligne. Celles-ci ne sont que des publicités – camouflées sous une apparence scientifique – pour les médicaments ou les dispositifs médicaux fabriqués par les firmes qui paient les programmes respectifs de (désin)formation. Publicités déguisées et outils de monopolisation du marché par quelques firmes, assène l’office fédéral allemand antitrust, qui s’est saisi de l’affaire.

L’article s’intitule « Zertifizierte Fortbildung (CME): Werbeplattform statt Lehrangebot » (« Formation médicale continue accréditée (CME) : la plateforme publicitaire remplace les contenus éducatifs » ; a-t 01.08 2008; 39: 81-2 ; sans lien direct).

(Le premier paragraphe rappelle que les médecins ont une obligation de formation continue qu’ils doivent effectuer à travers des manifestations et des programmes validants accrédités par l’ordre des médecins de chaque Land allemand, en fonction des directives de l’ordre fédéral. C’est ce dernier qui devrait tracer les limites de l’interaction entre professionnels de santé et laboratoires pharmaceutiques. La participation d’un médecin à chacun de ces programmes accrédités – certifiés comme légitimes et sérieux… – donne un certain nombre de points.

Quant à la CME évoquée dans le texte, c’est la « continuing medical education » : nom anglophone de la formation médicale continue. A noter que les Canadiens parlent eux aussi d’ »éducation médicale continue ». Education à la corruption et aux conflits d’intérêts?? Ca en a tout l’air… Si les mots pouvaient se défendre tout seuls contre les usages impropres…).

 

(Photo : WSJ parlant de l’argent de la pub)

 

C’est Pharmacritique qui souligne en rouge. La conclusion est en gras dans l’original allemand.

Traduction du texte d’Arznei-Telegramm :

 

« (…) Les conditions de l’accréditation sont détaillées dans les « Recommandations relatives à la formation médicale continue », émises par l’Ordre fédéral des médecins [2]. Il y est notamment indiqué que les éventuels sponsors n’ont pas le droit d’influencer la forme et le contenu des programmes de FMC, que les intervenants doivent déclarer leurs liens avec l’industrie pharmaceutique et que chaque programme doit donner un aperçu équilibré du niveau de connaissances dans le domaine respectif. En vertu de l’article 8 du Règlement de la formation médicale continue [1], ne seront reconnus comme relevant d’une formation médicale continue légitime que les programmes « dépourvus d’intérêts économiques ».

 

Mais quiconque viendrait à penser que ces exigences mènent en pratique à une formation continue exempte de promotion pour les produits de l’industrie pharmaceutique, verrait cette idée contredite par une réalité bien moche. Cette réalité, on peut la trouver par exemple dans les contenus des offres de formation continue en ligne, de plus en plus nombreuses, et qui permettent de valider des formations en accumulant confortablement et souvent gratuitement des points.

 

En dépit des critiques grandissantes, reprises par les media généralistes [3,4], les actions de formation continue accréditées par les ordres des médecins sont toujours détournées pour servir les objectifs marketing des fabricants de produits pharmaceutiques ou médicinaux.

Les manifestations de FMC sont financées en bonne partie de façon traditionnelle par les firmes ; le reste est offert sur Internet, directement par les firmes pharmaceutiques ou par des agences interposées. Selon les estimations, l’industrie est derrière 90% des formations en ligne [5], et elle sait en tirer profit. On y voit des articles bien structurés et souvent de haut niveau technique, subvertis plus ou moins subtilement par des messages publicitaires. Prenons par exemple le site de formation continue de la firme Boehringer Ingelheim : pour acquérir des points de formation au sujet de la prophylaxie de l’accident vasculaire cérébral, il faut d’abord répondre à plusieurs questions concernant le médicament combiné AGGRENOX [Asasantine en France, NdT], et cela en toute conformité avec les « recommandations » (a-t 2006; 37: 21-2). [6] Cela n’étonnera personne.

 

La formation continue sur l’obésité, financée par la firme Endo Surgery Deutschland, parle certes des risques d’une perte de poids par voie médicamenteuse, mais pour mieux présenter la chirurgie de l’obésité comme le seul moyen garantissant un succès significatif et à long terme chez les « patients souffrant d’une obésité morbide » [7]. Quant au programme financé par GlaxoSmithKline, P. WUTZLER n’apporte pas tant une vue d’ensemble sur « La grippe – thérapie et prophylaxie à l’aide d’inhibiteurs de la neuraminidase », mais parle surtout de l’inhibiteur de la neuraminidase Zanamivir (RELENZA), dont il détaille [les bienfaits] aux lecteurs qui veulent acquérir 2 points de FMC [8]. On peut continuer la liste en prenant au hasard n’importe quelle firme.

 

Que les firmes pharmaceutiques essaient de faire passer leur vision des choses dans les programmes de formation médicale continue n’étonnera personne, puisque cela correspond à leurs intérêts économiques. Ce qui est préoccupant, par contre, c’est de voir l’ordre des médecins jouer le jeu – probablement par manque de ressources et de savoir-faire – et de contrevenir ainsi à ses obligations légales qui stipulent que l’autogestion va de pair avec la vérification des contenus de la formation. L’argument avancé en guise de réponse, selon lequel la quantité des demandes d’accréditation ne permettrait pas un contrôle approfondi, ne tient pas la route. A peine quelques minutes suffisent très souvent pour se rendre compte de la nature publicitaire de telle manifestation de formation médicale continue. Encore faudrait-il qu’il y ait une sensibilisation en ce sens et une connaissance des stratégies promotionnelles des firmes – connaissances qui manquent même chez les plus hauts responsables. Et voici en quels termes le président du Sénat allemand de formation médicale continue**, F.-J. BARTMANN, aborde cette question : « … Or, c’est précisément dans l’introduction de produits innovants que la coopération avec l’industrie pharmaceutique devient la plupart du temps nécessaire, pour des raisons d’authenticité. [Cette collaboration] ne pose habituellement aucun problème. » [9]

 

Les instances responsables peinent à réagir et disent ne pas comprendre lorsqu’on les confronte à des exemples concrets. Nous avons porté plainte auprès de l’ordre des médecins de Berlin, qui a accrédité un programme de formation à la prophylaxie des thromboses [10], fait par la firme EuMeCom (branche de GSK). Le programme met l’accent unilatéralement sur les produits de GSK – nadroparine (FRAXIPARIN) et fondaparinux (ARIXTRA) -, donne un raccourci inadmissible des données et ne prend pas en compte les éventuels effets indésirables. Trois mois après notre plainte, nous avons reçu une réponse qui classe l’affaire. L’ordre des médecins de Berlin ne voit aucune raison d’intervenir, parce que, dit-il : « nous ne voyons pas ici une volonté de mise en avant du produit, comme cela aurait été le cas s’il avait été mentionné nommément ». [11] Nous apprenons ainsi que les appellations génériques seules ne relèveraient pas de la publicité, en l’absence des noms commerciaux des médicaments. Le président de l’ordre des médecins de Berlin, G. JONITZ, semble avoir capitulé : « Tant que les programmes de formation ne contiennent pas les absurdités les plus crasses, nous sommes obligés de les certifier. » [12]

 

Même l’office fédéral antitrust est intervenu dans cette débâcle. Il tient les formations offertes par les firmes pour des publicités camouflées et considère que l’omniprésence de ces offres gratuites entraîne un net désavantage concurrentiel pour les fournisseurs indépendants de programmes payants de formation médicale [5].

 

Il est inacceptable que perdure parmi les médecins la culture d’une formation médicale continue qui semble gratuite. Elle n’est gratuite qu’en apparence, puisque les coûts qu’elle induit sont supportés par l’ensemble des assurés à travers les prix des médicaments. Tant que prévaudra l’opinion selon laquelle la formation est gratuite et va de pair avec un menu à quatre plats*** lors des manifestations de FMC à présence obligatoire, nous serons toujours gavés de pseudo-formations. Parce qu’une chose est sûre : il ne s’agit pas là d’informations objectives. Nous demandons de toute urgence aux législateurs et aux instances d’autogestion d’établir les structures acceptables et clairement définies d’une formation médicale continue indépendante de l’industrie pharmaceutique.

 

La formation médicale continue est toujours pervertie à des fins de marketing des firmes, malgré les directives de l’ordre fédéral des médecins.

 

Puisqu’il n’y a pas de solution en vue, la mesure d’urgence qui peut être prise est celle envisagée par Transparency International [13] : ne plus accréditer les programmes de FMC financés par les firmes pharmaceutiques et diminuer le nombre de points nécessaires à la validation de l’ensemble de la formation médicale continue ».

 

Notes

  1. Bundesärztekammer: Musterfortbildungssatzung
  2. Bundesärztekammer: Empfehlungen zur ärztlichen Fortbildung, Stand 30. Mai 2007
  3. NDR: Panorama Nr. 686 vom 16. Aug. 2007
  4. LÄSKER, K.: Kreuzen Sie die richtige Pille an; Süddeutsche Zeitung vom 9. Febr. 2008, Seite 22
  5. SCHWAB, S. in Zusammenarbeit mit der Bayerischen Landesärztekammer: Zertifizierte Fortbildung, Sekundärprävention des Schlaganfalls
  6. Zertifizierte Fortbildung CME Adipositas
  7. WUTZLER, P.: Influenza – Therapie und Prophylaxe mit Neuraminidasehemmern; zu finden unter: http://www.eumecom.de (Suchbegriff « Influenza », Login erforderlich)
  8. HAAS, S.: Thrombose-Prophylaxe, Onlinevortrag; zu finden unter: http://www.eumecom.de. Kardiologie. Online-Fortbildungen (Login erforderlich)
  9. LEFFMANN, C. (Ärztekammer Hamburg): Schreiben vom 22. Juli 2008
  10. MAYER, K.-M.: Focus vom 28. Juli 2008, Seite 32
  11. SCHÖNHÖFER, P.S.: Persönliche Mitteilung vom 30. Juli 2008
  • * CME = Continuing Medical Education [NdT: formation médicale continue]
  • ** Der Senat für ärztliche Fortbildung berät den Vorstand der Bundesärztekammer in allen Fragen zur ärztlichen Fortbildung [NdT : « Le Sénat de la FMC conseille la direction de l’ordre fédéral des médecins en la matière« ]
  • *** Gegen die unselige Tradition firmengesponserter Information hat sich in Deutschland organisierter Widerstand gebildet: MEZIS (Mein Essen zahl ich selbst); [NdT: « Une résistance organisée contre la tradition néfaste de l’information des médecins par les firmes existe en Allemagne aussi: MEZIS (« Mon repas, c’est moi qui le paie ») »].

(Traduction et commentaires par Elena Pasca)

2 réflexions au sujet de “La formation médicale continue accréditée par l’ordre des médecins : foire publicitaire et capitulation devant les firmes (Arznei-Telegramm)”

  1. Bonjour,
    Il faut arrêter d’appeler le conseil de l’ordre des médecins par ce nom. Le véritable nom de cette « institution » est le Conseil du Désordre des Médecins, ou plus précisément, le Conseil de la Corruption des Médecins.
    Dans le domaine de la médecine comme dans le domaine de la haute finance et des banques, on voit bien que l’autogestion, l’auto contrôle ne marchent pas et qu’il faut que l’autorité publique, garante de l’intérêt général, contrôle ces corporations qui font passer leur intérêt avant l’intérêt général.
    Je précise qu’en France la situation est la même que celle décrite dans l’article notamment en ce qui concerne les repas au restaurant payés par les laboratoires pharmaceutiques aux médecins: le conseil de la corruption des médecins les autorise sans sourciller, ce qui est la preuve de la corruption de cette « institution ».
    Je méprise ces pervers et ces délinquants qui la constituent (eux, les soi-disant garants de la déontologie médicale, les donneurs de leçons de déontologie) et je les mépriserai jusqu’à ma mort.
    Ils ne valent rien.

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  2. Même demande que je formule de façon plus détaillée dans le commentaire suivant en réponse au Sergent Garcia: pourquoi ne pas faire une note exposant ce qu’il en est du conseil du désordre des médecins ? Comment il organise la corruption, est le contraire de la déontologie, etc.?
    L’usager lambda ne peut rien savoir de tout ça. Il faut exposer au grand jour ce qu’il en est.
    Cordialement.

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