Voici un article du journal Süddeutsche Zeitung (à peu près l’équivalent de notre Libération), en date du 2 juillet 2008 : Werbung in Schulungen (« Des publicités dans les programmes de formation »).
Je traduis le texte de Kristina Läsker, qui a été cité par la revue médicale indépendante Arznei-Telegramm dans un article mettant l’accent sur les conséquences de cette désinformation publicitaire pour l’ensemble de l’information-santé : La formation médicale continue accréditée par l’ordre des médecins : foire publicitaire et capitulation devant les firmes.
Pas besoin de commentaires détaillés. Si ce n’est pour souligner l’évidence: la situation est la même en France, parce que l’ordre des médecins (le CNOM: Conseil national de l’Ordre des médecins) est le garant des relations des médecins avec les laboratoires pharmaceutiques. Tout médecin qui signe une convention avec une firme pharmaceutique – pour être consultant, recevoir de l’argent pour intervenir lors d’une formation médicale continue, lors d’un congrès, etc. – doit soumettre cette convention au conseil départemental de l’Ordre des médecins. Qui est totalement libre de refuser. Mais qui ne refuse jamais, dans les faits…
Les médecins ne sont pas des victimes des industriels.
Et les victimes de médicaments aux effets indésirables désastreux, qui attaquent les firmes en justice, devraient les attaquer eux aussi, car rien n’aurait été possible sans les médecins. Ce sont eux les prescripteurs. Ils savent que les visiteurs médicaux sont des commerciaux qui veulent optimiser les ventes, donc augmenter le chiffre d’affaires pour tel et tel médicament, tel et tel dispositif médical. Ils sont libres de refuser de les recevoir, libres de ne pas participer à des formations médicales continues payées par les firmes, libres de chercher des informations de sources indépendantes, comme les revues et les dites indépendants de l’industrie. Mais il faut dire qu’ils ont pris de mauvaises habitudes déjà sur les bancs des facultés de médecine, pendant leur formation médicale initiale, qui devrait elle aussi être scrutée sous l’angle des conflits d’intérêts. Outre les conflits d’intérêts issus des liens des professeurs, il y a d’autres méthodes d’influence dans les facultés de médecine: les visiteurs médicaux sont omniprésentes, des fêtes sont sponsorisés par des industriels qui font des cadeaux aux étudiants et aux internes, etc. En France, rien n’est fait pour contrer l’influence de l’industrie pharmaceutique sur les étudiants en médecine, contrairement à ce qui se passe – souvent à l’initiative d’associations d’étudiants – dans d’autres pays, surtout aux Etats-Unis.
C’est le Conseil national de l’Ordre des médecins qui est intégralement co-responsable de l’état de contrôle total qu’exerce l’industrie pharmaceutique sur la médecine: sur le pseudo-système de santé, sur le système de recherche, de formation et d’information médicales. C’est le CNOM qui est tout aussi responsable de la surmédicalisation dans l’intérêt des industriels de toutes sortes (pharmaceutiques, mais aussi les fabricants d’instruments et d’autres dispositifs médicaux). C’est l’Ordre des médecins qui est co-responsable de l’influence des firmes sur les pratiques de prescription, donc de la prescription de médicaments insuffisamment testés, aux bénéfices-risques défavorables, etc. Voici le texte que j’ai traduit de l’allemand:
Des publicités dans les programmes de formation médicale continue
par Kristina Läsker
« Les ordres régionaux des médecins ont des soucis à se faire. Ils font l’objet de soupçons sérieux : ils auraient approuvé « des manifestations publicitaires de l’industrie pharmaceutique camouflées en formation médicale continue ». L’office allemand antitrust intervient.
L’Office fédéral antitrust délibère sur les mesures à prendre à l’encontre de l’organisation professionnelle des médecins. Les gardiens de la concurrence soupçonnent les ordres régionaux des médecins d’avoir permis l’organisation de programmes de formation médicale continue [FMC] qui ont servi à des firmes pharmaceutiques de plateforme publicitaire plus ou moins directe pour leurs médicaments, puisque les cours gratuits de formation continue sur Internet, offerts par beaucoup de compagnies pharmaceutiques, doivent être approuvés par les ordres des médecins.
L’Office antitrust de Bonn envisage actuellement d’ordonner l’arrêt immédiat de l’accréditation de tels cours.
C’est ce qui ressort d’une lettre de 19 pages envoyée par l’Office antitrust à l’Ordre fédéral des médecins [Bundesärztekammer], que le Süddeutsche Zeitung a pu se procurer. L’Office déplore les habitudes qu’ont les fabricants de médicaments de présenter lors de ces formations « leurs propres produits comme particulièrement avantageux et indispensables ».
Depuis la réforme de la santé de 2004, la loi est claire : les médecins doivent bénéficier de formations « dépourvues d’intérêts économiques ». Et pourtant, les cours de formation en ligne sont « des modalités publicitaires déguisées en formation », reproche l’Office, qui se refuse à commenter officiellement cette procédure à l’encontre de l’ordre des médecins.
L’industrie pharmaceutique en habits d’éducateur
Depuis juin 2004, les 145.000 médecins et psychothérapeutes conventionnés doivent se former régulièrement afin de garder leur statut conventionné. Pour chaque formation, les médecins reçoivent des points, et ils doivent en accumuler 250 en cinq ans. Beaucoup de firmes pharmaceutiques voient cela comme une chance pour plus de marketing – et offrent des formations gratuites. Environ 90% de la formation médicale continue sont payés par l’industrie, estime l’Union bavaroise de l’assurance-maladie (KV). Les cours en ligne seraient une minorité, mais en constante augmentation. Et ceux spécialisés en médecine sont « habituellement des plateformes publicitaires », critique Axel Munte, directeur de l’Union des assureurs bavarois.
L’Office antitrust désapprouve l’influence qu’exerce l’industrie sur les médecins à travers ces offres de formation et veut donc limiter le pouvoir déterminant des firmes pharmaceutiques sur ce marché. Les cours gratuits de l’industrie refoulent du marché les offres de formation faites par des prestataires indépendants, peut-on lire dans la lettre : « Le marché est bloqué par la configuration actuelle ». A titre d’exemple : sur la bonne douzaine de prestataires indépendants établis depuis la réforme de la santé, seuls deux ont pu tenir le coup dans ces conditions, dit un connaisseur du dossier.
La faute en revient aussi aux ordres régionaux des médecins, qui ont « utilisé de façon abusive » la position stratégique que leur confère leur pouvoir d’accréditation, estime l’Office, qui exige de l’Ordre fédéral des médecins et des ordres régionaux de ne plus accréditer des formations continues qui recommandent clairement certains produits, ainsi que « de retirer les accréditations déjà accordées ».
Une formation complètement unilatérale
En février, la firme Merck, Sharp & Dohme (MSD), basée à Munich, avait fait l’objet de nombreuses critiques pour un programme de formation en ligne qui n’était rien de plus que 40 minutes de publicité pour une combinaison de molécules anticholestérol que la firme était la seule à commercialiser. Selon les critiques, Merck n’a d’ailleurs pas démontré que ce médicament aurait une efficacité plus grande que les médicaments classiques contre le cholestérol. « C’est un exemple de formation complètement unilatérale », dit Axel Munte, puisqu’elle ne vise qu’à « conditionner les médecins à prescrire cette combinaison de molécules dont le bénéfice [clinique] supplémentaire n’a pas été établi et qui est beaucoup plus chère ».
L’Office antitrust s’en est lui aussi pris à ce cours de formation proposé par Merck, qui sert d’exemple pars pro toto pour montrer comment « les portails Internet sont utilisés pour faire passer de la publicité cachée ». Les gardiens de la concurrence déplorent tout particulièrement la structuration trompeuse du cours, qui fait que le médecin est « entraîné quasi automatiquement à privilégier les produits de cette firme ». Merck proteste de son innocence et ne comprend pas cette agitation ; selon la firme, les contenus des formations qu’elle offre seraient « scientifiquement au niveau le plus élevé et exempts de publicité », explique un porte-parole.
Pas d’alternative
L’Ordre fédéral des médecins se défend et dit ne pas comprendre la totalité des critiques visant ces formations grevées d’intérêts économiques. « Des informations objectives sur les médicaments, données par l’industrie, sont tout à fait indispensables lorsqu’elles sont équilibrées », dit Franz-Joseph Bartmann, le responsable de la formation médicale continue.
Mais l’Ordre affirme ne pas vouloir minimiser les problèmes : « Nous ne sommes pas vraiment contents d’avoir accrédité certains portails Internet ». Cela dit, il serait difficile de vérifier jusque dans les détails les contenus de chaque offre. Selon Bartmann, il n’y a actuellement pas d’alternative à ce financement de la formation médicale continue par les firmes pharmaceutiques. « Ce serait certes souhaitable, mais c’est une illusion que d’y croire ».
Vu le durcissement des positions, l’Office antitrust envisage les moyens dont il dispose pour obliger les ordres des médecins à changer de comportement. Si ces derniers ne donnent pas suite aux exigences de l’Office, celui-ci intentera une action en justice, prévient la lettre. Et si les ordres des médecins ne réagissent pas, cela pourrait leur coûter cher : « Il s’agit d’infractions caractérisées à l’ordre [tel qu’établi par la loi], qui pourraient être sanctionnées par des amendes ». »
Copyright pour la traduction française: Elena Pasca