Le généraliste écossais Des Spence raconte dans le British Medical Journal du 18 juillet (BMJ 2008;337:a810 ; pas de lien direct) comment il a été contacté par courriel pour entamer un formatage qui devait faire de lui un expert dans une maladie issue de l’imagination de l’industrie.
C’est carrément son université qui lui a fait parvenir l’offre d’une firme disant texto qu’elle « vise à trouver des leaders d’opinion (…) dont le travail influencera la gestion et la thérapie futures de la dysfonction sexuelle féminine [par « désir hypoactif »]. (…) Les médecins pourront être invités par le laboratoire qui a commandé l’étude à participer à l’une ou plusieurs de ses activités médicales, qu’il s’agisse de comités consultatifs, d’essais cliniques ou de conférences à donner ».
Et voilà un exemple-type de la façon de faire de l’industrie pharmaceutique : elle produits des experts tombés du ciel à des fins de marketing d’une maladie tout aussi tombée du ciel sur la tête des usagers qui en souffraient sans même le savoir…
Les firmes qui ont une maladie à inventer pour créer un marché pour tel médicament incitent des médecins à entrer dans un schéma de marketing qui les instrumentalise à des fins définies d’avance et sur lesquelles ils n’auront aucune prise. En leur promettant des avantages financiers et le prestige qui va avec le statut de conférencier et de leader d’opinion. On voit ici que l’expertise ne repose sur rien, n’en déplaise à une industrie qui ne veut jamais reconnaître ces agissements peu scientifiques… C’est le service marketing qui apprend aux experts des techniques de vente et les moyens de contourner les questions délicates et déminer les douter. Une fois créé un groupe d’experts, ils se citeront entre eux et légitimeront la maladie en question, en en faisant une « marque » légitime, acceptable par le public.
Traduction de la deuxième partie de la lettre (qui s’intitule « From the Frontline [nouvelles du front]: Spam Medicine »)
« (…) l’aspect le plus embêtant dans toute cette histoire est bien l’absence de légitimité médicale de la dysfonction sexuelle féminine par désir hypoactif. Je sais que le DSM [Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux] en contient une « définition », mais ce roman dans le plus pur style de Hollywood contient probablement même une définition du père Noël et du lapin de pâques. L’industrie doit ériger cette dysfonction [supposée] en maladie de marque, et pour cela il est impératif qu’il y ait une couverture médiatique, des témoignages de célébrités, mais surtout les sacro-saints experts médicaux qui légitiment le tout. « Les experts » estiment que 40% des femmes « souffrent » de cette « maladie ». Voilà un exemple de simplification qui se prête à tous les trafics, là où il n’y a que complexité. Parfois, ce « problème » est même présenté comme un aspect de la lutte féministe pour l’égalité, alors qu’en réalité, ce n’est que de la manipulation cynique. Les déchets que produit ce type d’activité pharmaceutique viennent polluer et empoisonner le cours de la vie par le message qu’ils véhiculent: votre faiblesse (tristesse, calvitie, libido en baisse) est signe de déficience et de maladie.
Et cette industrie qui se focalise sur le mode de vie [qu’elle veut médicaliser] est la même qui ferme les yeux lorsque les pauvres de la planète sont laissés en proie aux maladies tropicales et abandonnés à des charités dans le genre de la Fondation Gates. Les critiques ont fait réagir l’industrie : elle dit qu’elle s’engage à changer, mais les vieilles habitudes semblent avoir la vie dure. Cela devrait me mettre en colère. Mais je ne ressens que de la tristesse. » Des Spence, médecin généraliste à Glasgow
Pour en savoir plus
Cette lettre fait partie de la série de lettres reçues par le British Medical Journal à la suite du dossier sur les « key opinion leaders », dont nous avons rendu compte dans la note Les médecins leaders d’opinion : pantins du commerce pharmaceutique… Le British Medical Journal dénonce. Nous avons complété les commentaires dans une autre note, intitulée Et si le British Medical Journal balayait aussi devant sa porte ?, pour dire que ceux qui critiquent ont eux-mêmes des efforts à faire, notamment en matière de publicité, et que ces efforts ne feraient que rendre leurs coups de gueule plus crédibles – plus légitimes, pour utiliser le terme employé à juste titre par Des Spence.
Lisez aussi les notes réunies sous la catégorie Maladies inventées/ disease mongering, pour mieux comprende de quoi il s’agit et quelles combines utilisent les firmes pharmaceutiques pour façonner des maladies. Pour la facilité, il vaut mieux commencer par la note « Disease mongering » : tailler des maladies sur mesure pour chaque médicament; pour les malades et les bien-portants. Un article de référence de Moynihan et Cassels.
Mise à jour
Je viens de me rendre compte pourquoi le nom de Des Spence m’évoquait quelque chose: il s’agit du porte-parole de l’association de lutte anti-corruption No free lunch (variante britannique de la « vétérane » américaine du même nom). Il s’est occupé du site de l’association pendant quelque temps et conçoit son activité critique aussi comme une sorte de « pénitence » pour avoir été un « pharma junkie »… Pas besoin de traduction…
Alors là, l’industrie pharmaceutique est mal tombée en essayant d’enregimenter – en vue de le formater et de le corrompre – l’un des activistes anti-corruption de « No free lunch », qui en plus dénonce régulièrement les méthodes de marketing et de commerce à tout prix des firmes! Comme quoi le data-mining (fichiers de renseignements sur les médecins et leurs prescriptions détenus par l’industrie) n’est pas sans failles…
Elena Pasca
J’ai fait une mise à jour à la fin de cette note, avec un détail assez intéressant…
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enfin un peu de vérité!!
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