“Désastre sur ordonnance”. Documentaire sur le complexe médico-pharmaceutique et ses vassaux

Le documentaire Prescription for Disaster commence par un fragment du témoignage du Dr David Graham devant le Congrès des Etats-Unis. 310479789.2.jpgGraham est épidémiologiste à la FDA (agence américaine du médicament) et lanceur d’alerte du Vioxx (rofécoxib, dont les vertus sont parodiées dans ce gag vidéo). Il nous dit sans ambages que la FDA a failli et continue de faillir à sa tâche de protection de la santé à cause de sa servilité face aux firmes pharmaceutiques. Pourquoi Graham, qui a été lourdement menacé, peut parler tout en gardant son travail ? Parce qu’il est sous la protection du sénateur Charles Grassley qui a averti tout le monde que s’en prendre à Graham serait s’en prendre à lui… Depuis l’affaire du Vioxx, Graham et Grassley collaborent activement pour défendre l’intérêt public du mieux qu’ils peuvent, comme on l’a vu dans l’affaire Avandia (rosiglitazone). Et Grassley tient en permanence une ligne de fax à la disposition des lanceurs d’alerte.

Des médecins, des journalistes (tels Ray Moynihan), des hommes politiques, des visiteurs médicaux, des juristes, des militants associatifs (tels Tom Devine) et des victimes s’expriment dans le documentaire.

Et le moins qu’on puisse dire, c’est que chacun confirme à sa manière les dires de Graham : un désastre de type Vioxx est possible tous les jours. Les autorités sanitaires actuelles sont là pour approuver les médicaments le plus vite possible, pas pour insister sur leur profil de sécurité. D’ailleurs personne ne teste ce profil de sécurité, tout le monde croit les firmes sur parole. Et les firmes font leur commerce, c’est tout.

Chaque nouveau médicament est une expérimentation grandeur nature. Ca passe ou ça casse. Et même quand ça casse, avec un peu de chance, personne ne pourra prouver la responsabilité du médicament et/ou de la firme, comme le rappelait Shahram Ahari, l’ancien visiteur d’Eli Lilly, dans cette note. Il nous donne quelques détails sur les calculs cyniques d’une industrie qui est gagnante à tous les coups.

Ahari parle du Zyprexa, mais la situation est pareille pour d’autres firmes et leurs médicaments. Les bénéfices auront valu la peine, même s’il y a une amende à la fin et que tel médicament est retiré. Que valent les 4,85 milliards de dollars que Merck a dû payer en guise d’amende et de dommages à l’Etat et aux victimes du Vioxx ? Rien. D’un part compte tenu du chiffre d’affaire colossal de la firme, d’autre part parce que les chiffres de vente du Vioxx atteignaient 2,5 milliards de dollars par an… Merck n’a rien perdu et s’en tire même très bien. Les analystes avaient tablé sur 10 à 25 milliards de dollars de pénalités, comme nous le rappelle cet article du New York Times… La firme se refait une « santé » financière en moins de deux avec le très cher coup de bluff qu’est le Gardasil (cette caricature en dit long). 

J’insiste sur Merck, parce que l’affaire du Vioxx a été un détonateur. C’est depuis le témoignage de Graham que les critiques de la FDA, de l’industrie pharmaceutique et des relations contre-nature entre les deux se sont intensifiées. Et ce malgré le climat hostile, car l’administration Bush est une fervente alliée des multinationales pharmaceutiques, ce qui rend très difficiles les actions des hommes politiques.

Mais le documentaire va bien au-delà du Vioxx et vaut la peine d’être vu du début jusqu’à la fin.  On y apprend beaucoup sur les méthodes douteuses du complexe médico-pharmaceutique :

  • les pressions et les tentatives d’intimidation de toute personne qui ose critiquer la FDA et/ou les laboratoires;
  • le rôle et l’influence des visiteurs médicaux , qui ont tout aussi peu de formation médicale que les « écrivains » médicaux. Ce sont eux aussi des commerciaux, rien que des commerciaux;
  • la publicité directe aux consommateurs (direct-to-consumer advertising) et son influence sur les patients; chez nous, elle prend d’autres formes, mais n’est pas moins présente;
  • le « ghostwriting » ou écriture fantôme. Il s’agit des rédacteurs fantôme qui écrivent les articles scientifiques selon les instructions des services marketing des firmes. Ce sont souvent des sociétés spécialisées dans le « medical writing » : l’écriture médicale à des fins commerciales. PharmedOut, la revue PLoS Medicine et cet éditorial du JAMA font partie de ceux qui ont dénoncé le procédé. Souvent, les grands pontes qui apparaissent comme auteurs de tel ou tel papier ne sont que des prête-noms qui n’ont même pas vu l’intégralité des données de tel essai clinique qu’ils sont supposés avoir dirigé. Et on serait naïfs de croire que les « écrivains » médicaux ont une formation médicale…
  • les cadeaux de toute sorte faits aux médecins pour qu’ils prescrivent les médicaments voulus;
  • le lobbying auprès des hommes politiques pour obtenir une législation favorable et empêcher un regard trop critique (enquêtes, etc.) sur les activités des firmes pharmaceutiques et des médecins qu’elles paient ;
  • une presse médicale dépendante de l’industrie à travers les publicités
  • le rôle des experts payés par l’industrie dans la rédaction de « recommandations de bonne pratique clinique » qui mettent l’accent sur la médication et marginalisent le rôle de la prévention et des approches non médicamenteuses;
  • les difficultés des médecins à dialoguer avec les patients, à écouter les patients critiques et à changer leur approche.

Et ainsi de suite.

Lorsqu’il commente l’occultation délibérée d’informations sur les effets indésirables du Prozac (tels les tendances suicidaires), Michael Moore pose la question essentielle : « Il s’agit là d’actes criminels. Pourquoi ces criminels sont-ils  toujours en liberté ? » Pourquoi personne n’est ni responsable ni coupable ? Même quand il y a des dizaines de milliers de morts et que la firme savait que cela allait se produire, comme dans le cas du Vioxx ?

A l’heure actuelle, rien n’oblige l’industrie et les médecins corrompus à changer de comportement. Comme le dit Peter Rost, ancien vice-président du marketing chez Pfizer, énormément de personnes profitent du complexe médico-industriel tel qu’il est et ont tout intérêt à ce que rien ne change.

En France, les posibilités de changement sont bien moindres que dans le monde anglo-saxon. Le sujet – corruption des médecins et des associations de patients, conflits d’intérêts de toute sorte, façonnage de maladies, écriture fantôme, journalistes payés pour faire de la pub, etc. – est largement inconnu du grand public. Et rappelons que notre agence du médicament (AFSSAPS) est habituellement parmi les toutes dernières à réagir en cas de souci. Comparée à l’Afssaps, la FDA est un modèle de transparence et d’efficacité en pharmacovigilance comme en matière d’information du public et des médecins.

Et puis nous n’avons pas de cadre législatif-juridique permettant la définition du problème et sa répression. Pas d’hommes politiques qui se battent pour que cela change (je ne parle pas ici de quelques belles paroles). Pas de journalistes d’investigation et de réseau associatif et médical indépendant à la hauteur. Les pratiques médicales sont toujours les mêmes, l’arrogance dans les relations avec les usagers aussi.

Chez nous, c’est toujours l’effet Tchernobyl : ce qui est toxique pour les autres ne l’est pas pour les Français, alors ça ne vaut même pas la peine d’en parler. En on n’en parle pas.

 

PS

Le dossier que le Dr Pharmamort tient sous le bras dans l’illustration du DVD du documentaire porte la mention « approuvé par la FDA ». Mort sur ordonnance, avec la bénédiction scientifique des autorités d'(in)sécurité sanitaire.

 

Gary Null et d’autres intervenants vers la fin du documentaire mettent un grand accent sur la nutrition et les compléments alimentaires et accusent la FDA de chercher à éliminer ceux-ci, parce qu’ils feraient concurrence à l’industrie pharmaceutique. Cela dit, quand on connaît tout ce qui peut être vendu aux Etats-Unis sous le nom de complément alimentaire, sans aucun contrôle et avec une publicité qui n’a pas grand-chose à envier à celle de l’industrie pharmaceutique, on est forcément plus réservé quant au « tout naturel ».

 

Elena Pasca

2 réflexions au sujet de ““Désastre sur ordonnance”. Documentaire sur le complexe médico-pharmaceutique et ses vassaux”

  1. Bonjour, excellente idée d’avoir parlé de cela!
    J’ai déjà acheté le documentaire fracassant « Vaccine-Nation » du même Gary Null, bouleversant…
    Et ce docu là prescription fo disaster je l’ai vu sur youtube je pense. c’est vraiment un bon docu!
    Je vous ai envoyé un petit mail pharmacritique et j’avoue c’est assez urgent donc si vous avez le temps de jeter un oeil….. un tout grand merci!!!

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s