Rapport annuel du Vermont sur l’argent de la corruption des médecins. Les psychiatres sont en tête – et les psychotropes aussi…

L’Etat américain du Vermont est l’un de ceux dont la législation impose aux firmes pharmaceutiques de déclarer au parquet les sommes 1162912029.jpgpayées aux médecins à des fins de marketing (« Marketing Disclosure Law », dont le pionnier est l’Etat de Minnesota). Le parquet du Vermont a rendu public le 8 juillet son 5ème rapport annuel sur ces liens financiers qui placent toujours les psychiatres en tête des médecins les plus payés pour faire marcher le commerce. Le procureur général, William Sorrel, commente : « ce rapport montre de nouveau l’influence trop grande de l’industrie pharmaceutique sur la pratique de la médecine au Vermont. (…) Il est particulièrement troublant que l’industrie paye des sommes aussi élevées pour influencer la prescription de médicaments psychiatriques », ajoute-t-il dans sa déclaration. Tout cela nous aprrend à chausser des lunettes critiques, pour un bon décryptage faisant la part entre information et soupe publicitaire servie par citernes entières par les médecins inféodés.

La version complète s’intitule Pharmaceutical Marketing Disclosures Report (Rapport des déclarations publiques des sommes payées au titre du marketing). 

Quant au rapport des déclarations faites en 2006, il est ici : Marketing Disclosures – Report of Vermont Attorney General William H. Sorrell. Lecture très instructive…

De qui et de quoi parle-t-on?

Pendant l’année fiscale 2007, 84 firmes ont déclaré avoir payé plus de 3 millions de dollars aux médecins de Vermont pour promouvoir la prescription de leurs médicaments respectifs. Ces sommes correspondent à des paiements pour des activités de conseillers et de conférenciers (à des fins publicitaires), à des frais de voyage, des cadeaux et d’autres formes de rétribution des médecins pour des agissements promotionnels. Il y a aussi des paiements à des pharmaciens et à des universités/hôpitaux/cliniques, mais si vous regardez les chiffres (en haut de la page 8 du rapport), les montants sont insignifiants par rapport à ce qu’empochent les médecins… Ils ont même décliné depuis 2005, alors que les médecins ont reçu beaucoup plus, puisque le procureur général constate une augmentation de 33% par rapport à 2006 et de 42% par rapport à 2005… Les médecins sont-ils plus gourmands ou les firmes plus généreuses ? Ou alors la gourmandise est la même, mais les laboratoires sont plus « honnêtes » dans leurs déclarations, vu les pressions ambiantes…

Il faut rappeler que, conformément aux dispositions de la loi de transparence du Vermont (« sunshine law », « marketing disclosure law »), détaillées dans ce guide explicatif, ces sommes ne comprennent pas les échantillons gratuits, les frais liés à la formation médicale continue, les cadeaux, repas ou autres valeurs de moins de 25 dollars, certaines bourses ou financements d’études, la rétribution pour les activités dans les essais cliniques, les rabais sur les médicaments et d’autres financements moins directs que les sommes d’argent… Autrement dit, les sommes déclarées ne sont qu’une petite partie des financements réels…

Les cinq firmes qui ont payé le plus pour faire vendre leurs médicaments sont Eli Lilly, Pfizer, UCB, Novartis et Merck. Leurs « investissements » – car c’est de cela qu’il s’agit lorsqu’une firme paie un médecin et attend un retour sur investissement sous forme d’une augmentation de la vente de ses produits – représentent à eux seuls 56% du total des 3 millions.

Notre firme nationale – Sanofi Aventis – était numéro quatre en 2005 et numéro deux en 2006. Gageons que ce qu’elle récolte avec le Gardasil l’aidera à revenir dans le top 5…

Quels spécialistes empochent le plus?

Les destinataires de cet argent de la corruption ne sont pas logés à la même enseigne, probablement parce que leur rendement n’est pas le même… Sur ces 3 millions de dollars, 2 millions (soit 68%) sont allés à 100 médecins et institutions.

A noter que les psychiatres sont de nouveau les plus gâtés (au sens de pourris…) : 11 d’entre eux ont reçu à eux seuls plus de 600.000 dollars (soit 20% du total). Le montant moyen empoché par un psychiatre pour faire de la publicité et prescrire les médicaments des laboratoires payeurs a été de plus de 56.000 dollars… Manifestement, ils n’ont pas de raison de pleurer misère. D’autant que les paiements aux psychiatres ont augmenté de 88% ( !) en 2007 par rapport à 2005. On peut pleurer misère si on regarde ce que ces conflits d’intérêts donnent chez les patients, mais ça, c’est une autre paire de manches…

En deuxième position des plus corrompus arrivent les médecins spécialisés dans le traitement des affections cardio-vasculaires. Deux d’entre eux se distinguent pour avoir reçu la coquette somme de 312.000 dollars. Dites donc, leurs prescriptions, ça doit être le puits sans fond… Et on peut imaginer à quoi peuvent ressembler leurs interventions « scientifiques » lors de rencontres médicales…

En troisième position arrivent les internistes, corrompus en moyenne par un peu plus de 13.000 dollars. (Il faut souligner ici que la définition de la médecine interne est plus large aux Etats-Unis qu’en France ; elle peut comprendre des médecins généralistes, des cardiologues, etc.).

Quels sont les médicaments pour lesquels les médecins empochent le plus?

Le rapport du procureur général de l’Etat de Vermont se penche pour la première fois sur les médicaments dont le commerce est « encouragé » par l’argent de la corruption. Parmi les milliers existants, 20 médicaments sont particulièrement valorisés par les firmes qui les produisent ou les commercialisent, au point de justifier 62% du total des dépenses marketing. La quatrième page du rapport énumère le top 10 des médicaments dont les firmes encouragent la prescription :

  • Strattera° (atomoxétine), par la firme Eli Lilly, prescrit dans le trouble déficitaire d’attention avec hyperactivité (TDAH ou TDAHA) ;
  • Ritaline° (méthylphénidate/ nom USA : Metadate), par Novartis : dérivé amphétaminique prescrit dans le trouble déficitaire d’attention avec hyperactivité ;
  • Januvia° (sitagliptine), par Merck, dans le diabète de type 2 ;
  • Seroplex / Sipralex° (escitalopram/ Lexapro), par Forest (Lundbeck en France), ISRS utilisé dans la dépression, le trouble anxiété sociale, le trouble anxiété généralisée, la prévention des crises de panique ;
  • Cymbalta° (duloxétine), par Eli Lilly : dépression et douleurs neuropathiques dans le diabète ; Lantus° (insuline glargine), par Sanofi-Aventis : diabète de type I et II ;
  • Seroquel° (quétiapine), par Astra Zeneca : antipsychotique atypique utilisé dans le trouble bipolaire et la schizophrénie ;
  • Ebixa° (mémantine / Namenda), par Forest (Lundbeck en France) : dans la démence de type Alzheimer ;
  • Inegy/ Ezétrol° (ezétimibe + simvastatine ; ézétimibe. Noms USA : Vytorin/Zetia), par Merck et Schering Plough, dans le traitement d’un taux de cholestérol trop élevé ;
  • Belsar ou Olmetec° (olmésartan medoxomil), par Daiichi-Sankyo : hypertension artérielle.

Chausser les lunettes critiques nous apprend que c’est le bon marketing qui fait le médicament

Quand on voit Ebixa (mémantine) sur cette liste, on comprend pourquoi un médicament notoirement sans effets bénéfiques dans l’Alzheimer, mais pouvant avoir des effets indésirables sévères, voire très sévères, se vend aussi bien… Forest et Lundbeck mettent le paquet  dans la pub, et il y a des médecins et des usagers qui y croient. Qu’on se rappelle que la Haute autorité de santé a quand même maintenu la mémantine et les inhibiteurs de la cholinestérase (donépézil (Aricept), galantamine (Reminyl) ou rivastigmine (Exelon)) sur la liste des produits à prescrire aux malades… Honteux !

Et puis Inégy et Ezétrol, dont les firmes Merck et Schering Plough savaient parfaitement au moins depuis début 2007 qu’ils n’ont pas d’effets cardiovasculaires bénéfiques. Ce qui ne les a pas empêché de faire une publicité de tous les diables, y compris une fois que le scandale a éclaté… Nous en avons parlé dans les toutes premières notes de la catégorie (Anti) cholestérol, Ezétrol, Inegy.

Ainsi, le British Medical Journal a accepté des publicités pour Ezétrol et Inegy bien après les révélations parlant de la manipulation des données de l’essai clinique, du changement des critères de jugement en cours de route, de la tentative d’occulter les résultats, etc. Et pourtant, le même BMJ pestait encore très récemment contre les leaders d’opinion et les techniques de vente des firmes pharmaceutiques… Nous en avons rendu compte dans la note intitulée Les médecins leaders d’opinion : pantins du commerce pharmaceutique… Le British Medical Journal dénonce. Puis avons rappelé ce précepte de bon sens consistant à balayer d’abord devant sa porte, pour réduire un peu cet écart abyssal entre la théorie et la pratique: Et si le British Medical Journal balayait aussi devant sa porte?

Ce journal n’est pas pire que d’autres, là n’est pas la question. La même chose pourrait s’appliquer au JAMA (journal de l’Association américaine de médecine), dont la directrice de rédaction a elle aussi écrit une dénonciation très juste de toute une série de méthodes de l’industrie pharmaceutique, assortie de propositions pour assainir cet environnement médical malsain. Nous avons traduit le texte ici: Editorial du JAMA avec des propositions pour limiter conflits d’intérêts, manipulation, désinformation, influence des firmes pharmaceutiques… N’est-ce pas beau de vouloir limiter l’influence de l’industrie pharmaceutique? Mais quand on se fait payer son salaire par les publicités pour cette même industrie, on est du coup légèrement moins crédible…

Il vaut mieux essayer de donner l’exemple lorsqu’on veut donner des leçons qui soient autre chose que des discours qui servent à apaiser sa conscience à peu de frais. C’est le cas de le dire: peu de frais, puisque la majorité est prise en charge par l’industrie, alors…

Elena Pasca

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