Nous avons parlé de la préemption en citant un précédent article relativement modéré du New England Journal of Medicine : L’industrie pharmaceutique veut une immunité totale pour les effets indésirables. La préemption ou le déni de responsabilité. Et puis un papier beaucoup plus lucide et plus alarmant du New York Times: La préemption vue de près: un bouclier juridique pour les firmes.
La préemption fédérale est une doctrine juridique qui, appliquée à l’industrie pharmaceutique, voudrait dire que celle-ci n’est plus responsable juridiquement, pénalement pour les problèmes que posent ses médicaments, une fois que l’agence fédérale du médicament (FDA) leur a donné une autorisation de mise sur le marché. La préemption fédérale implique donc que ni des consommateurs ni même des Etats ne pourraient faire des procès en cas de médicaments défecteux, pour lesquels les firmes auraient occulté les effets secondaires, etc. Une décision fédérale – de la FDA – reviendrait à museler tout le droit, toute la législation différente d’un Etat à l’autre, sans parler des recours collectifs en justice. Nous avons détaillé ces aspects dans les deux notes citées ci-dessus.
Le New England Journal of Medicine semble sortir de sa torpeur. Enfin!! Parce que la question – passée inaperçue en France, si ce n’est dans nos pages – est gravissime. Toute la direction de la revue signe un éditorial bien plus critique, cette fois-ci, intitulé Why Doctors Should Worry About Preemption (« Pourquoi la perspective de la préemption devrait inquiéter les médecins »).
On y apprend entre autres que les rédacteurs ont eux aussi été amenés à témoigner devant le Congrès. Et que le député démocrate Henry A. Waxman est déterminé à tout faire pour faire barrage à la préemption, même si la Cour suprême se prononce pour dans le cas concret qu’elle aura bientôt à juger. Henry Waxman est celui qui a vendu la mèche quant aux projets de la FDA de faire plaisir à l’industrie pharmaceutique en autorisant la publicité (auprès des médecins) pour les indications hors AMM. Publicité actuellement illégale, compte tenu des dangers qu’elle comporte: inciter des médecins à prescrire un médicament qui n’a pas été testé dans telle ou telle indication, et ce sur la base d’un simple article écrit par un leader d’opinion… Cette question-là n’est pas non plus tranchée.
Et il y a d’autres projets concernant la FDA et la politique de régulation des conflits d’intérêts et des financements par les firmes qui sont actuellement en suspens. La fin de règne de Bush approche, et il veut consolider les positions de ses amis et alliés en rendant difficile, voire impossible, la concrétisation d’une critique de plus en plus forte de la société civile à l’égard des firmes pharmaceutiques.
La bataille de la préemption se jouera de nouveau entre les démocrates et les républicains, avec l’administration Bush qui appuie tout ce qui favorise l’industrie. Et avec une Cour suprême en majorité conservatrice et acquise aux républicains… C’est mal barré. On ne peut qu’espérer une levée de boucliers contre ce projet de « bouclier juridique » pour les firmes…
Qui inspirera certainement les Européens aussi (pensons déjà à Sarkozy avec le droit des affaires, à la Commission européenne qui veut abandonner la pharmacovigilance aux firmes et faire de celles-ci des « sources fiables » d’information directe aux patients – ce serait plutôt une « publicité directe aux consommateurs » qui ne dit pas son nom – et ainsi de suite… Les exemples ne manquent pas).
Elena Pasca