La formation médicale continue doit se libérer de l’emprise de l’industrie pharmaceutique. Un éditorial du CMAJ (mars 2008)

 Paul Hébert publie dans le numéro du 25 mars du CMAJ (Journal de l’Association médicale canadienne) un éditorial intitulé Le besoin d’un 1383653799.jpgInstitut de l’éducation continue en santé, dont le texte complet est en libre accès. Il insiste sur la nécessite d’une « refonte majeure » du système actuel de formation médicale continue (FMC), et on ne peut qu’être d’accord en France aussi, lorsqu’on voit que la FMC actuelle prend la forme du congrès du Medec, foire industrielle débouchant sur des prix pour les firmes qui investissent le plus dans la promotion de leurs produits auprès des médecins… (Nous en avons parlé dans cette note).

Et Hébert de rappeler que ce sont les médecins qui portent la responsabilité majeure pour cet état de fait – qu’il faut appeler par son nom, à savoir corruption, dirons-nous – puisqu’ils acceptent ce que leur offrent des firmes dont la nature est de faire du profit, pas de l’humanitaire :

« (…) Tout d’abord, les données indiquent que l’éducation parrainée par l’industrie pharmaceutique biaise souvent le choix des sujets, embellit les aspects positifs des études et minimise les effets indésirables. L’industrie se concentre en fait principalement sur les traitements et les questions connexes, aux dépens du tableau thérapeutique d’ensemble, y compris la qualité des soins et la sécurité des patients n’ayant pas trait aux médicaments, les déterminants de la santé, la prévention des maladies et la promotion de la santé, et les autres modes de traitement.  

Deuxièmement, il est évident que l’activité actuelle d’éducation continue compromet les piliers éthiques et la réputation de la profession médicale. On considère que les médecins sont dans le camp de l’industrie pharmaceutique et alignés sur ses priorités commerciales. Nous semblons avoir oublié commodément que l’industrie pharmaceutique existe pour enregistrer des bénéfices et non pour former les professionnels de la santé.

Il y a aussi la question de savoir si le type d’éducation qu’offre l’industrie pharmaceutique donne vraiment des résultats. Beaucoup de ces événements lourdement subventionnés sont basés sur les conférences et insistent sur le décompte des heures de crédit plutôt que sur la mesure de l’amélioration des connaissances, de la compétence, du rendement et, plus important encore, des résultats cliniques. Des techniques d’apprentissage comme la formation continue en milieu universitaire, les petits ateliers et les commentaires issus de vérifications ont démontré qu’elles avaient un impact plus important, mais on les offre moins souvent. (…)  

Il reste cependant que l’industrie pharmaceutique demeure la locomotive de l’éducation médicale continue. Il est clair que la responsabilité en incombe en partie aux médecins eux-mêmes. Au fil des ans, les incitatifs pharmaceutiques puissants ont amené les médecins à croire qu’une solide participation de l’industrie non seulement est normale, mais aussi qu’ils ont le droit d’en profiter. Cette culture de la chose due peut constituer un des obstacles les plus difficiles à surmonter.

Pour assainir la situation, il faut enlever aux médecins ce sentiment du «droit de recevoir» et adopter une approche axée davantage sur les principes. La seule solution consiste à prendre la maîtrise du système et à le réinventer. Le plus important, étant donné que la prestation d’une éducation continue efficace est reliée à la qualité des soins et à la sécurité des patients, c’est que l’éducation continue doit viser à améliorer les connaissances cliniques, les connaissances techniques et les attitudes de façon à améliorer les résultats cliniques et la qualité des soins par l’amélioration de la performance des praticiens. Les activités d’éducation continue doivent en outre produire de l’information exacte libre de toute partialité réelle ou perçue. Elles doivent porter sur des thèmes et des sujets reliés aux besoins des patients ou des professionnels de la santé, utiliser davantage un vaste éventail de techniques éprouvées et efficaces d’apprentissage des adultes, inclure tous les professionnels de la santé et être abordables, accessibles et, dans la mesure du possible, intégrées à la pratique clinique. (…)

Le système actuel est inacceptable pour des professionnels de la santé autoréglementés. Le moment est venu de mettre fin à la «gratuité» dictée par l’industrie pharmaceutique et de confier notre système d’éducation médicale continue à des intervenants impartiaux et qualifiés et non à des entreprises qui s’intéressent avant tout à leur profit. (…) »

Mise à jour : extraits d’un article paru sur le site Canoë Canada

« La prise de position du Dr Hébert a aussitôt suscité de nombreux appuis de la part de ceux qui critiquent l’influence des compagnies pharmaceutiques sur la formation des médecins, les publications médicales, et les pratiques de prescription des médecins.

« Trois hourrahs pour le Dr Hébert », a lancé Arthur Schafer, du centre pour l’éthique de l’Université du Manitoba. Le docteur Gordon Guyatt, de l’Univesité McMaster, à Hamilton, en Ontario, s’est félicité de voir le JAMC [CMAJ] s’en prendre à « l’énorme » et « pernicieuse » influence de l’industrie pharmaceutique sur la formation continue des médecins. Mais lui aussi estime que l’industrie n’est pas à blâmer, parce qu’elle se comporte de la façon requise pour satisfaire ses actionnaires, et que ce sont les médecins qui ont un problème d’éthique.

L’organisme qui réglemente les médecins exige qu’ils mettent continuellement à jour leurs connaissances médicales pour conserver leur permis de pratique.

D’après l’éditorial du JAMC, les données indiquent que l’éducation parrainée par l’industrie pharmaceutique biaise souvent le choix des sujets, embellit les aspects positifs des études et minimise les effets indésirables, mettant l’accent sur les traitements médicamenteux aux détriment d’aspects comme la prévention, la promotion de la santé et les options non pharmaceutiques.

Le Dr Hébert propose la mise sur pied d’un Institut de l’éducation continue en santé, dont le financement pourrait venir des gouvernements, de la profession médicale et de redevances sur les bénéfices de chaque nouveau brevet pharmaceutique ou instrument médical. Il s’agit de «confier notre système d’éducation médicale continue à des intervenants impartiaux et qualifiés et non à des entreprises qui s’intéressent avant tout à leur profit», conclut-il. »

Ces propositions rejoignent celles faites en Suisse, d’abord par la revue « pharma-kritik« , puis par une société de médecine générale. J’en ai rendu compte dans ces deux notes:

Elena Pasca

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