Même si la nortriptyline n’est pas commercialisée en France, il est intéressant de voir ce que donne l’utilisation de cet antidépresseur tricyclique, à fort potentiel d’effets secondaires, lorsqu’il est utilisé comme aide à l’arrêt du tabac… Parce qu’il y avait une présomption d’efficacité portant à la fois sur la nortriptyline et le buproprion (Zyban), qui tablait sur des propriétés spécifiques non liées aux effets antidépresseurs. En attendant une étude indépendante sur le bupropion, dont on commence à bien connaître les risques, voici les nouvelles concernant l’autre:
L’éditorial du British Medical Journal en date du 31 mai revient sur une étude publiée le 27 avril par Aveyard et al de l’Université de Birmingham : « Nortriptyline plus nicotine replacement versus placebo plus nicotine replacement for smoking cessation: pragmatic randomised controlled trial ». Il s’agit d’une étude randomisée sur l’efficacité de la nortriptyline (Sensoval, Aventyl, Pamelor, Nortrilen) combinée à des substituts nicotiniques par rapport à une combinaison de placebo et substituts nicotiniques dans le sevrage tabagique de 901 fumeurs. L’étude est dite « pragmatique », parce que les auteurs ont laissé aux fumeurs de choisir ou non des substituts nicotiniques. Le service public de santé britannique (NHS) a assuré une thérapie de groupe pendant 7 semaines, à raison d’une séance par semaine. Le point final primaire de l’étude était l’abstinence six mois après l’arrêt. La combinaison nortriptyline / substituts a montré un effet modeste et statistiquement non significatif par rapport au placebo +/- substituts (risque relatif 1.4; intervalle de confiance 95%, 1.00 vs. 1.98).
16% des personnes sous nortriptyline et 12% de celles sous placebo étaient abstinentes à six mois. A 12 mois, elles étaient 11% sous nortriptyline et 9% sous placebo. Les effets secondaires de type constipation et sécheresse buccale, étaient bien plus marqués sous nortriptyline ; ceux de type hypersudation et tremblements étaient aussi légèrement plus importants. L’envie de fumer était similaire dans les deux groupes, avec des syndromes de sevrages comparables. Mais la nortriptyline a réduit les scores de dépression et d’anxiété dans le groupe traité, manifestes surtout au début de l’arrêt du tabac. On voit finalement que seul l’effet antidépresseur peut jouer un certain rôle ; tout en sachant que toute la classe des antidépresseurs tricycliques a une balance bénéfice – risque très mauvaise, ce qui veut dire en clair que ce bénéfice-là ne vaut pas la peine.
Le BMJ souligne que les résultats de l’étude d’Aveyard et al correspondent à peu près aux résultats d’une méta-analyse et revue systématique faites par la Cochrane Collaboration et ayant pour objet deux études randomisées sur l’efficacité de la nortriptyline dans le sevrage tabagique (n=318; odds ratio 1.48; 0.87 vs. 2.54). Les résultats de la méta-analyse n’ont pas non plus été significatifs et la Cochrane a constaté une grande hétérogénéité entre les études. L’une disait que la nortriptyline n’avait pratiquement pas d’effet bénéfique, l’autre disant que c’était l’aide la plus efficace à l’arrêt du tabac… A noter que l’étude d’Aveyard et al a inclus plus de participants que les deux précédentes réunies.
Références : “Editorial. Smoking cessation in primary care. Evidence does not support routine use of combination therapy with nortriptyline”. BMJ 2008;336:1223-1227 (31 May).
Une étude qui encense la nortriptyline a été faite par une équipe brésilienne et publiée en 2002 dans la revue Chest : Stopping Smoking. A Prospective, Randomized, Double-Blind Study Comparing Nortriptyline to Placebo. Les auteurs ne font pas de déclarations d’intérêts, mais il y a fort à parier qu’on aurait appris pas mal de choses s’il y en avait eu…
A propos, lorsqu’on fouille un peu, on constate que la revue Chest prend soin des fonctions respiratoires de ses lecteurs, puisqu’elle ne les retient pas trop avec des histoires de conflits d’intérêts à couper le souffle… Et pas non plus avec la pensée critique à l’égard de l’industrie pharmaceutique… Ma remarque n’est pas fortuite, mais je l’expliquerai dans une autre note.